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Malgré leur joie immense à leur libération dans le cadre du cessez-le-feu, ces Palestiniens, aveuglés, battus et privés de nourriture dans les prisons israéliennes, luttent pour surmonter des séquelles inimaginables.
Lundi après-midi, des dizaines de milliers de Palestinien.ne.s ont envahi la cour de l’hôpital Nasser à Khan Younis, dans le sud de Gaza. Ils étaient là pour accueillir les bus transportant les détenus palestiniens libérés dans le cadre de l’accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas. Certain.e.s étaient venus accueillir des proches, d’autres simplement pour assister à ce moment historique. La cour débordait d’émotion : joie, larmes, chagrin et incrédulité.
Sur les quelque 2 000 détenus palestiniens libérés dans le cadre de la première phase de l’accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, plus de 1 700 sont originaires de la bande de Gaza. Pourtant, de nombreux Palestiniens ont estimé que le résultat était en deçà de leurs attentes par rapport aux échanges précédents, au cours desquels le Hamas avait obtenu la libération d’un nombre beaucoup plus important de détenu.e.s en échange d’un nombre beaucoup plus faible de prisonniers israéliens — notamment dans le cadre de l’« accord Shalit » de 2011, qui avait permis la libération de 1 027 Palestiniens en échange d’un seul soldat israélien.
Après avoir été examinés, les détenus ont quitté l’hôpital et ont traversé les rues en ruines de la ville, tous vêtus d’uniformes de prisonniers gris qui recouvraient leurs corps émaciés. Ils avaient la tête rasée, la barbe hirsute, le visage marqué par des semaines, des mois, voire des années de souffrance.
Parmi eux se trouvait Haitham Moein Salem, 43 ans, habitant de Beit Lahiya, dans le nord de la bande de Gaza. Il avait été arrêté par l’armée israélienne un peu plus d’un an auparavant, lors d’une incursion israélienne dans la ville de Gaza. Le 10 septembre, un mois avant sa libération, une frappe aérienne israélienne a touché la tente de sa famille dans la présumée « zone de sécurité » d’Al-Mawasi, près de Khan Younis, tuant sa femme et ses trois enfants : Iman, Layan et Baraa. Il croyait qu’ils seraient là pour l’attendre à son retour.
« Personne ne m’a informé que ma famille avait été prise pour cible », a-t-il déclaré au magazine +972 après sa libération. « L’armée israélienne avait la réputation de délivrer les mauvaises nouvelles en provenance de Gaza, en particulier lorsque nos familles étaient frappées ou tuées. »
Quand il a appris la nouvelle, Salem s’est effondré et les ambulanciers ont dû le transporter en fauteuil roulant. Pendant plus d’un mois, il avait préparé un petit cadeau pour sa fille Layan, sculpté dans des noyaux d’olives qu’il avait ramassés par terre. Il l’avait gardé dans sa poche tout ce temps, le réservant pour ce qui aurait été son 9e anniversaire, le 18 octobre.
« J’ai commencé à compter les jours [en prison], en espérant sortir à temps pour fêter son anniversaire », se souvient-il. « Mais aujourd’hui, cinq jours avant cette date, j’ai appris qu’elle était devenue une martyre. »
La tragédie de Salem n’était pas isolée. Parmi les détenus récemment libérés figurait Mohammad Assaliya, 28 ans, qui avait été arrêté fin janvier 2024 lors d’une incursion terrestre israélienne à Jabalia.
Cinq mois plus tard, le 31 mai, une frappe aérienne a visé la maison familiale, tuant son père, sa mère et huit de ses frères et sœurs. Seule une sœur a survécu. « La liberté a un goût indescriptible ; notre joie était indescriptible, mais elle s’est effondrée lorsque j’ai appris le martyre de ma famille », a-t-il déclaré à +972.
« Un gardien de prison m’en avait parlé, mais je m’accrochais à l’espoir que ce n’était pas vrai, que ce n’était qu’une torture psychologique. »
Détenu à la prison de Ketziot dans le désert du Naqab (Néguev), Assaliya a décrit les formes de maltraitance qu’il a subies au cours de son emprisonnement : « On nous privait de nourriture et d’eau, on nous empêchait de dormir et on ne nous autorisait à aller aux toilettes qu’une fois par jour.
Nous étions soumis au shabeh [une forme de torture consistant à attacher les poignets du prisonnier et à le suspendre à un mur ou à une porte, les bras écartés, les pieds touchant à peine le sol]. Nous mangions des repas sommaires tout en étant attachés. »
Assaliya a déclaré que les mauvais traitements se sont poursuivis même pendant ses derniers jours de détention. « Deux jours avant notre libération, ils nous ont rassemblés dans des bus et nous y ont gardés jusqu’à ce que nous soyons libérés. Nous savions qu’il y avait un accord, mais les soldats nous ont dit que nous étions envoyés dans une autre prison appelée « l’Enfer ». Pendant cette période, nous n’avions pas le droit de manger ni de boire, et quiconque parlait à un autre détenu était battu. Ce fut une période de pression psychologique intense. »
Des milliers de Palestiniens se rassemblent à Khan Younis, dans le sud de Gaza, pour accueillir les prisonniers libérés des prisons israéliennes à la suite du cessez-le-feu avec Israël, le 13 octobre 2025. (Doaa Albaz/Activestills)
L’état de Mahmoud Abu Foul, un jeune homme de 28 ans originaire du nord de Gaza, se distinguait même parmi la foule de corps émaciés qui sortaient des bus à l’hôpital Nasser lundi. Son visage et son corps portaient les marques de l’épuisement, de la maladie et des mauvais traitements. Dès son arrivée, il a été admis aux urgences, avant d’être transféré à l’hôpital Al-Aqsa de Deir Al-Balah.
Quelques heures plus tard, il a été libéré, mais il ne voyait plus et souffrait d’une grave inflammation au niveau du moignon de sa jambe, qui avait été amputée en 2015 à la suite d’une blessure causée par une frappe aérienne israélienne alors qu’il travaillait dans une forge.
+972 s’est entretenu avec Abu Foul quatre jours plus tard depuis une tente à Az-Zawayda, dans le centre de Gaza, où il s’était réfugié avec sa famille. « J’ai été arrêté par les forces d’occupation à l’hôpital Kamal Adwan, dans le nord de Gaza, le 27 décembre 2024 », a-t-il raconté. « J’ai été soumis à d’horribles tortures. Ils avaient un outil en bois et me frappaient sans cesse à la fois devant et derrière, ce qui m’a fait perdre la vue. »
Abu Foul pense qu’il est devenu aveugle il y a environ huit mois. « Depuis cette époque, je ne vois plus rien », dit-il. « Même si j’avais perdu la vue, l’interrogateur a continué à me maltraiter. Il m’a frappé à plusieurs reprises sur ma jambe amputée et m’a suspendu par celle-ci plus d’une fois. Au cours d’un des interrogatoires, on m’a demandé de m’asseoir juste sur ma jambe amputée. Cela m’a fait extrêmement mal et a provoqué un saignement, qui a ensuite entraîné une inflammation.
Bien sûr, je n’ai reçu aucun médicament ni traitement pendant mon séjour en prison, ce qui a aggravé mon état. Je devais me laver uniquement à l’eau. »
Ce qui fait le plus souffrir Abu Foul, a-t-il admis, c’est le chagrin qu’il a ressenti lorsque sa famille l’a vu dans cet état. « Il a été difficile pour ma famille de supporter le choc de me voir ainsi, aveugle. Ils pleuraient devant moi, remerciant Dieu que j’en sois sorti vivant. »
Abu Foul espère maintenant avoir la chance de se faire soigner à l’étranger. Il a été orienté vers un ophtalmologiste qui lui a donné un peu d’espoir. « Il m’a dit qu’il y avait une chance que je retrouve la vue grâce à un certain traitement, mais celui-ci n’est pas disponible dans la bande de Gaza en raison de l’effondrement du système de santé et des hôpitaux.
La blessure à mon pied nécessite également un traitement intensif afin qu’elle ne s’infecte pas et n’entraîne une nouvelle amputation », a-t-il ajouté. « Tout ce que je veux, c’est retrouver la vue d’un œil pour pouvoir voir ma famille. »
Le parcours du journaliste Shadi Abu Sidwa, âgé de 30 ans, révèle l’ampleur des tortures psychologiques infligées aux détenus palestiniens dans les prisons israéliennes. Résident de la ville de Gaza, Abu Sidwa a été arrêté le 18 mars 2024 alors qu’il était déplacé et cherchait refuge à l’hôpital Al-Amal de Khan Younis.
« Nous avons été très mal traités, soumis à des shabeh, à des coups et à des humiliations verbales, physiques et psychologiques », a-t-il déclaré à +972. « L’un des interrogateurs m’a dit qu’Israël avait tué tous les journalistes de la bande de Gaza. Il m’a dit que les soldats avaient cassé l’objectif de mon appareil photo lorsque j’ai été arrêté afin que je ne puisse plus témoigner de ce qui se passait, puis il a menacé de me faire perdre aussi mon œil.
Il a continué à me frapper sur l’œil jusqu’à ce qu’il saigne pendant trois semaines. Je n’ai jamais reçu de soins médicaux. »
Deux semaines après son arrestation, les autorités pénitentiaires ont informé Abu Sidwa que sa femme et ses trois enfants avaient été tués par l’armée israélienne à Gaza. Détenu dans un isolement presque total sans contact avec le monde extérieur et convaincu qu’il n’avait plus de famille à retrouver à sa libération, Abu Sidwa ne rêvait que de revoir le soleil à sa sortie de prison.
« J’ai quitté la prison le cœur lourd, imaginant ce que serait ma vie sans ma famille, convaincu qu’ils étaient tous tombés en martyrs », se souvient-il.
Mais ce lundi, lorsqu’Abu Sidwa a finalement été libéré, il a été stupéfait d’apprendre par son frère que toute sa famille était vivante et en sécurité.
Au début, il a refusé de le croire, pensant que son frère essayait simplement de le réconforter. Mais lorsqu’il est rentré chez lui à Gaza, il a découvert que non seulement sa maison était toujours debout, mais que toute sa famille l’attendait à l’intérieur.
Des Palestiniens qui étaient détenus dans des prisons israéliennes saluent leurs soutiens depuis un bus qui arrive à Khan Younis, dans le sud de Gaza, le 13 octobre 2025. (Doaa Albaz/Activestills)
Tareq Tabash, 45 ans, un autre détenu libéré, a passé 25 ans derrière les barreaux après avoir été arrêté par l’armée israélienne en février 2001 à un poste de contrôle à Khan Younis. Il a été condamné à la prison à vie plus 15 ans pour son implication présumée dans le meurtre de deux soldats israéliens.
Il y a cinq ans, sa mère a succombé à la maladie. Tabash n’a pas été autorisé à la voir dans ses derniers moments ni à assister à ses funérailles.
Malgré des restrictions sévères, il était déterminé à poursuivre ses études pendant son séjour en prison. Il a obtenu un diplôme d’études secondaires, puis une licence en histoire, et avait commencé à préparer des études de troisième cycle — jusqu’à ce que, selon lui, les autorités pénitentiaires israéliennes imposent de nouvelles restrictions après le début de la guerre, le 7 octobre.
« Les conditions dans la prison se sont détériorées de manière indescriptible depuis la guerre », a-t-il déclaré à +972 après sa libération. « La torture et les punitions sont devenues la norme. L’armée nous tourmentait en nous racontant tout ce qui se passait à Gaza : le génocide, le grand nombre de martyrs, la famine.
Les inspections de sécurité étaient l’une des principales formes de torture destinées à nous humilier et à nous maltraiter », a poursuivi Tabash. « Nous étions obligés de nous agenouiller, de baisser la tête et de poser nos mains dessus. Les gardes nous provoquaient délibérément, utilisant le moindre mouvement comme excuse pour nous frapper avec des bâtons et des crosses de fusil.
Nous étions privés de nourriture, de boissons et de médicaments, même ceux qui souffraient de maladies chroniques », a-t-il ajouté. « On nous refusait les produits d’entretien et les articles d’hygiène personnelle, et on nous interdisait de changer de vêtements ou de prendre des douches. Les prisons étaient surpeuplées. On nous a dépouillés de nos biens, et même de la possibilité de parler entre nous. »
Tabash a appelé la communauté internationale à prendre des mesures urgentes pour améliorer la situation dans les prisons israéliennes et sauver ceux qui y sont encore détenus. « Les tortures que nous avons subies – psychologiques, physiques et sociales – dépassent tout ce que l’on peut imaginer. »
Comme Tabash et Abu Sidwa, Raja Daghmeh, 30 ans, habitant de la ville d’Abasan à l’est de Khan Younis, a subi de graves tortures psychologiques après son arrestation le 26 janvier 2024 à un poste de contrôle militaire lors de l’incursion israélienne dans la ville.
Daghmeh a déclaré à +972 que, peu avant sa libération, un interrogateur de la prison du Néguev l’avait menacé de le tuer à la première occasion s’il ne quittait pas Gaza avec sa femme et sa jeune fille pour s’exiler.
« Pendant toute la durée de ma détention, nous avons été privés de tout, même de la lumière du soleil », a-t-il déclaré, faisant écho aux témoignages d’autres détenus. « Nous avons été soumis à des tortures constantes : shabeh, fractures, coups violents, privation de nourriture et d’eau, et restrictions quant à l’utilisation des toilettes. Nous avions le droit de prendre une douche une fois par mois, sans changer de vêtements. En hiver, on ne nous donnait pas de couvertures pour nous réchauffer. Nous nous attendions à mourir à tout moment à cause des tortures. »
Parmi la foule rassemblée à l’hôpital Nasser se trouvait Mahmoud Mohsen, 39 ans, du camp de réfugiés de Khan Younis, venu accueillir les prisonniers libérés. Au cours d’un entretien avec +972, il a exprimé son mécontentement face au retard pris par le Hamas pour signer un accord de cessez-le-feu qui, selon lui, « aurait épargné la vie de nombreux Gazaouis et protégé la bande de Gaza contre la destruction supplémentaire de bâtiments et d’infrastructures ».
Mohsen a toutefois affirmé que, selon lui, le véritable résultat de l’accord actuel n’était pas la libération des prisonniers en soi, mais l’arrêt des attaques israéliennes et des effusions de sang quotidiennes.
Ismail Al-Thawabtah, chef du bureau des médias du gouvernement de Gaza, a partagé le même sentiment lorsqu’il s’est joint à la foule à l’hôpital. « La seule réussite aujourd’hui est d’avoir mis fin au génocide », a-t-il déclaré. « Tout ce qui nous importait, c’était d’arrêter les massacres et la destruction de nos villes, quels que soient les détails de l’accord. »
Le porte-parole de l’armée israélienne n’a pas répondu directement aux allégations contenues dans le rapport, mais a renvoyé +972 vers l’administration pénitentiaire israélienne, qui a déclaré « fonctionner conformément à la loi et sous la supervision d’organismes de contrôle officiels. Tous les détenus sont incarcérés selon les procédures légales, et leurs droits, notamment l’accès aux soins médicaux et à des conditions de vie adéquates, sont respectés par un personnel formé professionnellement. Nous n’avons pas connaissance des allégations décrites et, à notre connaissance, aucun incident de ce type ne s’est produit sous la responsabilité de l’IPS. »
Ibtisam Mahdi 17 octobre 2025
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