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Le scandale de la maltraitance des élèves qui sévissait au collège-lycée catholique de Notre-Dame-de-Bétharram fait la une des médias. Cela interpelle non seulement sur les faits dénoncés qui sont d’une rare violence psychologique et physique, notamment sexuelle, mais aussi sur l’attitude pour le moins ambiguë de François Bayrou qui s’empêtre dans des contradictions, des mensonges. Cela fragilise sa crédibilité, du moins pour celles et ceux qui la lui accorderaient, en tant qu’homme politique en charge de la politique nationale.
Il est évident qu’il faille dénoncer de tels procédés qui ne semblaient pas être exceptionnels, mais réguliers : « on entendait un adulte cogner sur un enfant. On entendait les coups. Il hurlait et le gamin pleurait et demandait grâce », témoigne une enseignante ; « la nuit, il venait, soutane ouverte, dans les dortoirs pendant qu’on dormait, il s’occupait de notre anatomie avec les mains et après il nous faisait des fellations », témoigne une victime parmi les quatre-vingt-dix qui dénoncent des violences, des agressions sexuelles, des viols…
François Bayrou se débat dans des circonvolutions et dénis en affirmant ne pas être au courant et ne pas l’avoir été. Ainsi, une ancienne enseignante, longtemps stigmatisée et dont la parole n’a pas été prise en compte par un inspecteur qui a été manipulé par la hiérarchie de l’établissement et des collègues qui affirmaient qu’elle voulait porter tort à l’institution catholique, affirme avoir alerté à plusieurs reprises François Bayrou et son épouse, Elisabeth, qui y enseignait le catéchisme. La seule réponse de l’interpellé, désinvolte, fut « on dramatise ». S’il avait réagi et pris en compte ces alertes pour au moins vérifier, c’est « trente ans de souffrances qui n’auraient pas eu lieu », regrette l’enseignante. L’inspecteur diligenté pour constater la situation reconnaît avoir été manipulé et avoir « bâclé » son rapport et s’en désole aujourd’hui.
Ce n’est pas le cas de François Bayrou, qui adopte sa stratégie habituelle : foncer, ne rien reconnaître, ne pas changer d’avis. C’est un peu comme dans l’affaire du détournement d’emploi d’assistants parlementaires au Parlement européen où il disait ne pas être au courant, affaire pour laquelle il a été relaxé(1).
Il y a bien, avec l’affaire Bétharram, une affaire Bayrou.
Il importe aujourd’hui que les victimes soient entendues et que les coupables soient jugés pour répondre de leurs actes, actes qui sont allés au-delà de l’humainement acceptable.
Il n’est pas dans notre propos de nier l’existence de violences au sein de l’école publique. Il y aurait 3 à 5 % d’enseignants adeptes de méthodes éducatives dépassées ou perdant pied face à des élèves qui remettent en cause leur autorité. Les mesures adaptées, voire des sanctions fermes selon la situation, doivent être prises afin de protéger les élèves. De meilleures conditions de travail peuvent également réduire les cas de violence.
Il est une différence notable avec les établissements privés : c’est l’organisation autoritaire et verticale de ces derniers. En effet, une seule association de parents d’élèves est autorisée, l’Association des parents d’élèves de l’enseignement libre (APPEL)(2), qui, selon ses statuts doit « soutenir l’établissement » privé sous peine que le responsable qui rapporterait des faits problématiques se voie sommer de démissionner.
A l’opposé, même si tout n’est pas parfait, à l’école publique existe une pluralité d’associations de parents d’élèves et interviennent des Délégués départementaux de l’Education nationale(3) dont la mission est de veiller au bien-être matériel et psychique des élèves, au respect du principe de laïcité…
Dès les années 1980 et la reculade du gouvernement sous Mitterrand avec le renoncement à un service public d’Education nationale porté par Alain Savary, le lobby de l’école privée confessionnelle catholique fait pression pour accentuer les concessions issues de la loi Debré de 1959, de la loi Guermeur de 1977 qui favorise le privé, des accords Lang-Couplet de 1992-93 qui apurent dans le sens des intérêts du privé le contentieux entre l’Etat et l’école privée.
Sur cette lancée favorable aux intérêts de l’école confessionnelle, François Bayrou, alors ministre de l’Education nationale du gouvernement Balladur, croit pouvoir enfoncer le clou anti-laïque en proposant d’abroger la loi Falloux, qui limitait les aides à l’école privée au dixième des dépenses annuelles de l’établissement(4).
Mal lui en prit : il se heurta à une résistance parlementaire et à un appel intersyndical pour une montée nationale à Paris le 16 janvier 1994, qui rassembla plus d’un million de défenseurs de la laïcité et de l’école publique, gratuite et laïque. Le gouvernement Balladur et son ministre se voient contraints d’abandonner l’idée de faire sauter le verrou que constitue cette loi qui encadre de manière précise le financement des écoles privées. Ils feront profil bas suite à la mobilisation républicaine. La loi du 15 mars 1850, dite loi Falloux, avait été en partie amendée par les lois scolaires Ferry-Goblet dans le sens de la laïcisation de l’école primaire en supprimant la mise sous tutelle religieuse, curés, pasteurs et rabbins des instituteurs et institutrices. Ces prêtres avaient droit de visite des écoles pour vérifier la conformité à l’égard des orientations morales, autrement dit à l’égard des textes religieux.
Il apparaît cohérent que François Bayrou, tout à son soutien à l’école privée confessionnelle, n’ait pas réagi lorsque les faits de violence et d’agression sexuelle lui ont été rapportés. Il est favorable à cet élitisme scolaire qui s’accompagne du manque de moyen à l’école publique et laïque afin de lui rendre difficile, malgré l’engagement républicain de la plupart des enseignants, la transmission et l’appropriation d’une culture universelle et critique par les jeunes gens accueillis. Cette culture universelle permet de déverrouiller l’horizon des élèves trop souvent bouché par des courants de pensée obscurantistes et dogmatiques.
Il n’est pas étonnant, pour affaiblir l’esprit critique, la production d’une pensée hétérodoxe, que certains politiques, notamment au centre et à droite, favorisent les écoles confessionnelles, notamment catholiques, présentées comme le lieu par excellence « d’évangélisation, d’authentique apostolat, d’action pastorale », dixit le Comité National de l’Enseignement Catholique (CNEC).
Il peut sembler impensable que la puissance publique subventionne un système éducatif parallèle à l’Education nationale, et ce d’autant plus que ce système privé ne vise pas l’autonomie de jugement des élèves, mais leur assujettissement à des dogmes religieux ou autres. C’est l’état d’esprit anti-laïque d’un François Bayrou et des courants politiques allant de l’aile molle du Parti socialiste à l’extrême-droite.
Précisons que tous les croyants ne suivent pas cette orientation anti-laïque, loin de là. Nombre de croyants de quelque religion que ce soit partagent nos convictions républicaines et laïques. Ils prônent une pratique religieuse qui s’écarte de ce que Karl Marx décrivait comme « le soupir de la créature opprimée », une sorte de soumission à l’ordre établi. Ils prônent plutôt une pratique qui fait de la religion un vecteur d’émancipation, de libération des individus et non de conformisme à l’égard de l’idéologie dominante du jour et du lieu, à l’instar des chrétiens du CEDEC(5) qui défendent « une église dégagée de l’école confessionnelle ».
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