Ultraconservatisme et complotisme : le RN réunit ses alliés dans le Loiret

dimanche 15 juin 2025.
 

Le parti de Marine Le Pen a invité ses amis européens, dont le premier ministre hongrois Viktor Orbán, pour célébrer l’anniversaire des élections européennes. L’occasion de mener un meeting aussi champêtre que radical, où la théorie complotiste du « grand remplacement » a été omniprésente

Lundi 9 juin, la population du petit village de Mormant-sur-Vernisson, en périphérie de Montargis, a été multipliée par 45 environ. Le parti des Patriotes pour l’Europe (PfE), qui rassemble les alliés européens du Rassemblement national (RN), avait choisi cette petite commune de 133 habitant·es sur la circonscription du député Thomas Ménagé pour son « meeting champêtre » célébrant l’anniversaire des élections européennes de 2024.

L’occasion d’une démonstration de force pour le RN, qui a réuni plusieurs milliers de militant·es dans un champ prêté pour l’occasion, au milieu des chemins de ferme et des plantations de blé. À quelques kilomètres de là, à Montargis, un contre-rassemblement antifasciste se tenait pour protester contre la venue de représentant·es de toute l’extrême droite européenne dans la région.

Sans surprise, les douze orateurs et oratrices se sont succédé sur scène pour fustiger le supposé « grand remplacement » de la population européenne et le « wokisme », tout en exaltant les « racines chrétiennes » de l’Europe et la « famille traditionnelle » – comprendre hétérosexuelle.

Des discours loin de l’image que le RN essaie de cultiver en France, où les cadres proches de Marine Le Pen martèlent leur positionnement supposément « ni libéral ni conservateur » et tentent, à l’image de Thomas Ménagé le matin même sur TF1, de prendre leurs distances avec ces discours. « On n’a pas les mêmes positions sociétales, on n’a pas les mêmes positions conservatrices », a-t-il avancé, à propos de la politique du Hongrois Viktor Orbán, invité d’honneur ce lundi.

Discours xénophobes et ultraconservateurs

Dès 12 h 30, alors que la plupart du public s’achetait à manger dans un des nombreux food trucks installés pour l’occasion et que les députés d’extrême droite enchaînaient les selfies, l’Estonien Martin Helme a donné le ton. Le président du parti EKRE (Parti populaire conservateur d’Estonie), qui avait fêté en 2019 son entrée au gouvernement au sein d’une coalition en faisant le signe de reconnaissance des suprémacistes blancs, s’est lancé dans un réquisitoire contre le « grand remplacement ».

Après avoir assuré que pour être un nationaliste français, il faut que « la France soit dans vos os et que les os de vos ancêtres soient en France », il a lancé son appel : « Nous devons les remplacer à la tête de l’Europe plutôt que les laisser nous remplacer dans nos propres pays. »

Quelques minutes plus tôt, ce partisan de la remigration qui affirmait en 2013 vouloir « une Estonie blanche » expliquait à la presse sa position sur la question : « On ne peut plus dire qu’il faut arrêter l’immigration, cela ne suffit plus. Ils veulent transformer nos pays et nous avec. La solution, c’est renvoyer ces gens dans leurs pays. La remigration est un point clé de notre programme. »

Le RN avait pourtant bruyamment mis en scène son opposition à cette proposition il y a un an, en justifiant ainsi sa rupture avec son allié allemand de l’AfD (Alternative pour l’Allemagne) : « Nous n’avons jamais défendu, depuis le départ de Jean-Yves Le Gallou, une remigration, avait martelé Marine Le Pen en janvier 2024. Nous avons une opposition flagrante avec l’AfD à ce sujet. »

On n’est pas seulement contre l’islam, on est fiers d’être chrétiens.

Tom van Grieken, président du Vlaams Belang

À la tribune, Susanne Fürst, membre du parti autrichien FPÖ, a aussi expliqué que « le cœur de chaque nation, c’est la famille » et que « le cœur de chaque famille, c’est la mère ». Avant d’affirmer que « seules les femmes peuvent être mères ».

Le Belge Tom van Grieken, du parti flamand Vlaams Belang, en a remis une couche, en français dans le texte : « On n’est pas seulement contre l’islam, on est fiers d’être chrétiens. On n’est pas simplement contre l’immigration, on est pour la sécurité et la famille traditionnelle. »

Star de la journée, le premier ministre hongrois Viktor Orbán s’est lui aussi illustré, dressant un portrait cataclysmique de son pays avant son arrivée au pouvoir. « Les migrants ont envahi le pays, payés par George Soros et Bruxelles », a-t-il prétendu.

Il a ensuite érigé sa gestion du pays en modèle pour l’Europe, sous les applaudissements de la foule : « Le père est un homme et la mère est une femme. Nous avons repoussé les migrants. Il n’y a pas de hordes de migrants dans nos rues. Pas d’antisémitisme, pas de violence, pas de trouble à l’ordre public. »

Après avoir assumé son rôle de « brebis galeuse de l’Union européenne », l’autocrate s’est aussi offert son moment complotiste, en affirmant que « ce qui se passe n’est pas une migration, c’est un échange organisé de populations pour remplacer le socle culturel de l’Europe ». Quelques minutes plus tôt, l’eurodéputé RN Jean-Paul Garraud défendait auprès de Mediapart les positions du premier ministre hongrois, « un grand résistant » : « On n’a pas à juger la politique intérieure d’un pays souverain. Je ne pense pas que les Hongrois soient homophobes ou racistes, ils veulent juste préserver une identité hongroise. »

Complotisme judiciaire

Relancé sur le traitement réservé par l’allié du RN aux personnes LGBTQIA+, l’eurodéputé a insisté : « Ce n’est pas des minorités qui doivent avoir le dessus sur une majorité. Il faut une communauté nationale. Je ne pense pas qu’elles soient malmenées dans l’exercice de leurs droits. » Après avoir adopté plusieurs lois répressives à l’égard des minorités sexuelles, la Hongrie de Viktor Orbán a récemment rendu illégales l’organisation et la participation à la marche pour défendre les droits des personnes LGBTQIA+.

La journée aura également été l’occasion d’une grande séance de calinothérapie à l’égard de Marine Le Pen. Ses alliés européens ont rivalisé d’hommages à la triple candidate à l’élection présidentielle, et de critiques à l’égard d’un « procès politique » et de « juges partisans », selon les mots de Tom van Grieken, qui ont condamné Marine Le Pen à une peine d’inéligibilité de cinq ans pour détournement de fonds publics européens. « Votre présidente est une amie de longue date, une personne formidable, une combattante courageuse », a renchéri Viktor Orbán, tandis que Matteo Salvini, patron de la Lega italienne, a fait scander par la foule son nom.

Sur scène, Marine Le Pen, qui vient d’être désignée présidente d’honneur du parti européen PfE, s’est lancée dans une diatribe anti-européenne, décrite comme « un empire marchand, wokiste, ultralibérale, qui manipule, menace ordonne et opprime », « une machine froide sans âme », « une religion sans transcendance », ciblée pour sa bureaucratie et, surtout, sa politique migratoire. « Le pacte des migrations est un pacte avec le diable, un pacte de submersion migratoire, de dilution démographique, un pacte de disparition culturelle de l’Europe », a-t-elle martelé, pour le plus grand plaisir des militant·es.

La patronne des députés RN n’a pas non plus oublié de se victimiser en parlant de la décision judiciaire qui la concerne : « On veut interdire, en violant tous les principes du droit, à la principale opposante que je suis de se présenter à la présidentielle », a-t-elle regretté. Avant de laisser la parole à celui qui devrait la remplacer en cas de confirmation en appel de sa condamnation, Jordan Bardella, qui lui n’a pas dit un mot de sa situation judiciaire.

Le président du RN a préféré dessiner l’Europe qu’il appelle de ses vœux, une « Europe des identités » qui « arrête de punir ceux qui créent de la richesse », une « Europe des libertés : liberté d’opinion, liberté d’expression », a-t-il osé. À quelques mètres de Viktor Orbán, qui promettait au mois de mars de « liquider » les « punaises » que sont, selon lui, les juges, les ONG et les médias.

Youmni Kezzouf


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message