Socialisme, démocratie, bureaucratie et fronts de classe

mardi 8 juillet 2025.
 

Résumé : L’auteur examine ici trois des dilemmes auxquels ont été confrontés les mouvements ouvriers, des autres classes subalternes et socialistes, au fil de leur tentative de transformer la société au cours des deux derniers siècles : le lien entre les formes de propriété et la démocratie, la bureaucratie et les formes de « grande coalition » visant à la fois à unifier la classe travailleuse au sens large et à former des alliances avec des mouvements de propriétaires indépendants ou à l’appartenance de classe mal définie.

L’article est tiré d’une contribution au séminaire de Bergen “200 ans de socialisme : retour sur des dilemmes anciens”, conférence annuelle du GRIP 2023, présentée après révision des commentaires préparatoires

Les exemples sont tirés de divers pays (France, Italie, Grande-Bretagne, États-Unis, Brésil, Corée) et de discussions programmatiques internationales. Les socialistes, notamment les marxistes, partageaient l’objectif républicain radical d’une véritable démocratie d’égaux, mais divergeaient sur l’étendue de la propriété collective (étatique, locale, coopérative) nécessaire dans l’économie et sur la définition des biens personnels privés assurant la dignité et l’indépendance de l’individu. L’émergence puis le recul des États capitalistes dotés de services sociaux (« États providence » ou « États sociaux ») ont compliqué la question. Ces mouvements ont également été confrontés à un grand nombre de problèmes nouveaux, tels que la croissance du nombre d’experts et/ou de bureaucrates dont il a fallu limiter les privilèges et la transformation en une élite jouissant d’avantages de caste. Enfin, l’auteur traite des alliances avec des forces sociales plus larges qui englobent les intérêts de la classe ouvrière et des autres classes, ainsi que de la façon de prendre en compte les idéologies qui transcendent les classes, comme le nationalisme, le féminisme, l’écologie et les mouvements de contestation fiscale. [1]

Trois des nombreux dilemmes et débats anciens qui peuvent servir à élaborer de nouvelles réponses à la crise actuelle des mouvements de travailleurs subalternes sont examinés ici : la relation entre socialisme et démocratie, les conséquences de la bureaucratisation et le phénomène des « organisations faîtières ».

Socialisme et démocratie : bifurcations et fusions

Au cours des deux derniers siècles et demi, la résistance multiforme des travailleurs dominés au capitalisme a accompagné et contribué puissamment au développement d’un vaste mouvement démocratique qui prônait le suffrage universel, le secret du vote, l’égalité des femmes, l’éducation pour tous et toutes, la liberté d’expression, la liberté de la presse, la liberté de réunion, la règle de la majorité et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes[3]. Mais même les démocrates les plus radicaux, ceux qui étaient prêts à interdire l’héritage, à fournir des services publics étendus et à suspendre les droits de propriété lors de situations d’urgence, défendaient avec acharnement la propriété privée et le droit du propriétaire d’étendre ses possessions, considérés comme essentiels à la dignité, à la libre pensée et à la liberté de l’individu. Les socialistes étaient généralement d’accord avec la première série de revendications, mais s’interrogeaient sur la dynamique sociale de la seconde, centrée sur la propriété privée. La plupart d’entre eux ne s’opposaient pas à la propriété privée des biens dits personnels, à condition qu’elle reste marginale dans l’ensemble de la société, mais ils avertissaient que seule l’abolition de la production marchande en tant que système dominant, c’est-à-dire l’élimination de l’achat et de la vente continus et à grande échelle de biens privés, caractéristiques de la société capitaliste, pouvait mettre fin à l’aliénation et permettre une véritable liberté individuelle. En conséquence, ils minimisaient parfois l’importance des luttes pour une république démocratique, préférant se concentrer sur les questions qui mettaient directement les travailleurs en opposition avec le capitalisme. Les organisations plus larges de travailleurs subalternes, bien qu’elles ne saisissent pas toujours toutes les implications philosophiques de leurs choix, avaient tendance à naviguer entre les actions économiques contre leurs exploiteurs capitalistes et les luttes pour mettre fin aux différentes formes d’oppression dans la société dans son ensemble.

Voyons quelques exemples de basculements entre ces deux pôles, ainsi que les tentatives de synthèse qui se sont succédé au cours des 250 dernières années.

Années 1750-1830

Avant la première division internationale du travail, au cours du XVIIIe et au début du XIXe siècle, démocrates et socialistes prenaient pour cible les propriétaires de grands domaines fonciers, souvent héréditaires, l’aristocratie et la tyrannie, ennemis les plus puissants des travailleurs subalternes de l’époque, et se distinguaient uniquement dans leur conception des nouvelles conditions susceptibles de remédier à ces maux. Les observateurs différenciaient les deux écoles de pensée selon qu’elles mettaient davantage l’accent sur la démocratie ou sur la propriété communautaire. Ainsi, l’abbé Jean Meslier, connu pour ses penchants communalistes et considéré comme un socialiste, exhortait les villageois à mettre toutes les richesses en commun, mais accordait moins d’importance à la suppression de la monarchie[4]. En revanche, Jean-Jacques Rousseau, identifié plus tard comme un promoteur de la démocratie républicaine, s’est penché beaucoup plus longuement sur les mécanismes de constitution de la volonté collective du peuple. Lorsqu’il s’est intéressé aux modalités d’organisation de la richesse globale de la société, il a estimé qu’elle devait être fondée sur le bien commun et s’est donc orienté vers le partage d’une grande partie des ressources existantes en petites parcelles, attribuées à chaque individu en pleine propriété. Les lecteurs ont souvent résumé son idéal politique à une communauté de petits propriétaires égaux, chacun ayant une voix égale dans une nation suffisamment petite pour que chaque citoyen puisse être entendu. Il exhortait les futurs habitants de cette république égalitaire à pratiquer la sobriété, à éviter le luxe et à centrer leur intérêt sur les affaires publiques[5].

À l’époque de la Révolution française, et donc avant l’industrialisation à grande échelle, on entendait généralement par « socialisme » les idées favorables à la propriété commune des richesses et à l’égalité de l’accès à celles-ci pour tous les membres de la société, en combinaison avec des digressions moins explicites sur la nécessité d’un gouvernement républicain démocratique, l’expression « démocratie radicale » étant appliquée aux arguments faisant valoir que l’État (expression de la volonté commune) devait garantir la propriété privée individuelle et intervenir pour empêcher marchands, banquiers et industriels de réaliser des profits excessifs, garantir la libre circulation et le crédit et atténuer les effets des flambées de pauvreté.

Ce n’est que dans de petits cercles ou lors de brefs épisodes révolutionnaires que des divergences telles que la possibilité ou non de porter atteinte aux droits de propriété individuels en cas de famine ont été pleinement débattues. Le souverain (qu’il s’agisse du roi de Naples ou de la République de Venise), en contrepartie de son droit d’exercer le pouvoir, avait-il le devoir de garantir les moyens de subsistance de ses sujets en cas de famine ou de disette, et de confisquer aux propriétaires légitimes des entrepôts de céréales une partie ou la totalité de leurs biens pour nourrir les masses affamées ? Plusieurs physiocrates, notamment l’abbé Roubaud, s’opposèrent à ce type d’intervention et exigèrent que l’État respecte la propriété des marchands et laisse le marché fonctionner librement, un argument qualifié de « révocation du droit à la subsistance » par un auteur impliqué dans cette controverse[6]. À l’opposé, Ferdinando Galiani affirmait que le souverain avait le droit et le devoir de saisir les céréales des riches marchands afin de les redistribuer. Son argumentation était fondée sur le respect des coutumes et la philosophie humaniste. Bien que Galiani ait été plus ou moins oublié, son point de vue a été pour une courte période inscrit dans la loi pendant la Révolution française, sous la pression de démocrates radicaux tels que les Enragés, dans l’article 21 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793, qui stipulait : « Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler[7]. » Ce droit constitutionnel fut ensuite suspendu et abrogé par les Thermidoriens. Mais il continua d’être défendu entre 1794 et les années 1820 par des mouvements tels que la Conspiration des Égaux de Gracchus Babeuf, les Carbonari autour de dirigeants comme Buonarroti et les Jacobins anglais comme Thomas Spence. Plusieurs courants du radicalisme populaire français du début du XIXe siècle, généralement organisés en clubs de discussion et d’action politique plutôt qu’en syndicats ou coopératives, sont issus de cette tradition.

Années 1840-1950

Dans les années 1840, la croissante accumulation du capital et les actes de répression exercés par les États parlementaires ou républicains à l’encontre des travailleurs ont contribué à clarifier la distinction entre « socialistes » ou « communistes » et « démocrates radicaux ». La possibilité que le petit capital « durement gagné » et détenu individuellement puisse se transformer en une fortune commerciale et industrielle à grande échelle était désormais une évidence. En Grande-Bretagne, le mouvement chartiste avait été réprimé et affaibli par une série de concessions qui avaient progressivement étendu le droit de vote. En France, la répression sanglante des manifestations ouvrières de juin 1848 avait été orchestrée par la Deuxième République, pourtant relativement démocratique. C’est dans ce contexte que les travailleurs subalternes en vinrent à discuter et parfois à soutenir la tentative de Karl Marx de synthétiser les aspirations démocratiques radicales des républicains et les luttes des travailleurs contre le capitalisme[8]. Pendant les périodes où Marx était allié aux démocrates radicaux, il mettait l’accent sur leurs objectifs et leurs actions communs (soutien à l’autodétermination de l’Irlande, à l’abolition de l’esclavage aux États-Unis, au suffrage des femmes, au système électoral de la Commune de Paris). En période de concurrence, il insistait sur la nécessité de la propriété collective des moyens de production. Ses disciples et d’autres socialistes aimaient alors invoquer les mouvements contestataires plus anciens, tels que ceux de Thomas Müntzer et Thomas More (XVIe siècle), des Levellers et des Diggers de la révolution anglaise (XVIIe siècle), ou encore des penseurs utopistes des Lumières (XVIIIe siècle) comme Thomas Spence et Morelly[9]. Les propositions récurrentes de mise en commun de toutes les richesses montraient que l’objectif socialiste n’était pas le rêve d’un brillant théoricien, mais qu’il avait fait surface à plusieurs reprises sur la scène historique, des profondeurs mêmes de la société.

Entre les années 1880 et 1917, des partis sociaux-démocrates et socialistes, des confédérations syndicales et de vastes organisations anarchistes ont été fondés, se sont développés et ont organisé de grandes grèves et manifestations, principalement en Europe et en Amérique du Nord, sur la base de cette synthèse du socialisme et de la démocratie. Il y avait bien sûr des dissidents à droite et à gauche : de nombreuses organisations de travailleurs subalternes continuaient à suivre les libéraux et les radicaux tandis que d’autres se moquaient des efforts visant à obtenir un mode de scrutin plus large pour faire élire des représentants ouvriers, et adhéraient aux courants les plus anti-parlementaires de l’anarchisme.

Deux bifurcations se produisirent au lendemain de la révolution russe. La première consistait en un rejet par les socialistes modérés des mesures coercitives provisoires prises par le gouvernement soviétique contre la résistance organisée du régime tsariste et des Alliés. En condamnant ces mesures, les critiques ne faisaient que réitérer les accusations que leurs précurseurs avaient portées contre la Commune de Paris lorsqu’elle avait affronté l’assaut des armées de Versailles en 1871. Ce premier schisme ne recouvrait pas exactement l’ancienne ligne de démarcation entre démocrates radicaux et socialistes, car certains démocrates radicaux reconnaissaient dans les événements russes l’émergence inévitable de la violence contre-révolutionnaire et de l’autodéfense révolutionnaire qui avaient caractérisé la Révolution française, à laquelle ils restaient attachés, tandis que, d’autre part, quelques socialistes animés d’une forte vision utopique et souvent pacifiste ne pouvaient concilier ces mesures d’urgence avec leur perspective idéaliste.

La deuxième bifurcation est plus récente et s’est développée plus tard, lorsque le gouvernement soviétique a commencé à réprimer toutes les formes de contestation dans la société dans son ensemble, les soviets et le parti. Lorsqu’il est devenu évident que ce gouvernement, qui se réclamait encore du socialisme devant l’opinion publique mondiale, avait en fait remplacé l’objectif de créer une véritable démocratie égalitaire par la consolidation d’une nouvelle élite en Union soviétique, de nombreux socialistes ont protesté et dénoncé le fait que les partis communistes recevaient leurs ordres de Moscou. Des écarts analogues sur la question des normes démocratiques se produisirent après la Seconde Guerre mondiale lors d’autres changements de régime d’apparence anticapitaliste (en Europe de l’Est, en Yougoslavie, en Chine, etc.). L’un des moments forts de cette bifurcation fut la dénonciation des crimes de Staline par Nikita Khrouchtchev lors du 20e congrès du Parti communiste de l’Union soviétique en 1956. James P. Cannon, un socialiste révolutionnaire américain, réagit alors en affirmant que « le socialisme et la démocratie sont jumeaux »[10]. En raison de ses liens intrinsèques avec la démocratie, écrivait-il, le socialisme ne peut coexister avec la dictature stalinienne, un État à parti unique ou le culte de la personnalité.

Des années 1960 à aujourd’hui

La dernière manifestation du lien complexe entre socialisme et démocratie est apparue lorsque les États providence ou sociaux ont fait naître de nouvelles attentes en matière de contrôle démocratique des services publics et un nouveau désir d’étendre les biens collectifs.

À l’origine, les États sociaux sont nés de la convergence de deux groupes d’intérêts : d’une part, le besoin des grandes entreprises de disposer d’une main-d’œuvre régulière, éduquée et en bonne santé, ainsi que d’infrastructures importantes dépassant le cadre d’une seule entreprise ; d’autre part, l’aspiration des syndicats, des partis socialistes et travaillistes et des organisations d’aide (aux pauvres, aux personnes âgées, aux malades, etc.) à trouver un terrain d’entente avec les démocrates afin de satisfaire au moins certaines revendications des travailleurs subalternes, à défaut d’une socialisation des moyens de production, objectif qu’ils considéraient comme n’étant pas à l’ordre du jour, très lointains, voire inaccessibles. L’idée de démocratie était au cœur de la défense socialiste de l’État social : comment un individu pouvait-il être un citoyen éclairé et actif dans une démocratie s’il n’était pas libéré de l’ignorance, de la maladie, de la peur de la pauvreté lorsqu’il vieillirait et de l’arbitraire au travail, et s’il était dans l’incapacité d’intervenir sur son environnement ? Cette alliance autour de l’État social a donné lieu à la création et à la généralisation d’institutions telles que l’école laïque gratuite, les systèmes de retraite, les soins de santé pour toutes et tous, les transports publics, les réseaux d’eau, d’électricité et de gaz, le logement social, le droit des travailleurs à s’organiser et à s’exprimer sur leur lieu de travail. Au cours des quatre-vingts dernières années, les socialistes et les syndicalistes ont souvent été étroitement associés à ces avancées, et le socialisme est devenu fortement identifié à la défense et à l’extension de l’État social.

Mais ces systèmes sociaux nationaux comportaient des failles qui sont devenues plus visibles à mesure qu’ils desservaient un plus grand nombre de personnes et se développaient ; de nombreuses personnes (parfois des non-citoyen.ne.s) n’avaient pas droit à leurs prestations ou ne pouvaient pas les obtenir dans la pratique. L’administration des systèmes de sécurité sociale pouvait être corrompue et souffrir d’un manque de transparence et d’ouverture à la participation démocratique de ses usagers. Au cours de leurs quatre-vingts années d’existence, les efforts visant à coordonner ces systèmes entre pays voisins ou apparentés sont restés assez embryonnaires, et les propositions visant à étendre leurs garanties à l’échelle internationale, marginales. En outre, dans les pays où les progrès les plus importants ont été initialement réalisés, avec l’introduction d’éléments de démocratie sur les lieux de travail et dans d’autres domaines sociaux et économiques (autogestion, représentation des bénéficiaires, contrôle), la contre-offensive néolibérale, qui s’est traduite par une augmentation du chômage, de l’auto-entreprenariat et des emplois précaires, a considérablement sapé leur efficacité. L’une des techniques néolibérales de privatisation consistait à priver les services publics d’un financement adéquat, de sorte que leur capacité à fournir ce pour quoi ils avaient été conçus a décliné au point que les utilisateurs qui en avaient les moyens ont commencé à rechercher des compléments privés, voire à se tourner entièrement vers des services privés.

Mais les privatisations néolibérales ont souvent entraîné des dysfonctionnements qui ont suscité une réaction nostalgique. À mesure que de plus en plus de services et de biens étaient transformés en marchandises, le souvenir de l’époque où ils étaient accessibles gratuitement à toutes et tous a refait surface et a donné naissance à un ensemble de propositions alternatives : restaurer et étendre les services publics, trouver des formes de gestion plus démocratiques et plus efficaces, préserver les « communs » restants et les étendre à de nouveaux secteurs. La récente résurgence du concept de « communs » comprend de nombreuses variantes. Certains prennent les biens communs numériques, c’est-à-dire les logiciels libres et ouverts, comme modèle de ce qui peut être créé en dehors du marché et de l’État. D’autres soulignent que la propriété publique n’implique pas nécessairement la propriété de l’État : les municipalités, les régions et les coopératives peuvent également servir de cadre à la propriété collective. Quelques-uns partent de l’idée démocratique selon laquelle les personnes reliées par une activité commune devraient avoir le droit de contrôler cette activité, et appliquent ce principe à l’activité interconnectée plus large des êtres humains sur la planète Terre. Ils en tirent la conclusion que l’humanité devrait pouvoir décider quelle part de notre ressource commune, la Terre, devrait être allouée à l’usage individuel, aux projets collectifs ou au renouvellement de la ressource. Il y a là un lien sous-jacent avec l’idée des premiers démocrates radicaux selon laquelle l’État, en tant qu’émanation de la volonté collective du peuple, devrait assurer les transports, le crédit et d’autres services publics. Ces mouvements remettent en cause l’appropriation de vastes étendues de terre, de mer, de fonds marins et d’espace par des entreprises privées, établissant ainsi un lien entre les « communs » et le mouvement écologiste. Ainsi, la construction et la destruction partielle des États sociaux ont impliqué de manière irréversible des courants importants des mouvements socialistes, syndicaux et autres mouvements sociaux dans le mouvement d’extension de la démocratie au-delà de sa définition étroite et strictement politique (suffrage, assemblées représentatives).

Enfin, en ce qui concerne le lien entre socialisme et démocratie, il convient de noter qu’il existe des exemples d’organisation sociale sur une base démocratique en dehors de la tradition européenne ou occidentale, tels que diverses formes de démocratie tribale, d’assemblées municipales de type républicain ou de corporations dans le Moyen-Orient et l’Inde anciens et médiévaux, ou encore des formes d’égalité entre les hommes et les femmes dans les mouvements de protestation chinois. Les mouvements socialistes non européens ont parfois tenté de s’inspirer de ces expériences et traditions anciennes propres à leur région.

Notre rapide aperçu montre que les mouvements socialistes et démocratiques radicaux ont été étroitement liés de nombreuses façons pendant assez longtemps, se rapprochant parfois au point de fusionner dans des organisations communes, se divisant parfois lorsque les tensions autour de questions économiques ou de mesures autoritaires devenaient trop vives.

Bureaucratie

Après deux cents ans d’existence des syndicats, des partis politiques socialistes et ouvriers, des coopératives et autres associations œuvrant pour le changement social, et après au moins soixante-dix ans d’existence d’États importants se définissant comme « le socialisme réellement existant », un bilan du socialisme ne peut éluder la question de la bureaucratie dans les mouvements sociaux. À deux reprises, la reconnaissance de la tendance à la bureaucratisation et les propositions pour la combattre ont pu être considérées comme des points de bifurcation majeurs (1914-1921 pour les mouvements ouvriers, 1934-1939 pour le « socialisme réellement existant »). Une autre question plus récente mérite sans doute d’être abordée dans cette discussion, à savoir la relation entre les mouvements des travailleurs subalternes et les organisations non gouvernementales (ONG). Essayons de nous concentrer sur quelques points clés de l’analyse.

Les formes prises par les bureaucraties des partis et des syndicats ont été étudiées depuis longtemps. Bien qu’elles partagent certains aspects avec les bureaucraties des États bourgeois (nationaux, régionaux et locaux), des grands groupes industriels (IBM, par exemple) ainsi que des institutions religieuses, militaires et culturelles, il convient de les examiner séparément. Certaines des premières analyses systématiques ont porté sur le succès du parti social-démocrate allemand et des syndicats entre 1890 et 1914. Rosa Luxemburg et Robert Michels, par exemple, ont analysé l’émergence d’une « couche » de responsables de partis, de syndicats, de journaux et d’autres organisations de masse qui avaient intérêt à perpétuer un fonctionnement routinier dans lequel ils pouvaient jouer un rôle dirigeant, et qui craignaient les confrontations de masse susceptibles de compromettre leur position (même si les privilèges en jeu étaient minimes et symboliques)[11]. Plus tard, des événements tels que la guerre civile, le fascisme, l’occupation militaires ou les basculements autoritaires des classes dirigeantes ont montré que ces bureaucraties ouvrières étaient également mises en danger par leur passivité excessive et leur manque de préparation à la répression. D’où la double perspective de ces couches, prises entre la crainte d’être dépassées par les avancées révolutionnaires et celle d’être réprimées par les gouvernements de droite. Un bon exemple en est celui du syndicaliste allemand Theodor Leipart, dirigeant de l’ADGB, qui fut arrêté et torturé par les nazis après leur coup de force contre les syndicats le 2 mai 1933, et ce en dépit de sa politique conciliatrice.

Ayant diagnostiqué la tendance à la bureaucratisation, une aile anti-bureaucratique du mouvement a commencé à proposer des mesures visant à empêcher la cristallisation d’une telle couche : ouverture des perspectives à l’action de masse au-delà des structures du parti et des syndicats, autonomie locale, congrès internes réguliers et élections démocratiques, direction collégiale, libre discussion, droit de tendance et de fraction, organes démocratiquement élus chargés du contrôle des finances de l’organisation, systèmes de quotas, réseaux de militant.e.s de base, organisations de jeunesse séparées, formation politique systématique. De telles recommandations vinrent de l’intérieur comme de l’extérieur des partis sociaux-démocrates, renforçant les critiques anarchistes du socialisme parlementaire et donnant naissance à des courants tels que le conseillisme, le syndicalisme révolutionnaire et l’autonomisme. La grande division de 1914-1921 entre partisans et opposants à la guerre et à la révolution russe s’accompagna d’une révolte de la base contre les élus et les bureaucrates syndicaux conservateurs. Depuis lors, la conscience des dangers de la bureaucratisation et les propositions visant à minimiser ses effets sont restées une préoccupation de nombreuses tendances du mouvement des travailleurs subalternes.

Le deuxième aspect majeur de l’analyse des bureaucraties liées au mouvement socialiste est apparu lorsque Léon Trotsky et d’autres ont transposé les observations de Luxemburg sur les syndicats de masse à la couche qui dirigeait l’Union soviétique (décrite de diverses manières comme des experts, des hommes de l’appareil, une caste, une classe ou par d’autres termes)[12]. Cette approche a ensuite été étendue à l’analyse des États analogues issus d’insurrections populaires et/ou de liens militaires avec l’Union soviétique (Yougoslavie, Chine, Tchécoslovaquie, etc.), donnant lieu à des débats sur la caractérisation de « stalinisme » ou les évolutions de type stalinien. Les gouvernements de ces États non capitalistes ont souvent cherché le soutien d’organisations socialistes, syndicales, pacifistes ou tiers-mondistes dans le monde capitaliste afin de conforter leur idéologie, leur système et leurs atouts diplomatiques. Dans le même temps, ils étaient confrontés au mécontentement populaire et à des protestations contre leur pouvoir à l’intérieur du pays qu’ils gouvernaient. Les travailleurs subalternes en dehors de ces États étaient donc déchirés entre l’appel à défendre les régimes de ce « socialisme réel » contre les attaques impérialistes et leur sympathie pour les revendications des travailleurs subalternes en révolte contre ces régimes du « socialisme réel ». Les clivages les plus spectaculaires se sont produits lors de la révolution hongroise de 1956, du Printemps de Prague de 1968 et du mouvement Solidarnosc en Pologne en 1981. Les événements qui ont conduit à l’effondrement de l’URSS en 1991 ont montré que la majorité de ces élites bureaucratiques contestées ont cherché à convertir leurs diverses positions privilégiées de gestionnaires en parts d’entreprises publiques privatisées, ce qui a entraîné une croissance explosive des relations marchandes, la restauration complète du capitalisme et l’intégration au commerce mondial. Si l’attitude des travailleurs subalternes à l’égard de ces « États socialistes réellement existants » et de leurs élites est aujourd’hui devenue, dans une large mesure, une question d’ordre historique, les bifurcations qui se sont produites restent des plaies ouvertes, une source de désillusion et des sujets de discussion intense.

Un autre domaine auquel pourrait s’appliquer l’analyse de la bureaucratie des mouvements sociaux concerne le « troisième pilier »[13]. Le livre de Marcel van der Linden, Travailleurs du monde, essais pour une histoire mondiale du travail (2022) contient plusieurs chapitres sur les différentes formes de sociétés d’entraide et coopératives soulignant les dangers qui menacent ces réseaux : corruption, fraude, vol, exclusion de certaines catégories jugées indignes d’en être membres, administration bureaucratique. Il en va de même pour d’autres formes d’organisation qui ne sont ni des syndicats, ni des partis politiques, ni des coopératives, ni des sociétés d’entraide, mais des associations à thématique revendicative unique, des réseaux de défense des droits politiques et autres types de ligues qui promeuvent des idées particulières s’inscrivant dans le programme d’émancipation des travailleurs subalternes. Leur mode de fonctionnement bureaucratique a fait l’objet de moins d’études de la part des chercheurs d’inspiration socialiste que celui des syndicats et des partis politiques.

Parmi elles figurent des ONG d’envergure nationale et internationale. Les historiens des mouvements de la grande classe travailleuse subalterne doivent approfondir leur analyse du développement rapide de ces structures au cours des dernières décennies. Citons par exemple Amnesty International, Greenpeace, Oxfam, Médecins sans frontières et d’innombrables petites organisations émergentes. Avec l’affaiblissement des différents partis socialistes et le déclin des syndicats, de nombreux militants qui auraient autrement été les organisateurs de ces mouvements, sont devenus des activistes d’ONG. Les jeunes obtiennent des diplômes dans le but de faire carrière comme permanents dans des ONG. Les ONG ont généralement un fondateur qui est souvent le principal bailleur de fonds, des collecteurs de fonds et un personnel de permanents recrutés et rémunérés par le directeur administratif. De nombreuses ONG fonctionnent comme des entreprises autour de questions négligées par les mouvements ouvriers et socialistes (pauvreté, réfugiés, logement, climat, femmes, droits humains, discrimination, certification environnementale). Certaines se vantent de pratiquer une forme limitée de démocratie parmi leurs permanents, mais la décision finale revient généralement au fondateur-bailleur de fonds ou à un petit cercle autour de lui, et est simplement transmise au réseau sous forme d’instructions.

Les progrès récents des moyens de communication (Internet, réseaux sociaux, promotion numérique, formation en réseau) ont transformé les conditions de la prise de décision collective et du fonctionnement démocratique ; ils renforcent généralement le poids du centre et du bailleur de fonds au détriment des cadres intermédiaires et des militants organisés. Leur mode d’organisation, leurs domaines d’intervention spécifiques, leurs relations avec les pouvoirs publics et les banques, leurs moyens de communication et leurs arguments sur le manque d’efficacité ou la non-pertinence de l’organisation démocratique doivent être analysés plus en détail par les spécialistes de l’histoire sociale. Leur impact est important dans les ONG, mais aussi dans les nouveaux partis populistes.

En effet, entre le premier pilier que constituent les partis politiques et le « troisième pilier » diversifié, officiellement « apolitique » ou « non partisan », on trouve des formations électorales populistes organisées sur le modèle des ONG. Il s’agit d’organisations nationales qui assument ouvertement leurs objectifs de soutien à des candidats aux élections mais rejettent explicitement les structures démocratiques formelles et tout programme précis. Par exemple, un débat a lieu aujourd’hui en France autour du fonctionnement de l’organisation populiste de gauche « La France Insoumise » (LFI). LFI a passé par des phases d’engouement pour les structures « gazeuses », interrompues par de brefs intermèdes marqués par de timides gestes favorables à la démocratie interne. Dans l’ensemble, son fonctionnement ressemble à celui d’une ONG et génère un comportement bureaucratique similaire[14].

Enfin, dans la vaste constellation des groupes identifiés au mouvement socialiste et ouvrier qui affichent une tendance à la bureaucratisation, nous ne pouvons omettre de dresser le bilan des petites organisations socialistes assimilables à des partis qui sont devenues ou sont en train de devenir des sectes. Elles ont généralement un gourou (fondateur), un corpus de textes sacrés et une forme d’organisation centralisée exigeant une loyauté extrême de la part de leurs membres. Lorsque je suis arrivé aux États-Unis en 1965, j’ai été surpris de découvrir l’existence du Socialist Labor Party, fondé en 1890 par Daniel De Leon, dont l’identité était fondée sur la promotion du syndicalisme industriel. Le groupe lisait toujours les écrits de De Leon, figurait sur les bulletins de vote dans certains États, se réunissait régulièrement et était imperméable aux événements mondiaux tels que la révolution russe, la montée du mouvement des droits civiques afro-américains ou le mouvement contre la guerre du Vietnam. Plus généralement, certaines organisations d’origine maoïste, trotskiste, anarchiste ou stalinienne ont survécu aux événements mondiaux qui avaient justifié leur création et sont devenues des formations sectaires fossilisées. Certaines circonstances ont favorisé l’émergence d’une sorte de mini-bureaucratie au sein de ces groupes. La clandestinité et l’organisation militaire ont parfois facilité l’acceptation de ces caractéristiques. Leur existence doit également être prise en compte pour expliquer l’état actuel du mouvement ouvrier et socialiste.

Organisations faîtières, composantes et alliés

La dernière question abordée dans cet article touche à un problème auquel le mouvement des travailleurs subalternes a été confronté à maintes reprises : d’une part, comment développer des alliances avec d’autres classes et, d’autre part, comment construire des structures internes qui favorisent l’unité des différentes composantes au sein de ses propres rangs. Le terme « organisation faîtières », peu usité (ou des variantes telles que « fédération », « confédération », « grande tente », « maison commune » ou en anglais « parapluies ») peut s’appliquer aux deux types de regroupement.

Même si l’on adopte l’approche de Marcel van der Linden, qui élargit la définition de la classe ouvrière pour inclure de nombreux secteurs non salariés, il existe, parallèlement à ces travailleurs subalternes, d’autres classes sociales, dont certaines ont intérêt à lutter contre les atteintes à leur position économique et sociale causées par le développement capitaliste. La proportion de ces classes sociales indépendantes dans la population totale a varié au gré des fluctuations de l’économie. Mais il convient de noter que la tendance à la disparition de la petite bourgeoisie résultant de la prolétarisation (des paysans et des artisans par exemple) a été compensée par la création de nouvelles couches moyennes relativement indépendantes.

Les socialistes et les mouvements ouvriers ont longtemps proposé des alliances à certaines catégories de ces classes de petits possédants. Lorsqu’une grande partie de la population des pays occidentaux était composée de « paysans », c’est-à-dire de petits propriétaires indépendants, le mot d’ordre était « alliance ouvrière-paysanne » ou des variantes de ce thème. Les partis sociaux-démocrates, les partis ouvriers et, après 1920, les partis communistes faisaient campagne dans les villages ruraux avec un programme socialiste pour les agriculteurs afin de gagner leurs voix. À mesure que le nombre de ces paysans diminuait dans de nombreux pays, leur poids dans la société et sur la scène politique a été comblé par de nouveaux propriétaires-exploitants indépendants disposant de moyens de production relativement modestes (tels que des camions et autres matériels industriels, des bureaux et des plateformes de services, des magasins franchisés), parallèlement à la persistance et à l’évolution des classes moyennes professionnelles composées d’avocats, de médecins, de comptables, de consultants, d’opérateurs dans le domaine de la culture et des médias, et de cadres privés et publics percevant des salaires très élevés et/ou disposant de revenus indépendants qui leur permettaient de devenir des propriétaires-exploitants indépendants, ou d’être à la fois des professionnels indépendants et des associés dans de petites entreprises.

Au fil des ans, les mouvements socialistes et syndicaux ont été confrontés à des organisations et des mouvements qui regroupaient à la fois des membres de la classe des travailleurs subalternes et des membres de la classe moyenne des petits propriétaires, la frontière entre les deux classes étant souvent fluctuante, floue et imprécise. Ces mouvements pouvaient contester les conditions d’octroi des prêts bancaires, les politiques fiscales, l’exclusion des femmes du droit de vote ou de certaines professions, la lenteur de la construction d’écoles publiques, l’absence d’interdiction des substances toxiques, la course à la guerre ou les atteintes à l’environnement. Au sein de ces mouvements, des luttes pouvaient opposer des courants procapitalistes à des courants plus clairement prolétariens sur la formulation des revendications. Par exemple, certaines femmes de la classe ouvrière pouvaient se sentir plus proches des dirigeantes féministes bourgeoises, et à leur programme globalement procapitaliste, que des dirigeants syndicaux ouvriers qui ignoraient leurs besoins. La même constatation de convergence entre les classes peut être faite, pour un passé plus récent, à propos des mouvements qui se sont mobilisés autour de questions environnementales telles que la pollution radioactive et chimique. Donner plus de poids aux intérêts des travailleurs subalternes au sein de ces mouvements multiclasses était l’une des tâches de l’aile la plus éclairée du mouvement socialiste et ouvrier, et posait la question de l’unification des différentes composantes de la classe des travailleurs subalternes dans des structures faîtières larges.

Des tentatives de construction de structures faîtières tendant à unir tous les secteurs de la classe ouvrière subalterne ont eu lieu à plusieurs moments de l’histoire. En voici trois exemples : (1) Après la guerre civile aux États-Unis, de la fin des années 1860 au milieu des années 1880, l’American Labor Union et les Knights of Labor ont souvent convoqué des assemblées municipales, régionales ou nationales où des représentants de divers syndicats, partis politiques, ligues agraires et coopératives se réunissaient afin de créer une force capable d’introduire des changements sociaux. Finalement, la majorité du secteur le mieux organisé, les syndicats ouvriers, a fait scission et a formé l’American Federation of Labor, avec un programme prônant l’autonomie et rejetant les utopistes. (2) La fondation et les débuts du Parti travailliste britannique entre 1900 et 1918 ont donné lieu à de nombreuses tractations entre les syndicats, les sociétés socialistes, les coopératives, les ligues féminines, ainsi qu’à la création et à l’intégration de « partis travaillistes de circonscription » au sein du parti national. (3) Le Parti des travailleurs brésilien, fondé en 1980, s’est explicitement adressé aux travailleurs, qu’ils soient organisés en syndicats et sur leur lieu de travail, dans le secteur informel ou ailleurs, dans les quartiers pauvres ou dans les ligues rurales de paysans pauvres et sans terre. Il a ouvert ses portes aux mouvements sociaux engagés sur les questions environnementales, raciales et de genre. Le PT brésilien a servi de modèle en 2005 à la fondation du Parti démocratique du travail sud-coréen, qui a attribué des sièges spécifiques au sein de son comité national aux mouvements des travailleurs, des paysans, des pauvres des villes, des petits entrepreneurs, des femmes, des étudiants et des intellectuels progressistes.

La perception de la classe ouvrière comme la vaste classe de tous les travailleurs subalternes, qu’ils soient employés à temps plein, à temps partiel, de manière intermittente ou sans emploi, n’a que rarement été formalisée dans un programme commun, une lutte commune et une structure qui englobe l’ensemble. Plus largement encore, l’histoire a montré que la dynamique des alliances avec d’autres forces qui ne sont pas strictement ouvrières peut mener dans de nombreuses directions (fronts populaires, coalitions de type front uni élargi, blocs électoraux). Le déclin des mouvements socialistes et syndicaux actuels rend plus urgente la discussion sur ces premières tentatives de structures fédératrices du premier et du second type.

Dans cette contribution, nous avons tenté d’esquisser une vision à long terme sur trois questions cruciales pour l’avenir du mouvement d’émancipation enraciné dans les mouvements sociaux actuels. Sur la question de la lutte contre les fléaux sociaux et de l’anticipation d’un avenir meilleur, nous avons souligné ou suggéré les liens étroits entre les mouvements pour le socialisme et la démocratie radicale sur des questions telles que la limitation de la richesse individuelle, les conditions de travail, les droits humains et le respect de l’environnement. Il semble essentiel, pour la prochaine étape, de clairement établir l’interdépendance de ces aspirations. En ce qui concerne le fonctionnement interne des différents mouvements d’émancipation, nous avons souligné la menace permanente de bureaucratisation et identifié trois champs d’action où des contre-mesures ont été ou pourraient être explicitement mises en œuvre : les partis de gauche, les syndicats et les nouvelles ONG. Enfin, concernant la structure multiforme et les alliances étroites entre les organisations de travailleurs subalternes, nous avons brièvement suggéré l’importance de structures pluralistes et fédératives reconnaissant la diversité des composantes de la classe ouvrière au sens large, ainsi que d’une stratégie visant à atteindre les mouvements des classes moyennes inférieures dont les moyens de subsistance ne proviennent pas principalement de salaires mais de petites propriétés ou de leurs équivalents. Sur ces trois questions, un bilan historique de ce qui a été tenté et obtenu sera essentiel pour préparer de nouvelles avancées.

John Barzman

NOTES

[1] https://www.cambridge.org/core/jour...

[2] Merci à Marcel van der Linden et Don Kalb pour leurs commentaires sur la version précédente de cet article, présentée à Bergen, qui comprenait deux points absents ici : (1) le statut académique et militant de la question et (2) le socialisme et les autres cycles longs de l’histoire (academia.edu/106869291/John_Barzman Comments on 200 year of socialism revisiting the old dilemmas).

[3] L’attention se porte ici sur les secteurs radicaux, sociaux et républicains du vaste mouvement démocratique, sachant que d’autres secteurs prônaient des formes de gouvernement plus oligarchiques, parlementaires et autoritaires.

[4] Meslier mérite d’être mieux connu. Il avait tendance à assimiler la richesse à la terre et aux moyens nécessaires à la communauté pour assurer sa subsistance, dans le cadre des villages. Mais tous les habitants (hommes et femmes) devaient être égaux, et les villages devaient s’entraider. Voir Jean Deruette, Lire Jean Meslier, curé et athée révolutionnaire. Introduction au mesliérisme et extraits de son œuvre (Bruxelles : éd. Aden, 2008).

[5] Un souhait qui rend Rousseau attrayant pour les écologistes contemporains partisans de la décroissance (Pierre Crétois, « Moins de biens pour plus de liens : Jean-Jacques Rousseau, décroissanciste avant l’heure ? », Astérion, 20, 2019). Pour sa critique du pouvoir corrosif de l’argent : « Ils n’ont d’autre ambition que le luxe, d’autre passion que l’or ; convaincus que l’argent leur achètera tout ce qu’ils désirent, ils sont tous prêts à se vendre au plus offrant. » Rousseau, chapitre III, Considérations sur le gouvernement de la Pologne et sur la réforme qui y est proposée, 1772.

[6] Le débat entre Galiani et Roubaud est abordé dans la vidéo de Warren Montag, « The Revocation of the Right to Subsistence : On the Legal and Political Origins of the Market » (https://vimeo.com/85484269) et plus en détail dans Mike Hill et Warren Montag, The Other Adam Smith, Standford UP, 2015.

[7] Reproduit dans son intégralité à l’adresse http://www.columbia.edu/∼iw6/.... Merci à Warren Montag pour ses suggestions.

[8] Sur les accents alternés de Karl Marx depuis sa jeunesse jusqu’à sa mort, voir Bruno Leipold, Citizen Marx The Relationship between Karl Marx and Republicanism, Thèse Oxford, 017, uk.bl.ethos.740967.

[9] Étienne-Gabriel Morelly était particulièrement apprécié pour sa distinction entre « les choses personnelles » et la propriété privée des moyens de production : « Rien dans la société n’appartiendra à personne, ni comme possession personnelle, ni comme bien capital, sauf les choses dont la personne a un usage immédiat, soit pour ses besoins, soit pour ses plaisirs, soit pour son travail quotidien. » Code de la Nature, ou le véritable Esprit de ses Loix. 1755.

[10] Cannon, « Socialism and Democracy », International Socialist Review, automne 1957.

[11] Robert Michels, Political Parties : A Sociological Study of the Oligarchical Tendencies of Modern Democracy (New York : Hearst’s International Library Co, 1915) ; Rosa Luxemburg, The Mass Strike, the Political Party and the Trade Unions (Detroit : Marxist Educational Society, 1906) ; Karl Kautsky, The Road to Power (Chicago : Bloch, 1909).

[12] Léon Trotsky a tenté une synthèse générale de la situation dans La Révolution trahie : Que signifie la révolution prolétarienne, où en est-elle aujourd’hui ? 1936.

[13] Depuis le XIXe siècle, de nombreux historiens du mouvement ouvrier identifient trois piliers, les partis, les syndicats et les coopératives. Ce troisième pilier est parfois perçu comme des services ou prestations supplémentaires des syndicats, ou comme l’ensemble des associations et “mouvements sociaux” plus ou moins indépendants. Voir par exemple : Michel Dreyfus et al. « 12. Les bases multiples du syndicalisme au xixe siècle en Allemagne, France et Grande-Bretagne ». L’invention des syndicalismes, édité par Friedhelm Boll et al., Éd. Sorbonne, 1997 ; et “Quelle articulation entre partis, syndicats et mouvements ? Discussion avec Daniel Bensaid, Philippe Khalfa, Claire Villiers et Pierre Zarka”, Actuel Marx, 2009/2 n° 46, p 12 à 26.

[14] Paulo Gerbaudo, « From Occupy Wall Street to the Gilets Jaunes : sur le tournant populiste des mouvements de protestation des années 2010 », Capital &amp ; Class 47, n° 1 (2023) : 107-24, https://doi.org/10.1177/03098168221....


Signatures: 0
Répondre à cet article

Forum

Date Nom Message