20 ans après Zyed et Bouna, plus de 162 tués suite à un contrôle de police

jeudi 30 octobre 2025.
 

Zyed et Bouna. Le drame de leur mort par électrocution en octobre 2005 à Clichy-sous-Bois, alors qu’ils fuyaient la police, déclencha la plus grande révolte urbaine de la France contemporaine. L’événement révéla, au grand public, le racisme systémique et la violence coloniale qui s’appliquent aux quartiers populaires.

Vingt ans après le drame de Zyed Benna et Bouna Traoré et le début des révoltes qui ont marqué l’histoire des banlieues, la situation n’a fait qu’empirer. Leurs noms résonnent aujourd’hui avec ceux d’Adama et de Nahel, sur fond de chiffres implacables : plus de 50 morts par an à la suite d’interventions policières, dont un nombre record par balles. Si l’on s’arrête uniquement sur les personnes tuées à la suite d’une tentative de contrôle de police, c’est-à-dire les circonstances exactes de la mort de Zyed et Bouna, ce sont pas moins de 162 personnes qui ont été tuées par la police ces 20 dernières années.

Face à cette persistance de la violence et des discriminations, l’urgence n’est plus à l’acceptation, mais à l’action concrète. Pour que la République tienne sa promesse, des mesures immédiates s’imposent : interdiction explicite des contrôles discriminatoires, caméras-piétons obligatoires avec sanction en cas de non-usage, formation à la non-discrimination et réexamen strict de l’article L.435-1 du Code de sécurité intérieure pour encadrer les tirs sur véhicules. Telles sont les mesures nécessaires pour que Zyed et Bouna, enfin, ne soient pas morts pour rien. Notre article.

Une course-poursuite absurde dans un climat de tension extrême

Le 27 octobre 2005, la France bascule dans la plus grande révolte urbaine depuis 1968. L’onde de choc démarre à Livry-Gargan, en Seine-Saint-Denis, suite à la mort tragique de Zyed Benna (17 ans) et Bouna Traoré (15 ans). Les deux adolescents sont morts électrocutés dans un transformateur EDF, alors qu’ils tentaient d’échapper à un contrôle de police.

Les faits se déroulent en pleine vacances scolaires et pendant le mois du Ramadan. Zyed, Bouna et leurs amis rentrent d’un match de football. L’incident débute lorsqu’un voisin aperçoit trois d’entre eux près d’un cabanon de chantier à Livry-Gargan et alerte la police, évoquant une situation « louche ». Deux minutes plus tard, une voiture de la Brigade anti-criminalité (BAC) se présente. Bien qu’ils n’aient commis aucun délit, les jeunes s’enfuient. Cette fuite est un réflexe, motivé par la peur des interpellations musclées et la crainte de rater la rupture du jeûne avec leurs familles.

La traque s’intensifie, mobilisant quatre véhicules de police et onze agents pour des adolescents inoffensifs. Bouna et Zyed, avec Muhittin Altun (qui survivra à la décharge), se réfugient dans un endroit qu’ils n’auraient jamais dû atteindre : le site d’un poste électrique, clôturé par un grillage. La panique est telle qu’ils ne remarquent pas les panneaux de danger. À 17h32, un agent signale par radio que des jeunes sont « en train d’enjamber pour aller sur le site EDF ». À 18h12, la ville est plongée dans l’obscurité : les adolescents ont été frappés par un arc électrique d’une intensité équivalente à la foudre. Zyed et Bouna meurent sur le coup. Muhittin s’en sort miraculeusement.

La colère face à la « tolérance zéro »

La mort des deux adolescents, qui n’avaient aucun casier judiciaire, et ne faisaient rien d’illégal, intervient dans un contexte où les quartiers populaires deviennent des cibles prioritaires du pouvoir en place.

Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, était engagé dans une stratégie de surenchère sécuritaire pour préparer sa candidature présidentielle. Ses visites dans les quartiers populaires étaient marquées par des déclarations provocatrices, qualifiant les jeunes de « racailles » et promettant de « nettoyer au Karcher » les cités. Cette rhétorique avait exacerbé la méfiance et renforcé un régime de « punition collective » et de contrôles incessants, surtout envers les jeunes hommes noirs ou arabes des quartiers populaires.

Dès le lendemain, le 28 octobre, les déclarations gouvernementales transforment la douleur en rage. Tandis que les familles organisent une marche silencieuse, Nicolas Sarkozy et le Premier ministre Dominique de Villepin imputent la responsabilité aux victimes, les décrivant publiquement comme des « cambrioleurs ». Cette criminalisation d’enfants innocents alors que le reste du groupe a été relâché de garde à vue immédiatement — tout le groupe, l’enquête confirmera qu’aucun délit n’a été commis — est vécue comme un choc immense et une provocation inacceptable par les familles et les habitants.

La colère explose. Le soir même, des violences éclatent à Clichy-sous-Bois.

L’embrasement national et la réponse coloniale de l’État

La révolte s’embrase après que des grenades lacrymogènes aient été lancées, dans la nuit du 30 octobre, en direction de la mosquée Bilal, en pleine prière du Ramadan. Les troubles s’étendent alors à 300 communes françaises, avec un pic de 1500 véhicules incendiés en une seule nuit.

Face au débordement, le gouvernement de Villepin prend une mesure radicale : le 8 novembre 2005, il décrète l’état d’urgence. Cette décision est lourde de symbole, car elle réactive une loi coloniale du 3 avril 1955, initialement instaurée pour réprimer le FLN durant la Guerre d’Algérie. Pour les militants des quartiers, l’usage de ce texte est une confirmation flagrante du lien entre les pratiques de répression actuelles et l’histoire coloniale de la France.

Si les émeutes sont souvent analysées sous l’angle de l’autodestruction, des analyses comme celle de la psychologue Malika Mansouri soulignent que la violence exprimée traduit un « amour déçu » de l’idéal républicain, un sentiment d’indignité et une colère liée aux discriminations, au chômage et aux humiliations policières incessantes. Les participants aux révoltes urbaines, majoritairement jeunes et sans antécédents judiciaires, détruisent un espace public qui ne leur a jamais fait de place.

Dix ans de bataille juridique pour un non-lieu

Les révoltes, qui dureront 21 jours, révèlent la profondeur du mal-être dans les cités. Les participants aux révoltes urbaines, majoritairement jeunes et sans antécédents judiciaires, détruisent un espace public qui ne leur a jamais fait de place. Les destructions touchent d’abord le mobilier urbain, les écoles ou les voitures des habitants. Les révoltés expriment un « sentiment d’indignité » et une « colère » hérités d’une France ayant systématisé l’injustice : racisme systémique, orientation scolaires vers les filières courtes, chômage et pauvreté.

L’épilogue judiciaire est particulièrement amer pour les familles. Après dix ans de bataille procédurale et de multiples rebondissements (non-lieu prononcé, puis annulé), le tribunal de Rennes relaxe les deux policiers mis en examen pour « non-assistance à personne en danger » en mai 2015. Ce verdict final, malgré la reconnaissance tardive d’une course-poursuite par l’Inspection générale des services, a laissé les familles « écœurées et dégoûtées », renforçant le sentiment d’une impunité policière systémique dans les quartiers.

Les propositions insoumises contre les violences policières Le drame de Zyed et Bouna et la révolte de 2005, symboles de la violence policière et du racisme systémique dans les quartiers, résonnent directement avec les propositions programmatiques de La France insoumise (LFI) contenues dans « L’Avenir en Commun ». Jean-Luc Mélenchon et LFI considèrent le racisme et les violences policières comme des réalités « profondément entremêlées » et des composantes fondamentales du « programme fasciste » qui menace la société. La réponse de LFI face à la tragédie de 2005, et aux incidents similaires qui s’accumulent depuis, se traduit par un vaste plan visant à refonder la police et à rétablir une « République universaliste ».

Pour rompre avec la doctrine de l’escalade policière qui a conduit à la mort de Zyed et Bouna, LFI propose des mesures de bon sens : le démantèlement des BAC (Brigades anticriminalité) et des BRAV-M, l’abrogation de la loi Cazeneuve de 2017 sur le refus d’obtempérer, et l’interdiction des armes létales de maintien de l’ordre (tasers, Flash-Ball). Le mouvement insoumis prône le retour à une police de proximité axée sur la « sûreté » et la « désescalade ».

Sur le plan de la justice, LFI propose la création d’une Commission « Vérité et Justice » sur les violences policières mortelles ou mutilantes, ainsi que le remplacement de l’IGPN par une autorité de contrôle indépendante. Enfin, pour lutter contre les pratiques discriminatoires qui ont précédé la fuite des adolescents en 2005, le programme prévoit l’instauration d’un récépissé de contrôle d’identité afin de mettre fin aux contrôles au faciès. L’objectif global, comme l’a énoncé Jean-Luc Mélenchon, est de bâtir une société de l’« harmonie des êtres humains » en s’attaquant aux racines sociales (chômage, misère) et institutionnelles du problème.

Pour aller plus loin : Racisme et violences policières : les propositions de LFI pour une société de l’harmonie des êtres humains

Par Ulysse


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