Censurer ou pas le gouvernement : le PS en Position Latérale de Sécurité

mercredi 12 février 2025.
 

Face au 49-3 annoncé par François Bayrou sur les textes budgétaires, le parti à la rose doit décider s’il garnira, ou non, les rangs de ceux qui tenteront de faire tomber le gouvernement. Mal exécutée, sa stratégie de négociation ne le fera sortir de l’ambiguïté qu’à ses dépens.

Ces derniers jours, la bande-son d’ambiance au parti socialiste (PS) pourrait être un entêtant refrain de la chanteuse Angèle. « C’est oui ou bien c’est non ? » Ça censure, ou ça ne censure pas ? Si le dilemme était attendu, François Bayrou l’a rendu pleinement d’actualité ce week-end, en confirmant à La Tribune Dimanche qu’il utiliserait l’arme du 49-3 pour forcer l’adoption des budgets de l’État et de la Sécurité sociale. Il remettra donc sa survie en jeu, en s’exposant à des motions de censure.

À gauche, les groupes insoumis, écologiste et communiste n’auront aucun problème à en déposer et à les voter. Les socialistes, eux, sont encore hésitants. Contrairement au parti de Jean-Luc Mélenchon, et davantage que leurs autres partenaires du Nouveau Front populaire (NFP) qui ont rapidement lâché l’affaire, ils ont poursuivi des négociations avec le camp présidentiel au nom de deux arguments principaux : éviter une dérive toujours plus à droite du gouvernement ; et préserver la stabilité du pays, qui n’a toujours pas de budget et fonctionne par défaut sur les grandes masses votées en 2024.

Une fois achevés les travaux de la commission mixte paritaire, le sujet a été au menu de deux réunions des groupes parlementaires du PS. Celle des sénateurs et sénatrices, vendredi, a vu la balance pencher du côté de la non-censure. Celle des député·es, samedi matin, a vu s’exprimer des tiraillements collectifs et individuels, sans être conclusive. La décision finale ne devrait être prise qu’au dernier moment, mardi, à la suite d’un bureau national – la même instance qui avait choisi de ne pas censurer François Bayrou à la suite de son discours de politique générale, tout en espérant encore des inflexions de sa part.

Le débat ne porte pas tant sur le fond que sur l’opportunité ou le risque de faire tomber un nouveau gouvernement, après celui de Michel Barnier en décembre dernier. « Tout le monde dit que ce budget ne nous va pas, confirme Emma Rafowicz, eurodéputée et présidente des Jeunes socialistes. Le vrai marqueur des débats, c’est le rapport à l’exigence de stabilité. Or nous débattons après une période de vœux où beaucoup de camarades ont été interpellés par des acteurs de terrain, qui craignent de ne plus pouvoir assurer leurs missions. »

L’argument de la stabilité

« Il y a un vrai effet de ces cérémonies, note Rémi Lefebvre, professeur de science politique à l’université de Lille et bon connaisseur du parti. Cela nous rappelle qu’avec les députés LR ceux du PS sont ceux dont l’ancrage local est le plus fort et le plus ancien. Ils sont donc plus sensibles et réceptifs à ces retours. La difficulté, c’est que Bayrou les a un peu piégés. Il a semblé leur accorder plus d’égards que Barnier, mais dans les faits le pouvoir est inflexible. »

Certes, les derniers jours ont été l’occasion de passes d’armes, à gauche, sur les petites victoires arrachées par les socialistes, qui considèrent avoir empêché les 4 000 suppressions de postes initialement prévues dans l’Éducation nationale, ou limité la casse dans certains champs (comme la santé et l’écologie). Une querelle, byzantine pour les citoyens ordinaires, s’est notamment déployée à propos de l’aide médicale d’État : ses crédits sont théoriquement en diminution d’une centaine de millions, mais la préservation des règles existantes les fera gonfler dans la pratique.

Chacun admet cependant que « le compte n’y est pas », selon une formule désormais courante parmi les socialistes. Même s’il a défendu bec et ongles son bilan de négociateur, le député de l’Eure Philippe Brun consent à dire que « nos victoires, notables sur certains sujets que nous avons portés avec acharnement », se sont accompagnées de « nombreuses défaites ». La question, selon lui, est désormais la suivante : « Ce mauvais budget – un peu moins mauvais grâce à nous – fera-t-il plus de mal aux gens que nous défendons que l’effet d’une censure sur la situation économique déjà déprimée ? »

Du côté de l’aile droite du parti, rares sont celles et ceux qui hésitent. « Rien ne justifie que le PS censure », affirmait dès jeudi au Parisien Karim Bouamrane, le maire de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). « C’est simple, veut croire le maire du Mans Stéphane Le Foll sur X, malgré les avancées obtenues ce budget ne nous convient pas. Mais nous ne voterons pas la censure ! À force de zigzaguer le PS finira comme les écologistes dans le fossé insoumis. »

Avec moins d’esprit de polémique, et une charge symbolique plus forte, un plaidoyer dans le même sens est venu de la part de l’ancien premier ministre Lionel Jospin. Se disant préoccupé par une action publique à l’arrêt, il a affirmé, dans l’émission C l’hebdo (France 5), que « voter la censure aujourd’hui ne serait pas responsable ».

Je n’oublie pas les clins d’œil du premier ministre lui-même à l’extrême droite.

Emma Rafowicz, eurodéputée socialiste.

Pour beaucoup d’autres figures du parti, notamment celles qui ont soutenu l’ancrage à gauche du parti sous la direction d’Olivier Faure, l’argument de la stabilité n’épuise pas la discussion.

« Ma position n’a pas changé, explique à Mediapart le sénateur de l’Oise Alexandre Ouizille, co-initiateur, à la mi-janvier, d’une boucle WhatsApp intitulée “L’amicale de la censure”. Je défendrai la censure au bureau national. Pas par principe, mais car la négociation a été largement infructueuse. Le pouvoir a voulu faire un budget comme s’il était majoritaire. Avec des dépenses en moins alors que nous devons couvrir les besoins sociaux d’un pays qui vieillit et qui doit réaliser sa transition écologique. Et des recettes qui manquent alors qu’il s’agit de faire contribuer davantage ceux qui peuvent pour soulager les classes populaires et les classes moyennes. »

Le raisonnement est identique chez Emma Rafowicz. Sans balayer les inquiétudes exprimées par l’électorat en circonscription, elle souligne que les mêmes personnes en attente d’un budget aujourd’hui pourraient en vouloir aux socialistes d’avoir laissé passer un budget globalement délétère pour les services publics. « Et je n’oublie pas les clins d’œil du premier ministre lui-même à l’extrême droite », ajoute-t-elle en référence au terme de « submersion migratoire » repris par François Bayrou.

Une dimension également mise en avant par le député du Calvados Arthur Delaporte, qui s’avoue « désabusé » de la tournure prise par les événements. « La censure peut se discuter à travers deux grands motifs, résume-t-il. Le budget proprement dit, où l’on peut avoir des appréciations différentes, en soupesant les millions obtenus ou pas. Mais il y a aussi le respect des principes républicains par le gouvernement, qui ne peut pas être à géométrie variable, et où le compte n’y est toujours pas. »

Les socialistes ont abandonné leurs lignes rouges au fil de l’eau, ou du moins les ont rendues de moins en moins exigeantes.

Les dirigeants socialistes donnent l’impression de s’être mis dans des sables mouvants dont ils ne parviennent plus à s’extraire. Ce n’est pas tant le principe d’avoir négocié avec le pouvoir qui est en cause, que l’exécution de cette stratégie qui laisse franchement à désirer.

Persuadés qu’un retour aux urnes sous forme d’une présidentielle anticipée mènerait à la catastrophe, dépourvus des moyens de s’imposer au gouvernement, les socialistes pouvaient en effet tenter d’obtenir des « concessions remarquables » évoquées par Olivier Faure, en prenant l’opinion à témoin. Faute d’avoir identifié clairement et collectivement ces concessions, ils ont cependant abandonné leurs lignes rouges au fil de l’eau, ou du moins les ont rendues de moins en moins exigeantes. Il en a résulté une position illisible pour le commun des mortels.

« En janvier, la seule ligne vraiment mise en avant pour justifier une non-censure, c’était le fait de geler la réforme des retraites. Or il n’y a pas eu de gel et nous n’avons pas censuré… Depuis lors, on navigue à vue », confirme une élue sous le sceau de l’anonymat. « Autant le PS revient dans le jeu, ce qui est positif pour lui, autant on a l’impression d’un bateau ivre sur les orientations internes, abonde le politiste Rémi Lefebvre. Les choses paraissent très mouvantes et peu maîtrisées par Olivier Faure et Boris Vallaud. »

Alors que le gouvernement a fait le double choix de l’intransigeance et de s’exposer à une censure, là où des alternatives auraient pourtant été possibles, ce sont les socialistes qui semblent porter le devenir du pays sur leurs épaules, comme s’il leur fallait être responsables pour deux. La direction du PS a œuvré elle-même à ce retournement paradoxal. Ce faisant, elle a mis en danger le capital politique difficilement reconstruit ces dernières années.

En censurant le gouvernement Bayrou, les socialistes assumeraient le risque d’une instabilité qu’ils ont contribué à présenter comme un mal absolu. Mais en ne censurant pas, ils s’exposeraient à des incompréhensions parmi leurs partenaires (y compris non insoumis), et à des critiques faciles si l’exécutif, qui n’est lié par aucun accord avec le PS, multiplie les provocations sur le terrain des valeurs et des droits.

« Ce qui se joue dans les prochaines semaines et les prochains mois, quelle que soit la décision finale des socialistes sur la censure, c’est celle de notre espace politique, met en garde Alexandre Ouizille. Je serai, avec d’autres, particulièrement vigilant à cet égard. Le risque de la pente fatale existe. »

Fabien Escalona


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