Brigitte Blang
En février 1933, un fait divers sans précédent éclate dans la bonne société du Mans. Deux domestiques, Christine Papin et sa sœur Léa, assassinent leurs patronnes, Germaine Lancelin et sa fille Geneviève. Sauvagerie, violence, atrocité, barbarie. Les mots se bousculent dans la presse. Les coupables avouent. Oui, elles ont tué. Oui, elles se sont acharnées sur les corps. Oui, elles ont nettoyé la maison après le crime. Parce que c’est ainsi qu’on fait. Parce que c’est leur travail, après tout. Il faut que tout soit « propre ». Alors, elles ont nettoyé… Le mobile ? Elles ne savent pas. Elles ne savent plus. La patronne s’est montrée menaçante, pour un fer à repasser en panne. Peut-être. Ou pas.
Dans la bourgeoisie de ces années-là, les patrons ne sont pas toujours bienveillants pour leurs employés. Certains méprisent, d’autres soupçonnent, épient, comptent et recomptent les fruits, les couverts, la monnaie, pèsent le beurre et le fromage. Comment vivent les bonnes dans des maisons où rien n’est fait pour elles ? On met un chapeau pour aller à l’église le dimanche, mais est-on une « dame » pour autant ? En a-t-on oublié les humiliations répétées, les brimades accumulées et l’enfance sordide entre alcool, inceste, suicides et placements successifs ? Et pour autant, rien n’excuse un meurtre.
Les intellectuels, les surréalistes s’emparent du drame. Lacan en fait un cas d’école. Les uns hurlent à la mort, les autres à la transgression géniale. Et la presse, nationale ou locale, a tôt fait de rejeter les deux sœurs hors de la communauté humaine. Pourtant, l’Humanité dénonce l’exploitation ouvrière, l’esclavage moderne bien à l’abri dans l’office des grandes maisons, et dit, en un mot, la lutte des classes.
En septembre, le procès s’ouvre. Procès expédié. Christine, donnée comme incitatrice du crime, et qui en a pris la responsabilité au cours de l’été pour sauver sa sœur, est condamnée à la guillotine. Léa à 10 ans de travaux forcés. Le président de la République va gracier l’ainée. Preuve s’il en fallait que les interrogations existent. Et malgré toutes les interprétations artistiques qui en ont été faites, 80 ans plus tard, elles demeurent…
Source : http://www.lepartidegauche.fr/educp...
Crime social, crime sexuel, crime psychiatrique ? L’affaire Papin fit couler beaucoup d’encre et tourner beaucoup de bobines. Jean Genet, Claude Chabrol et Jean-Pierre Denis la racontèrent dans les Bonnes (1947), la Cérémonie (1995) et les Blessures assassines (2000). Elle fascina les surréalistes, les existentialistes et même un jeune interne des hôpitaux de la Seine, Jacques Lacan, qui développa grâce à elle le thème de la psychose paranoïaque…
Les faits sont les suivants : le 2 février 1933, Christine Papin, 28 ans, et sa sœur Léa, 22 ans, domestiques dans une famille bourgeoise du Mans depuis sept ans, tuent sauvagement leurs patronnes. Mme Lancelin et sa fille Geneviève, 21 ans, étaient rentrées chez elles vers 17 h 30. « Christine fit remarquer à sa patronne qu’un fer à repasser électrique était pour l’énième fois détraqué, raconte l’Humanité le 29 septembre 1933 à l’ouverture du procès des deux sœurs. Cela n’eut pas le don de plaire à la parfaite bourgeoise qu’était la notairesse, qui fit mine de lever la main sur Christine. Mal lui en a pris, cette dernière se défendit en attaquant, armée d’un pichet, elle frappa, et comme la fille de la patronne venait au secours de la mère, la sœur de Christine, Léa, défendit sa sœur en danger. Les deux patronnes furent rapidement hors de combat et les deux sœurs, en proie à un accès de fureur folle, les achevèrent à coups de couteau et de marteau. Après quoi, Léa et Christine allèrent se laver, se déshabillèrent et se mirent au lit, où la police vint les arrêter. » Le journaliste de l’Humanité épargne ses lecteurs : la réalité est encore plus sordide. Les deux patronnes furent énucléées, frappées à coups de marteau et de couteau et ciselées comme des lapins prêts à cuire. Les plus cyniques diront que, jusqu’au bout, les sœurs Papin auront été des cuisinières modèles. Évidemment, le fait qu’elles soient retrouvées nues et enlacées dans le même lit décupla l’intérêt que la presse à scandale portait au meurtre… D’une aussi courte durée, le procès évoque à peine la vie des deux sœurs
Près de huit mois après les faits, le procès des deux sœurs est incroyablement court (treize heures). « Après six mois d’instruction, la police n’a pas pu ou plutôt n’a pas voulu rechercher les causes exactes de ce drame », dénonce l’Humanité. Le ou la journaliste (les articles ne sont pas signés à l’époque) opte clairement pour un crime social : « Les véritables raisons de ce meurtre, on peut les chercher dans l’enfer que vivaient ces deux “domestiques” dans cette famille bourgeoise. Oh ! Non pas qu’elles soient mal nourries ou mal logées, mais plutôt les vexations, les rabaissements que chaque jour leur faisaient subir les patrons, et la patronne en particulier. (…) Et il y avait sept ans que la vie d’esclave durait. Trouvez-vous étonnant qu’à la suite d’une dernière menace, toute la rancœur, toute la haine que l’imbécile bourgeoise avait accumulées au cœur de ses servantes aient tout à coup explosé avec une rage folle ? Certes, il ne s’agit pas ici d’approuver le geste des deux sœurs, mais de l’expliquer, de montrer comment ces servantes modèles quant à leur travail en sont arrivées à cette absurde extrémité. » Et le ou la journaliste de conclure : « Ce procès ne devrait pas être celui des sœurs Papin toutes seules, mais aussi celui de la sacro-sainte famille bourgeoise au sein de laquelle se développent et fleurissent, quand ce n’est pas les pires turpitudes, la méchanceté et le mépris pour ceux qui gagnent leur vie à la servir. »
D’une aussi courte durée, le procès évoque à peine la vie des deux sœurs. Pour Christine, « “éducation” reçue dans un dur orphelinat du “bon pasteur”, ensuite sept ans de vie de “bonne” avec des patronnes hautaines et méchantes, pour qui une bonne, même modèle, ça n’est fait que pour obéir aux moindres désirs de “madame” », dénonce encore l’Humanité. Le cocktail est explosif : « Éducations défectueuses, vies renfermées, haine latente mais profonde, détraquement cérébral et c’est soudain le drame féroce, sadique, le double crime qui a fait frémir toutes les bourgeoises du Mans. »
Durant toute l’audience, les deux sœurs restent muettes : « Malgré les appels du président, Christine ne répond que de la tête, affirmativement ou pour nier. » Les psychiatres ? « Elles ne présentent pas de tares », assurent-ils à l’audience, et sont « totalement responsables ».
Après une brève bataille d’experts psychiatres (lire ci-dessous), le verdict tombe : Christine Papin est « condamnée à avoir la tête tranchée sur la place du Mans ». « Ainsi, la justice bourgeoise a rendu son arrêt terrible après un réquisitoire forcené, féroce – un réquisitoire de bourgeois haineux, un réquisitoire de classe – du procureur Riegert, dont nous rappelons la phrase typique : “Pas de pathologie dans cette affaire ! De la psychologie simplement. Ce sont des chiennes hargneuses qui mordent la main quand on ne les caresse plus.” Et c’est bien le langage féroce d’un bourgeois pour qui les exploités sont des chiens que l’on doit cingler à coups de fouet. (…) Quant aux caresses dont parle M. Riegert, les jeunes exploitées des places bourgeoises savent ce que cela veut dire et qui est une exploitation de plus. »
Et l’Humanité de conclure dans une internationale féministe des bonnes : « Que les dizaines de milliers de “petites bonnes”, partie de la jeunesse exploitée, viennent aux côtés de leurs sœurs des usines et des bureaux à l’action pour la défense de leur revendication, pour leur émancipation totale. »
Dans l’Humanité du 30 septembre 1933
« Puis, le docteur Schutzen Berger, médecin en chef des asiles de la Sarthe, vient affirmer qu’elles ne présentent pas de traces de tares. “Elle nous parle à la troisième personne, en bonne bien stylée”, commente-t-il. M. le docteur voit-il donc dans cette habitude d’esclave une absence de “tares” ? Pour conclure que les deux sœurs Papin sont “totalement responsables”. Me Pierre Chautemps, un des avocats, demande alors au docteur s’il n’a pas communiqué à la presse déjà ses conclusions, en “affirmant leur infaillibilité”. Pas de réponse. Des détenues viennent témoigner et signaler des gestes et actes de Christine qui montrent son détraquement tournant au sadisme. Le docteur Lagre, aliéniste, cité par la défense, appuie dans ce sens. Après cette controverse entre médecins, Me Pierre Chautemps demande un supplément d’information que le procureur repousse ainsi que la cour. »
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