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Aurélie Trouvé. « Deux options s’offrent à nous : la continuité du néolibéralisme, qui mène à l’impuissance sociale et écologique, ou la rupture systémique », analyse la députée insoumise Aurélie Trouvé. Ce, alors que la France reste sans Gouvernement après la censure de François Bayrou et que son successeur, Sébastien Lecornu, ne déviera pas des politiques économiques néolibérales. Sans aucun doute. Dressant de manière implacable l’échec des politiques macronistes en matière d’économie, Aurélie Trouvé détaille ce que serait « un choc de relance écologique et sociale ». Planification écologique, relance par le pouvoir d’achat, taxation des plus riches, investissements massifs…
D’ailleurs, lorsque Aurélie Trouvé livre une analyse, elle cite des économistes, comme John Maynard Keynes. Sûrement parce qu’elle a réellement travaillé ses sujets, elle. En effet, la députée insoumise, également présidente de la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, est docteure et maîtresse de conférences en économie. Bien loin de tous ces éditorialistes et pseudo-experts des chaines en continu récitant leur catéchisme néolibéral quotidiennement. L’insoumission publie dans ses colonnes l’analyse d’Aurélie Trouvé.
Keynes a été régulièrement invoqué pour justifier d’une nouvelle politique économique. Mais ses thèses n’ont jamais été aussi ajustées à la période et aussi contraires à la politique menée par le gouvernement.
La France traverse une crise profonde provoquée par huit années de macronisme, ajoutées à quarante ans de politiques néolibérales. Les efforts budgétaires ont été concentrés sur la baisse des charges des entreprises et de la fiscalité du capital et des hauts revenus. Les deux ressorts de la relance keynésienne ont été plombés, le pouvoir d’achat comme les investissements publics.
Le tableau économique est dès lors désastreux : investissement productif et consommation des ménages en berne, entreprises fragilisées, chômage en hausse, services publics dégradés… Des points de rupture apparaissent : la souveraineté économique, industrielle et technologique est en danger de mort imminente. Et pour la première fois depuis des années, la France n’arrive plus à diminuer ses émissions de gaz à effet de serre, alors même que la Chine et l’Inde y parviennent clairement, justement parce que ces pays ont grandement investi dans ce sens.
Ce tableau illustre l’ampleur de la tâche : « relancer » signifie inverser une trajectoire désastreuse de long terme. Mon propos ici est de préciser ce qu’on entend par relance écologique et sociale, pas d’en chiffrer les retombées budgétaires.
Depuis Keynes, il existe une nouvelle donnée fondamentale : l’humanité doit faire désormais avec les limites physiques de la planète si elle veut survivre. Faut-il pour autant enterrer Keynes et sa relance ? Non, à condition d’intégrer cette nouvelle donnée fondamentale dans la politique de relance.
Et cette relance est-elle forcément synonyme de croissance économique ? La question n’est pas de choisir entre croissance et décroissance. L’augmentation du PIB ne doit pas être un objectif en soi. Certaines activités devront croître – l’agriculture biologique, les énergies renouvelables, la rénovation thermique… – quand d’autres doivent décroître – le nucléaire, l’usage des pesticides, les énergies fossiles… –.
La relance que nous devons porter est à la fois écologique et sociale. Avec une conviction simple : il n’y a pas d’écologie durable qui accroît les inégalités (parce qu’elle serait réprouvée à juste titre par les classes populaires et parce que celles-ci ne pourraient y participer), et il n’y a pas d’égalité sociale qui ignore les limites planétaires (car les pollutions se font toujours au détriment des classes les plus précaires, celles qui n’ont pas les moyens de s’en protéger). Il faut donc répondre simultanément à ce qu’on appelle désormais « la fin du monde » et « la fin du mois ».
Nous avons besoin d’une planification écologique, au sens fort du terme : identifier les besoins de consommation et de production, fixer des trajectoires sectorielles, programmer les investissements dans la durée. Pisani-Ferry et Mahfouz, économistes plutôt libéraux, avaient estimé à au moins 34 milliards d’euros par an de dépenses publiques supplémentaires les besoins d’investissements écologiques. Le coût de ces non-investissements, pour la santé humaine et les écosystèmes, serait bien supérieur à ceux qui doivent être réalisés dès aujourd’hui :
● sur le plan des énergies, atteindre 100 % renouvelables à l’horizon 2050, ce qui suppose des dizaines de milliards d’euros d’investissements supplémentaires chaque année.
● sur le plan des industries, électrifier la sidérurgie ou la chimie lourde, ce qui représente plusieurs milliards d’euros par an.
● sur le plan du logement, isoler 700 000 logements par an, ce qui exige plus de 10 milliards d’euros par an, ce qui sera autant de pouvoir d’achat gagné sur les factures et d’emplois créés dans le bâtiment.
● sur le plan des transports, le développement massif des réseaux de transport collectifs et cyclables, avec une baisse des tarifs,
● sur le plan agricole, le soutien de la transition agroécologique et l’approvisionnement en 100 % bio et local dans les cantines publiques comme levier de demande, ce qui coûterait quelques milliards par an.
Toute transition est vouée à l’échec si elle ne s’accompagne pas d’une hausse du pouvoir d’achat. Comment demander à un ménage au SMIC ou au RSA de consommer « 100 % bio » si cela reste hors de portée ?
C’est pourquoi nous défendons une hausse immédiate du SMIC, le rattrapage du point d’indice des fonctionnaires (gelé depuis des années), l’augmentation des minima sociaux, une réduction du temps de travail et un retour progressif à la retraite à 60 ans…
Ce n’est pas seulement une exigence sociale : c’est une condition économique. Car le premier problème des entreprises françaises, ce n’est pas le « coût du travail », mais la faiblesse de la demande et des carnets de commandes.
Le budget 2026 pourrait être le premier pas décisif d’une telle relance écologique et sociale. Avec de nouvelles recettes : taxation des plus hauts patrimoines, taxation accrue des super-dividendes, taxation universelle des entreprises et lutte contre l’évasion fiscale.
Mais il faut être clair : ce budget ne serait qu’un point de départ. La bifurcation dont nous parlons ne peut pas tenir dans une seule loi de finances. Elle doit se déployer sur plusieurs années, pour structurer en profondeur nos choix collectifs, inscrire dans la durée la programmation écologique des grands secteurs, donner de la visibilité à la puissance publique comme aux acteurs privés, afin que les investissements nécessaires – sur 10, 20 ou 50 ans – soient possibles.
1. Libérer la dette publique de l’emprise des marchés financiers, en imposant aux banques de détenir une part de la dette à taux bas, en créant un pôle public bancaire capable de canaliser l’épargne populaire vers la transition.
2. Protéger nos entreprises et nos services stratégiques : en renationalisant EDF, Engie, la SNCF, les autoroutes et les aéroports stratégiques ; en plafonnant les prix de l’électricité, en conditionnant les marchés publics au respect de critères sociaux et écologiques, en interdisant les importations ne respectant pas nos normes…
3. Rééquilibrer le partage de la valeur : renforcer le rôle des salariés dans les décisions des entreprises, réorienter les profits vers l’investissement productif et l’emploi.
Face à l’ampleur des défis, la demi-mesure est illusoire. La relance écologique et sociale doit être pensée comme un tout cohérent : planification, investissement, redistribution et pouvoir d’achat sont indissociables. On ne peut pas en retenir quelques morceaux choisis et espérer transformer durablement notre modèle économique.
Il n’y a aujourd’hui que deux options : la continuité du néolibéralisme, qui mène à l’impuissance sociale et écologique, ou la rupture systémique. Cette rupture est exigeante, mais elle est la seule capable de remettre l’économie au service des besoins humains et du respect des limites planétaires.
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