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Applaudis par le RN, les propos de la députée macroniste Caroline Yadan ont scandalisé la gauche et mis mal à l’aise jusque dans le camp présidentiel. Les Insoumis réclament à la présidente de l’Assemblée une sanction contre l’élue. Yaël Braun-Pivet n’a pour l’instant pas donné suite.
La sidération et la colère. Ces deux sentiments ont traversé les bancs de La France insoumise (LFI), et plus largement ceux de tous les groupes de gauche à l’Assemblée nationale, mardi 28 janvier.
Pendant les questions au gouvernement (QAG), Caroline Yadan, députée macroniste des Français de l’étranger – dans une circonscription qui comprend Israël et les Territoires palestiniens –, s’en est prise au mouvement de Jean-Luc Mélenchon lors d’une adresse à la ministre chargée de l’égalité et de la lutte contre les discriminations, Aurore Bergé. La charge a été si violente que LFI a immédiatement demandé une réunion exceptionnelle du bureau de l’Assemblée, « afin d’examiner les sanctions envisageables à l’encontre de Caroline Yadan ».
Alors que la question de l’élue était censée porter sur le devoir de mémoire et la lutte contre l’antisémitisme à l’occasion de la commémoration des 80 ans de la libération d’Auschwitz, elle a tourné au réquisitoire outrancier à l’égard de LFI. « Cette haine du juif est exaltée par un dangereux parti à l’extrême gauche de cet hémicycle, qui trouve que l’antisémitisme est résiduel, qui reprend les accusations moyenâgeuses des juifs “empoisonneurs de puits”, qui défend les chasseurs de juifs dans les rues, qui qualifie le Hamas de mouvement de résistance, ou comble de l’ignominie, les meurtriers palestiniens condamnés à perpétuité “d’otages” », a lancé Caroline Yadan, après avoir déploré le bond des actes antisémites depuis le 7-Octobre.
La députée a été abondamment applaudie par une partie de ses collègues du camp présidentiel, à commencer par Constance Le Grip, qui vient d’être nommée présidente du groupe d’étude sur l’antisémitisme au Palais Bourbon, mais aussi l’ancien président du groupe Renaissance, Sylvain Maillard. Tous deux ont pour point commun d’avoir participé à des voyages organisés par Elnet, le lobby pro-Israël à l’Assemblée, et de marteler depuis le 7-Octobre le « droit d’Israël à se défendre », quitte à se démarquer de la ligne du Quai d’Orsay.
Mais les propos de Caroline Yadan ont aussi fortement gêné d’autres élus macronistes. « Elle a été sa propre caricature et a totalement desservi sa QAG et le besoin d’hommage aux victimes », glisse l’un d’entre eux sous couvert de l’anonymat.
L’intervention de la députée a surtout été ovationnée par le Rassemblement national (RN), qui a accueilli ces propos par une standing ovation et des « bravos » lancés dans l’hémicycle. Alors que les députés LFI Sébastien Delogu, Aymeric Caron, Sophia Chikirou ou encore Arnaud Saint-Martin quittaient l’hémicycle en protestant, suivis par certains de leurs collègues écologistes et communistes, l’extrême droite a monté le ton, lançant des quolibets satisfaits, à l’instar du député RN Julien Odoul, qui s’est exclamé : « Bon débarras ! »
Aurore Bergé, elle aussi très proche des réseaux pro-Israël, a pris la parole sans apparaître le moins du monde gênée par la situation. « Je vous remercie pour la clarté de votre interpellation, a-t-elle félicité Caroline Yadan. Elle a visiblement déplu à une partie de l’hémicycle, qui considère que l’antisémitisme est résiduel et qui refuse de voir l’ampleur d’un phénomène qui touche trop de nos compatriotes. » D’un même mouvement, la ministre a affirmé que l’antisémitisme se confondait « désormais avec l’antisionisme », sous les vifs applaudissements du RN. C’est pourtant dans cet amalgame que règne la confusion.
Ces glissements idéologiques qui utilisent la mémoire de la Shoah pour attaquer ceux qui se battent pour les Palestiniens me révulsent.
Elsa Faucillon, députée communiste
Au sein de la gauche, en revanche, déjà heurtée par les propos de François Bayrou qui venait de confirmer ses dires sur la « submersion migratoire », la sortie de Caroline Yadan a été vécue comme un grave incident politique sur fond d’accusations injustifiées. « La violence des propos de Caroline Yadan et les applaudissements nourris de l’extrême droite aux macronistes nous ont scotchés », rapporte la députée écologiste Marie Pochon, qui a quitté l’hémicycle en signe de protestation.
« Je suis sortie parce que c’était suffocant. Ces glissements idéologiques qui utilisent la mémoire de la Shoah pour attaquer ceux qui se battent pour les Palestiniens me révulsent », abonde sa collègue communiste Elsa Faucillon.
Les Insoumis ont accusé le coup. « J’ai le souvenir de questions au gouvernement où Caroline Yadan avait eu des propos du même tonneau, mais jamais il n’y avait eu un condensé aussi fort en deux minutes. On a eu un combo gagnant Shoah, nazis, 7-Octobre, LFI », témoigne auprès de Mediapart le député LFI Ugo Bernalicis. Interrogé à chaud par LCP, celui-ci a par ailleurs évoqué son histoire familiale, pour indiquer que son arrière-grand-père avait été déporté à Dachau. « En général, je n’aime pas trop invoquer les histoires personnelles, mais ça venait de mes tripes : l’antiracisme n’est pas négociable. Se faire traiter d’antisémite m’énerve au plus haut point », souligne-t-il.
Que ces attaques viennent de Caroline Yadan, qui réclamait il y a quelques jours la tête d’un journaliste de France Info TV pour un bandeau qualifiant des prisonniers palestiniens d’« otages », n’a surpris personne. Une semaine après le 7-Octobre, l’élue avait déjà accusé les troupes de Mathilde Panot d’être « responsables de l’antisémitisme en France ».
Elle est aussi une habituée des « Collabos ! » lancés à la volée – mais hors micro – à l’adresse de ses collègues de gauche – tous groupes confondus – dans l’hémicycle. Des députés qu’elle soupçonne régulièrement, en chœur avec certains de ses collègues macronistes comme François Cormier-Bouligeon, d’être des « complices du Hamas ». Elle n’a jusqu’ici jamais été sanctionnée par le bureau de l’Assemblée nationale.
Le sera-t-elle cette fois-ci ? Interrogé par Mediapart, l’entourage de Yaël Braun-Pivet ne nous a pas répondu sur les suites que la présidence de l’Assemblée – qui a pourtant fait exploser le compteur des sanctions infligées aux députés – comptait donner à la demande de sanction réclamée par les Insoumis.
Pourtant, le député LFI Gabriel Amard, membre du bureau de l’Assemblée, est intervenu, le 20 novembre lors d’une réunion de celui-ci, pour réclamer au nom de son groupe une baisse du niveau de conflictualité dans l’hémicycle, notamment concernant les accusations d’antisémitisme. « La présidente a répondu que d’autres parlementaires se plaignaient d’être qualifiés de “complices de génocide” [au vu de la guerre menée par Israël dans les territoires palestiniens – ndlr]. Nous avons convenu collectivement que nous étions d’accord pour tout faire pour que le climat s’apaise », raconte Gabriel Amard, qui estime qu’un « gentlemen agreement » a alors été solennellement conclu entre les parties en présence.
Yaël Braun-Pivet, qui avait affirmé le « soutien inconditionnel » de la France à Israël après le 7-Octobre, aurait-elle déjà oublié les bonnes résolutions du début de la législature ? « Elle n’a en tout cas pas respecté son engagement moral », souligne Gabriel Amard.
Cet incident prouve que LFI n’en a pas fini avec les accusations d’antisémitisme, pour partie cristallisées autour de certains propos de son chef de file Jean-Luc Mélenchon. Aymeric Caron, qui poursuit autant que possible en justice les personnes qui le qualifient d’« antisémite » et le menacent de mort pour son combat pour la Palestine, en témoigne : « Depuis le 8 octobre, j’aurais pu déposer des milliers de plaintes pour des messages qui tombent sous le coup de la loi. Mais malheureusement la justice ne nous aide pas », explique-t-il.
Ugo Bernalicis constate lui aussi une relative impuissance de LFI à se défendre face au rouleau compresseur des réseaux sociaux, des chaînes de l’empire Bolloré et désormais de l’hémicycle : « La campagne pour nous assimiler au conditionnel à l’antisémitisme produit les effets recherchés : les précautions oratoires finissent par sauter, et les juges disent que ça n’outrepasse pas la liberté d’expression. À la fin ça me prend aux tripes. »
Mathieu Dejean et Pauline Graulle
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