Palestine : Les pays occidentaux font semblant d’être du côté du droit et de la solution à 2 Etats

mardi 1er juillet 2025.
 

La juriste Monique Chemillier-Gendreau fustige l’absence de volonté politique des pays occidentaux et arabes de stopper Benyamin Nétanyahou dans sa spirale mortelle. Selon elle, Israël poursuit un objectif depuis sa création : rendre impossible un État palestinien.

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Grande spécialiste du droit international et de la théorie de l’État, la juriste française Monique Chemillier-Gendreau plaide régulièrement devant les juridictions internationales, à l’instar de la Cour internationale de justice (CIJ) de l’ONU à La Haye (Pays-Bas), où plusieurs procédures concernant Israël et la Palestine sont ouvertes.

En mai 2025, elle est intervenue au nom de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), la voix du monde musulman, en défense de l’Unrwa, l’agence onusienne pour les réfugié·es de Palestine, à laquelle Israël interdit d’opérer dans les Territoires palestiniens occupés.

En février 2024, elle a plaidé, toujours pour l’OCI, dans l’affaire de l’occupation de la Palestine qui a abouti à une décision historique de la CIJ le 19 juillet 2024 : Israël doit cesser toute activité de colonisation en territoire palestinien et restituer à ses habitant·es leurs terres et biens confisqués depuis 1967.

Dans un entretien à Mediapart, Monique Chemillier-Gendreau revient sur son ouvrage récemment paru Rendre impossible un État palestinien. L’objectif d’Israël depuis sa création (Éditions Textuel, 2025), dans lequel elle démonte de manière implacable soixante-quinze ans de faux-semblants israéliens.

Elle voit dans l’impunité dont bénéficie le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou « la profonde complicité de l’Occident colonial » et appelle « à ne pas céder au découragement », à continuer à défendre le droit. « Une fois affirmé, il rentre dans les rapports de force et finit par les faire basculer, assure-t-elle. C’est ce qui s’est passé pour certaines guerres ou pour les luttes de libération nationale », au Vietnam, en Algérie ou encore au Portugal.

Quant à la sécurité d’Israël, elle passe par le respect des droits des Palestiniens, défend Monique Chemillier-Gendreau : « C’est en leur faisant comprendre cela que nous protégerons les Israéliens contre eux-mêmes. »

Mediapart : Comment expliquez-vous qu’après plus de vingt mois de guerre génocidaire à Gaza, Benyamin Nétanyahou bénéficie toujours d’une impunité au point d’attaquer l’Iran et de déstabiliser encore un peu plus la région ?

Monique Chemillier-Gendreau : Nous voyons bien avec les déclarations du président français Emmanuel Macron relatives à la guerre d’agression ouverte par Israël contre l’Iran, dépourvues de condamnation, que les pays occidentaux ne sont pas prêts à arrêter Israël. C’est la profonde complicité de l’Occident colonial qui se joue là.

Ces pays restent imbibés d’idéologie coloniale et de nostalgie de l’époque coloniale. C’est aux opinions publiques de tenter d’inverser cette tendance. Malheureusement, l’idéologie qui anime les dirigeants est partagée par une partie de ces opinions publiques.

Cela pose la question du traitement de la complicité des alliés d’Israël et des manquements à leurs obligations internationales. À quoi sert le droit s’il n’est pas respecté ?

Le droit a des effets différés. Il est important qu’il soit dit car une fois affirmé, il entre dans les rapports de force et finit par les faire basculer. C’est ce qui s’est passé pour certaines guerres ou pour les luttes de libération nationale.

Les rapports de force n’étaient pas en faveur des Vietnamiens dans la guerre que leur ont menée les USA. Comme ils n’étaient pas en faveur de l’Algérie lorsque la France a décidé de s’opposer aux indépendantistes algériens par la force. Ils n’étaient pas en faveur des colonisés du Portugal lorsque ce pays s’est obstiné, par des guerres coloniales meurtrières, à empêcher l’accession à l’indépendance de ce qu’il considérait comme « ses provinces d’outre-mer ».

Et pourtant, tous ces dominés ont gagné. Ni la supériorité militaire, ni les moyens financiers, ni les alliés des États dominateurs ici cités ne leur ont permis de triompher. C’est que le droit s’était immiscé dans l’affaire. Et que chez le plus fort lui-même, la perception du droit, c’est-à-dire la conviction peu à peu intégrée que l’action menée l’était sur des bases illégales, l’a conduit à la défaite.

Ce qui protège les humains, ce sont les droits proclamés et universellement respectés.

La détermination des peuples en lutte a été essentielle. Mais le fait que, du côté de l’oppresseur, l’opinion publique a basculé n’a pas été négligeable. La guerre du Vietnam a été gagnée par les Vietnamiens mais avec l’appui des intellectuels du monde entier dans le Tribunal Russell et des étudiants américains qui menaient la bataille – et à quel prix ! – dans les campus américains. Ils le faisaient avec la conviction que cette guerre était une guerre illégale.

Il en a été de même pour les guerres coloniales de la France ou du Portugal. Les rebelles sous oppression coloniale n’auraient pas gagné de la même manière si les droits des peuples à disposer d’eux-mêmes et à lutter contre le colonialisme par tous les moyens n’avaient pas été proclamés aux Nations unies.

Voilà pourquoi nous ne devons pas céder au découragement et continuer à proclamer ce qui est conforme au droit et ce qui ne l’est pas. L’effet différé viendra.

Vous aviez conclu votre plaidoirie en février 2024 dans l’affaire de l’occupation de la Palestine devant la Cour internationale de justice en appelant à « sauver les Israéliens contre eux-mêmes ». Qu’entendez-vous par là ?

Nous voyons bien avec cette guerre déclarée contre l’Iran que le gouvernement d’Israël est engagé dans une spirale mortelle, enivré qu’il est par sa réelle supériorité militaire et technologique. La population israélienne est prise dans ce délire.

Cette population a été à juste titre traumatisée par les attentats du 7-Octobre. Mais elle n’avait pas les moyens de replacer ces attentats dans leur contexte car Israël, État non démocratique, est basé non seulement sur la ségrégation raciale et l’apartheid, mais aussi sur une information volontairement biaisée et historiquement fausse.

Et il y a eu aussi un choc idéologique pour cette population qui est le suivant : toute l’idéologie sioniste était basée sur deux idées fausses : celle qu’il y avait au Proche-Orient une terre disponible pour accueillir les juifs qui décidaient après deux mille ans de diaspora de se regrouper dans un territoire ; et celle selon laquelle les risques de persécution auxquels ils avaient été exposés pendant des siècles cesseraient avec leur regroupement sur une terre leur appartenant en propre et qu’ils seraient ainsi protégés.

Israël s’est employé […] à ce qu’à aucun moment, les éléments de base d’un État [palestinien] ne soient rendus possibles.

Ces deux idées ont volé en éclats. En dépit de l’accélération que la politique d’Israël donne à sa volonté de chasser les Palestiniens, de les expulser, de les parquer, ils sont toujours là et les autres pays refusent toute solution de les accueillir. Donc, non, cette terre n’est pas libre. Elle est occupée par un peuple qui y détient des droits et qui n’y renoncera pas.

Quant à l’idée qu’un coin de terre à eux protégerait les juifs contre les persécutions et massacres dont ils ont été si souvent victimes dans leur histoire, elle est aussi totalement fausse, et les massacres du 7-Octobre l’ont démontré.

En dépit de sa supériorité militaire, technologique et en renseignement, Israël a été surpris en état de faiblesse. La leçon est rude. Il faudra encore du temps pour que les Israéliens comprennent que ce n’est pas un coin de terre qui protège.

Ce qui protège les humains, ce sont les droits proclamés et universellement respectés. Israël veut sa sécurité ? Qu’à cela ne tienne. Il l’aura lorsqu’il aura respecté les droits des Palestiniens. C’est en leur faisant comprendre cela que nous protégerons les Israéliens contre eux-mêmes. Ils doivent sortir de leur narcissisme et apprendre la réciprocité. C’est cette valeur qui leur manque cruellement et qui les rend aveugles.

À l’aune du génocide à Gaza, de l’accélération de la colonisation en Cisjordanie occupée mais aussi à Jérusalem-Est depuis octobre 2023, un État palestinien est-il encore possible ?

Mon travail a consisté à montrer comment, depuis la création d’Israël en 1948 et même depuis l’émergence du mouvement sioniste à la fin du XIXe siècle, les tenants de ce mouvement n’ont jamais envisagé la possibilité d’un État palestinien aux côtés de l’État juif dont ils voulaient la création.

Les cartes publiées par le mouvement sioniste en témoignent : elles montrent que les intentions vont bien au-delà de ce qui sera après la Première Guerre mondiale la Palestine mandataire. Elles sont en effet la preuve de prétentions qui englobent une partie de l’Égypte, de la Jordanie, de la Syrie, du Liban.

Ces prétentions ont été mises en sourdine pendant longtemps, Israël sachant que les Nations unies à l’époque de leur création, et alors qu’elles représentaient la défense de principes juridiques forts, n’admettraient pas de telles prétentions. Mais le climat international a changé et s’est beaucoup dégradé.

Les Nations unies et notamment son Conseil de sécurité, organe décisionnel en charge du maintien de la paix, n’ont plus d’autorité, étant condamnés à l’inaction devant les conflits en cours, comme cela est démontré par l’usage du veto américain lorsqu’il est question de la Palestine ou du veto russe lorsqu’il est question de l’Ukraine.

Israël s’était pourtant engagé solennellement, lors de son admission aux Nations unies, à respecter la Charte et toutes les résolutions de cette organisation…

À peine cette promesse a-t-elle été faite qu’elle a été reniée. Il faut se souvenir qu’en 1949, immédiatement après que les Juifs de Palestine eurent proclamé leur État en s’appuyant sur la résolution 181 de l’Assemblée générale qui recommandait un plan de partage en deux États, Israël a remis en cause le territoire qui lui était alloué par la communauté internationale et a conquis par la force, à l’occasion de la guerre israélo-arabe de 1948-49, un tiers du territoire qui revenait à un État arabe selon la recommandation de partage.

Il a fait alors de Jérusalem-Ouest – qui ne lui était pas dévolue par le plan de l’ONU – sa capitale. Puis, à l’occasion de la guerre des Six-Jours, Israël a occupé le reste de toute la Palestine. Mais l’occupation militaire était présentée comme une situation transitoire en attente de la paix.

Lorsque celle-ci a été entrevue avec la reconnaissance d’Israël par la Palestine au moment de sa proclamation comme État en 1988 et surtout avec le processus d’Oslo à partir de 1993, Israël a pipé les négociations en feignant de négocier la création d’un État palestinien, tout en entravant les négociations à toutes les étapes par son obstination à refuser toute avancée sur les points essentiels : le retour des réfugiés, la reconnaissance de Jérusalem comme capitale de la Palestine, l’arrêt de la colonisation et le retrait des colons déjà implantés illégalement.

Le processus d’Oslo, qui promettait d’aller vers un État de Palestine, n’était-il qu’une illusion ?

C’est ce que je démontre dans ce travail. Israël s’est employé très minutieusement et systématiquement à ce qu’à aucun moment, les éléments de base d’un État ne soient rendus possibles au profit des Palestiniens. Leur territoire a été spolié par les conquêtes de 1948, puis mité par la colonisation d’abord rampante, ensuite forcenée ; leur population est interdite de se regrouper ; l’Autorité palestinienne reconnue par les accords d’Oslo est une administration sans aucun pouvoir d’État et enfin Jérusalem leur est refusée comme capitale.

Il faut noter aussi que, dans toutes les négociations, il a été admis comme allant de soi que la Palestine en devenir serait un État « démilitarisé ». Cette concession centrale à la volonté israélienne de demeurer en position de force est emblématique du fait que le dossier n’est pas traité sur la base du principe – central dans la Charte des Nations unies – de l’égalité de droit des peuples.

Pourquoi la communauté internationale s’acharne-t-elle alors à parler de quelque chose qui est rendu impossible par Israël ?

Mais tout simplement parce que cela relève du droit. Le droit des Palestiniens à disposer d’eux-mêmes selon les principes cardinaux des Nations unies. La communauté internationale doit encore faire semblant d’être du côté du droit.

Les pays occidentaux alliés d’Israël doivent se livrer à ce faux-semblant car la grande masse des pays du Sud, issus de luttes de libération nationale, n’est pas prête à immoler ses principes. Donc on est dans la communication, on fait comme si on voulait encore la réalisation de la solution à deux États…

Alors, est-ce qu’un État palestinien est encore possible ? La réponse serait oui, s’il y avait de la part des pays influents une volonté politique. Il faudrait que cette volonté politique engendre des mécanismes de sanctions dirigées de manière efficace contre Israël.

Les pays occidentaux peuvent priver Israël d’armes, ou de composants de matériel militaire. Ils peuvent rompre les relations de coopération économique. Les pays arabes peuvent utiliser l’arme du pétrole. Ces différentes mesures seraient de nature à faire plier Israël. Mais il n’y a de volonté politique ni des uns ni des autres.

Quelle est la solution si celle à deux États est rendue impossible par Israël ?

La solution est donc dans des sanctions coordonnées et bien ciblées contre Israël. Car, pour l’instant, les Palestiniens, dont nous devons respecter le droit à disposer d’eux-mêmes, ne se sont pas prononcés pour une autre solution, celle-ci étant celle d’un État binational.

Il est vrai que la représentation politique des Palestiniens est divisée et défaillante. Cela va nécessairement changer, mais pas avant que ne s’arrête la guerre génocidaire menée contre Gaza.

Rachida El Azzouzi


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