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C’est donc que leurs acteurs le seraient. C’est parfois vrai. Mais cela n’explique vraiment pas tout. D’une façon générale, rien ne survient sans venir de loin. Et quand un événement fortuit fait exploser à lui seul la scène, c’est que celle-ci y était déjà disposée. Le hasard est l’agent de la nécessité. Elle règne toujours sur la réalité. Les Insoumis le savent. Leur plan calculé avance donc inexorablement depuis ce mois d’août 2024 où les responsables du mouvement publièrent leur tribune demandant la destitution du président de la République. Je veux pointer ici les éléments qui forment la base de l’inextricable situation actuelle.
Évacuons d’abord l’accessoire. Lecornu s’en va. Qu’a-t-il réalisé ? Rien. Juste une pauvre comédie pour prolonger le déni du résultat de 2024. Que propose-t-il ? Un gouvernement du socle commun. Résumé : dorénavant, c’est comme auparavant. Cela revient à un coup de force : on prend les mêmes et on recommence la même chose. Que va-t-il se passer ? Tic Tac, tic tac. Le moment est commandé par des tendances de fond plus fortes que les facéties de l’instant.
Mieux vaut le mot juste. On parle de « crise » pour nommer ce que nous vivons. En langue commune, pourquoi pas. Mais pour bien nommer, je trouve ce mot souvent trompeur. Le mot crise laisse entendre qu’on pourra revenir à la situation d’avant, sitôt « la crise » passée. Il n’en est rien. Parler de « bifurcation » me semble plus efficace pour décrire ce qui se passe quand une trajectoire d’évènements change de direction, comme à un carrefour. C’est le cas présentement. La séquence en cours, avec ses trois Premiers ministres en un an, dont l’un pour moins de quatorze heures et son ubuesque sortie de route finale, est une bifurcation. Elle change la nature du régime. Une autre façon de le dire : « Il y aura un après et un avant » comme le déclare le gaulliste Henri Guaino à juste titre. Dorénavant tout le monde sait que la Vᵉ République rend possible une présidence de coup de force permanent, comme celui en cours depuis la dissolution de juin 2024, jusqu’à l’absurde et le ridicule actuel d’un Premier ministre démissionnaire 14 heures après la formation de son gouvernement. C’est pourquoi la situation actuelle est non seulement une impasse tumultueuse dans le présent, mais aussi une lourde déformation durable du futur.
Les événements actuels expriment davantage que le loufoque de leur apparence. Ici s’exprime surtout la puissance d’une logique profonde. La secousse ne vient pas réellement de l’intérieur du système institutionnel lui-même, mais de son contexte. Si Macron perd toutes les élections depuis sa réélection sous la contrainte du second tour de 2022, c’est parce que le pays ne veut plus de la politique qu’il incarne. Une lapalissade ? Mais alors actons-le ! L’homme voulait faire une « révolution » (titre de son livre pour la présidentielle de 2017) pour « attaquer au pic à glace » (selon ses termes) une France « irréformable »… La réforme des retraites est un symbole exemplaire de ce programme général. C’est là le fond de l’affaire. Le peuple en France ne décroche donc pas avec Macron parce que sa communication est mauvaise et son comportement souvent aberrant, mais parce que sa politique n’est pas acceptée et qu’il s’obstine à la maintenir. Ce fond de scène n’est pas nouveau, il a déjà coûté leur présidence à Nicolas Sarkozy et François Hollande. Le néolibéralisme épuise les gouvernements qui le mettent en œuvre. Cet effet s’aggrave avec le refus d’entendre son message. Surtout quand il va jusqu’à l’extrême, c’est-à-dire jusqu’à la négation des votes les plus massifs des Français. Ce fut le cas en 2005 avec le « non » au référendum sur la Constitution néolibérale de l’Europe, trahi en 2008. Puis ce fut le vote de 2012 pour le programme Hollande « mon ennemi, c’est la finance » immédiatement trahi, et les législatives anticipées de 2024 donnant la victoire du NFP immédiatement niées. Mais si l’on veut aller au fond sur ce point, on devra regarder dans les institutions. L’élection du président au suffrage universel n’était pas prévue dans la rédaction initiale de la Constitution de 1958. Elle a été rajoutée en 1962. Ainsi a été importé le risque d’une contradiction entre la légitimité du vote pour le président et celle pour l’Assemblée. Et cela d’une façon générale entre n’importe quel vote général et celui incarné par le président. Ce conflit de légitimité était tranché par François Mitterrand puis Jacques Chirac en donnant raison au dernier vote intervenu et justifiant une cohabitation assumée. C’est ce dont Macron n’a pas voulu en nommant successivement des gouvernements directement liés politiquement à son propre programme.
La profondeur de la crise actuelle mettant tout le pays à la merci d’un caprice comme celui de Retailleau à propos de Lemaire est donc dans ce double verrouillage non assumé : une politique décriée en profondeur et une ambiguïté institutionnelle interprétée dans le sens le plus violent.
Comment empêcher la volonté populaire d’être entendue ? C’est là qu’intervient le rôle de l’extrême droite qui est convoquée pour faire barrage. Elle le fait, d’une part, en divisant le peuple par le racisme et en proposant comme réponse aux problèmes, non la satisfaction des demandes, mais une politique xénophobe d’État. Cela ne peut non plus être supporté. Notre pays n’est ni raciste ni d’extrême droite. Cette attraction est celle de la partie de la classe médiatique islamophobe et des « élites » mondaines et politiciennes comme l’a montré Vincent Tiberj.
La situation actuelle ne peut se dénouer autrement que sur ses causes de fond : respecter la volonté générale et changer la Constitution. Sinon, elle durera encore, et cela jusqu’à ce que soient jugulées les causes ou anéantis ceux qui les expriment.
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