Argentine : pourquoi Javier Milei a remporté une victoire inattendue aux législatives

jeudi 6 novembre 2025.
 

Le parti présidentiel, La liberté avance, a progressé de manière spectaculaire, et infligé un sérieux revers à l’opposition péroniste dans son bastion de Buenos Aires. Passage en revue des facteurs qui ont permis ce succès pour le leader d’extrême droite.

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– Coup de théâtre en Argentine. Vingt-quatre heures plus tôt, Javier Milei semblait en grande difficulté politique. Mais dimanche 26 octobre, il triomphe. Son parti a démenti tous les sondages d’opinion en arrachant une victoire nette aux élections législatives de mi-mandat. Au cours de ce scrutin proportionnel, les Argentin·es étaient appelé·es à renouveler la moitié des député·es et un tiers des sénateurs et sénatrices. Le taux de participation, 68 %, est toutefois le plus faible depuis le retour du pays à la démocratie, en 1983.

Il est un peu plus de 21 heures et, sur l’avenue Cordoba, dans le centre de Buenos Aires, les klaxons se mêlent aux cris de joie des partisan·es du parti La liberté avance. « C’est dingue ! C’est du délire ! », exulte Mario, livreur à vélo d’une cinquantaine d’années. Entre deux courses, il a tenu à faire un crochet par le quartier général du parti pour vivre ce « moment historique, presque aussi important que l’élection présidentielle », assure-t-il.

La liberté avance (LLA), jusqu’ici très minoritaire au Parlement, a recueilli 41 % des suffrages et s’impose comme le premier parti en voix à l’échelle nationale, neuf points devant l’opposition des péronistes. Le gouvernement étend ainsi considérablement sa présence au Parlement, passant de 37 à 80 député·es au Congrès et de 6 à 18 sièges au Sénat. LLA est arrivé en tête dans 16 des 24 provinces et, exploit notable, est en avance d’un demi-point dans la province de Buenos Aires, bastion péroniste réunissant 38 % des électeurs et électrices du pays.

Selon les derniers résultats disponibles, le principal parti péroniste, Fuerza Patria, a conservé ses sièges à la Chambre des député·es mais a perdu six représentant·es au Sénat. Une douche froide pour le kirchnérisme, le courant majoritaire du péronisme, incarné par Cristina Kirchner, ancienne vice-présidente du pays, et Axel Kicillof, gouverneur de la province de Buenos Aires.

Pour l’exécutif, qui traverse ces derniers mois une zone de turbulences, c’est au contraire une bouffée d’oxygène. La consommation est en chute libre et l’économie au bord de la récession. De nombreux Argentins et Argentines ne perçoivent pas le « miracle » revendiqué par le président d’extrême droite.

Le poids de l’administration Trump

Le sauvetage par les États-Unis, à quelques jours du scrutin, a permis d’éviter un chaos financier, mais Donald Trump avait conditionné la continuité de l’aide américaine (qui pourrait grimper jusqu’à 40 milliards de dollars) à une victoire du président libertarien. « Il fait un travail formidable ! Notre confiance en lui a été justifiée par le peuple argentin », s’est d’ailleurs réjoui Donald Trump sur le réseau social Truth Social, quelques heures après les résultats.

Alors que la corruption figure en tête des préoccupations des Argentin·es, plusieurs cadres du parti, notamment la sœur du président, Karina Milei, ont été récemment éclaboussés par des scandales. À ce titre, la victoire dans la province de Buenos Aires est particulièrement surprenante.

Non seulement La liberté avance avait essuyé une défaite cinglante lors d’élections locales le 7 septembre, mais quelques semaines plus tard, José Luis Espert, tête de liste du parti présidentiel dans cette province clé, a dû démissionner parce qu’il était accusé de liens avec le narcotrafic. Dans une province où l’avancée du trafic de drogue préoccupe de plus en plus, on aurait pu imaginer que cette élection était gagnée d’avance pour l’opposition péroniste, qui plus est dans son fief historique.

Le triomphe surprise de LLA peut être interprété comme un plébiscite du gouvernement Milei. Mais il peut aussi être compris comme l’expression d’un « anti-kirchnérisme ». Cette branche du péronisme, qui a gouverné le pays de 2003 à 2023 (à l’exception du mandat de Mauricio Macri entre 2015 et 2019), suscite un fort rejet dans une partie de la population.

C’est en effet ce qu’ont exprimé, auprès de Mediapart, plusieurs électeurs et électrices, dimanche après-midi, devant un bureau de vote de La Matanza, dans la province de Buenos Aires. « Je n’aime pas le style de Milei mais j’accompagne le gouvernement, car ce que je veux à tout prix éviter, c’est le retour des K [le clan Kirchner – ndlr]. Nous ne pouvons pas revenir aux K. Nous ne pouvons pas », répète Catalina Rivas, 28 ans, comme un mantra.

Pour ne rien arranger, la campagne péroniste a été marquée, de son côté, par une forme d’attentisme et un vide sur le fond. Comme si elle comptait uniquement sur l’auto-sabotage de LLA. Son seul mot d’ordre ? « Il faut freiner Milei. » Pas de quoi attirer l’électorat de centre-droit ou de droite « modérée », qui a rétréci et largement basculé vers le camp présidentiel.

Faiblesse des alternatives

Faut-il voir dans le taux de participation, 68 %, dans un pays où le vote est obligatoire, une désillusion généralisée de l’électorat, qui viendrait atténuer la portée de cette victoire du camp miléiste ?

La politiste Lara Goyburu nuance : « Le vote est obligatoire sur le papier, mais la sanction pour ceux qui s’abstiennent n’est pratiquement pas effective. Si on compare la participation à celle des pays où le vote est volontaire, elle n’est donc pas si faible. » Elle souligne, en revanche, une hausse de la participation dans la province de Buenos Aires par rapport à l’élection locale du 7 septembre, lorsque le péronisme l’avait emporté haut la main.

« Tous ceux qui avaient opté pour une alternative au péronisme pendant les élections provinciales de septembre se sont tournés vers La liberté avance pour les législatives nationales », observe-t-elle. Selon la chercheuse, l’ampleur du soutien au parti libertarien reflète surtout l’absence sidérale d’alternative politique, qui ne concernerait pas que le péronisme mais toute l’opposition : « Plutôt que la certitude du passé, les Argentins préfèrent choisir l’incertitude de l’avenir. »

Javier Milei pourrait contrôler plus d’un tiers du Congrès, ce qui lui permettrait d’assurer son droit de veto présidentiel.

Elle en veut pour preuve le score décevant des listes de Provinces unies. Ces candidatures, impulsées par une alliances de gouverneurs provinciaux, voulaient offrir une troisième voie à l’électorat. Mais la plupart étaient de vieilles figures de la politique argentine. Ces listes n’ont remporté que huit sièges au Congrès et aucun au Sénat.

Une chose est sûre : une nouvelle étape s’ouvre pour Javier Milei. Avec le soutien du PRO de Mauricio Macri (l’ancien président de droite) et de l’Union civique radicale (UCR, centre-droit), il pourrait contrôler plus d’un tiers du Congrès, ce qui lui permettrait d’assurer son droit de veto présidentiel. En effet, la loi argentine permet l’annulation d’un veto si une proportion des deux tiers des deux chambres du Parlement s’y oppose.

Mais depuis l’arrivée au pouvoir de Javier Milei, ces alliances parlementaires, notamment avec la droite du PRO, ont été mouvantes et contextuelles. La première année de son mandat, le président d’extrême droite a tissé des alliances ponctuelles avec l’opposition pour faire passer ses réformes. Sa deuxième année au pouvoir a été marquée par un affrontement perpétuel au Congrès, y compris avec de potentiels alliés, et un usage abusif de son veto.

Pour mener à bien ses réformes, en particulier sur la fiscalité et le travail, le président devra formaliser des alliances avec une partie de l’opposition. Mais s’y résoudra-t-il ? Après l’annonce de la victoire, Javier Milei a semblé faire un pas dans cette direction, appelant « des dizaines de députés et sénateurs » non kirchnéristes à « trouver des accords » sur des réformes.

Louise André-Williams


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