Affaire Ben Barka : les dessous du secret défense

mercredi 5 novembre 2025.
 

Dans la lugubre géographie parisienne des assassinats politiques qui ont fauché bien des militantes et militants anticolonialistes, la brasserie Lipp, à Saint-Germain-des-Prés, tient une place à part. Là s’est jouée en 1965 une scène de rapt, loin des lieux d’une exécution au scénario toujours tenu dans l’ombre en vertu d’un pacte criminel liant la République française et la monarchie marocaine.

Soixante ans après la disparition de Mehdi Ben Barka, dont le corps n’a jamais été retrouvé, le secret-défense empêche toujours la manifestation de la vérité, tout comme il couvre encore de sa chape de plomb les assassinats du communiste Henri Curiel en 1978 ou celui de Dulcie September, la représentante en France de l’ANC sud-africaine, en 1988, pour ne citer que ceux-là.

Ces crimes ont en commun la collusion entre services secrets étrangers et barbouzes ou truands français, les enquêtes entravées par les intérêts enchevêtrés de pouvoirs prêts à agir loin des frontières du droit, l’invocation de la raison d’État pour tenter de passer sous silence l’élimination physique d’opposants au désordre établi. Mehdi Ben Barka n’incarnait pas seulement l’alternative au régime féodal et sanguinaire de Hassan II.Il fut, dans le sillage des luttes du XXe siècle qui ont débarrassé la moitié de l’humanité du joug colonial, l’un des visages de l’extraordinaire élan de libération des peuples du Sud, le bâtisseur d’un monde neuf. Son combat, celui des révolutionnaires de sa génération, était porté par l’irrépressible espoir d’un monde affranchi des dominations impérialistes. C’est, en lui, cette cause qui fut visée, en plein Paris, ce 29 octobre 1965.

« Ce mort aura la vie longue, ce mort aura le dernier mot », prédisait en 1966 l’historien Daniel Guérin. À l’heure où se reconfigurent les tutelles néocoloniales destinées à mettre le monde en coupe réglée au profit de quelques puissances décidées à défendre à tout prix leur hégémonie, demander encore, inlassablement, des comptes sur ce crime d’États est une exigence morale en même temps qu’un devoir politique.

Rosa Moussaoui, L’Humanité

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