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En annonçant une surenchère sur les droits de douane frappant les produits chinois, Donald Trump a modifié la nature du conflit entre les deux pays. Désormais, l’objectif est de causer le plus de dommages possible à l’autre. La Chine prépare déjà ses réponses.
https://www.mediapart.fr/journal/in...[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20250408-185828&M_BT=1489664863989
La surenchère de Donald Trump semble désormais placer Pékin dans une position de plus en plus belliqueuse. Lundi 7 avril, en pleine déroute financière, le président des États-Unis a annoncé qu’il envisageait de taxer, dès le mercredi 9, les produits chinois entrant dans son pays de 50 % supplémentaires si la Chine ne renonçait pas à la surtaxe de 34 % décidée en réponse aux premières annonces du 2 avril.
Lors de son « show » de mercredi dernier, Donald Trump avait préparé un traitement spécial contre la Chine, avec une surtaxe de 34 % ajoutée aux 20 % de plus annoncés depuis son arrivée au pouvoir. Ces droits de douane venaient déjà s’ajouter à ceux mis en place durant son premier mandat, entre 2018 et 2022, et qui n’avaient pas été abolis par l’administration démocrate.
Selon les estimations de la banque états-unienne Citi, le taux effectif de droits de douane sur les produits chinois arrivant aux États-Unis serait actuellement de 65 %, contre 20 % sous la présidence Biden. Si la surtaxe annoncée le 7 avril par Donald Trump se concrétise, ce taux passerait donc à 115 %. Or, dans le quotidien de Hong Kong South China Morning Post, le directeur du groupe de réflexion Eurasia Group, Dan Wang, estime à « 30 à 40 % » les marges des exportateurs chinois aux États-Unis.
Dès lors, la surenchère trumpiste est peut-être ronflante pour sa communication antichinoise, mais, du point de vue de la République populaire, elle ne change pas grand-chose. « Que les droits de douane soient à 70 % ou même à 1 000 %, cela fait peu de différence puisque la Chine, à ces niveaux, est empêchée de commercer avec les États-Unis », remarque Dan Wang. Et puisque cette situation était déjà en place avec les « droits de douane réciproques » du 2 avril, la Chine n’a aucune raison de faire des concessions.
Pour Pékin, il n’y a, en réalité, déjà plus rien à perdre. Le marché états-unien est de facto fermé aux produits chinois. Une concession à Washington n’apporterait rien à la Chine. Aussi vaut-il mieux acter la rupture des relations économiques directes entre les deux pays. La menace de Donald Trump de cesser toute négociation après le 9 avril n’est qu’une rodomontade de plus : les discussions ont pris fin dès lors que les 34 % supplémentaires étaient conçus par les États-Unis comme un niveau « juste et équilibré ».
Les États-Unis ne visent donc plus un simple « découplage », mais bien une rupture totale. C’est sans doute ce qui a le plus surpris le gouvernement chinois, qui se préparait davantage pour une accélération du découplage. Mais une fois la rupture engagée, Pékin ne peut que tenir une position de fermeté. Mardi 8 avril, le ministère du commerce chinois a affirmé vouloir « combattre jusqu’au bout ».
Dans la guerre commerciale totale qui s’engage, la logique est de porter dommage à l’économie de l’autre, et non plus simplement de se « défendre ». Pékin pourrait donc chercher les points faibles de l’économie états-unienne.
L’un d’entre eux est la dépendance des États-Unis aux flux financiers étrangers. La Chine a, depuis longtemps, commencé à réduire son exposition aux bons du Trésor états-uniens. De 1 200 milliards de dollars en 2015, son stock est passé à 759 milliards de dollars en décembre 2024. En parallèle, depuis cinq mois, la Banque populaire de Chine (PBoC), la banque centrale du pays, rachète de l’or pour constituer ses réserves.
Là encore, le message est clair : la Chine est en voie de dédollarisation. Le mouvement est progressif, parce que Pékin n’a aucun intérêt à renverser le marché obligataire états-unien, mais il est clair. Ponctuellement, cela peut même permettre de freiner la baisse des taux fédéraux que Donald Trump prétend viser avec sa politique commerciale.
En termes commerciaux, les États-Unis affichaient un déficit de 295,4 milliards de dollars vis-à-vis de la Chine en 2024. A priori, les consommateurs et les producteurs états-uniens ont hautement besoin des produits chinois. Bien sûr, il est possible de se fournir ailleurs, souvent plus cher, dans de nombreux cas. Mais pour certains produits, les États-Unis ont besoin de la Chine.
C’est notamment le cas pour les métaux critiques, dont les entreprises de technologie, d’optique ou de santé ont hautement besoin. Même en ramenant les sites de production de semiconducteurs aux États-Unis, il faudra avoir recours à ces métaux dont la Chine contrôle 70 % de la production.
Le 7 avril, Pékin a ainsi annoncé un durcissement des conditions d’exportation de sept métaux critiques : samarium, gadolinium, terbium, dysprosium, lutécium, scandium et yttrium. Désormais, les autorités chinoises devront donner leur feu vert à l’exportation et, pour cela, les entreprises concernées « ne devront pas s’engager dans des activités contraires à la souveraineté chinoise ». Pékin a promis de ne pas « perturber les chaînes de valeur », mais il s’agit bien d’une épée de Damoclès qui pèse sur les groupes états-uniens.
Pékin devrait aussi cibler les plus rentables des exportations états-uniennes vers la Chine. Dans un post de blog paru lundi 7 avril, un proche du gouvernement chinois, Ren Yi, a décrit les réponses possibles. La première pourrait passer par l’usage de quotas dans le domaine du soja et d’autres produits agricoles comme les volailles. Mais le gros des représailles devrait concerner les services. Les États-Unis exportent pour 91,6 milliards de dollars de services et réalisent, dans ce domaine, un excédent de 27,3 milliards de dollars.
Les groupes de conseil et de finance états-uniens sont très présents en Chine, et pourraient être exclus des marchés publics, c’est-à-dire très largement du marché chinois. Des représailles pourraient aussi toucher l’industrie du divertissement de Hollywood. Enfin, il y a la possibilité de réguler les entreprises technologiques et l’usage de la propriété intellectuelle.
Mais le cœur du combat sera sans doute ailleurs. La Chine dispose d’une surcapacité industrielle qui va s’aggraver. C’est un risque que le pays peut tenter de contourner en renforçant sa mainmise sur les autres marchés que ceux des États-Unis.
Le risque de la déflation En clair, Pékin pourrait être tenté de déverser ses produits à prix réduit sur le reste du monde. Non seulement cela réglerait son problème de surcapacité, mais cela lui permettrait de créer de futurs marchés captifs en réduisant en cendres la concurrence mondiale. Cette stratégie avait commencé dès l’an dernier, et elle ne peut que s’accélérer. Le reste du monde peut donc être la victime collatérale de la guerre sino-états-unienne, avec un risque d’exportation de la déflation chinoise.
Illustration 3Agrandir l’image : Illustration 3 Les exportations chinoises vers le Vietnam. © Tradingeconomics C’est sans doute dans ce cadre qu’il faut comprendre la baisse du taux pivot du yuan décidée mardi 8 avril par la banque centrale chinoise. Pour la première fois depuis septembre 2023, la PBoC a fixé le taux moyen de sa monnaie, autour duquel elle autorise un mouvement de plus ou moins 2 %, en dessous de 7,2 yuans par dollar. C’est un petit mouvement, mais qui, là encore, envoie un message : la Chine est prête à laisser sa monnaie s’affaiblir.
En 2018, Pékin avait contrebalancé l’effet des droits de douane de Washington par une dévaluation de 15 % du yuan. Cette fois, la dévaluation aura une autre fonction : celle de favoriser l’offensive commerciale sur le reste du monde pour tenter de compenser la perte du marché états-unien. Cette option sera cependant maniée avec précaution, car la stabilité financière chinoise est une priorité pour le gouvernement, qui tente d’attirer les investisseurs internationaux.
En réalité, comme le souligne Robin Xing, chef économiste de Morgan Stanley, au Financial Times, « la magnitude de la dévaluation du yuan dépendra de l’évolution des droits de douane des autres pays ». La logique sera celle-ci : si les pays d’Asie concurrents de la Chine négocient une politique favorable avec les États-Unis, la Chine pourrait accélérer la baisse du yuan pour gagner du terrain sur ces marchés.
L’enjeu de l’Asie du Sud-Est Globalement, un des principaux fronts de cette guerre commerciale sera l’Asie et, en particulier, l’Asie du Sud-Est. Pour contourner les droits de douane états-uniens, les groupes chinois ont engagé, depuis des années, des stratégies de friendshoring, autrement dit de délocalisation de la production destinée aux États-Unis vers des pays amis de ces derniers. Washington est conscient de cette stratégie et il se pourrait que, dans les négociations à venir, les relations commerciales avec la Chine soient au cœur des discussions.
Lundi 7 avril, le conseiller commercial de Donald Trump, Peter Navarro, a indiqué que les propositions vietnamiennes pour faire tomber le droit de douane de 46 % imposé le 2 avril au pays étaient « insuffisantes ». Or, Hanoï a proposé de lever tous les droits de douane pour les produits états-uniens, et de s’engager à en acheter plus. Cela laisse entendre que la Maison-Blanche pourrait avoir des demandes plus politiques, et notamment la coupure des liens économiques avec la Chine.
En affaiblissant la croissance chinoise, c’est le régime de Pékin que vise la Maison-Blanche.
Washington souhaite sans doute refaire de l’Asie du Sud-Est un « pré états-unien », ce qui entre dans la stratégie de dommage maximal envers la Chine, tant cette région est cruciale pour la République populaire. Les pays de la région, eux, sont pris entre le marteau et l’enclume et doivent choisir entre préserver leur accès au marché états-unien et sauvegarder leurs liens avec la Chine, souvent investisseur clé et client principal.
Avec, dans les deux cas, un risque de vassalisation. Mais c’est là encore le signe que l’on est entré dans une guerre totale : les positions médianes que les gouvernements vietnamien, malaisien ou indonésien ont cherché à installer depuis près d’une décennie sont devenues intenables.
Reste une dernière inconnue. Pékin a choisi de réorienter son économie vers la consommation pour compenser la perte du marché états-unien. La réussite de ce projet délicat déterminera en partie l’issue du conflit. En cas de réussite, le marché chinois pourrait devenir l’un des plus dynamiques du monde. Ce sera alors un levier pour détourner les producteurs de biens de consommation du marché états-unien, plus mature mais qui sera naturellement moins dynamique, surtout si le pays bascule en récession.
L’affaire n’est toutefois pas acquise. Début avril, les conditions de crédit ont été assouplies, mais les consommateurs restent prudents, car la situation économique globale de la Chine reste délicate, surtout avec la persistance de la crise immobilière.
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On ne peut cependant pas imaginer que le régime chinois ne tentera pas de réagir. Immanquablement, son affaiblissement politique s’accompagnera de la tentation de se lancer dans une fuite en avant nationaliste dont l’issue est l’occupation de Taïwan. Si la politique de Donald Trump conduit à ce que Pékin n’ait réellement plus rien à perdre, la pente est extrêmement dangereuse.
Cette guerre commerciale totale n’est donc pas anecdotique. Elle engage une lutte où le but est l’affaiblissement fondamental de l’autre. En cela, elle dépasse le seul jeu des droits de douane et du commerce. Elle implique la paix mondiale.
Romaric Godin
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