6 juillet 1750 Jean Diot et Bruno Lenoir sur un bûcher pour cause d’homosexualité

mardi 7 juillet 2020.
 

En juillet 1750, Bruno Lenoir et Jean Diot sont mis à mort en place de Grève à Paris. Les deux hommes paient ainsi de leur vie le fait d’être homosexuels. Ils seront les derniers condamnés en France pour cette « raison ». Une plaque, aujourd’hui, témoigne de cette histoire violente, meurtrière.

Au tout début du mois de juillet 1750, deux hommes sont étranglés puis brûlés en place de Grève (aujourd’hui la place de l’Hôtel-de-Ville) à Paris, le lieu par excellence des exécutions et des supplices publics sous l’Ancien Régime. Ces deux hommes s’appellent Bruno Lenoir et Jean Diot, ils sont homosexuels et on les assassine pour cette seule raison. Dans la mémoire collective, on réduit parfois Bruno Lenoir et Jean Diot à leur mystère, à «  l’affaire  » Diot-Lenoir. Car leur mise à mort résiste encore aux interprétations et aux analyses. Dans la France de Louis XV, en effet, la répression de l’homosexualité est bien moins sévère qu’elle ne l’a été. Une lente évolution des mœurs judiciaires est à l’œuvre. En 1750, cependant, le bûcher sera dressé sans que personne n’y trouve vraiment à redire.

Bruno Lenoir est un jeune garçon cordonnier de vingt et un ans, Jean Diot, quarante ans, garçon domestique dans une charcuterie du quartier.

Dans le cas d’une première arrestation pour homosexualité, au début du dix-huitième siècle, les délinquants ne passent guère plus de quelques heures, voire quelques jours, en prison. L’affaire se solde en général par une remontrance, une «  mercuriale  ». La récidive rallonge parfois le séjour derrière les barreaux, mais on ne craint guère plus.

Cherchant à deviner les causes de l’acharnement arbitraire qui a envoyé ces deux hommes-là au bûcher, les chroniqueurs et les historiens ont parfois invoqué la nécessité de faire un exemple  : le «  vice italien  » (comme on dit à la Renaissance) se répand dans toutes les classes sociales. On en oublierait que les homosexuels risquent toujours le feu.

Mais l’histoire judiciaire de l’homosexualité à l’époque moderne est à plusieurs vitesses. Et de fait, comme le rappelle Maurice Lever dans les Bûchers de Sodome (Fayard, 1985), Jean Diot et Bruno Lenoir sont «  dépourvus de toute protection  ». Ce sont des hommes du peuple. Si, depuis la Renaissance, on collectionne les anecdotes frivoles concernant certains rois ou certaines personnalités de la cour plus ou moins ouvertement homosexuels, il en va tout autrement à mesure que l’on descend l’échelle sociale. N’est pas Henri III qui veut.

Et dans les années les plus libérales de 
l’Ancien Régime, les géométries sont encore et toujours variables. On renvoie chez lui un fils de famille dans l’heure, on exile un ecclésiastique, mais on prend moins de gants quand il s’agit d’un artisan ou d’un domestique… Ce sont eux qui finissent sur le bûcher quand il s’agit de montrer l’exemple. Jean Diot et Bruno Lenoir ne sont pas seulement homosexuels ou particulièrement malchanceux  : ils sont mal nés.

A l’initiative du groupe communiste et élus du Parti de gauche, le Conseil de Paris a voté en décembre l’apposition d’une plaque en hommage à Jean Diot et Bruno Lenoir, à l’endroit exact de leur arrestation par le guet en 1750, pour témoigner d’une autre histoire de l’homosexualité. Une histoire souterraine, celle d’amoureux ordinaires, celle d’hommes et de femmes engloutis par l’histoire. Une histoire violente, meurtrière, dont l’écho se perpétue malgré l’évolution des mentalités et les progrès de la loi et de l’égalité. Les drames que vivent de nombreux jeunes homosexuels, la recrudescence répétée des agressions, les soubresauts dangereux de certains partis et de certaines coteries nous rappellent que l’homophobie n’a pas disparu – loin de là.

Si les homophobes ne brandissent plus très souvent le Lévitique («  Quand un homme couche avec un homme comme on couche avec une femme, ils (…) seront punis de mort  »), ils agitent toujours spontanément la haine de l’autre, une détestation quotidienne, presque banale.

C’est contre le silence et l’indifférence, contre la légèreté de la mort de Jean Diot et de Bruno Lenoir que lutte notre mémoire.

Ian Brossat, président des élus communistes et Parti de Gauche au Conseil de Paris


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