Laisser vivre ou censurer : le PS tient l’avenir de Sébastien Lecornu entre ses mains

jeudi 16 octobre 2025.
 

Après que les groupes de gauche et l’extrême droite ont annoncé leur intention de censurer le second gouvernement Lecornu, c’est en direction du Parti socialiste que se tournent les regards. Le parti dément tout « deal » avec le pouvoir exécutif mais repousse sa décision à la semaine prochaine. Une vingtaine de voix suffiraient à renverser le premier ministre.

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Les socialistes sont doublement remontés ce samedi 11 octobre au matin. La veille, au terme d’un après-midi de consultations ubuesques, leurs deux émissaires à l’Élysée, Olivier Faure et Boris Vallaud, sont ressortis avec le sentiment amer de n’avoir – une nouvelle fois – pas été entendus par le président de la République, rendant a posteriori leur revendication répétée de gouverner relativement naïve à l’égard de celui-ci.

Mais en plus, dès l’annonce, à 22 heures, de la renomination de Sébastien Lecornu à Matignon, l’idée que les socialistes avaient conclu un « deal » – autrement dit, un accord de non-censure – avec le nouveau premier ministre s’est répandue comme une tache d’huile, l’Élysée ayant fait savoir qu’un échange téléphonique avait eu lieu entre Olivier Faure et Emmanuel Macron avant la reconduction du chef de l’exécutif, comme l’a rapporté Le Parisien. La sortie tardive de l’Élysée, quarante-cinq minutes après tous les autres, d’Olivier Faure et Boris Vallaud, avait, de fait, éveillé quelques soupçons.

L’information a été rapidement démentie par le premier secrétaire, Olivier Faure, et par Pierre Jouvet, le secrétaire général du PS, à l’AFP : « Nous répétons avec force qu’il n’y a aucun accord entre le Parti socialiste et le président de la République. Nous ne serons pas la bouée de sauvetage d’un macronisme qui prend l’eau de toute part. »

Joint par Mediapart, Jonathan Kienzlen, membre du bureau national, qui s’est réuni la veille après les consultations à l’Élysée, dément lui aussi formellement. « Il n’a jamais été question d’un “deal”, ce sont les éléments de langage du Château !, déplore ce proche d’Olivier Faure. Le débat a porté sur la censure a priori, sur l’attente de la déclaration de politique générale, et avec quelles conditions. » Trois conditions sont mises sur la table par les socialistes : la taxation des hauts patrimoines, la suspension de la réforme des retraites et un geste pour le pouvoir d’achat.

La persistance de deux lignes

Toujours divisé depuis son dernier congrès, le PS n’est cependant pas homogène sur cette question. Sa fraction la plus conciliante, constituée des proches de François Hollande, défend l’idée que, si la suspension de la réforme des retraites est annoncée dans le discours de politique générale, cela suffirait à obtenir la non-censure du groupe, d’autant plus qu’elle est ardemment défendue par la CFDT, le premier syndicat de France. De manière significative, les membres de ce courant interne sont plus discrets qu’à l’accoutumée.

Cependant, le niveau de colère est monté d’un cran à l’intérieur du groupe PS à l’Assemblée nationale après le retour de Sébastien Lecornu à Matignon, ce qui laisse penser que cette position est minoritaire. « On a des réfractaires à la censure, mais ils sont peu nombreux en réalité, je n’imagine pas un scénario où M. Lecornu n’est pas censuré », assure une socialiste qui dit ne pas imaginer que M. Lecornu revienne aussi radicalement sur les trois conditions promues par les socialistes.

La non-censure de François Bayrou par les socialistes, en janvier 2025, a marqué les esprits. À l’époque déjà, huit dissidents du groupe avaient voté la motion de censure, preuve des dissensions qui tiraillaient le parti. Cette fois-ci il faudrait qu’une vingtaine des soixante-huit membres du groupe votent la motion de censure – que La France insoumise (LFI) a déjà annoncé vouloir déposer – pour faire tomber le gouvernement. Les autres groupes ayant déjà annoncé leur position sur la censure – à l’exception de Liot (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires) –, les regards se concentrent sur le groupe socialiste.

Samedi en milieu de journée, le courant Avenir socialiste, qui dispose de trois député·es dans le groupe socialiste – Pierrick Courbon, Fatiha Keloua-Hachi et Paul Christophle –, a appelé à « voter sans délai une motion de censure, avec l’ensemble de la gauche et des écologistes ».

« Les mêmes causes produisent les mêmes effets, on s’est déjà fait enfumer par Bayrou, on est allés jusqu’au bout, donc on est gentils mais on ne va pas tendre l’autre joue », avertit Dieynaba Diop, députée socialiste des Yvelines. « Un ministre de l’intérieur a fait sauter le gouvernement en quatorze heures, deux anciens premiers ministres ont dit qu’il fallait se débarrasser du président de la République, le socle commun a implosé et, pourtant, le président s’acharne pour la quatrième fois à nommer un de ses proches ! C’est le principal responsable de ce boxon », s’agace Jonathan Kienzlen, qui affirme que les socialistes ne craignent pas un retour aux urnes.

« La censure est plus que jamais sur la table, mais nous, on y met des conditions quand les autres ne le font pas, on rappelle nos exigences en tapant du poing sur la table », explique Dieynaba Diop. « Ne pas censurer maintenant ne veut pas dire qu’on ne censure pas à la fin, on se réserve le droit d’utiliser le 49-2 [qui permet aux députés de déposer une motion de censure spontanée – ndlr] si la déclaration de politique générale ou le budget de la Sécurité sociale ne contiennent pas la suspension de la réforme des retraites, un équivalent de la taxe Zucman pour taxer les très hauts patrimoines et des mesures pour le pouvoir d’achat. Sans ces mesures, vous aurez les vingt votes de censure et beaucoup plus », assure-t-elle.

La pente de la censure est raide

Le durcissement relatif de la ligne des socialistes n’est pas étranger aux positions des autres groupes de gauche, qui ont pour effet d’isoler le PS dans son attentisme. Vendredi encore, comme le PS, les élu·es écologistes revendiquaient de vouloir aller « jusqu’au bout de l’exercice ». Jusqu’à ce que Marine Tondelier et Cyrielle Chatelain sortent de l’Élysée « sidérées » et sans « aucune réponse sur rien ». Dans la semaine, les Écologistes avaient fait paraître un communiqué affirmant qu’en cas de refus de la cohabitation, Emmanuel Macron « devra[it] partir ».

Le groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR), réunissant les communistes et des ultramarins, était sur la même ligne en revendiquant une présidentielle anticipée en cas d’entêtement du président de la République. Ils ralliaient ainsi la position de LFI, qui avait refusé de participer aux consultations de Sébastien Lecornu et réclame aussi la démission du président de la République.

À gauche, dans toutes les nuances du spectre politique, tous le répètent à l’envi : « Pour une fois, on ne peut pas nous accuser, nous, d’avoir bordélisé la politique. » Jean-Luc Mélenchon dénonçait dès vendredi matin « le tohu-bohu confus des visiteurs de Matignon » puis « le défilé à l’Élysée » en s’en lavant les mains. « Les Insoumis […] ne sont ni changeants d’avis à la première bourrasque, ni compromis dans les tractations folkloriques de ces derniers jours », a-t-il martelé. « Nos députés n’ont pas été élus pour s’entendre avec la Macronie, ni le RN, ni la droite », disait-il encore.

Éric Coquerel, président insoumis de la commission des finances à l’Assemblée nationale, accuse : « Depuis une semaine, M. Lecornu amuse la galerie pendant que Bercy prépare le budget. » Lundi, prédit-il, « le conseil des ministres va transmettre son budget Bayrou-Lecornu sans même attendre la déclaration de politique générale. Nous allons utiliser le 49-2 dès le dépôt d’un budget macroniste ».

Sur la réforme des retraites, centrale dans la décision des socialistes de censurer ou pas, les partis de gauche avaient plaidé à l’Élysée pour sa suspension et pour l’étude de son abrogation par les parlementaires durant les prochaines discussions budgétaires. Mais comme l’a expliqué la présidente du groupe écologiste et social Cyrielle Chatelain à sa sortie de la réunion élyséenne, il n’y a « à ce stade pas de suspension » proposée par Emmanuel Macron. La seule concession évoquée par le chef de l’État est de repousser l’application de la hausse de l’âge minimum de départ à 63 ans à après la présidentielle de 2027. Mais sans toucher à la hausse du nombre de trimestres pour obtenir une retraite à un taux plein.

Quelles concessions budgétaires ?

Une telle proposition ne concernerait que la génération née en 1964 qui, dans le calendrier actuel de la réforme Borne, serait la première à devoir atteindre 63 ans pour pouvoir bénéficier de ses droits à la retraites. Ce qui pourra se produire à partir du 1er janvier 2027. La proposition d’Emmanuel Macron serait donc de maintenir l’âge légal de départ à 62 ans et 9 mois pour cette génération d’ici à l’élection présidentielle. La concession envisagée par Emmanuel Macron est donc minimale, ce qui n’a clairement satisfait ni les Verts, ni les socialistes, ni les communistes reçus à l’Élysée.

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Concernant le reste des priorités budgétaires de la gauche, rien n’a été concédé. Côté justice fiscale, le président de la République est resté de marbre. Hors de question pour lui d’accéder à la demande d’instaurer la taxe Zucman à un taux d’impôt plancher de 2 % par an sur les patrimoines supérieurs à 100 millions d’euros. Selon Les Échos, l’ex-premier ministre devenu entre-temps nouveau premier ministre, Sébastien Lecornu, a, à la place, proposé une somme de menues taxes sur les riches, mais dont le rendement cumulé pour les finances publiques serait trois à cinq fois inférieur à la seule taxe Zucman.

Et côté services publics et modèle social, s’il est certes dans les tuyaux d’alléger l’authentique cure d’austérité proposée par François Bayrou à la mi-juillet – 44 milliards d’euros d’économies –, l’effort va rester important et le sera au moins autant que celui imposé par le budget 2025, soit une réduction du déficit comprise entre 0,4 et 0,7 point de PIB en 2026. Rien, en somme, que la gauche puisse raisonnablement laisser passer.

« Il va falloir plus que des phrases sibyllines dans la déclaration de politique générale, tout le monde est très énervé. Je trouve qu’on est bien sympathiques de continuer à discuter », conclut Jonathan Kienzlen.

Sarah Benhaïda, Mathieu Dejean et Mathias Thépot


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