Élire un pape mais pas Trump (Jean-Luc Mélenchon)

dimanche 11 mai 2025.
 

En publiant sa photo composée en pape, Trump m’a tiré de ma langueur dans l’amortissement du décalage horaire au retour des Amériques. À vrai dire, j’avais sans doute besoin d’une pause de deux jours. J’en pris trois après le 1er mai. J’avais bossé dur avant cela. En douze jours au Québec et aux USA, j’ai fait deux conférences universitaires, deux meetings, une réunion publique (en espagnol…) deux rencontres militantes insoumise, cinq interviews… Et maintes « rencontres » et « duo politique » avant de reprendre au retour à bon rythme encore : manif à République contre l’islamophobie, puis l’émission avec Alain Duhamel, un meeting à Auxerre, la marche et le discours du 1er mai. Et comme tout le monde autour de moi fonctionne à la même cadence, et vit la même pause, j’avoue trois jours de creux sans mauvaise conscience. Et je tire mon chapeau à Manuel Bompard en plateau sur LCI pour une écœurante séquence de violence médiatique devenue ordinaire.

Élire un pape n’est pas un événement ordinaire. Il s’agit de désigner un repère moral et spirituel pour un milliard de personnes. Et sans doute davantage certaines fois quand ce rôle est tenu par une personnalité très charismatique comme ce fut le cas pour Jean Paul II ou bien le pape François. C’est donc un événement politique puisqu’il s’agit d’une parole qui contribue fortement à la formation des consciences qui s’y réfèrent. Je m’empresse de dire que je n’y réduis pas le vote des cardinaux, ni le conclave ni le résultat. C’est d’un chef religieux dont il est question et cette dimension est première pour ceux qui la vivent. Si la politique est là, ce n’est pas d’une manière directe au sens d’un congrès de parti ou d’une campagne électorale. C’est par le contexte qui l’entoure et par l’impact du fil conducteur qui sera inauguré. Le pape François a forcé l’intérêt et la sympathie dans nos rangs sans que nous n’ayons jamais rien cédé de nos convictions quand elles ne coïncidaient pas avec les siennes. Les plus observateurs voyaient aussi ce qu’il faisait bouger aussi même légèrement et dans la perspective particulière des attentes des croyants.

La haine des Steve Banon, Trump et autres de ce gabarit la violence des campagnes menées par eux contre le pape François donnait cependant une claire indication du malaise que ce dernier créait chez ceux qui pensaient dominer tout l’univers des idées en circulation. Les coups bas, les harcèlements et les « dissidents » médiatiquement encouragés, toute la panoplie des coups tordus médiatico-politique contemporains se déployait à intervalles réguliers. Parfois avec une violence jamais vue dans ce domaine depuis un siècle au moins. Le sujet ici n’est pas le pape, mais ses attaquants. La conjonction d’une droite extrême politiquement et culturellement dominante avec un pape plutôt inscrit dans une démarche que l’on nomme pastorale, c’est-à-dire s’adressant au grand nombre des refoulés du système monde, produisait l’étincelle mécaniquement. Cela parce que le processus qui conduit à Trump ne supporte pas la moindre brèche dans le mur des idées avec lesquelles il fragmente les peuples et les nations. La lutte immédiate de Trump contre les universités, et sa reprise des délires sur le wokisme et autres montre la centralité de la bataille culturelle engagée par le post libéralisme autoritaire dans le monde. Renoncer aux accords de Paris, étendre l’extractivisme aux grands fonds marins, persécuter méthodiquement les migrants, c’est juste l’exact contraire de « laudato si » et de « fratelli tutti. » Avant cela, même le pape François doutait publiquement qu’on puisse se dire chrétien et construire des murs anti migrants… C’est dire que le choc a été rude.

L’affaire est politique parce que les sujets le sont. Et parce que face à la parole mondiale du capitalisme autoritaire raciste et xénophobe, compte tenu de l’ampleur du confinement infligé à l’ONU, des voix mondiales comme celle du pape Francois sont essentielles. Voilà aussi pourquoi les responsables insoumis ne s’y sont pas trompés. Nous étions de notre côté à Marseille dans une petite mobilisation décidée en 24 heures en soutien à la présence du pape en faveur des migrants. Au total, sans calcul de part et d’autre, nous avons finalement beaucoup cheminé avec des militants catholiques avoués, notamment en Amérique du Sud. Nous avons de notre côté abattu tous ceux des murs qui empêchaient un dialogue tranquille et des actions concertées. Tout le monde comprend, je l’espère que dans cette position personne n’a rallié personne. Mais il s’agit de prendre en charge chacun à sa façon des « causes communes ». Et tout le monde comprend que la distance du désaccord ne s’est pas réduite, mutuellement, là où il est le plus vif comme sur la question de reconnaître le droit à la liberté de l’avortement. En Amérique latine la totalité des dirigeants de la nouvelle gauche de la saison Lula, Chavez, Correa, Kirchner étaient catholiques militants dans la ligne d’action de la « théologie de la libération » et l’option préférentielle « pour les pauvres ». Cela était et reste insupportable pour les maîtres du monde de notre temps. Mais c’était très contagieux… Le simple fait que tant des nôtres aient pu à la fois rester libres-penseurs et engagés dans ces militances communes a fini par inquiéter. Car le but du nouveau libéralisme autoritaire, c’est de contrôler à cent pour cent le « soft power » des « motivations culturelles » qui gouvernent l’engagement personnel de chaque personne. Car leur pouvoir est à ce prix.

Alors même si d’un point de vue religieux classique ce n’est pas le sujet, l’orientation du prochain pape est un sujet pour nous puisque cela va avoir un impact sur la formation des consciences politiques. Il est certain que le christianisme de « l’option préférentielle pour les pauvres » invite à une sorte de souci du collectif humain qui nous concerne très directement aussi longtemps que nous n’aurons pas la même portance mondiale pour notre discours. Et aussi longtemps que l’humanité sera dominée par l’âpre cupidité de l’oligarchie qui la domine et lui brasse le cerveau.


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