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Habiter est devenu un luxe. À Paris, pour une famille, un cinq-pièces se loue entre minimum 2 500 et 2 700 euros par mois. Dans le reste du pays, les loyers grimpent, les salaires stagnent et les files d’attente pour un logement social s’allongent. Derrière les chiffres, une réalité brutale : 12 millions de personnes peinent à se loger dignement, 4,1 millions vivent dans des conditions indignes et 350 000 sont sans abris.
Les familles monoparentales, désormais une sur quatre en France, sont parmi les plus exposées à cette crise : un tiers d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté. Face à des loyers inaccessibles et à la précarité salariale — les salaires des femmes restant en moyenne 22 % inférieurs à ceux des hommes, à poste égal —, beaucoup peinent à trouver un toit stable. Certaines associations et villes, comme Paris, tentent d’apporter des réponses locales, mais les besoins dépassent largement les dispositifs existants.
Depuis quarante ans, le logement a été livré au marché, transformé en marchandise plutôt qu’en droit. Pendant que les prix flambent et que 3 millions de logements restent vacants, la politique publique s’est effacée. Il est temps de rompre avec cette logique du profit et de refonder une stratégie nationale : bloquer les loyers, construire, aider, réguler. En plein débat budgétaire, les priorités du Gouvernement Lecornu apparaissent au grand jour : rien sur la lutte contre le sans-abrisme et les morts à la rue, offensive contre les APL et désintérêt complet pour le logement social. Notre article.
Le logement est devenu un symbole brut des inégalités sociales. En moyenne, il absorbe 30 % du revenu des locataires du privé et 25 % pour les accédants à la propriété. Pour les plus modestes, c’est un gouffre : le taux d’effort atteint 56 % pour le premier décile de revenus. Autrement dit, les 10 % les plus pauvres consacrent plus d’un euro sur deux à leur toit.
Dans le Grand Paris, 30 % des logements Airbnb sont loués exclusivement à des touristes, retirés durablement du marché classique. À Nice, 70 % des meublés appartiennent à des investisseurs. Et malgré l’encadrement en vigueur dans certaines villes, près d’un tiers des annonces dépassent les loyers plafonds, selon la Fondation pour le logement des défavorisés.
Cette flambée des loyers chasse les classes populaires des centres urbains, accentue la ghettoïsation sociale et aggrave la crise écologique : l’éloignement domicile-travail explose, les transports s’alourdissent, la ségrégation territoriale s’installe.
Ainsi, l’encadrement des loyers doit devenir la règle, pas l’exception. Un dispositif national doit être réellement appliqué, avec des contrôles effectifs et des sanctions pour les abus, ainsi qu’une régulation stricte des locations touristiques dans les zones tendues. Le logement ne doit plus être une rente : c’est un droit universel.
Le marché privé ne répond plus aux besoins vitaux : il produit de la rente, non des habitations. En 2023, seules 90 000 habitations sociales ont été construites, deux fois moins qu’en 2017, alors que plus de deux millions de familles sont en attente d’un logement social. Ce chiffre a bondi de 20 % en huit ans, signe d’une crise structurelle.
Le déficit accumulé depuis trente ans équivaut à un million d’habitations manquantes. Et quand il y a construction, elle concerne souvent le haut de gamme subventionné, non le logement populaire. Les programmes dits « sociaux » se concentrent sur le Prêt locatif social (PLS), le segment le plus cher du parc HLM.
Cette pénurie n’est pas un accident : elle découle d’un désengagement progressif de l’État. Les subventions directes au logement social ont été divisées par six depuis 1999 et par trois depuis 2010.
Le quinquennat Macron a accentué cette orientation : baisse des APL, ponction sur les bailleurs sociaux, vente à la découpe du patrimoine HLM. Résultat : des offices étranglés financièrement et des loyers en hausse même dans le parc public. Pourtant, le logement social reste le rempart le plus efficace contre la pauvreté : le taux d’effort des locataires HLM n’est « que » de 23,9 %, contre 30 % dans le privé.
Un plan à la hauteur s’impose : 200 000 logements publics construits par an, financés par l’épargne réglementée du Livret A et un grand plan d’investissement public.
L’enjeu est également écologique. Chaque chantier de rénovation thermique réduit la facture énergétique, les émissions et les inégalités. Un ménage sur cinq souffre du froid dans son habitation, et 3 millions de personnes vivent dans des habitats dégradés sans chauffage ni sanitaires. Rénover, c’est relancer l’économie réelle, créer des emplois non délocalisables et garantir la dignité. Bref : un logement public, c’est une triple victoire : sociale, économique et écologique.
La construction ne résoudra pas tout : il faut aussi soutenir les ménages. En 2017, le gouvernement a décidé de baisser les APL de cinq euros, puis de réformer leur calcul pour en réduire la portée. Des milliards ont ainsi été économisés sur le dos des locataires, tandis que les investisseurs bénéficiaient de nouveaux avantages fiscaux. Résultat : le logement absorbe plus de la moitié du revenu des 10 % les plus pauvres. Une revalorisation des aides au logement est indispensable, avec indexation sur les loyers réels et accès simplifié aux dispositifs existants.
Mais l’enjeu majeur reste la lutte contre la spéculation. Les lois de défiscalisation, comme le dispositif Pinel, ont transformé la pierre en produit financier, gonflant les prix et enrichissant une minorité. Dans les grandes villes, la multiplication des locations touristiques a retiré des dizaines de milliers de logements du marché résidentiel.
Les plateformes doivent être strictement encadrées, avec un quota annuel de jours louables et des sanctions réelles. La spéculation immobilière n’est pas une fatalité : c’est un choix politique, un choix de classe.
Pour en sortir, plusieurs leviers sont possibles :
• Taxer lourdement les logements vacants et les résidences secondaires spéculatives
• Supprimer les niches fiscales qui entretiennent l’inflation immobilière
• Renforcer les pouvoirs publics locaux pour préempter et réguler le foncier.
Le logement n’est pas un instrument d’enrichissement personnel : c’est le socle de la vie sociale, de la sécurité et de l’émancipation. Sans toit, il n’y a ni liberté, ni égalité, ni fraternité.
Depuis quarante ans, l’État a laissé le marché décider qui peut habiter dignement. Résultat : des millions de mal logés, des loyers qui flambent et des villes livrées aux investisseurs. Il est désormais urgent de reprendre la main sur la politique du logement : bloquer les loyers, construire du logement public, revaloriser les aides et endiguer la spéculation. Le logement n’est pas un produit financier : c’est une condition d’existence, un droit fondamental. Tant qu’un seul enfant dormira dehors, la République n’aura pas tenu sa promesse d’égalité.
Par Elias Peschier
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