Possession et maîtrise : l’érotique du pouvoir selon Sarkozy (par Philippe Corcuff)

mercredi 2 janvier 2008.
 

Les épisodes de la série "Nicolas Président", de Nicolas/Cécilia en Nicolas/Carla, pointent une certaine érotique du pouvoir nous renseignant sur quelques caractéristiques du rapport à la politique du principal de nos gouvernants.

Le registre sarkozien semble être tout particulièrement celui de la possession et de la maîtrise : possession de biens et de corps symbolisant la richesse, maîtrise de l’agenda médiatique et de l’image.

Dans une belle phénoménologie de la caresse, le grand philosophe Emmanuel Lévinas associait un tel penchant au pôle socialement constitué comme "masculin" de l’éros : celui inscrit dans "la terminologie des descriptions courantes", caractérisant la sexualité "par le ’saisir’, le ’posséder’ ou le ’connaître’" (Le temps et l’autre, 1948). Et d’ajouter : "Posséder, connaître, saisir sont des synonymes du pouvoir."

Lévinas plus proche de Cécilia que de Nicolas

A l’opposé, émergeait la figure, davantage liée socialement au pôle "féminin", de la caresse :

"Cette recherche de la caresse en constitue l’essence par le fait que la caresse ne sait pas ce qu’elle cherche. Ce ’ne pas savoir’, ce désordonné fondamental en est l’essentiel. Elle est comme un jeu avec quelque chose qui se dérobe, et un jeu absolument sans projet ni plan, non pas avec ce qui peut devenir nôtre et nous, mais avec quelque chose d’autre, toujours autre, toujours inaccessible, toujours à venir."

"Si on pouvait posséder, saisir et connaître l’autre, il ne serait pas l’autre", avertissait Lévinas, plus proche de Cécilia que de Nicolas. Lévinassienne, Cécilia a incarné un temps, sur la scène de plus en plus pipolisée d’un show politique à bout de souffle, l’évasion face au risque d’enfermement dans une fonction, dans le service d’une ambition, dans les bras d’un "seigneur et maître", faisant signe alors vers la fragile ouverture d’un être humain refusant d’être complètement "possédé".

Etaler ce qu’on croit " tenir" : objets et lieux luxueux, amis riches et connus, belles femmes, de Fouquet’s en palais présidentiels, cela apparaît frappant chez ce "nouveau riche" de la politique, du spectacle et de l’amour. Dans les noces de l’éros et de l’appétit de pouvoir, l’érotique se transforme même en pornographie.

La jouissance de la prise

La mécanique sarkozienne de la jouissance de la "prise" et de sa publicisation a quelque chose du piston du harder des soirées mélancoliques sur Canal +. Obstiné et répétitif, mais écrasant, sans en soupçonner même l’existence, les délicats plaisirs de l’inconnu et de la découverte. C’était quelque chose qu’on pressentait déjà dans "L’aube le soir ou la nuit", de Yasmina Reza. L’écrivaine, en midinette heideggérienne, sentait bien quelques effluves du personnage.

Midinette heideggérienne ? Midinette, parce que fan quelque peu émoustillée par l’énergie de l’homme de pouvoir. Heideggérienne, parce qu’une "grande écrivaine" se doit de garder de la hauteur philosophique face au parvenu aimant Johnny et Sardou. Question de classe, de rapports de classe au sein des dominants, dans la double séduction/répulsion du capital culturel vis-à-vis du capital politique.

D’où la tambouille façon Heidegger de la reporter type France Culture en campagne présidentielle sarkozienne : "Un homme qui veut concurrencer la fuite du temps"... Mais ce biais l’aide aussi à percevoir une frénésie de contrôle et de bouclage, dans le gonflement de l’ego et de l’ambition, inattentif le plus souvent aux autres, excepté quand cela vient nourrir ou heurter l’autosatisfaction.

Sur le plan de l’action politique, la volonté de maîtrise, c’est aussi bien la carotte sociale-libérale (l’intégration de la contestation la plus institutionnalisée à la gestion soft de la dérégulation néolibérale : la CGT pour les régimes spéciaux ou l’Unef pour l’université) que la matraque sécuritaire (pour les sans-papiers, les étudiants radicalisés ou les jeunes émeutiers de banlieue).

Références empruntées à la gauche et xénophobie subliminale

D’un côté, on s’efforce de circonvenir la gauche officielle (en empruntant une part de son vocabulaire, de ses références et de ses hommes) ; de l’autre, on n’hésite pas à flatter démagogiquement l’extrême-droite dans une xénophobie subliminale. Sur ce dernier plan, Yasmina Reza enregistre le futur président lancer devant des partisans avant le premier tour :

"Si on n’avait pas l’Identité nationale, on serait derrière Ségolène. (...) Si je suis à 30%, c’est qu’on a les électeurs de Le Pen. Si les électeurs de Le Pen me quittent, on plonge."

La carotte et la matraque constituent deux façons de clôturer : autour d’un homme, autour d’un ordre, même si parfois ça schlingue un peu du côté des arrière-cuisines gérées par tous les Hortefeux...

La gauche institutionnelle est-elle susceptible d’incarner une érotique alternative, où "la prise du pouvoir" ne se refermerait pas sur lui et sur la reconduction du terne existant, mais ouvrirait des passages vers d’autres mondes possibles ? On peut en douter à la vue de la mère sévère qui a porté ses couleurs lors de l’élection présidentielle et des querelles de pouvoir qui ont suivi son échec.

Plus globalement, ses capacités imaginatives apparaissent largement entamées par le conformisme néolibéral qui a marqué son évolution depuis une vingtaine d’années.

Tâtonnements, expérimentation et aventure

Et les gauches radicales et altermondialistes ? Il faudrait qu’elles ne limitent pas leur lexique aux nécessaires "résistance", "combat" et "rapports de force", mais qu’elles deviennent aussi sensibles aux tâtonnements, à l’expérimentation et à l’aventure. Qu’elles s’adressent à nos individualités vulnérables et désirantes, tout à la fois soucieuses de la préservation des "supports sociaux" (selon l’expression du sociologue Robert Castel : sécurité sociale, statut salarial, retraites, etc.) de nos autonomies personnelles et ouvertes aux aspirations à un ailleurs, nous emportant vers des sinuosités inexplorées ; ce "ne pas savoir" dont parlait Lévinas...


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