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Réunie en congrès fondateur à Porto ce week-end, l’Alliance de gauche européenne, dont fait partie La France insoumise, lance une initiative citoyenne européenne pour rompre l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël.
https://www.mediapart.fr/journal/in...[HEBDO]-hebdo-20250614-050019&M_BT=1489664863989
prèsAprès avoir participé à une mobilisation de la gauche à Montargis (Loiret) contre un sommet des extrêmes droites européennes, Manon Aubry a rejoint Porto (Portugal) cette fin de semaine, pour le congrès fondateur de l’Alliance de gauche européenne. La cheffe de file de La France insoumise (LFI) au Parlement européen y lancera, avec d’autres responsables venu·es de six autres pays, « un nouveau parti européen pour les peuples et la planète ».
Dans un entretien à Mediapart, Manon Aubry annonce le lancement, par cette nouvelle force, d’une initiative citoyenne européenne visant à suspendre l’accord d’association entre l’Union européenne (UE) et Israël. Cet accord, qui comporte un volet commercial crucial pour l’État hébreu, est en train d’être réexaminé par les autorités européennes, au regard des souffrances infligées au peuple gazaoui.
Pour l’eurodéputée, une telle mobilisation traduit bien l’intérêt de cette nouvelle fédération partisane cofondée par LFI : être « au service des luttes et tourné[e] vers l’action », loin de l’apathie des structures les plus anciennes de la gauche radicale au niveau européen.
Mediapart : Vous participez cette semaine à plusieurs événements ciblant « l’internationale réactionnaire ». Quel est votre diagnostic sur l’état du rapport de force entre les gauches et les extrêmes droites européennes ?
Manon Aubry : L’extrême droite est notre première adversaire, et personne ne peut nier qu’elle est en progression constante partout en Europe. J’observe que c’est particulièrement le cas dans les pays où la gauche sociale-démocrate a trahi les aspirations populaires et généré de la colère, comme en Italie. Cette progression est aussi nourrie par la libération de la parole raciste et xénophobe, y compris au sein de la droite classique, comme les sorties de Bruno Retailleau [ministre de l’intérieur – ndlr] l’illustrent bien en France.
La gauche ne joue pas à armes égales avec l’extrême droite. Celle-ci se voit en effet dérouler un tapis rouge médiatique, tout en se rapprochant sciemment des milieux économiques et financiers. Le président du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella, est pleinement engagé dans une telle stratégie.
Pour autant, nous ne sommes pas dénués d’outils. Quand nous parvenons à susciter une mobilisation massive autour d’un projet porteur, on peut gagner. À l’échelon européen et international, la gauche de rupture est en reconstruction. La France insoumise compte jouer un rôle moteur dans ce processus.
De fait, la dynamique électorale de cette « gauche de rupture » est en berne, notamment en Europe du Sud où elle avait beaucoup progressé. Y a-t-il tout de même des enseignements à tirer des scrutins les plus récents chez nos voisins ?
On a tous à apprendre les uns des autres. La trajectoire de Die Linke, en Allemagne, est inspirante. Le parti a commencé la campagne des législatives de 2024 à moins de 2 % dans les sondages, pour finir à 10 % dans les urnes. Ses représentants ont affirmé un positionnement clair en matière d’antiracisme et de lutte contre l’extrême droite, tout en menant une campagne vigoureuse sur les questions sociales – en particulier sur le logement, qui devient un enjeu de plus en plus important en Europe.
La combinaison entre cette identité antifasciste et des propositions sociales propulsives s’est révélée un cocktail à même de créer une dynamique. Insuffisante pour l’emporter, certes, mais le parti s’est redressé. En Espagne, Podemos est également en train de remonter la pente à partir de cette orientation, ainsi qu’en mobilisant fortement contre la militarisation et les crimes à Gaza.
Ces derniers jours, la mobilisation transnationale s’intensifie contre le blocus de la bande de Gaza par les autorités israéliennes. Selon vous, qu’est-ce que l’UE et ses États membres devraient mettre en œuvre à court terme, pour exercer une pression significative contre le gouvernement Nétanyahou ?
D’abord, un mot sur la situation actuelle. Deux millions de personnes sont en risque de famine, en plein blocus humanitaire et médiatique. Il ne faut pas avoir peur de qualifier ce qui se passe de génocide. Dans ce contexte, la réaction des autorités européennes et françaises à l’arrestation de l’équipage de la flottille de la liberté m’a frappée.
Leur passivité a été ahurissante, comme s’il s’agissait d’une fatalité qu’un convoi humanitaire soit arrêté, tandis que pendant ce temps-là, des dirigeants massacrent un peuple en toute impunité. On ne m’enlèvera pas l’idée que si ma collègue Rima Hassan [eurodéputée LFI embarquée sur la flottille – ndlr], dont je veux saluer le courage, avait été une députée de droite arrêtée par la Russie ou la Chine, il y aurait eu une mobilisation sans faille. Le deux poids deux mesures est insupportable.
On est à presque vingt paquets de sanctions contre le régime de Poutine, et rien contre le gouvernement de Nétanyahou.
C’est d’autant plus rageant que l’UE et les États membres ont des moyens. D’abord, ceux-ci peuvent reconnaître l’État de Palestine. Qu’attend donc Emmanuel Macron ? Qu’il n’y ait plus un seul Palestinien en vie ?
Deuxièmement, les États pourraient faire respecter un embargo strict sur l’envoi d’armes, ce qui n’est pas encore le cas. Pire, il a été révélé que la France continue à en envoyer. Troisièmement, ils peuvent prendre des sanctions individuelles contre des responsables liés au génocide, comme vient de le faire le Royaume-Uni à l’égard de ministres de Nétanyahou.
Enfin, l’UE pourrait suspendre son accord d’association avec Israël, dont l’article 2 prévoit une clause de respect des droits humains. Nous sommes le premier partenaire commercial d’Israël, ce qui constitue un levier d’influence considérable. Je rappelle qu’on est à presque vingt paquets de sanctions contre le régime de Poutine, et rien contre le gouvernement de Nétanyahou. Ce deux poids deux mesures fragilise tout l’édifice du droit international et offre un argument de plus à Poutine pour s’en affranchir.
Avec l’Alliance de gauche européenne, nous pensons qu’il faut aller plus loin, c’est-à-dire conditionner tous les accords commerciaux au respect des droits humains et du droit international. Ce week-end, nous allons lancer une grande mobilisation dans cet objectif.
Quel genre de mobilisation ?
Une initiative citoyenne européenne (ICE). Il s’agit de récolter un minimum d’un million de signatures dans au moins sept pays de l’UE, afin d’obliger la Commission européenne à répondre à notre proposition. Cette initiative dit quelque chose de notre intention politique, à savoir être tournés vers l’action, et ne rien lâcher sur les crimes commis contre le peuple gazaoui.
Ce mécanisme nécessite de remplir plusieurs conditions, sans pour autant contraindre les autorités européennes à l’action. N’est-ce pas une méthode trop bureaucratique ?
Cette initiative n’est pas pensée uniquement comme un outil législatif, mais aussi comme un outil politique de pression sur les États membres. Quant à la Commission, elle n’est certes pas contrainte à l’action, mais devrait alors assumer publiquement et politiquement de ne pas y donner suite, puisqu’elle est tenue d’y répondre. A fortiori si on atteint plus d’un million de signatures dans des délais courts, ce que je pense atteignable. Et a fortiori s’il y a un mouvement populaire plus large dans la rue.
Cette initiative sera une traduction concrète de la mobilisation grandissante en Europe pour la Palestine. En tout cas, on continuera jusqu’à ce que cesse le martyre des Palestiniens.
Vous participez ce week-end au congrès fondateur d’un nouvel « europarti », l’Alliance de gauche européenne, qui compte sept formations membres et deux associées. Pourtant il existe déjà un europarti censé rassembler la « gauche de rupture » à l’échelle de l’UE, le Parti de la gauche européenne (PGE). Qu’est-ce que la création du vôtre va changer ?
Les objectifs sont multiples. Nous souhaitons incarner la principale force d’opposition aux politiques libérales et austéritaires de la Commission européenne d’Ursula von der Leyen, ainsi qu’aux idées racistes et sexistes de l’extrême droite. Nous voulons aussi construire un parti au service des luttes et tourné vers l’action, comme nous le faisons en lançant cette ICE sur la Palestine. Enfin, notre Alliance doit être un laboratoire d’idées, d’où le lancement d’une fondation européenne tournée vers la réflexion intellectuelle et programmatique.
En un mot, il nous faut inventer une nouvelle forme d’internationalisme et de solidarité. Comme lorsque nous avons amené des pilules abortives en Pologne où l’IVG est quasiment interdite, ou en participant à la pride de Budapest interdite par le premier ministre hongrois, le 28 juin prochain. Nous ne nous posons pas en concurrence du PGE, mais ce cadre ne permettait pas cette réactivité et cette agilité que nous recherchons. Nous offrons un nouvel outil d’action, et tout le monde y sera bienvenu.
Le PGE a longtemps été structuré par les partis communistes et leurs héritiers, allemand et français notamment. Die Linke s’y est investi, mais fera partie des formations observatrices lors de votre congrès. Est-ce que sa nouvelle direction a permis un rapprochement ?
Il est clair que la nouvelle direction est plus proche de notre culture politique et de nos façons d’agir. Par exemple, nous mettons en commun, avec eux comme avec nos camarades portugais ou suédois, nos ressources numériques de mobilisation. Les formations politiques qui composent l’Alliance de la gauche européenne sont récentes pour la plupart. Elles portent de nouvelles manières de faire de la politique, qui résonnent particulièrement auprès de la jeunesse.
Nous cherchons à incarner une gauche de rupture du XXIe siècle, qui ne transige pas sur les questions féministes, antiracistes et de solidarité internationale, tout en gardant en son cœur les questions écologiques et sociales.
Il y a quelques jours, c’était le vingtième anniversaire du référendum sur le traité constitutionnel européen. Aujourd’hui, on a l’impression d’un « no man’s land stratégique » vis-à-vis du cadre de l’UE, pas franchement adapté à un projet de rupture économique et sociale. Où vous situez-vous désormais ?
Nous restons les héritiers politiques du « non » de 2005. À titre personnel, cette campagne a été ma première sensibilisation à la politique. Aujourd’hui, le « non » serait peut-être encore plus majoritaire dans les urnes, et le « non de gauche » qu’on avait posé a clairement gagné du terrain. Les politiques libérales ont démontré leur impact négatif sur la vie des gens : services publics mis en concurrence, règles austéritaires, accords commerciaux tous azimuts, délocalisations au sein même de l’UE…
Depuis, nous proposons une méthode autour de la désobéissance. Le mot d’ordre peut paraître simpliste, mais signifie que nous sommes prêts à assumer des rapports de force au sien de l’UE, depuis l’exercice du droit de veto jusqu’à la non-application de certaines règles allant contre le progrès humain. Pour autant, on ne compte pas se priver des moyens d’agir ensemble quand c’est pertinent.
Cette stratégie est inverse de ce que la gauche a fait ces dernières années, en abandonnant ses projets les plus transformateurs une fois au pouvoir. Je renvoie à François Hollande qui avait promis de modifier les traités et n’en a rien fait, précisément parce qu’il n’avait eu ni l’intention ni le plan pour imposer un rapport de force.
À vous écouter, l’UE est une arène de rapports de force comme une autre, avec laquelle il faut bien composer, parce qu’elle existe. Estimez-vous qu’il existe aussi quelque chose comme une « communauté de destin » propre au continent, qui ne sous-tende pas forcément une utopie fédéraliste, mais donne un sens profond à l’intégration européenne ?
J’assume une forme de pragmatisme dans mon rapport à l’UE. Avec les Insoumis, on se bat d’abord pour des objectifs en matière sociale et écologique et de respect des droits humains. On se demande toujours ce qu’on peut obtenir, où et dans quel cadre. Le premier échelon pour atteindre ces objectifs est national, mais si on peut l’obtenir à l’échelle européenne, on prend.
C’est dans cet esprit que j’ai œuvré en faveur de la directive du devoir de vigilance des multinationales, et de celle donnant des droits aux travailleurs des plateformes. Mais ne nous racontons pas d’histoires. La commission est en train de détricoter les avancées du précédent mandat. Donc je me pose dans une posture de résistance. Si le rapport de force politique vient à évoluer, nous verrons.
Il faut sortir du rapport théorique à l’UE, intéressant intellectuellement, mais déconnecté du réel dans la pratique. Allez parler d’une communauté de destin à l’ouvrier d’ArcelorMittal qui voit son emploi délocalisé en Pologne. Pour l’heure, face à la menace de l’extrême droite en Europe même, soit on se donne les moyens de la résistance pied à pied, soit on a perdu.
Fabien Escalona
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