Débat budgétaire : l’écologie, victime d’économies de bouts de chandelle

dimanche 9 novembre 2025.
 

Alors que l’urgence impose des investissements massifs, le budget du ministère de la transition écologique stagne et le financement de plusieurs mesures progressistes est en recul. Du côté des niches fiscales anti-écolos, elles sont en bonne posture pour être conservées.

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L’écologie, éternelle variable d’ajustement budgétaire ? Après un laborieux passage en commission des finances, le projet de loi de finances (PLF) 2026 discuté à partir de vendredi 24 octobre à l’Assemblée nationale affiche d’importants reculs en matière de transition écologique. Malgré un budget stable pour le ministère, à 24 milliards d’euros, plusieurs politiques publiques sont frontalement attaquées, donnant l’impression d’économies de bouts de chandelle sans qu’aucune bifurcation soit enclenchée – dans l’agriculture notamment.

L’examen en commission, depuis le début de la semaine, n’a pas fait varier la copie sur ces sujets.

Après le mégafeu de cet été dans l’Aude, les inondations en octobre 2024, et les nombreuses alertes sur les pesticides, le gouvernement semble n’avoir toujours pas compris l’urgence à agir et le « bloc central » s’est souvent allié avec le Rassemblement national (RN) pour repousser toute recette supplémentaire pouvant permettre le financement d’une politique sérieuse sur l’écologie.

Fin septembre, la Cour des comptes a publié un rapport sur le sujet avec un message très clair : la France doit investir massivement dans la transition écologique sous peine de le payer très cher à moyen terme.

Les membres de la Cour des comptes, habituellement si soucieux des deniers publics, préconisaient d’augmenter de 110 milliards par an ce budget, et écartaient tout scénario de statu quo qui, selon eux, se paierait par une chute de 11 points du PIB en 2050. Avec ce budget, on est donc bien loin du compte. « Tous les amendements pour instaurer une fiscalité écologique ont été balayés en commission. L’écologie est moquée, niée »,a regretté la députée écologiste Christine Arrighi lors d’une conférence de presse jeudi 23 octobre, décrivant une extrême droite déchaînée contre l’écologie.

Les premiers signes de l’inaction sont là : au premier semestre, les émissions françaises sont restées stables et pourraient diminuer d’à peine 0,8 % en 2025. C’est six fois moins que la baisse annuelle de 5 % nécessaire pour respecter les engagements climatiques hexagonaux. Dix ans après l’accord de Paris, la France semble renoncer à atteindre les objectifs qu’elle s’est elle-même fixés.

• Fonds vert

Le texte propose une nouvelle coupe de 500 millions d’euros des crédits alloués au Fonds vert, l’enveloppe destinée aux collectivités territoriales pour financer localement la transition verte et l’adaptation au changement climatique. Sa dotation pourrait ainsi passer de 2,5 milliards d’euros à seulement 650 millions d’euros en 2026. « Dans les discussions préalables que nous avons pu avoir avec Sébastien Lecornu, celui-ci disait que la transition écologique devait être de la responsabilité des territoires. Diviser par deux le Fonds vert est une énorme contradiction », souligne Charles Fournier, député écologiste d’Indre-et-Loire et secrétaire de la commission des affaires économiques.

• Protection de l’environnement

D’autres lignes budgétaires confinent au déni de la crise écologique. Le gouvernement envisage par exemple de raboter de 32 millions d’euros les aides fléchées vers la préservation de la biodiversité.

En commission des finances, les écologistes ont cependant réussi à faire retirer du texte présenté par le gouvernement la suppression d’une niche fiscale favorable à la protection des zones humides.

Ensemble pour la République (EPR) et la Droite républicaine ont pour leur part fait adopter des amendements identiques qui suppriment le paiement par les entreprises concernées de la contribution européenne sur les emballages en plastique non recyclés, dite « taxe plastique » – estimée à environ 1,5 milliard d’euros annuels. Les député·es de droite jugent dans leur amendement qu’une telle mesure viendrait « grever la compétitivité » des secteurs de l’agroalimentaire, de la cosmétique et de l’hygiène.

De même, la droite est parvenue à glisser un amendement pour que les associations qui militent contre la maltraitance animale à travers des actions de désobéissance civile, à l’instar de L214, ne bénéficient plus de la défiscalisation des dons de particuliers.

• Nouveau coup de rabot pour MaPrimeRénov’

Suspendue pendant trois mois, l’aide à la rénovation énergétique des ménages – MaPrimeRénov’ – voit son budget amputé de 500 millions d’euros. Depuis deux ans, son budget n’a cessé d’être raboté alors que les bâtiments représentent 25 % des émissions de gaz à effet de serre, et que la France accuse un retard colossal dans sa trajectoire vers la neutralité carbone en 2050.

Concrètement, l’aide est recentrée sur les ménages les plus modestes. Pour les rénovations d’ampleur – les seules réellement efficaces mais qui coûtent cher –, les aides seront réservées aux logements classés E, F et G, considérés comme des passoires thermiques. Les logements D, la classe le plus répandue de logements avec 32 % du parc, ne sont plus éligibles à MaPrimeRénov’.

• Les énergies renouvelables sur la sellette

Alors que se fait toujours attendre le décret sur la troisième loi de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), le gouvernement ne fait pas le pari des énergies renouvelables. Il prévoit ainsi une taxation accrue sur les centrales solaires installées avant 2021. La mesure pourrait rapporter 50 millions d’euros par an.

« On voit que sur ce sujet, le gouvernement tente de faire des appels du pied au Rassemblement national, qui demande un moratoire sur les énergies renouvelables », estime la députée La France insoumise (LFI) Claire Lejeune. De plus, la recette de cette taxe, qui normalement va aux collectivités locales, ira cette fois dans les caisses de l’État. Une nouvelle contradiction dans le discours de Sébastien Lecornu sur le fait que la transition écologique devait être menée par les collectivités.

• Malus véhicules : une petite avancée

Au rayon des avancées, le budget prévoit un malus CO2 qui augmente plus rapidement que ce qui était prévu. Le seuil serait de 98 g/km (gramme par kilomètre) en 2028, contre 113 g/km aujourd’hui pour inciter les consommateurs et consommatrices à se tourner vers les véhicules électriques. « Le problème, c’est qu’il n’y a pas d’accompagnement du secteur automobile derrière pour aller vers des véhicules électriques légers et à un prix abordable », pointe la députée Claire Lejeune.

Les sommes allouées au programme de réduction de l’utilisation des pesticides sont en recul de près de 60 % dans le projet de loi présenté par le gouvernement.

Toutefois, le PLF 2026 propose de débudgétiser le leasing social pour l’acquisition d’un véhicule électrique. Ce mécanisme d’aide publique mis en place début 2024 a permis en une année et à plus de 50 000 ménages d’accéder à une voiture électrique pour environ 100 euros par mois. Le dispositif a rencontré un vrai succès – la demande était telle qu’il a pris fin six semaines après son lancement –, mais le gouvernement propose que cette aide soit désormais portée par les certificats d’économie d’énergie (CEE), un instrument qui oblige les gros fournisseurs d’énergie à appuyer les initiatives ayant trait à l’efficacité énergétique.

« En l’état, on ne sait même pas si les CEE seront en mesure de supporter cette charge financière », commente pour Mediapart Emeline Notari-Andjerakian, responsable financements de la transition écologique au Réseau action climat (RAC).

• Agriculture : la part belle aux niches fiscales

Signe que le ministère de l’agriculture est souverain dans tous ses arbitrages depuis la colère agricole, son budget n’est pas affecté par l’austérité imposée ailleurs. Il baisse d’à peine 5 % par rapport à la loi de finances 2025, pour s’établir à un peu plus de 4 milliards d’euros. Dans les grandes lignes, il ressemble fort à celui de l’an dernier : maintien des nombreuses exonérations fiscales et patronales et coups de rabot dans les financements de la transition écologique. Les sommes allouées au programme de réduction de l’utilisation des pesticides, dit Écophyto, sont ainsi en recul de près de 60 % dans le projet de loi présenté par le gouvernement.

Le « bloc central », la droite et l’extrême droite, cependant, ne se sont pas contentés de cela. En commission des finances ces derniers jours, leurs représentant·es ont réussi à faire passer quelques nouvelles souplesses fiscales : certains amendements, ouvertement estampillés « travaillé avec la FNSEA », introduisent un nouvel abattement et des hausses d’exonérations fiscales.

Mais l’offensive est surtout venue d’un amendement très technique, à l’affichage plus discret. Présenté sous six formes différentes par six groupes de député·es différents – d’EPR à Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot), en passant par Horizons –, adopté dans les six cas, il vise à rétablir l’avantage fiscal accordé aux agrocarburants que le PLF prévoyait de supprimer. Une substantielle ristourne fiscale historiquement accordée au Superéthanol E85 et au Diesel B100, qui a conduit à de juteuses affaires aux frais de l’État et avait été étrillée par la Cour des comptes dès 2021.

Or le B100 – composé à base d’huile de colza, une culture très consommatrice de pesticides – n’est autre que le carburant au cœur du business model du groupe Avril, comme nous le racontions dans notre enquête l’an dernier. Une multinationale présidée par celui qui est également à la tête de la FNSEA, Arnaud Rousseau.

La semaine dernière, le syndicat s’alarmait, avec les filières des cultures concernées, du « projet de hausse brutale de la fiscalité » sur les deux carburants. Le texte de leur communiqué se retrouve, au mot près, dans les justifications des amendements votés cette semaine en commission.

Mickaël Correia, Lucie Delaporte et Amélie Poinsot


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