En pleine cuisson sous un dôme de chaleur... la transition énergétique est un leurre politique

lundi 7 juillet 2025.
 

La fournaise ramollit les neurones, inhibe les fonctions cognitives. Alors qu’il fait 40°C à l’ombre, il n’est pas sûr qu’on soit en mesure de réfléchir à notre situation, celle de volatiles écervelés enfermés dans un four et incapables de couper le gaz.

https://blogs.mediapart.fr/yves-gui...[QUOTIDIENNE]-quotidienne-20250630-194730&M_BT=1489664863989

Il y a bien les climato-sceptiques, qui reprennent du poil de la bête, et qui affirment que tout ça n’est que caprice solaire et qu’avec une bonne clim’ et un cocktail bien glacé, on peut continuer se gaver de pétrole. En septembre 2020, l’homme orange, prenant ses interlocuteurs pour des imbéciles, affirmait : « Ça va se refroidir et je pense que la science ne le sait pas encore »,1 alors que la Californie se consumait dramatiquement. Aussi efficace qu’une rasade de javel pour soigner le Covid-19.

Cinq ans plus tard, tout juste réélu et sur des charbons ardents, Trump reprend un slogan des néoconservateurs républicains de 2008 et enjoint l’Amérique, pays le plus émetteur de gaz à effet de serre, à enfoncer le champignon : « Drill, baby, drill ! » (fore, chéri, fore !).2 Le mur du changement climatique est là et le monde capitaliste fonce dessus au lieu de se mettre debout sur la pédale de frein. Non seulement nous allons percuter le mur, mais il va nous tomber dessus.

Et il y a ceux qui, plus par intérêt politique et/ou financier que par conviction, nous font miroiter une transition énergétique salvatrice, dans laquelle les énergies « propres » remplaceront d’ici 2050 (c’est demain !) pétrole, charbon et gaz. Même en y ajoutant le nucléaire (un autre débat quant à sa « propreté »), force est de constater que les énergies décarbonées, quelle qu’en soit la rapidité de déploiement, ne remplacent pas les énergies carbonées : elles s’y ajoutent pour alimenter l’appétit d’ogre de la société de consommation.

Les énergies renouvelables connaissent une croissance très importante, mais la consommation d’énergies fossiles continue d’augmenter et ses partisans, comme Trump et les majors pétrolières, salivent devant les réserves encore exploitables.

It’s just business, après nous la catastrophe.

J’ai déjà écrit dans de précédents billets sur la similitude entre notre société thermo-capitaliste et un système thermodynamique, démontrée magistralement par le regretté François Roddier, astrophysicien de renommée mondiale et spécialiste de la thermodynamique.3

Un objet physique universel régit par des lois tout aussi universelles : tant qu’il y a de l’énergie pour alimenter le moteur, le thermo-capitalisme continuera d’optimiser sa consommation, qu’elle soit carbonée ou renouvelable. L’intelligence et la rationalité supposées d’homo modernus ne changent rien à cette règle physique et universelle. Il y a perdu son instinct primal de survie, mais reste persuadé que sa technicité le sauvera de son inconséquence. Aussi efficace que de croire que Dieu ou Allah nous sauvera au repêchage.

Alors pourquoi se faire des nœuds au cerveau, les ingénieurs et leur intelligence artificielle sont là pour ça et Musk arrivera bien à faire décoller sa méga fusée pour Mars sans qu’elle explose et emmener les plus riches, donc forcément les meilleurs, d’entre nous vers les paradis martiens.

À partir du rapport Meadows (1972)4 puis de la naissance du GIEC (1988)5, il y a bien eu quelques timides avancées dans la prise de conscience de la société capitaliste mondiale. Mais les travers, et surtout les bénéfices, persistent et reprennent le dessus. Et ce qu’on peut observer ces derniers temps, c’est que les plus gros consommateurs d’énergies fossiles (essentiellement les pays occidentaux) enclenchent la marche arrière en ce qui concerne les mesures de décarbonation (transports, industrie, agriculture…) avec plus ou moins d’hypocrisie.

Si Trump affiche bruyamment ses oukases à coups de décrets royaux paraphés avec de gros feutres indélébiles, Macron et ses gouvernements successifs détricotent, avec des airs de ne pas y toucher, les mesures en faveur de l’amorce d’un début de commencement à un prélude à une transition énergétique et écologique du pays. Pas moins de 47 reculs signalés ces derniers six mois, glissés dans des amendements, noyés dans des textes de loi abscons ou présentés dans une réalité virtuelle de greenwashing, de la croissance verte aux mesures de compensation.6

Comprenez, les exploitants de la FNSEA et de la Coordination rurale, les maires bâtisseurs, les automobilistes, les champions du béton à la française et le roi du pétrole, TotalEnergies… autant de catégories dont le politicien, surtout s’il est de droite, ne peut ignorer la détresse.

La transition est un leurre politique

La transition énergétique est un leurre politique, un slogan qui vise à rassurer les peuples, employé par des politiques qui veulent s’afficher proactifs dans la sauvegarde… de leur crédibilité et de leur siège. Mais cette transition est impossible dans les délais proposés par le Giec, donc pour limiter les dégâts et éviter les effondrements en série.

C’est un scientifique, expert mondial de l’énergie, qui le dit dans un petit livre paru en avril dernier, 2050. Pourquoi un monde sans carbone est presque impossible.7 Vaclav Smil est « l’homme qui a discrètement façonné la façon dont le monde pense l’énergie », selon la revue scientifique « Science »,8 ou encore un « tueur de conneries », selon David W. Keith, professeur de physique appliquée et de politique publique à Harvard.9

Il raisonne et démontre avec une logique implacable, sur des faits et chiffres accessibles de tous ‒ pour peu que l’on fasse l’effort de s’informer ‒ qu’une décarbonation de la société pour atteindre une neutralité carbone en 2050 est inatteignable dans ce délai ‒ pour peu, là aussi, qu’on en ait la volonté. Vaclav Smil commence par faire le bilan de près de trente ans de transition sur les bases du protocole de Kyoto, des rapports de plus en plus alarmistes du Giec et de l’Accord de Paris qui fixait la limite à ne pas dépasser, c’est-à-dire la fameuse limite des 1,5°C que l’on vient de franchir allègrement en 2024.

Une limite qui n’est pas une rupture, mais qui diminue de plus en plus rapidement nos chances de limiter les catastrophes qui s’enchaînent à une cadence de plus en plus soutenue.

Face à ce constat, que fait-on ? Que fait l’humanité pour sa sauvegarde ?

Pendant que les riches se réfugient sur leurs super yachts, que les bourgeois se ruent sur les climatiseurs et exhibent leur piscine, dans les HLM ou les pays du Sud, on s’éponge et on crève de chaud en silence. Pour l’instant, la machine du capitalisme marchand ne s’est pas encore grippée. Mieux, elle profite de ce nouveau marché de la transition énergétique et du greenwashing afférent pour faire feu de tout bois.

Résultat, à mi-parcours de la grande transition salvatrice annoncée lors des COP, « la [part de] consommation mondiale d’énergie primaire [carbonée] est passée de 86 % en 1997 à environ 82 % en 2022 »,10 note Vaclav Smil. Avec la croissance de la production et de la consommation, « le résultat est que, en 2023, la dépendance absolue à l’égard du carbone fossile a augmenté de 54 % au niveau mondial depuis la signature du protocole de Kyoto (1997) ».11 Et de faire ce constat : « La conclusion est sans appel : en 2023, après un quart de siècle de transition énergétique ciblée, il n’y a pas eu de décarbonation de l’approvisionnement énergétique à l’échelle mondiale en chiffres absolus. » 12

Les énergies s’additionnent mais ne se substituent pas

Les énergies dites renouvelables (solaire, éolien, hydraulique), malgré un développement intensif depuis vingt ans, additionnées du nucléaire, ne représentent encore que 18 % de la consommation mondiale d’énergie primaire. Les gains d’efficacité sont aussi immédiatement absorbés par la croissance organique du système capitaliste et les effets rebond qui veulent que, quand on a une bagnole qui consomme moins, eh bien on roule plus loin et plus longtemps. On annule le gain écologique mais on en a plus pour son argent et c’est bien là le principal dans une société de consommation.

Dans l’histoire humaine de l’utilisation de l’énergie, toutes les ressources qui se sont succédé, bois, hydraulique, charbon, pétrole, nucléaire, énergies renouvelables, sont venues s’ajouter aux précédentes, sans jamais les remplacer à l’échelle mondiale.13

Et la technique des startups, malgré de grandes campagnes de com’ et d’appels de fonds à coups de milliards, est loin d’être en mesure de nous sauver la mise. Le nucléaire, cher à Macron, mais minoritaire dans le monde en raison notamment de ses coûts et des risques d’accidents et de dispersion des matières fissiles, ne sera pas d’un grand secours. Les EPR de nouvelle génération ont connu et connaissent encore des vicissitudes quant à leur conception et les petits réacteurs modulaires sont dans les labos depuis des années sans horizon de court terme pour leur commercialisation.14

Pour les autres pistes, la fusion nucléaire, la géothermie, l’hydrogène vert, bleu, blanc etc, le stockage électrique, tout cela à grande échelle, autant de belles idées qui sont encore dans les limbes, les labos ou les rêves d’ingénieurs habités. « Dans un contexte où la demande d’électricité devrait croître de 3,3 % par an d’ici 2050, la seule production d’hydrogène vert consommerait presque toute l’électricité d’origine renouvelable »,15 calcule Vaclav Smil et se désole : « L’anticipation des progrès énergétiques […] ont une tendance indéniable à l’optimisme excessif. »

La transition, ce sera aussi (c’est déjà) un immense besoin en matières premières. Il faut par exemple 30 t de matières par mégawatt (t/MW) pour une turbine à gaz contre 500 t/MW pour les plus grandes éoliennes. Ces besoins massifs en matériaux ne posent pas seulement des problèmes techniques et financiers, ils ont aussi des implications environnementales et géopolitiques.16 La Chine produit ainsi 85 % des terres rares légères purifiées utilisées au niveau mondial, et 100 % des terres rares lourdes. Ce qui rend fou Donald et met l’ensemble de la transition dans les mains d’une dictature qui n’a pas envie que le monde capitaliste cesse de faire tourner ses usines.17 La pénurie organisée guette.

Innovations gadgets et facture astronomique

On devrait donc réduire de 82 % nos émissions d’ici 2050. Dans le cadre économique du capitalisme où tout a un prix qui doit être le plus élevé possible pour générer des bénéfices, les coûts de cette transition seront astronomiques. L’auteur estime que, pour respecter les délais, les pays riches devraient y consacrer 20 à 25 % de leur PIB chaque année.18 Imaginez un gouvernement démocratique présenter un tel budget sans provoquer un immense choc. Et reste la question de l’aide aux pays du Sud qui n’ont pas les moyens de se payer des EPR ou d’autres technologies « innovantes » dont le coût explose régulièrement en vol.

« Étant donné que le pic mondial des émissions de carbone n’a pas encore été atteint (elles n’en sont même pas à une phase de plateau) […] il ne faut pas s’attendre à ce que l’économie mondiale soit décarbonnée d’ici 2050. Cet objectif est peut-être souhaitable, mais il est irréaliste »,19 martèle Vaclav Smil, « seul un effondrement économique sans précédent pourrait entraîner de telles réductions au cours des six prochaines années. » 20 D’ailleurs, la seule courte baisse des émissions de gaz à effet de serre a été constatée lors de l’épidémie mondiale de Covid-19.

Bien sûr, on pourrait s’autoriser à allonger les délais de la transition, étaler la dette, donner du temps aux rats de laboratoire. Au risque d’arriver trop tard avant l’effondrement civilisationnel qui, lui, fera immanquablement baisser les émissions de gaz. Qu’on se rassure (ou pas), les motifs d’effondrements à venir sont nombreux. Il reste d’énormes quantités de pétrole et de charbon en sous-sol. Mais lorsque le coût d’extraction deviendra exorbitant pour le capitalisme et la société, avant que la relève de nos belles idées technologiques, avec les problèmes de ressources citées plus haut, soit là, c’est l’effondrement économique assuré.

Il y a aussi l’effondrement écologique qui va désormais plus vite que la musique techniciste. Enfin, l’effondrement prévisible des rendements agricoles (la stagnation est déjà là) est un non-dit politique et une fuite en avant de l’agriculture industrielle.

La sanction sera ferme et définitive

C’est une course contre la montre que l’on ne peut gagner avec les politiques, les moyens techniques et financiers actuels, encore plus avec la peur viscérale du monde occidental de perdre la moindre parcelle de confort de vie. Un contexte qui pourrait bien évoluer face à l’accumulation des catastrophes climatiques et écologiques, au désengagement progressif des compagnies d’assurances, aux baisses des marges de manœuvre des états, aussi protecteurs soient-ils.

Il n’est pas question ici d’être optimiste ou pessimiste, mais de constater les faits et les conséquences bien réelles qui en découlent. « Après plus de deux siècles, la première transition [vers les énergies carbonées] n’est pas encore achevée. » Même si on augmente l’efficacité de la transition d’ici 2050, « 85 % de la tâche reste à accomplir », poursuit Vaclav Smil.21

Si nous n’avons pas les moyens d’accomplir la transition énergétique avant de nous prendre le mur, il reste bien une solution, celle d’agir sur la demande d’énergie. Autrement dit d’adopter une décroissance radicale (les demi-mesures à la Macron, ça ne marche pas) et de remettre en cause les fondements de la croissance dévoreuse d’énergie, c’est-à-dire le capitalisme, la marchandisation outrancière, les inégalités. « Aucune loi naturelle ne nous empêche de réaliser les énormes investissements nécessaires […]. Mais nous pouvons aussi réduire délibérément notre consommation d’énergie en abaissant notre niveau de vie afin de faciliter la réduction de nos émissions de carbone fossile ».22

Un choix de société qui ne peut être accepté que dans le cadre d’une justice sociale. Une étude parue en mai dernier dans la revue scientifique « Nature Climate Change », établit sans surprise que les 10 % des personnes les plus riches de la planète sont responsables des deux tiers du réchauffement climatique depuis 1990. « Nous établissons un lien direct entre l’empreinte carbone des individus les plus riches et les impacts climatiques », assure sur France24,23 Sarah Schongart de l’université de Zurich, autrice principale de ce rapport. Et les membres de l’élite (1 % les plus riches) dépassent ce chiffre de manière exponentielle. Le mariage bling-bling de Bezos à Venise en est la plus écœurante illustration.

Le choix d’une décroissance et d’un changement de vie radical est difficile, mais un arrêt d’urgence maîtrisé vaut mieux qu’une chute libre sans parachute. « There is no alternative ! » auquel cas la sanction sera ferme et définitive. L’adaptation à une France à 4°C supplémentaires relève de la même illusion qu’une transition d’ici à 2050, c’est-à-dire demain. Imaginons ( ou plutôt cauchemardons) une France à +4°C alors que nous connaissons déjà de plus en plus couramment des températures à plus de 40°C à +1,5°C. Sans oublier les inondations, les grêlons gros comme des balles de tennis, le recul des côtes sous la hausse du niveau de l’océan.

« Tout objectif raté se traduit par des risques supplémentaires. […] On a besoin de courage parce qu’il faut faire autrement et ainsi renoncer à des projets qu’on avait imaginés il y a 30 ans. Il faut imaginer faire autrement. On n’a pas tous le même niveau de responsabilité dans le changement climatique. […] On ne s’adapte pas à un effondrement de la biodiversité, on meurt avec »,24 martèle avec une émotion à peine contenue, Christophe Cassou, climatologue et co-auteur du sixième rapport d’évaluation du Giec.

NOTES

1. Le Parisien, https://www.youtube.com/watch?v=QzB....

2. https://www.20minutes.fr/monde/etat....

3. François Roddier, Thermodynamique de l’évolution, un essai de thermo-bio-sociomogie, Parole éditions (2021).

4. Dennis Meadows, Donella Meadows, Jorgen Randers (traduction), Les limites à la croissance (dans un monde fini), éd. Rue de l’échiquier (2012), réédition actualisée pour les cinquante ans du premier rapport.

5. Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat ou GIEC

6. https://reseauactionclimat.org/stop....

7. Vaclav Smil, 2050. Pourquoi un monde sans carbone est presque impossible, éd. Arpa (2025).

8. https://www.science.org/content/art....

9. Il est aussi le fondateur et directeur exécutif de la société Carbon Engineering Carbon Engineering.

10. Vaclav Smil, 2050. Pourquoi un monde sans carbone est presque impossible, p. 38.

11. Ibid. p. 67.

12. Ibid. p. 39.

13. https://www.carbone4.com/analyse-fa....

14. Vaclav Smil., p. 46.

15. Ibid. p. 50.

16. Ibid. p. 54.

17. https://www.polytechnique-insights....


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