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Les chiffres sont tombés, près de 100 milliards d’euros ont été versés l’an dernier entre dividendes et rachats d’actions. D’où viennent-ils ? Que rémunèrent-ils ? Leur évolution est-elle cohérente avec celle du pays ?
Dans la suite de cette note, nous sommerons les dividendes et rachats d’actions car bien que différents par nature, les deux ont comme conséquences de rémunérer les actionnaires.
Les dividendes sont des sommes versées par les entreprises à leurs actionnaires, sous formes de coupons. Ces coupons sont attachés aux actions et leur valeur est déterminée par le conseil d’administration et l’assemblée générale.
Par exemple, Total Energies a versé 3,22€[1] par action au titre de l’année 2024. Cela revient à dire que pour chaque action possédée, un actionnaire touchera 3,22€. Avec plus de 2,2 milliards d’actions[2], ce sont près de 7 milliards d’euros qui ont donc été versés aux actionnaires.
Ajoutons qu’avec un cours d’action (une valeur) de 58,60€[3], cela revient à dire qu’indépendamment de la prise ou perte de valeur de l’action, le taux de rendement dépasse les 5%.
Notons enfin que contrairement à ce que l’on serait naturellement enclins à penser, ces sommes ne sont pas nécessairement liées à des bénéfices. Une entreprise peut même s’endetter pour verser des dividendes supérieurs à ses bénéfices (résultat net).
Les rachats d’actions relèvent d’une autre logique, mais atteignent le même but : rémunérer les détenteurs d’actions. Il s’agit pour l’entreprise de racheter sur le marché ses propres actions. Ce faisant, elle crée deux catégories d’actionnaires, ceux qui vendent et ceux qui gardent. De plus, en créant de la demande, l’entreprise fait mécaniquement augmenter le prix des actions.
Les vendeurs seront contents de vendre à une valeur nécessairement plus élevée. Ils feront (vraisemblablement) une plus-value.
Les non-vendeurs verront d’une part la valeur de leur portefeuille augmenter, et d’autre part pourront espérer de meilleurs dividendes. En effet, les dividendes sont versés aux détenteurs d’actions, mais l’entreprise n’en fait pas partie. Elle ne peut pas se verser de dividendes. Donc le nombre d’action éligibles aux dividendes est réduit, augmentant (potentiellement) d’autant les dividendes reçus par les porteurs restants.
Que l’on soit vendeur ou non, le rachat d’actions est donc bénéfique aux porteurs.
Mais dans un cas comme dans l’autre, cette distribution se fait au détriment des salaires et/ou de l’investissement.
Oui, mais les investisseurs prennent des risques !
Nous ne reviendrons pas sur le mot investisseur, qui est déjà plus que discutable[4] en soi. Mais cette idée qu’il y aurait un risque.
Evidemment, il existe un risque à boursicoter. Mais il existe des entreprises si grandes et si puissantes qu’elles annihilent presque le risque. Les too big to fail.
Examinons le cours de l’indice du CAC40 depuis le 1er janvier 2003[5] :
On y voit des hauts, des bas, des crises des bulles… Subprimes, COVID…
Notons qu’il aura fallu 13 ans au CAC 40 pour retrouver la valeur du pic atteint à la veille de la crise des subprimes…
Mais n’oublions pas qu’à la crise des subprimes a succédé celle de l’Euro, qui d’ailleurs découle des subprimes.
La même remontée sera réalisée en moins de 15 mois avec la crise du COVID. Et une fois encore suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, toujours en 15 mois :
Hormis ces 4 évènements / crises majeurs lors des 20 dernières années, la tendance est à la hausse.
Admettons que les entreprises qui composent le CAC40 brillent par leur bonne gestion, la qualité de leurs dirigeants et la clairvoyance de leurs décisions… admettons. Mais en admettant pareilles hypothèses, nous nions de fait l’idée de prise de risques des investisseurs. En effet, quel risque y’a-t-il à miser sur un cheval qui, sauf crise exceptionnelle (la plus grande depuis 1929), sauf pandémie mondiale dont l’ampleur est unique depuis au moins la grippe de Hong-Kong de 1968 (dont le rayon d’impact était infiniment moindre), ou sauf guerre majeure en Europe impliquant notamment un pays qui est dans le top 3 mondial de la production d’hydrocarbures et de blé (Russie), gagne toujours ? Aucun.
D’ailleurs, malgré ces 4 périodes, la tendance est très fortement haussière avec un indice multiplié par 2,5 en 20 ans. Soit une augmentation moyenne annuelle de 4,3% par an… sans compter les dividendes ! C’est dire s’il est peu risqué de miser sur les chevaux du haras CAC40.
Nous pouvons donc poser que les porteurs de portefeuilles d’actions diversifiées du CAC40 ne prennent aucun risque et gagnent tout le temps, sauf quand TOUT LE MONDE perd, et encore, ils ont depuis les subprimes appris à rebondir très très vite. Nous verrons même que les entreprises du CAC40 se démènent pour épargner à leurs actionnaires les effets des crises.
Les presque 100 milliards de D&RA versés en 2024 constituent un nouveau record… qui fait suite à des années de records dépassés années après années[6] :
Les plus observateurs pourront voir les crises des subprimes et du Covid… mais étonnamment on ne retrouve pas les effets de la crise de l’Euro ou l’invasion de l’Ukraine. Bizarre.
Rappelons que si les cours des actions (et donc de l’indice CAC40) dépendent des marchés, les dividendes et les rachats d’actions ne dépendent que… des conseils d’administration et des assemblées générales des actionnaires.
A l’exception de 2009 (subprimes) et de 2020 (COVID), les D&RA augmentent largement plus que les actions des entreprises qui les génèrent. Deux explications s’offrent à nous : soit les entreprises sont beaucoup plus rentables qu’elles ne l’étaient et peuvent donc rémunérer leurs actionnaires plus généreusement, soit la part des profits qui leur est attribuée est de plus en plus importante… le coût du capital augmente, diraient certains.
Nous pourrions poser que la première hypothèse est juste sans même regarder les données : les super profits, que B. Lemaire ne connaissait pas, sont parfaitement visibles avec cette explosion sans précédents.
Et les données nous donnent 2 informations :
Il y a une tendance claire à l’augmentation de la part des profits alloués aux investisseurs, nécessairement aux détriments de l’investissement et des salariés
En période de crises (subprimes, Euro, COVID…), où les profits sont plus maigres, une part gigantesque des profits sert à « sauver » les actionnaires Nous pouvons également remarquer qu’en 2020 les D&RA représentaient 106% du résultat net, ce qui revient à dire que les entreprises ont donné plus qu’elles n’ont gagné, soit en empruntant, soit en puisant dans des réserves (soit les deux) !
Enfin, les D&RA exceptionnels depuis 2021 découlent de super profits qui ne sont pas le fruit d’un quelconque travail exceptionnel ou d’une découverte révolutionnaire. Malgré leur caractère exceptionnel, ils n’ont pas entrainé de baisse du taux de redistribution, qui reste largement supérieur à celui de 2005 (38%). La nouvelle norme semble s’être établie autour de 60% contre 40% il y a 20 ans.
Nous avons vu que les D&RA étaient en perpétuelle croissance, que la part des bénéfices qui leur était allouée était aussi en constante croissance, que quand la situation économique était en berne, les entreprises sauvaient leurs actionnaires aux dépends de leurs salariés ou de l’investissement… mais qu’en est-il du lien entre ces D&RA et l’économie réelle ?
En partant d’une base 1 en 2003, nous observons que lors de la bulle des subprimes, les entreprises du CAC40 se sont largement détachées de l’économie réelle. Soit, c’était une bulle.
Jusqu’en 2016, l’évolution de leurs cours ne semble pas s’écarter sensiblement du rythme de progression du reste de l’économie, mais les D&RA prennent déjà la tangente.
Enfin, sur la période 2017-2024, le CAC 40 semble bénéficier d’une croissance nettement supérieure à celle du PIB. Les D&RA s’envolent littéralement sur la même période, malgré l’accident de 2020, hors de toute proportion avec les cours de bourses.
En regardant cette dernière période, il est difficile de ne pas y voir les effets d’une certaine politique… car si les dernières années peuvent s’expliquer par les super profits (qui mériteraient d’ailleurs que l’on s’interroge sur leur légitimité), la tendance était déjà remarquable dès 2017-2019.
Enfin, à ceux qui argueront qu’il faudrait comparer à d’autres pays, il convient de rappeler par exemple qu’en Allemagne, le DAX versait environ 52 milliards de dividendes en 2022 (contre 68 pour le CAC40). Rapportés aux PIB respectifs des pays, les D&RA du CAC40 représentent environ 5% contre moins de 3% en Allemagne, soit 40% de moins. Rien que ça.
H. Sabbah
Analyste économique, business et marketing
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