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N’est pas chercheur qui veut. Le monde universitaire français, malgré les attaques des gouvernements successifs et son sous-investissement chronique, reste une fierté par son travail et son sérieux reconnu à l’international. Il est justement fréquent pour les forces de gauche de construire leurs programmes politiques en collaboration avec des chercheurs ou experts de leurs domaines.
Mais du côté de l’extrême droite, la dynamique est tout autre. Historiquement abonnée aux théories fumeuses et au révisionnisme opportuniste, elle recycle les pires poncifs racistes et sexistes, inspirés souvent d’essayistes à la probité douteuse. Cependant, répéter les mêmes idées sans aucune source pour les vérifier, leur donner du poids, même le spectateur moyen de CNEWS peut commencer à douter. Les droites identitaires ont trouvé la parade : créer, via l’aide de milliardaires, leurs propres « instituts de recherche ». Des coquilles vides, sans chercheurs ni méthode, mais très utiles pour nourrir les plateaux télé et blanchir les pires idées.
C’est ce que révèle un dossier d’enquête de BLAST, en quatre volets, consacré à ces « observatoires » et « centres d’études » au service de la pensée d’extrême droite. L’objectif est clair : influencer l’opinion publique, produire de la « doxa » qui résonne avec les discours des réactionnaires. On vous résume l’enquête, en vous présentant ces quatre officines. Notre article.
Fondé en 2012, l’Observatoire du journalisme (OJIM) se présente comme un outil de « veille critique » des médias. Dans les faits, c’est surtout un fichier politique qui compile des portraits de journalistes jugés trop à gauche, trop antiracistes, ou trop critiques envers les idées d’extrême droite. Derrière une apparente neutralité, l’OJIM reprend les éléments de langage de la fachosphère pour discréditer la presse d’investigation. Rien de surprenant alors de les voir sur leur site, accabler ARCOM pour son supposé acharnement envers les médias Bolloré, ou encore d’être en première ligne pour défendre le torchon xénophobe « Frontières » (ex « Livre noir »), lors de leur exfiltration de l’Assemblée nationale.
BLAST révèle que ces fiches circulent parfois dans les cercles d’extrême droite pour alimenter les campagnes de harcèlement contre les journalistes ciblés. Leur directeur, Claude Chollet, proche de longue date des milieux identitaires, n’a rien d’un expert neutre du paysage médiatique.
Ce deuxième « observatoire » se donne pour mission de surveiller l’éthique dans l’enseignement supérieur. Il est rapide de faire le lien avec la vieille critique de la droite réactionnaire, consistant à asséner que les vils universitaires démontant leurs lubies, sont en fait de dangereux « wokistes » gangrenant les universités. Théories postcoloniales, études de genre, sociologie de l’immigration : tout est rangé sous l’étiquette d’endoctrinement gauchiste.
BLAST démontre dans son dossier que cet observatoire ne mène pas de véritables enquêtes. Il ne produit pas de données ni d’analyses scientifiques. Il se contente de monter en épingle des cours, des colloques ou des déclarations d’universitaires pour alimenter l’idée d’une université en décadence, rongée par le soi-disant « marxisme culturel ». La ficelle est grosse, mais elle fonctionne : ces éléments se retrouvent repris dans les discours de l’extrême droite institutionnelle, au Parlement comme sur CNEWS.
Le pompon dans tout cela ? Cet observatoire est financé en partie par Pierre-Édouard Stérin, le fameux milliardaire à l’origine du projet « PERICLES », visant à soutenir financièrement l’extrême-droitisation du débat politique. Les membres de l’Observatoire n’étant pas en reste, nombre d’entre eux font partie du collectif d’auteurs ayant pondu « Face à l’obscurantisme woke », aux éditions PUF, dont la promo a été vivement nourrie par les médias Bolloré. Entre milliardaires, il faut bien s’arranger.
L’Observatoire de l’immigration et de la démographie (OID), sous couvert de produire des études statistiques sur les flux migratoires, construit une vision tronquée, alarmiste et idéologiquement orientée des phénomènes migratoires. Cela n’empêche pas de nombreux médias de citer les notes de l’organisme comme des références fiables. Ceux de la fachosphère bien sûr, dont ceux de Bolloré, mais aussi Le Figaro, Marianne, Challenges, Le Point, et pour l’audiovisuel BFM et même France Culture, où Alain Finkielkraut a complaisamment tendu le micro au directeur de l’OID.
Comme le révèle l’enquête, les productions de l’OID n’ont rien de scientifique. Pas de méthodologie transparente, pas de comité de lecture, encore moins de confrontation avec les travaux démographiques reconnus. Rien d’étonnant puisque parmi ses membres, « on ne compte aucun chercheur spécialiste de la démographie et de l’immigration », excepté un, connu pour ses positions polémiques depuis longtemps.
L’OID recycle systématiquement les thématiques chères à la droite identitaire : coût prétendument exorbitant de l’immigration, incompatibilité culturelle, surreprésentation dans la délinquance. Ces chiffres sont souvent sortis de leur contexte ou appuyés sur des sources contestables. Cumulé à une faiblesse méthodologique constatée par BLAST, les résultats n’ont rien pour eux : « pour un think tank qui se veut sérieux et dépassionné, il lui arrive de faire des erreurs de débutants dont les notions mathématiques et statistiques n’ont pas dépassé le stade de la classe 3ᵉ ».
L’OID n’est pas un laboratoire de recherche, c’est une fabrique d’éléments de langage pour les Zemmour, Bardella et consorts. Un instrument stratégique dans une guerre culturelle où la donnée statistique devient une arme de persuasion massive.
Le Centre européen de recherches et d’information sur le frérisme (CÉRIF) est le dernier-né de ces think tanks ricolés à la hâte. Sa cible : les Frères musulmans, mais à travers eux, une obsession plus large de l’extrême droite pour toute forme d’islam politique, voire l’islam tout court. Ce centre se prétend « scientifique », mais ne produit aucune étude référencée. Il se contente de publier des dossiers à charge, sans rigueur méthodologique, visant à accréditer l’idée que les musulmans organiseraient secrètement la subversion de la République.
BLAST pointe aussi les liens financiers et idéologiques du CÉRIF avec des fondations ultra-conservatrices proches de la droite radicale européenne. Le « frérisme » devient un mot-valise, utilisé pour disqualifier tout acteur musulman dans la vie publique. C’est une stratégie bien rodée de stigmatisation, qui habille le racisme d’une prétendue rationalité scientifique. Le CÉRIF n’est pas un centre de recherche : c’est un instrument de guerre culturelle.
Derrière ces structures se cache une mécanique bien huilée. Des ultra-riches financent ces instituts bidons à coups de millions. Objectif : faire basculer le débat public à droite toute. Comme l’analyse BLAST, ces think tanks ne sont pas des centres d’idées, mais des usines à propagande, déguisées en laboratoires scientifiques. Ces mouvements de l’extrême droite ne sont pas anodins, ils font partie d’un projet d’influence structuré et financé, comme pour le réseau Atlas.
Ce sont des groupuscules réactionnaires formés pour prendre le pouvoir culturel. Face à cette offensive, il est urgent de réaffirmer l’importance d’une recherche libre, d’un journalisme rigoureux et d’un débat démocratique fondé sur les faits. Nul besoin de microscope pour voir que ces instituts ne produisent pas de science. Ils produisent de l’idéologie. Et comme toujours, quand la science recule, le fascisme avance.
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