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Au-delà des rêves futuristes de connectivité mondiale, l’essor fulgurant des activités spatiales orchestrées par Elon Musk – à travers SpaceX et sa constellation Starlink – soulève de graves inquiétudes environnementales.
La conquête spatiale moderne, jadis symbole de progrès scientifique, prend aujourd’hui des allures de saccage planétaire. La multiplication des lancements de satellites, dopée par la montée en puissance des méga-constellations, menace non seulement l’équilibre de notre atmosphère, mais aussi l’accès même à l’espace pour les générations futures. Notre article.
Il est vrai que le secteur spatial ne représente qu’environ 0,01 % des émissions globales de gaz à effet de serre, mais l’essentiel du problème se situe ailleurs : dans les couches supérieures de l’atmosphère, où les émissions de particules fines, liées à la combustion des ergols – ces carburants de fusées – ont des effets démultipliés, tout comme les produits de désintégration des satellites en fin de vie lors de leur rentrée atmosphérique.
Lors d’un lancement, les suies relâchées dans la mésosphère et la stratosphère par tonne de carburant consommé présentent un pouvoir de forçage radiatif(1) environ 50 000 fois supérieur au CO₂ émis par cette même consommation, et jusqu’à 500 fois supérieur aux mêmes particules émises au sol ou en basse altitude par l’aviation. [NDLR : les lanceurs Falcon 9 de SpaceX sont propulsés au kérosène et à l’oxygène liquide (ou KeroLOX), le carburant de fusée dont les émissions de suies sont les plus importantes.]
En 2014 déjà, les lanceurs spatiaux à eux seuls généraient l’équivalent du quart du forçage radiatif de l’aviation mondiale. En 2024, le nombre de lancements annuels est passé à 296, contre 94 dix ans plus tôt – une explosion due en grande partie à Starlink, qui compte aujourd’hui plus de 7 100 satellites en orbite pour un objectif final de 42 000.
D’ici 2040, les principales méga-constellations devraient compter un total estimé de 60 000 satellites « low-cost » en orbite basse (volant autour de 550km d’altitude pour Starlink). Du fait de l’important freinage atmosphérique résiduel(2) à ces altitudes, leur durée de vie moyenne sera de l’ordre de cinq ans, obligeant le renouvellement de 12 000 satellites par an, aussi longtemps que les opérateurs de ces méga-constellations voudront maintenir leur activité – et ce, sans même compter de probables nouveaux projets de méga-constellations en orbite basse qui viendront s’ajouter au total.
À titre de comparaison, entre 1957 (début de l’ère spatiale) et 2008 (année du premier vol réussi de la fusée Falcon 1 de SpaceX), 12 330 objets spatiaux avaient été lancés au total. Il s’agira donc de lancer chaque année au moins autant de satellites qu’en un demi-siècle de conquête spatiale pré-SpaceX. On peut prendre la mesure de l’augmentation en cours du nombre de satellites lancés chaque année sur le graphique ci-dessous, et constater la part de Starlink dans l’emballement récent des cadences de lancement de ces dernières années :
https://www.newspace.im/assets/fig/...
Augmentation du nombre de lancements annuels dont contribution Starlink – source : newspace.im
Cette prolifération de satellites en orbite basse rend déjà la gestion du trafic orbital extrêmement complexe : entre décembre 2022 et mai 2023, on a enregistré 25 000 manœuvres d’évitement. À terme, avec une constellation Starlink complète, des experts estiment que ce chiffre pourrait grimper à 1 million tous les six mois, soit une fréquence de manœuvres d’évitement 400 fois plus élevée que sur les six premiers mois de 2023.
Le risque d’un scénario type syndrome de Kessler – une réaction en chaîne de collisions, générant des débris provoquant d’autres collisions, popularisé par le film « Gravity » en 2013 – devient donc de plus en plus probable. Selon les auteurs de ce scénario issu d’un rapport de la NASA de 1978, une telle éventualité rendrait quasi impossible l’exploration spatiale et même l’utilisation des satellites artificiels pour plusieurs générations.
Pour rappel, ce rapport avait précisément pour objectif celui d’alerter la NASA sur la nécessité de réglementer, de gérer efficacement le trafic spatial en orbite basse avec des stratégies de prévention de collisions afin de garantir l’accès à l’espace sur le long terme.
La désintégration des satellites Starlink en fin de vie relâche des particules fines de NOx et d’oxydes d’aluminium dans la haute atmosphère, soupçonnées à terme d’attaquer la couche d’Ozone. En 2022, ce processus a ajouté 16,6 tonnes de ces composés dans l’atmosphère, soit un excès de concentration atmosphérique de 29,5% par rapport aux aérosols d’oxyde d’aluminium d’origine naturelle (micrométéorites) ; les projections annoncent jusqu’à 362,7 tonnes par an dans un avenir proche, soit un excès de concentration atmosphérique d’origine anthropique de 646% !
[NDLR : En 2016, alors que l’espace était encore très peu impacté par Starlink, cette quantité de rejets atmosphériques n’était que de 2,13 tonnes, correspondant à un excès d’oxydes d’aluminium d’à peine 3,8%.]
Tunnel plasma simulant la désintégration atmosphérique d’un mécanisme d’orientation de panneau solaire lors d’une rentrée atmosphérique Ces particules constituent de véritables bombes à retardement pour l’intégrité de la couche d’ozone. Elles s’accumulent dans la mésosphère, y persistent pendant plusieurs années, et sont fortement suspectées d’attaquer la couche d’ozone par une série de réactions de catalyse d’activation de la chlorine qui décompose à son tour les molécules d’ozone.
Leur impact serait tel que de nombreux scientifiques craignent de ruiner à terme les avancées permises depuis 1989 par la mise en application du Protocole de Montréal qui avait permis la reconstitution de la couche d’Ozone.
En outre, une récente étude a montré que ces émissions pourraient également créer des anomalies de température de l’ordre de 1,5 degrés dans la mésosphère et la stratosphère, ainsi que des réductions des vitesses de vents de l’ordre de 10% au niveau du vortex du pôle nord, y induisant également des perturbations dans la couche d’ozone.
Pollution lumineuse et bruit électromagnétique https://phototrend.fr/wp-content/up...
La pollution lumineuse du ciel nocturne et les interférences sur les fréquences radio sont aussi à ajouter au tableau. Outre les traînées lumineuses polluant les prises de vues de nos télescopes terrestres, un rapport de l’American Astronomical Society estime que le niveau de luminosité du ciel sombre nocturne pourrait tripler à terme.
Ces réflexions diffuses de la lumière du soleil sur les satellites des méga-constellations comme Starlink, rendront difficile, pour ne pas dire impossible, la détection des objets célestes les plus discrets pour les astronomes qui alertaient déjà l’opinion globale en 2023 et appelaient à l’interdiction totale des méga-constellations et à la détermination de limites au nombre de satellites autorisés en orbite basse.
Le problème est du même ordre pour la radioastronomie(3), condamnée à devoir extraire avec difficulté des signaux radio extrêmement faibles, provenant des confins de l’univers, et pollués par l’énorme niveau de bruit généré par les signaux de fuites des antennes Starlink. Il semble que la minimisation de ces externalités ne fasse pas partie des priorités de Starlink, étant donné que la deuxième génération de satellites en cours de mise à poste émet 32 fois plus de bruit radio que la première génération, saturant d’autant plus les antennes des radiotélescopes.
De plus, le cycle du jour et de la nuit est un élément structurant pour tous les êtres vivants sur Terre, influençant le comportement des animaux et leurs fonctions métaboliques (modification du système proie-prédateur, perturbation des cycles de reproduction, des migrations…). Peu d’études sont disponibles sur ces potentiels impacts à l’heure actuelle, mais certaines mentionnent déjà des inquiétudes en particulier pour certains insectes et animaux migrateurs de nuit qui se repèrent grâce aux étoiles.
L’empreinte carbone par utilisateur du réseau Starlink est 6 à 14 fois plus élevée que celle d’un utilisateur de réseaux terrestres de télécommunications. La prochaine phase de son déploiement, qui ajoutera entre 12 000 et 34 000 satellites à la constellation, promet d’aggraver encore ce bilan.
Concernant les promesses d’internet haut débit disponibles pour tous grâce à Starlink, il est important de noter que concernant l’Union Européenne, à la mi-2023, les services 5G étaient déjà disponibles pour 89,3% des ménages de l’UE, dont presque trois quarts (73,7%) des ménages ruraux de l’UE couverts. Aussi, toujours à la mi-2023, 97,7% des ménages de l’UE avaient accès à au moins une des principales technologies haut débit fixe, et 92,2% des foyers ruraux étaient couverts par au moins une technologie de haut débit fixe.
Enfin, d’importants efforts sont déployés dans toute l’UE au titre du « programme politique de la décennie numérique » – à savoir : « connectivité très haut débit pour tous d’ici à 2030 » et « au moins une couverture 5G dans toutes les zones peuplées ».
Aucune constellation, aussi démesurée soit-elle, ne pourra rivaliser avec les débits offerts par les infrastructures réseau terrestres.
Derrière cette frénésie se trouve un « astrocapitalisme » vorace, favorisé par une politique américaine qui défend ses intérêts stratégiques et économiques au détriment du bien commun.
La France, pionnière de l’aventure spatiale, ainsi que ses alliés, ont le devoir de porter, par le biais de leurs agences spatiales et de leurs diplomaties, la voix d’un altermondialisme exigeant au sein des enceintes onusiennes, notamment le Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique (COPUOS) fondé à l’aube de « l’âge spatial ».
Il n’a jamais été aussi nécessaire et vital de faire barrage à ce mésusage industrialisé de l’espace. La prédation des entreprises astrocapitalistes, cherchant à monopoliser le marché des réseaux de télécommunication et à tout contrôler, constituent en outre une menace considérable pour nos démocraties et notre souveraineté.
Face aux logiques de profit court-termistes, il est temps de reprendre la main sur notre ciel. Le grand public, les scientifiques, et le personnel politique doivent s’unir pour refuser la privatisation de l’espace au service des intérêts financiers d’une minorité et protéger ce bien commun universel si précieux. L’espace est vital pour le progrès scientifique, pour la surveillance et la compréhension des évolutions du climat, pour nos besoins stratégiques de défense, de télécommunications, de gestion de nos ressources en eau, ou encore de géolocalisation, mais aussi pour maintenir intacte notre capacité à nous émerveiller de la beauté d’un ciel nocturne étoilé face à l’immensité de la voie lactée.
Le forçage radiatif induit par un gaz ou une particule représente la quantité supplémentaire d’énergie « piégée » dans l’atmosphère due à la présence d’une quantité plus importante de ce gaz à effet de serre ou de cet aérosol dans l’atmosphère. Cette énergie en excès est donc rayonnée à nouveau vers le sol et contribue directement au réchauffement climatique. Pour en savoir plus sur le forçage radiatif, cliquez ici. Le freinage atmosphérique résiduel correspond à la force de trainée subie par un satellite en orbite autour de la Terre. Bien que la pression atmosphérique soit très faible dans l’espace, en pratique elle décroît progressivement avec l’altitude sans jamais atteindre 0. De plus, cette force de trainée, ralentissant les satellites, dépend du carré de leur vitesse. Or aux orbites basses, la vitesse orbitale d’un satellite est extrêmement élevée (de l’ordre de 7,6 km/s – soit plus de 27 000 km/h pour un satellite Starlink à une altitude de 550km). C’est ce phénomène qui explique la différence entre la durée de vie de 15 à 20 ans pour un satellite géostationnaire (altitude 35 800km), contre 5 ans pour un satellite en orbite basse. En orbite basse, un satellite doit consommer beaucoup de carburant pour se maintenir sur son orbite. En règle générale, c’est donc la quantité de carburant embarqué couplée à l’altitude de l’orbite qui détermine la durée de vie d’un satellite. La radioastronomie est une branche de l’astronomie traitant de l’observation du ciel dans le domaine des ondes radio. Les radiotélescopes sont généralement composés de larges réseaux d’antennes paraboliques pour capter les ondes radio provenant de l’espace. De la même manière que l’imagerie infrarouge ouvre des perspectives scientifiques complémentaires à l’imagerie en lumière visible, la radioastronomie apporte une contribution majeure au domaine de l’astronomie et de la cosmologie. Le groupe thématique « Espace »
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