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Une centaine d’Israéliens et leurs soutiens ont convergé mardi soir vers le Quai d’Orsay pour dénoncer un génocide à Gaza, dans une mobilisation suivie dans dix villes européennes. Ils insistent sur le rôle fondamental de cette diaspora en Europe.
https://www.mediapart.fr/journal/in...[HEBDO]-hebdo-20250531-050055&M_BT=1489664863989
« Ah là, voilà, il y a du monde ! », se réjouit Annie, pancarte blanche « Stop nettoyage ethnique en Palestine » à la main. Cette Franco-Israélienne, coproductrice du film Put Your Soul on Your Hand and Walk de Sepideh Farsi, agite son panonceau devant un bus de tourisme aux vitres teintées. « Il y a un génocide, quel que soit le génocide, on aurait été présents. Et là c’est un génocide qui est commis en notre nom, et ça non, glisse-t-elle. Je ne laisserai personne dire que tout cela est fait pour me protéger. Je n’ai pas besoin d’amis comme ça pour me protéger. Avec des amis comme ça, nous n’avons pas besoin d’ennemi. »
Autour d’elle, une petite centaine de Franco-Israélien·nes, Israélien·nes parisien·nes et leurs soutiens se sont massé·es, mardi 27 mai, à quelques pas du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, dans le VIIe arrondissement de Paris, contre ce qu’ils et elles n’hésitent plus à qualifier de génocide. « Nous on considère que ce terme n’est pas exagéré, on l’utilise », assure Ofri Grynbaum, une des membres du collectif éphémère Israeli citizens for International Pressure à l’initiative de cette mobilisation. « Ça nous dévaste. Ce n’est pas facile [d’utiliser ce terme de génocide – ndlr]. Il y a beaucoup de gens dans ce groupe qui sont des petits enfants, ont des familles qui ont été tuées durant la Shoah. C’est extrêmement douloureux. »
Au même moment, neuf autres rassemblements ont pris place à travers l’Europe, de Londres à Bruxelles, en passant par Berlin, Milan, Amsterdam ou Lisbonne. Cette mobilisation de la diaspora israélienne en Europe répond à « une urgence énorme de s’activer, d’influencer les choses », argue Ofri Grynbaum. « Il faut que la France et la communauté européenne mettent la pression, sanctionnent Israël, pour que les choses bougent, pour mettre fin à cette atrocité, ajoute cette éducatrice installée en France depuis plusieurs années. Ce que l’on voit, c’est que l’Europe et la France expriment des inquiétudes et font des gestes symboliques, mais qui ne suffisent plus », poursuit-elle.
Parmi les revendications de ces Israéliens ou binationaux, déjà mobilisés depuis octobre 2023 contre le conflit : la suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël, un embargo militaire complet sur Israël, un cessez-le-feu immédiat et permanent et un accès inconditionnel de l’aide humanitaire à Gaza. Le 20 mai, Paris, Londres et Ottawa avaient brandi la menace de sanctions renforcées contre Israël. La semaine précédente, les Pays-Bas avaient sollicité une révision de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël, en vigueur depuis 2000, auprès de la Commission européenne, une démarche à laquelle Emmanuel Macron s’était estimé ouvert.
Joint au téléphone par Mediapart, Alon Sahar, coorganisateur du rassemblement berlinois et membre de l’organisation Israelis für frieden, « Israélien·nes pour la paix » en Allemagne, déclare : « On pourrait réussir à suspendre une partie de l’accord d’association. C’est l’une de nos revendications, un point très politique, très pragmatique. Et puis il y a d’autres questions liées aux valeurs que nous souhaitons maintenir en tant qu’Israélien·nes et Européen·nes. » À Berlin, ce rassemblement, le plus vaste en Europe, a réuni 500 personnes, selon les organisateurs.
À Paris, aucun étendard israélien ne se distingue parmi cette petite foule massée à la sortie du métro Invalides. Seuls quelques drapeaux palestiniens flottent autour d’effluves de crêpes, de fonctionnaires encravatés et de grappes de touristes curieux. Au mégaphone résonnent quelques slogans : « Pas d’accord économique sur fond de nettoyage ethnique », « Stop arming Israël » ou « Pas d’armes ni d’affaires avec des criminels de guerre ». Quelques minutes avant, plusieurs dizaines de ces manifestant·es avaient défilé en cercle et en silence, photographies d’enfants palestiniens tendues devant elles et eux.
Pour Annie, rendre une identité à ces plus de 53 000 morts, selon des chiffres jugés fiables par l’ONU, est essentiel : « On les voit comme des nombres, et c’est toujours comme ça dans les massacres. La première chose, c’est de ne pas dire les noms, de ne pas montrer les visages, de dire 10 000, 20 000, 30 000, et tout le monde s’en fout », s’insurge la productrice. « Il faut reconnaître des faits : un épouvantable massacre, un nettoyage ethnique, une destruction totale des infrastructures de la santé, de l’éducation. On a des témoignages accablants, une déshumanisation totale de la société israélienne, parce qu’on massacre des gamins et qu’on se voile la face », renchérit Jérôme, franco-israélien.
Cet universitaire aux fines lunettes rondes passe sa vie entre l’État hébreu et la France, après vingt-trois ans en Israël. Il décrit une opinion publique aveugle aux exactions de masse à Gaza « à part des images de distributions de nourriture, ce qu’on aime bien montrer là-bas, ou bien des manifestations de Palestiniens contre le Hamas ». Il raconte une oblitération savamment orchestrée : « Quand vous voyez les médias israéliens, c’est effrayant. Certains journalistes légitiment l’autocensure quand il s’agit de montrer des meurtres d’enfants palestiniens, des types respectables qui se disent de gauche. La déshumanisation commence par là, quand des Israéliens ne voient pas et ne veulent pas voir ce qu’il se passe à Gaza. » Pour lui, « les Israéliens ne voient rien ».
Plusieurs de ces citoyens insistent sur leur rôle particulier face à un massacre dont ils sont témoins à distance, avec plus d’acuité et de recul. « De l’intérieur, en Israël, ils n’arriveront pas à amener un changement. Ils ne se rendent pas compte à quel point ce qu’on commet à Gaza est atroce », décrypte Michael Charny, acteur israélien installé à Paris depuis neuf ans et autre coorganisateur du rassemblement.
« Nous on a grandi en Israël, on faisait partie de ce système, de cette armée. D’ici, c’est plus simple de voir à quel point on y a été endoctrinés, à quel point la déshumanisation des Palestinien·nes est partout. » Une désensibilisation « dans laquelle on est nés », selon lui. Ce Parisien décrit la « déchirure » ressentie face à des proches « qui défendent cette guerre, qui osent l’appeler guerre ou trouvent des justifications, estiment qu’il n’y a pas le choix ». Michael Charny estime que ces ruptures tiennent à « des enjeux moraux et valeurs humaines » plus qu’à des différends politiques. « Je ne vois pas comment de tels crimes peuvent être soutenus, sans qu’on considère les Palestiniens comme moins humains que nous », poursuit le comédien.
À Berlin, Alon Sahar, insiste lui aussi sur le rôle de cette diaspora : « Les Israélien·nes qui vivent ici, encore plus depuis l’administration Trump, ont plus de marge de manœuvre pour travailler dans un cadre démocratique. » Une démocratie qui semble s’effacer peu à peu dans leur pays d’origine, selon eux. « Le glissement vers le fascisme en Israël, on ne peut l’ignorer », évalue Ofri Grynbaum, l’éducatrice parisienne, qui rappelle que « même les familles d’otages qui manifestent sont traitées de manière violente par la police israélienne ».
En Allemagne, Alon Sahar inscrit cette mobilisation dans un cadre géographique et historique particulier : « Les pays européens ont plus de responsabilité historique par rapport à ce conflit à cause de l’histoire de la colonisation, du mandat britannique, de l’héritage de l’Holocauste. Tout est lié. »
Pour lui, l’une des premières étapes à franchir en Europe serait d’en finir avec la répression des voix propalestiniennes : « Même sans mesures concrètes prises contre Israël, chaque État membre de l’Union pourrait en un claquement de doigt montrer son engagement envers ses valeurs en arrêtant d’effacer les voix en faveur de la Palestine. Ils pourraient déjà être des lieux aussi démocratiques qu’ils sont supposés l’être. »
Laura Wojcik
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