Référendum sur les déficits publics : l’idée lunaire de François Bayrou

jeudi 15 mai 2025.
 

Il l’a annoncé dans un entretien accordé à un journal d’extrême droite : le premier ministre aimerait demander au peuple de trancher la question de la réduction des déficits publics, persuadé que sa vision austéritaire du budget est la seule qui vaille.

https://www.mediapart.fr/journal/ec...[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20250505-192559&M_BT=1489664863989

Encore une idée saugrenue de l’exécutif pour s’affranchir de la démocratie parlementaire sur le champ économique. Depuis trois années qu’ils ne sont plus majoritaires à l’Assemblée nationale, les gouvernements d’Emmanuel Macron n’ont cessé d’avoir recours à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution pour faire adopter leurs budgets et empêcher le débat parlementaire sur ces questions. Ce qui a, in fine, coûté son poste à l’ancien premier ministre, Michel Barnier.

Sachant la situation intenable, son successeur, François Bayrou, qui a lui-même échappé de peu à la censure à l’hiver 2025, vient de sortir de son chapeau une nouvelle idée innovante : soumettre un grand plan budgétaire au peuple, sous forme de référendum, pour mettre au pas le Parlement.

C’est dans un entretien à l’hebdomadaire d’extrême droite Le Journal du dimanche (Le JDD) que l’actuel premier ministre a lancé ce que l’on peut considérer comme une attaque en règle envers l’institution parlementaire, dont le vote du budget est, rappelons-le, l’une des principales prérogatives.

L’idée de François Bayrou est de proposer un vote sur un plan budgétaire de plus de 40 milliards d’euros d’économies pour 2026 afin de respecter l’objectif de réduction du déficit public de 5,4 % du produit intérieur brut (PIB) cette année à 4,6 % l’an prochain. Plan qui s’inscrirait dans une stratégie plus large consistant à réaliser 110 milliards d’euros d’économies d’ici à 2029 afin que le déficit public passe en dessous de la barre des 3 % du PIB, comme promis à Bruxelles.

Dans Le JDD, François Bayrou a justifié sa proposition de référendum sur le sujet budgétaire par le fait que « la question de l’adhésion des Français aux réformes est centrale » et « assez grave, assez lourde de conséquences pour l’avenir de la nation, pour qu’elle s’adresse directement aux citoyens » : « Je ne m’adresse pas ici aux partis politiques. Ce que je vise, c’est l’adhésion des Français. »

Quant à celles et ceux qui descendent régulièrement dans la rue pour faire part de leur mécontentement face à la dégradation des politiques sociales, il les méprise : « Quand on réforme par les voies classiques, par le passage en force, que se passe-t-il ? Le pays entre en grève, les manifestations s’enchaînent, et personne ne sait si ceux qui défilent connaissent vraiment le contenu de ce qu’ils contestent. »

Proposition bancale sur le plan institutionnel…

Il y a de fait beaucoup à redire sur cette nouvelle tentative de François Bayrou de contourner la représentation nationale. Sur le plan institutionnel, disons d’abord que les « citoyens » que François Bayrou cite abondamment dans son entretien au JDD ont été consultés il y a moins de dix mois dans le cadre des élections législatives, et ont infligé une défaite cuisante à la politique, économique notamment, menée par Emmanuel Macron, que François Bayrou poursuit actuellement.

Ensuite, il faut dire que François Bayrou ne peut pas lancer un référendum. Il a d’ailleurs bien précisé au journal d’extrême droite qu’« un référendum ne peut être décidé que par le président de la République ».

Or, une telle proposition ne semble pas être à l’ordre du jour d’Emmanuel Macron, qui sait les risques induits par un tel scrutin, qui pourrait rapidement devenir un « pour » ou « contre » lui. « Le premier ministre évoque un plan de réformes et d’économies, et il est difficile de dire quoi que ce soit tant que ce plan n’est pas présenté », a sobrement commenté un proche d’Emmanuel Macron auprès de l’AFP, dimanche.

Enfin, il y a de fortes chances qu’une telle proposition ne puisse de toute façon pas être mise en œuvre. « Je doute fort que le Conseil constitutionnel accepte une telle consultation », estime le président insoumis de la commission des finances de l’Assemblée nationale, Éric Coquerel. Car, justifie-t-il, « par essence, un budget de la nation est un document à propos duquel il est impossible de répondre par “oui” ou par “non”, sans possibilité de débat ni d’amendement. Et par définition, il n’est examinable que par le Parlement ».

Le patron du Parti socialiste, Olivier Faure, a pareillement dénoncé sur BFMTV « un écran de fumée », craignant « que ce soit très difficile de voter par oui ou par non à un projet de budget qui engage l’ensemble des secteurs, de la défense jusqu’à l’éducation, en passant par tout ce que comprend un budget, c’est-à-dire la vie de la nation ».

Par ailleurs, interroge Mathieu Plane, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) : « Que ferait-on si la réponse au référendum budgétaire est non, comme cela est souvent le cas dans ce type de scrutin ? La France sortirait-elle des traités européens ? Serait-elle de facto en situation de Frexit ? »

… tout comme d’un point de vue économique

Sur le plan économique, François Bayrou semble du reste persuadé que la seule manière de réduire le déficit public est de réaliser un plan d’économies qui, a-t-il dit au JDD, « passera par une baisse déterminée des dépenses », « par la simplification », « par une meilleure efficacité de l’État et de l’action publique en général », mais que la solution n’est « pas dans de nouveaux impôts ». Du néolibéralisme pur jus, en somme. « Nous ne sommes plus à l’heure des demi-mesures », a-t-il surenchéri.

François Bayrou oublie ici que l’économie – et a fortiori le budget – est une matière éminemment politique. Quand les tenants de l’orthodoxie budgétaire – dont François Bayrou fait partie comme le centre et la droite – disent qu’il faudrait nettement serrer la vis sur les dépenses sans toucher aux impôts pour atteindre 3 % de déficit public, les tenants de l’hétérodoxie budgétaire – la gauche – répondent qu’augmenter la fiscalité des plus aisés, pour faire rentrer de l’argent dans les caisses, et relancer les dépenses, pour améliorer la croissance, permettraient d’enclencher un cercle plus vertueux pour les finances publiques.

Tout est question de point de vue. Comment dès lors traiter ce sujet par voie de référendum ? « On ne voit pas comment une question claire et simple sur le budget pourrait être posée », résume Mathieu Plane, de l’OFCE.

Par ailleurs, les hypothèses économiques sur lesquelles repose la proposition de François Bayrou sont éminemment critiquables. Il dit par exemple dans Le JDD qu’un niveau de 3 % de déficit public en 2029 serait celui à partir duquel la dette publique française n’augmenterait plus – elle représente aujourd’hui 113 % du PIB.

Dont acte : c’est un scénario confirmé par plusieurs économistes que Mediapart a interrogés. Mais le premier ministre oublie de mentionner deux hypothèses pour que ce scénario se réalise : que le taux de croissance de l’économie à moyen terme soit un peu supérieur à 1 % et le taux d’inflation, un peu inférieur à 2 %.

Or, François Bayrou compte d’ici à 2029 baisser les dépenses publiques de 110 milliards d’euros, une cure d’austérité jamais vue qui aura assurément un impact très négatif sur la croissance et risque d’enrayer tous les calculs des économistes.

Si les déficits étaient réellement intenables, la dette publique de la France serait déjà attaquée massivement sur les marchés financiers, ce qui n’est pas le cas.

Une telle cure serait même d’autant plus suicidaire au regard du marasme économique actuel. « Les effets récessifs d’une politique de consolidation budgétaire sont toujours amplifiés quand l’économie est en bas de cycle comme actuellement, c’est-à-dire quand le chômage augmente, le carnet de commandes des entreprises se vide et la croissance est faible », ajoute Mathieu Plane.

La seule chose qui pourrait inverser la tendance et sauver les fragiles prévisions de François Bayrou serait un regain d’activité grâce à « la baisse des taux d’intérêt de la Banque centrale européenne (BCE) et à la relance budgétaire de l’Allemagne en 2026, le premier partenaire commercial de la France », estime l’économiste.

Enfin, il faut dire que traiter le sujet des déficits publics sous le seul angle de leur réduction impérieuse n’a pas beaucoup de sens. Ne serait-ce que parce que si les déficits étaient réellement intenables, la dette publique de la France serait déjà attaquée massivement sur les marchés financiers, ce qui n’est pas le cas.

Les raisons à cela sont multiples, mais l’une des principales est que les ménages français mettent énormément d’argent de côté depuis la crise du covid. Le taux d’épargne des ménages en France atteignait ainsi plus de 18 % de leurs revenus en 2024, un niveau supérieur de 4 points par rapport à 2019, selon l’Insee. Cette épargne abondante rend l’économie française moins dépendante de financements extérieurs, ce qui rassure les marchés.

Ainsi, même si les déficits publics ont grimpé, conclut Mathieu Plane, « l’économie française n’a pas besoin de plus de capitaux étrangers qu’en 2019, car l’épargne domestique a nettement augmenté : pour être plus pertinent, il vaudrait donc mieux raisonner en termes de finance de la nation plutôt qu’au seul prisme des déficits publics ».

Mathias Thépot


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