Pierre-Edouard Stérin, le milliardaire au service des droites extrêmes

samedi 8 mars 2025.
 

L’homme qui a fait fortune avec les coffrets cadeaux Smartbox met son argent au service des causes qui lui sont chères. Son objectif : faire gagner l’union des droites.

“Valeurs actuelles, c’est un sujet que je regarde. Je serais ravi de faire quelque chose et peut-être de racheter le journal.” Dans sa tentative d’OPA sur les médias, jusqu’ici infructueuse, Pierre-Edouard Stérin n’a pas dit son dernier mot. Il se rêve toujours en patron de presse, après son échec cuisant avec le magazine Marianne en 2024, et l’arrivée annoncée de son bras droit Alban du Rostu au sein du groupe Bayard, finalement bloquée par la mobilisation des salariés. Aujourd’hui, le milliardaire atypique finance Neo, le site des territoires et le mensuel d’extrême droite l’Incorrect, mais ce n’est pas assez pour lui. Il lorgne toujours sur le très droitier hebdomadaire Valeurs actuelles. “Il a besoin d’une marque médiatique, mais il échoue là où Vincent Bolloré a réussi, analyse Alexis Lévrier, historien des médias. La force de Bolloré, c’est qu’on ne l’entend pas. Pour l’instant, Pierre-Edouard Stérin est trop visible pour être efficace”, juge-t-il.

Contrairement au milliardaire breton, le quinquagénaire est sous les feux des projecteurs depuis la révélation par L’Humanité en juillet 2024 de son plan de bataille culturelle baptisé “Périclès”. Si le nom fait référence à un stratège grec, il est aussi un acronyme qui annonce la couleur : “Patriotes, Enracinés, Résistants, Identitaires, Chrétiens, Libéraux, Européens, Souverainistes.” Pierre-Edouard Stérin veut injecter dans ce fonds 150 millions d’euros d’ici 10 ans pour faire infuser dans la société les valeurs et les idées qui lui sont chères. L’objectif est bien de contrer politiquement certaines forces de gauche. “Je ne peux me résoudre à voir cette gauche mélenchonisée mener la bataille culturelle sans rencontrer une résistance des forces de droite qui, depuis 50 ans, courbent l’échine”, écrit Pierre-Edouard Stérin dans une tribune publiée par Le Figaro fin 2024. “En observant les divisions profondes des forces de droite à s’unir, j’ai décidé d’agir en organisant le projet Périclès”, conclut-il.

“Une relation active” avec Marine Le Pen et Jordan Bardella

Dans le cadre de son plan, le milliardaire multiplie les rendez-vous avec des figures politiques. En janvier 2025, comme l’a révélé le Nouvel Obs, il a été invité à déjeuner par le ministre de l’Intérieur LR Bruno Retailleau avec qui il partage les valeurs conservatrices de la Manif pour tous. Ces dernières années, c’est avec des cadres du Rassemblement national qu’il a échangé. “Marine Le Pen et Jordan Bardella sont décrits comme des gens avec lesquels il y a déjà une relation active et une influence réelle, explique Thomas Lemahieu, le journaliste de l’Humanité qui a dévoilé la feuille de route de Pierre-Edouard Stérin. Un des projets qui est déjà réalisé, dans le projet Périclès, c’est un accord de conseil avec le Rassemblement national.”

Un projet, Périclès, qui a suscité de l’intérêt outre-Atlantique. Ainsi, Paul Manafort, l’ancien conseiller de campagne de Donald Trump, a proposé ses services en vue de l’élection présidentielle de 2027 en France. “Dans le cadre de campagnes politiques à l’étranger, Paul Manafort s’est souvent associé à des businessmen qui ont des fonds pour ce genre de campagnes, explique Constant Méheut, correspondant à Paris du New York Times qui a révélé cette prise de contact. C’est pourquoi il a certainement identifié Pierre-Edouard Stérin comme un profil type avec qui il pourrait travailler.” Arnaud Rérolle, le directeur général de Périclès qui s’est entretenu avec Paul Manafort, affirme aujourd’hui à la cellule investigation de Radio France avoir finalement refusé l’aide proposée.

“Gagner 300 villes” pour le RN

Mais avant la prochaine présidentielle, le projet Périclès prévoit d’aider les candidats aux municipales. L’objectif inscrit sur la feuille de route est de faire gagner au Rassemblement national 300 villes petites et moyennes en 2026. Pour cela, Pierre-Edouard Stérin pourra possiblement s’appuyer sur une structure qu’il finance : Politicae. Cet organisme accompagne celles et ceux qui souhaitent devenir maires en organisant des séminaires de formation. “Il nous a donné de quoi passer un cap et mettre un petit coup de boost au début du projet”, indique Antoine Valentin, maire de Saint-Jeoire (Haute-Savoie) et fondateur de Politicae, en marge d’un séminaire à destination de candidats organisé au centre de Paris. Antoine Valentin, qui s’est présenté sous la bannière LR-RN aux législatives de 2024, réfute toutefois agir en appui de l’extrême droite. “Vous le voyez, il y a ici des candidats de tous bords, de tous horizons politiques, affirme-t-il. Nous n’avons aucune directive politique de Pierre-Edouard Stérin, nous sommes très libres dans notre fonctionnement”, assure le maire de Saint-Jeoire. De son côté, lorsque nous l’interrogeons, Pierre-Edouard Stérin se défend de rester focalisé sur l’extrême droite de l’échiquier politique. Il affirme échanger avec des socialistes, “notamment historiques”, qui, selon lui, “sont très alignés sur les sujets de dérives wokistes ou islamistes”.

Pierre-Edouard Stérin est un ovni. Il laisse rarement ses interlocuteurs indifférents. David Lisnard, le maire de Cannes et président de l’association des maires de France, se souvient de l’avoir rencontré il y a quelques années à une époque où le milliardaire voulait construire une statue géante de Tintin. C’est avec les coffrets cadeaux et la marque Smartbox que Pierre-Edouard Stérin a fait fortune. Parti avec 5000 euros en poche “donnés par (ses) parents” en 2003, selon ses dires, son patrimoine est aujourd’hui évalué à 1,4 milliard d’euros, ce qui fait de lui la 104e fortune française, selon le classement du magazine Challenges. Pierre-Edouard Stérin espère atteindre les 5 milliards d’actifs en 2030. Autant d’argent qu’il souhaite réinjecter dans sa bataille des idées.

Contrairement à Vincent Bolloré à qui on le compare parfois, Pierre-Edouard Stérin peut parfois être prolixe avec les journalistes. Depuis la Belgique, où il s’est établi, pour des raisons fiscales, avec sa femme et ses cinq enfants, il répond sans ambages à toutes les questions de la cellule investigation de Radio France. Son objectif de devenir un saint, annoncé dans un podcast diffusé en 2022 ? “C’est un ‘driver’ au quotidien qui m’amène à essayer de faire les choses dans le bon sens pour pouvoir effectivement aspirer à cette sainteté et à cette vie éternelle”, explique-t-il. Son intention de déshériter ses enfants ? “Je pense qu’ils seront beaucoup plus libres et beaucoup plus heureux s’ils démarrent leur vie professionnelle en partant de rien plutôt qu’en partant avec un appart’, une maison, ou de l’argent donné par Papa-Maman.”

“Plus de fric pour plus de bien”

“Pendant très longtemps, mon objectif était purement matériel, explique Pierre-Edouard Stérin. Aujourd’hui, la finalité est tout autre, je me dis : ‘plus de fric pour (faire) plus de bien’ Ce qui m’intéresse, c’est de gagner plus d’argent pour essayer de financer plus de beaux projets qui œuvrent dans le bon sens afin de tirer la France vers le haut.”

C’est pour cette raison, dit-il, qu’à côté de son fonds d’investissement Otium, le milliardaire a créé une structure philanthropique, le Fonds du bien commun. Celle-ci soutient les Nuits du bien commun, un vaste événement de charité dans les grandes villes françaises, qui permet à des associations d’être récompensées pour leurs projets, grâce à un système d’enchères.

Mais depuis quelques mois, les Nuits du bien commun semblent pâtir de leur proximité avec le milliardaire. La figure de Pierre-Edouard Stérin, et ses liens avec la droite radicale, crispent. A Marseille ou à Paris, certains donateurs ont brutalement cessé de soutenir certains projets. “Nous avons été mis en lien avec la Nuit du Bien Commun en tant qu’acteur de la philanthropie mais à aucun moment il n’a été fait écho de la ‘galaxie’ Pierre-Edouard Stérin, et tout ce que cela représente”, regrette un ancien participant à cet événement de charité qui a quitté le navire. Certains dénoncent aussi la présence lors de ces soirées de charité, d’associations “pro vie” ou anti-IVG. Ce que contestent les responsables de l’événement, qui ajoutent que le Fonds du bien commun n’est qu’un financeur parmi d’autres.

“Un caillou dans la chaussure”

Selon nos informations, à l’été 2024, une réunion de crise en visio a même eu lieu à Marseille après la publication dans la presse d’un article sur le milliardaire. “C’est dur de voir cette confusion médiatique engendrer de telles conséquences, lance aux participants présents ce jour-là l’un des responsables des Nuits du Bien Commun. On était un peu naïfs de se dire : la Nuit du Bien commun existe depuis sept ans, elle a sa notoriété, elle peut vivre indépendamment des initiatives de Pierre-Edouard (Stérin). On sait que c’est un caillou dans la chaussure.” Les organisateurs vont même jusqu’à évoquer un changement de noms pour éviter une confusion entre l’événement et le milliardaire “qui met Marseille à feu et à sang”. “Je trouve ça fou, réagit Pierre-Edouard Stérin. C’est comme si demain, le Secours catholique ou les Restaurants du cœur vous disaient : “Attendez, vous voulez donner de l’argent, mais quelle est votre couleur politique ?”. Je trouve ça hallucinant, cette intolérance de la gauche et de l’extrême gauche. Il n’y a pas plus intolérants que ces gens-là !”, peste-t-il.

Former de jeunes conservateurs

Dans les locaux d’Otium à Paris, le bras-droit de Pierre-Edouard Stérin, François Durvye gère les affaires courantes depuis son grand bureau offrant une vue à couper le souffle sur le Sacré-Cœur. Ce “stériniste” de la première heure est aussi depuis quatre ans un conseiller de Marine Le Pen. Il a notamment aidé la candidate de l’extrême droite à se préparer pour son débat avec Emmanuel Macron entre les deux tours de la dernière élection présidentielle, en 2022. François Durvye a aussi réussi à convaincre Pierre-Edouard Stérin de racheter la demeure familiale des Le Pen à Rueil-Malmaison, pour 2 millions et demi d’euros.

Pierre-Edouard Stérin peut compter sur un autre fidèle, Alexandre Pesey, à la tête de l’Institut de formation politique (IFP). Son école parisienne compte des figures de la politique et des médias parmi ses intervenants : Eugénie Bastié, Jordan Bardella, Charles Beigbeder, François-Xavier Bellamy, Eric Ciotti ou encore l’influenceuse d’extrême-droite Thaïs d’Escuffon. En 2018, l’IFP a lancé son propre “institut libre” de journalisme, en partie financé par des dons récoltés lors des Nuits du bien commun. Alexandre Pesey s’est formé aux Etats-Unis, au Leadership Institute, un think tank très prisé par des politiques conservateurs comme l’ancien vice-président de Donald Trump, Mike Pence. “C’est en rentrant en France en 2003, qu’Alexandre Pesey a fondé l’Institut de formation politique, raconte Anne-Sophie Simpère, journaliste pour l’Observatoire des multinationales. L’IFP est en quelque sorte une version française du Leadership Institute. L’idée c’est de former de jeunes conservateurs en France, pour les destiner à la politique ou pour qu’ils diffusent leurs idées dans les médias, en tant que journalistes ou influenceurs, afin de gagner la bataille des idées, en étant ultra libéral économiquement et en prônant des valeurs conservatrices sur la question des droits des personnes LGBT et sur l’immigration.”

Un fichier de 2000 noms Des “valeurs” que Pierre-Edouard Stérin entend bien mettre au service de l’union des droites, avec en cas de victoire aux élections, la mise à disposition de collaborateurs ou de conseillers. “Le projet Périclès prévoit des listes de collaborateurs possibles pour occuper les plus hautes fonctions de l’Etat au sein des cabinets ministériels ou dans les entreprises parapubliques et publiques, détaille Thomas Lemahieu qui a dévoilé le plan Périclès pour L’Humanité. C’est ce que les proches de Stérin appellent ‘la réserve’, un fichier de 2000 noms de gens qui seraient ‘alignés’, comme on dit dans le milieu de Périclès, et aptes à exercer le pouvoir en cas de victoire de leur camp.”

Dans le cadre du projet Périclès, Pierre-Edouard Stérin voudrait aussi mettre la main sur un institut de sondage, un outil essentiel pour peser auprès de l’opinion. “Aujourd’hui il n’y a aucune piste suffisamment avancée pour pouvoir vous donner plus de précisions, répond Arnaud Rérolle, le directeur général de Périclès. Mais nous y voyons une opportunité business par rapport aux objectifs que Périclès s’est fixés”.

En 2024, Pierre-Edouard Stérin a déjà déboursé 10 millions pour financer des projets qui lui sont chers. En créant un écosystème favorable à ses idées, le milliardaire espère peser dans le débat politique. Selon l’entrepreneure sociale Alice Barbe, qui a travaillé pendant 18 mois sur la galaxie de Pierre-Edouard Stérin, cette situation s’apparente à un financement politique indirect. L’Etat, selon elle, devrait regarder ça de près. “En France, on ne peut pas financer de partis politiques au-delà d’un certain seuil, en général 7 500 € par an par personne, affirme Alice Barbe. La question qui se pose, c’est : comment l’Etat va pouvoir se positionner face à une concentration aussi énorme de ressources financières au service d’une bataille culturelle et donc, in fine, politique ?”. L’entrepreneure qui vient du milieu associatif, poursuit : “Pierre-Edouard Stérin ne peut pas financer directement des partis politiques. En revanche, quand il finance des écoles, des médias ou des incubateurs de médias, il a un impact qui est très politique”, conclut-elle.

Parallèlement à sa “bataille culturelle”, Pierre-Edouard Stérin n’oublie pas de faire des affaires. Avec son fonds Otium capital, il espère mettre un pied dans l’industrie. En février 2025, il est toujours sur les rangs pour racheter GMD, l’un des plus gros équipementiers automobiles en France.


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