Bétharram : le gouvernement s’attaque désormais à la lanceuse d’alerte

lundi 3 mars 2025.
 

Pour se défendre, François Bayrou, imité par la ministre de l’éducation nationale Élisabeth Borne, choisit d’attaquer l’ex-enseignante de l’établissement catholique Françoise Gullung. Il y a trente ans, cette collègue d’Élisabeth Bayrou dénonçait les mêmes faits et était dénigrée de la même manière.

https://www.mediapart.fr/journal/fr...[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20250221-200106&M_BT=1489664863989

Après les mensonges répétés, la stratégie du dénigrement. Deux semaines après le début des révélations sur l’implication de François Bayrou dans l’affaire des violences de Notre-Dame-de-Bétharram, le gouvernement a franchi un nouveau cap dans sa stratégie de riposte.

Vendredi 21 février, le cabinet du premier ministre a lourdement mis en cause une des principales lanceuses d’alerte de l’affaire, dont le témoignage a été qualifié de « délire dangereux » par les services de Matignon. La veille, la professeure Françoise Gullung avait raconté en détail, dans un entretien vidéo à Mediapart, comment François Bayrou et son épouse, Élisabeth Bayrou, avaient refusé d’intervenir pour mettre un terme aux violences dans l’établissement dans les années 1990.

François Bayrou occupait alors les fonctions de ministre de l’éducation nationale et de président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques (chargé, notamment, de la protection de l’enfance), tandis que sa femme enseignait le catéchisme à Notre-Dame-de-Bétharram.

Pour avoir osé alerter sur les violences systémiques dont étaient victimes les élèves, Françoise Gullung a été mise au ban de l’institution. La professeure a même été ciblée par un stupéfiant rapport d’inspection préconisant en avril 1996 – alors que François Bayrou était ministre – d’écarter l’enseignante. Son auteur a depuis reconnu que son rapport, mené dans des circonstances troublantes (une demi-journée sur place, alors qu’une enquête judiciaire était en cours sur des faits de violences), n’était ni fait ni à faire.

Trente ans plus tard, alors que les 130 plaintes déposées auprès du parquet de Pau pour les violences de Bétharram illustrent la pertinence de ses alertes, Françoise Gullung revit le même épisode : le dénigrement par les institutions. François Bayrou n’est plus ministre, mais chef d’un gouvernement qui ne voit toujours pas le problème des décennies d’omerta ayant entouré cette affaire. « Si François Bayrou avait agi, il y a trente ans de souffrance qui n’auraient pas eu lieu », a estimé Françoise Gullung dans l’entretien à Mediapart.

Ces protagonistes, je ne les connais pas, ma femme non plus.

François Bayrou à propos de la lanceuse d’alerte, enseignante à Bétharram avec sa femme

Depuis nos premières révélations, le premier ministre a multiplié les versions en préférant jurer n’avoir jamais été alerté, en expliquant que « tout était faux » et en annonçant une plainte en diffamation. Au lieu de comprendre comment de telles violences physiques et sexuelles ont pu se produire massivement, il attaque de nouveau l’enseignante ce vendredi et dénonce « une mécanique infernale ».

« Ces protagonistes, je ne les connais pas, ma femme non plus », a-t-il aussi assuré. Françoise Gullung était pourtant la collègue de sa femme à l’époque où étaient scolarisés ses enfants. Elle est d’ailleurs mentionnée dans le rapport de 1996 que le premier ministre dit avoir commandé à l’époque et avait déjà parlé à la presse à ce moment-là. « Il n’y a rien de plus infamant que de viser la famille de quelqu’un pour l’atteindre politiquement », a ajouté François Bayrou, se comparant à Dominique Baudis, l’ancien maire de Toulouse mis en cause à tort, en 2003, dans une affaire de proxénétisme, de viols et de meurtres.

Élisabeth Borne « ne sait pas ce qui s’est passé » à Bétharram

Vendredi matin, la ministre de l’éducation nationale, Élisabeth Borne, n’a tiré aucune leçon du témoignage de l’ex-enseignante, préférant attaquer violemment Mediapart pour son travail d’information. Invitée sur BFMTV, la ministre a rompu deux semaines de silence pour discréditer, elle aussi, la première lanceuse d’alerte.

« Le témoignage que Mediapart nous sort trente ans plus tard et la façon qu’ils ont de feuilletonner, voilà, c’est la méthode habituelle de Mediapart », a-t-elle déclaré, dénonçant « l’exploitation politique qui peut-être fait par Mediapart » et « par La France insoumise ».

Si feuilleton il y a, celui-ci semble pourtant voulu et entretenu par le premier ministre lui-même. Il ne cesse d’enchaîner les contrevérités à chaque prise de parole, au détriment de nombreux témoignages, archives et documents. Et si Élisabeth Borne préfère à nouveau discréditer Françoise Gullung, le récit de cette dernière n’a jamais varié. Il y a trente ans déjà, elle dénonçait les mêmes violences sur Antenne 2, Libération ou La République des Pyrénées.

« Moi, je ne sais pas ce qui s’est passé dans cette école », a ajouté l’ancienne première ministre sur BFMTV, oubliant sans doute que les scandales au sein de cet établissement ont été révélés en 2023. Et d’oser : « J’espère que les victimes seront bien prises en charge. » Des victimes, qu’elle a d’abord longuement ignorées. Le 12 février, interrogée sur le scandale, la ministre de l’éducation n’avait pas eu un mot pour elles.

Élisabeth Borne n’avait pas souhaité non plus s’exprimer sur les actions que son ministère pouvait entreprendre. « Je ne suis pas ministre de la justice, et quand bien même je le serais, je n’aurais pas à me prononcer sur une affaire qui fait l’objet d’une procédure judiciaire », avait-t-elle balayé.

La ministre a attendu plus de quinze jours avant de s’exprimer, en montrant au passage qu’elle ne connaissait pas le numéro d’urgence « Enfance en danger ». Elle a reconnu des failles au niveau de l’État, et jugé difficile de « comprendre pourquoi [celui-ci] n’a pas agi plus tôt ».

Et si une enquête préliminaire est ouverte depuis février 2024 et que 114 plaintes ont été déposées, ni Élisabeth Borne ni ses prédécesseurs n’avaient jugé utile de réagir jusqu’alors. Comme l’a révélé Mediapart, aucune inspection générale (un contrôle bien plus poussé qu’une simple inspection académique) n’a été diligentée à Notre-Dame-de-Bétharram pendant trente ans.

En février 2024, un surveillant visé par plusieurs plaintes était pourtant encore en poste. Il a été suspendu grâce au travail d’information de la presse quotidienne régionale. Il a fallu attendre un courrier envoyé par le député LFI Paul Vannier le 13 février pour que le ministère décide finalement de diligenter une inspection. Elle est prévue pour le 17 mars, et a été annoncée publiquement un mois avant qu’elle soit menée.

David Perrotin et Antton Rouget


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