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Le premier ministre a de nouveau affirmé, mardi 18 février, qu’il ne savait rien des accusations de violences sexuelles qui pesaient sur Notre-Dame-de-Bétharram. Il tente désormais de détourner l’attention sur la gauche, au pouvoir en 1997. Dans le camp présidentiel, la fébrilité grandit à mesure que l’affaire prend de l’ampleur.
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La séance n’est ouverte que depuis dix-huit minutes quand l’affaire pénètre, une première fois pour la journée, dans l’hémicycle. « Les yeux dans les yeux », la députée socialiste Colette Capdevielle interpelle François Bayrou. « Nous ne demandons que la vérité », insiste l’élue des Pyrénées-Atlantiques, lui demandant des réponses concrètes « plutôt que de chercher à tout prix à [se] disculper ».
En réponse, le premier ministre jure n’être « jamais intervenu dans cette affaire […], ni de près ni de loin » tout en reconnaissant, quelques instants plus tard, avoir « sans doute » échangé avec le juge d’instruction Christian Mirande à l’époque, pour parler « de l’ambiance, de l’établissement, mais jamais du dossier ». Quelques bancs plus haut, une députée du bloc central textote sa perplexité : « Ce n’est pas brillant. »
Ainsi va désormais la vie publique de François Bayrou, interrogé à deux reprises à l’Assemblée nationale mardi 18 février sur l’affaire Notre-Dame-de-Bétharram, en attendant de l’être à nouveau, au Palais-Bourbon puis au Sénat, mercredi. Dire qu’il y a quelque temps, son entourage regardait avec enthousiasme l’horizon du mois de février, une fois passé « l’Himalaya budgétaire »…
La suite est pire encore pour le premier ministre, englué dans ce que le député de La France insoumise (LFI) Paul Vannier a appelé mardi un « scandale d’État ». Son déplacement, samedi 15 février, à Pau (Pyrénées-Atlantique) a été tout entier consacré à éteindre l’incendie. En vain. L’initiative ne devrait pas être rééditée : aucun déplacement ne figure à l’agenda de François Bayrou cette semaine.
Chaque jour, les communicants de l’exécutif scrutent le « bruit médiatique », les gros titres, ce qui retient l’attention des grands médias. Avec l’espoir assumé que tout cela finisse par retomber, aidé par les vacances scolaires et le flot de l’actualité. Là encore, c’est raté. Les chaînes d’information en continu, les grands titres de presse écrite, les « 20 heures » se relaient pour chroniquer les faits qui s’étalent.
Au milieu de la tempête, le petit-déjeuner des dirigeants du « socle commun », mardi, a pu faire office de parenthèse enchantée pour François Bayrou. « Ça n’a pas été abordé », relate un participant. Le sujet brûle pourtant les lèvres des soutiens du gouvernement, qui se demandent où l’affaire peut les mener. « Vous pensez qu’il y a encore des trucs qui vont sortir ? », demandent aux journalistes certains cadres et parlementaires de la coalition.
En plus de l’accumulation des faits, chacune des prises de parole de François Bayrou agit comme un catalyseur de la crise politique. En affirmant qu’il n’a « évidemment jamais, au grand jamais, été informé de quoi que ce soit en matière de violences, a fortiori de violences sexuelles », le chef du gouvernement s’est enfoncé seul dans une impasse, celle du mensonge, aux allures de piège. Dans les jours qui ont suivi cette déclaration, les témoignages du juge Mirande, d’un gendarme chargé des investigations, d’anciens élèves et enseignant·es de l’établissement ont mis à mal la ligne de défense de François Bayrou, jusqu’à la rendre intenable.
Pour beaucoup de celles et ceux qui le connaissent, l’affaire Bétharram met en lumière les failles de la personnalité de François Bayrou autant que celles de son fonctionnement. « Quand il a pris une décision, quand il a une idée en tête, bon courage pour lui faire changer d’avis », raconte un de ses plus proches. La décision de tout nier en bloc, le 11 février à l’Assemblée nationale, a surpris jusqu’à son premier cercle, dont la plupart des membres ont découvert ses arguments à la télévision.
C’est là une autre caractéristique du président du MoDem. Le même proche résume : « Il est très solitaire, tendance parano. Il ne s’entoure que de gens qu’il connaît très, très bien, et même à eux, il ne dit pas tout. » Dans la polémique qui l’enserre, François Bayrou a choisi de se défendre seul, enjoignant à ses troupes de le suivre, comme souvent. À Matignon, son équipe ne compte toujours pas de conseiller « stratégie » ou « communication » ; une absence qui vaut cher dans une telle période, entend-on désormais autour de lui.
À défaut, d’autres membres de son entourage tentent de prêcher la bonne parole auprès des journalistes. En reprenant les arguments du principal intéressé : « les externes n’étaient pas au courant de ce qu’il se passait, à l’époque, et son fils était externe » ; « il a dit qu’il n’était pas au courant des violences sexuelles, il ne parlait pas des violences physiques à ce moment-là » (ce qui est faux, au vu de la phrase citée plus haut) ; « qui peut imaginer qu’il aurait laissé son fils dans l’établissement s’il savait ça ? Il n’y a pas plus papa poule que lui ».
Le deuxième étage de la défense de Matignon est habité par la rhétorique classique de la victimisation. « Je veux bien que Bayrou soit à abattre mais là, ça va loin, s’insurge un proche. C’est une cabale et c’est tout. » À l’Assemblée nationale, mardi, le premier ministre a fait parler les victimes qu’il a rencontrées samedi, jurant qu’elles « détestaient la récupération politique qui est en train d’être faite et qu’[elles] trouvaient ça haïssable ».
Au fur et à mesure que la polémique prenait de l’épaisseur, François Bayrou a même étoffé son argumentaire d’une troisième strate aux airs d’écran de fumée. Prenant le ton de la confidence, un conseiller de Matignon nous interroge : « Les faits de violences sexuelles remontent après 1997. Or, qui est au pouvoir à ce moment-là ? La gauche ! Si des gens devaient être informés, c’est eux, Claude Allègre, Jack Lang… Et qui était ministre de la formation professionnelle un peu après ? [Jean-Luc Mélenchon, de 2000 à 2002 – ndlr] Pourquoi personne n’en parle ? »
Le premier ministre a remis cela mardi à l’Assemblée nationale, assurant que le procureur général avait tenu au courant le ministère de la justice quatre fois au cours de l’année 1998. « Je pose la question à mon tour : qu’est-ce qui a été fait après [ces] signalements ? », a lancé François Bayrou en direction du groupe socialiste, citant nommément Élisabeth Guigou, alors ministre de la justice, Claude Allègre, à l’Éducation nationale, et Ségolène Royal, chargée de l’enseignement scolaire.
Quelques minutes seulement après la séance de questions au gouvernement, BFMTV a confirmé que la garde des Sceaux de l’époque avait été prévenue à trois reprises entre 1998 et 2000 ; une information immédiatement relayée par plusieurs soutiens de François Bayrou. « Scandalisée par les attaques » du premier ministre, Ségolène Royal a fait savoir sur X qu’elle envisageait une action judiciaire pour dénonciation calomnieuse.
La manœuvre est d’autant plus risquée que le chef du gouvernement a signé, deux semaines avant son départ du ministère de l’éducation nationale en 1997, une circulaire visant à préciser les règles à suivre en cas d’affaires de pédocriminalité, alors que celles-ci se succédaient à l’époque dans l’actualité. Dans celle-ci, le ministre Bayrou rappelle notamment qu’au niveau départemental, « le président du conseil général est responsable de la politique de prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs ».
En conséquence, les administrations et les personnels du ministère se voient enjoints de « saisir le président du conseil général » dans chaque cas de « présomption de maltraitance » et de « l’informer », en cas d’urgence, de la saisine du procureur de la République. François Bayrou était président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques de 1992 à 2001.
Deux mois après sa nomination, le président du MoDem voit en tout cas surgir, à la faveur de l’affaire Bétharram, des questionnements sur sa capacité de se maintenir à Matignon. Ajoutée à l’instabilité politique du moment, la polémique aurait pu conduire les oppositions à se coaliser pour le renverser. L’exécutif a suivi cela de près ces derniers jours : le budget étant à présent voté, le Parti socialiste (PS) et le Rassemblement national (RN) pourraient-ils plus facilement voter une motion de censure ?
Celle que défendra le groupe PS, mercredi 19 février à 17 h 30, a fait frémir les membres du camp présidentiel. Le RN a dissipé leur inquiétude en annonçant qu’il ne s’y rallierait pas, officiellement à cause de l’argumentaire défendu par la gauche, qui y dénonce les propos du premier ministre sur la « submersion migratoire ». S’il se confirme, le sursis de mercredi soir ne donne toutefois pas au gouvernement Bayrou l’assurance d’une longue vie.
Un proche d’Emmanuel Macron s’enquiert de la suite. « Mais il y a des preuves qu’il savait ? », interroge-t-il. De l’Élysée au Parlement, beaucoup s’inquiètent d’une histoire qui dure et de développements qui se multiplient, chaque jour dans les médias. Le même interlocuteur, cadre du camp présidentiel, de poursuivre : « S’il était au courant et qu’il n’a rien fait, là, il est mort. Au moment où on obtient la certitude de cela, il ne peut plus rester. »
Ilyes Ramdani
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