Faut-il avoir peur des OGM ? Table ronde

jeudi 31 janvier 2008.
 

Table ronde avec :

Louis-Marie Houdebine, directeur de recherche à l’INRA, expert à l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments,

Marcel Mazoyer, ancien directeur de recherche à l’INRA, professeur émérite à l’Institut national d’agronomie,

Jacques Testart, biologiste, directeur de recherche honoraire de l’INSERM, président de la Fondation Sciences citoyennes.

Comment jugez-vous la décision prise par la France de suspendre le maïs OGM Monsanto, le seul cultivé aujourd’hui dans notre pays ?

Jacques Testart. S’il n’y avait pas eu le mouvement des faucheurs et José Bové, on ne parlerait pas des OGM. On ferait comme les Américains, on en mangerait sans se poser de questions. C’est bien grâce au rapport de forces que cette décision a été prise. Car, en réalité, le comité de préfiguration de la haute autorité sur les OGM, qui devait éclairer le choix du politique sur le maïs Monsanto, ne nous apprend rien de nouveau. Nous sommes nombreux à mettre en avant, et depuis longtemps, les problèmes que posent les OGM, sans avoir d’écoute de la part de nos collègues scientifiques. À ma connaissance, c’est la première fois que des politiques, comme le président de l’Assemblée nationale Bernard Accoyer, s’insurgent contre une décision venant d’une commission scientifique, en la taxant de pseudo-scientifique. Jamais je n’ai entendu dire cela lorsqu’a été publié, par exemple, le rapport de l’Académie des sciences, il y a trois ans, sur les OGM, qui est pourtant d’une nullité crasse. Il aura donc fallu toute cette agitation pour enfin prendre en compte des évidences : par exemple, le fait que le pollen du maïs peut être transporté sur cent kilomètres. Ce qui veut dire que mettre des distances de sécurité entre les champs OGM et non-OGM est absurde. Il en va de même pour les tests. Pour les produits potentiellement toxiques, deux ans d’études sont nécessaires, sur trois espèces animales différentes. Pour les OGM, les tests sont limités à trois mois sur une seule espèce. Pourquoi a-t-il fallu autant de temps pour constater ces manques ?

Louis-Marie Houdebine. Mais on n’a pas du tout attendu telle ou telle commission pour faire de la biosécurité. Depuis trente ans, il existe une commission de génie génétique. J’y siège depuis vingt ans. La commission de génie biomoléculaire a existé pendant plus de vingt ans. Et l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) existe depuis six ans. J’y suis depuis sa création. On y juge tous les projets, en se préoccupant de l’innocuité des produits. Or, l’AFSSA refuse déjà un projet sur deux. De même, la commission de génie biomoléculaire n’accepte pas n’importe quoi. Ce qui veut dire que le principe de précaution est respecté. Au fond, je pense que l’activation par la France de la clause de sauvegarde sur le maïs Monsanto était décidée à l’avance. Car le comité de préfiguration ne parle pas d’effets négatifs nouveaux. C’est une décision politique.

Marcel Mazoyer. Sur les OGM, chacun sait bien que l’on parle de risques possibles mais non avérés. Avec l’activation de la clause de sauvegarde sur le MON 810, c’est la première fois que des risques non avérés sont pris en compte. Les OGM sont des objets nouveaux mal identifiés. Les étudier pendant trois mois, on voit bien que ce n’est pas assez. L’innocuité d’un aliment ou d’un médicament nécessite une vingtaine d’années de recherche. Certains médicaments étudiés pendant dix ans se sont révélés affreusement nocifs vingt ou vingt-cinq ans après.

Jacques Testart. D’autant que les OGM concernent tout le monde et tout l’environnement. Il n’est pas justifié de faire courir des risques encore inconnus à la population et à la biodiversité. Il faut faire des tests qui doivent être proportionnels aux dangers encourus.

Louis-Marie Houdebine. Mais le maïs n’est pas une plante toxique ! Et quand bien même, nous le testons. Avec des molécules que l’on recrée et qui ont les mêmes propriétés que celles que l’on veut étudier. Ces molécules sont vérifiées avant d’être données aux souris. Les processus sont bien connus.

Jacques Testart. La seule chose que tout cela montre, c’est que les scientifiques habilités à prendre des décisions sur les OGM n’ont en réalité aucun doute sur leur innocuité.

Louis-Marie Houdebine. Mais pourquoi devrait-on refuser ce qui n’est pas assez précis pour nous ? Déjà, on refuse de nombreux projets d’OGM parce qu’ils sont mauvais. Quand Monsanto - qui n’est pas tout seul à faire des OGM rappelons-le - veut en commercialiser, il confie les tests à des laboratoires habilités. Ces laboratoires donnent leurs résultats et Monsanto nous les communique. Ce que je veux dire, c’est que quand un OGM arrive à la commission pour être commercialisé, il a déjà une longue histoire. En gros, pour 500 projets, un seul arrive à ce stade.

Jacques Testart. Mais qui paye les boîtes qui font ces tests ? Monsanto ou une autre multinationale ! On ne peut pas parler de « laboratoires habilités » : ils ne sont reconnus par personne !

Marcel Mazoyer. Les tests d’innocuité nutritionnelle en trois mois sur une espèce, ce n’est pas assez. La crainte me paraît fondée. Ces tests sont faits par des laboratoires privés payés par Monsanto. Comment croire à la véracité et à la transparence de ces tests ? Dans ces conditions, il est normal que la plupart des gens soient sceptiques. Ces laboratoires privés ne sont pas soumis à des contrôles draconiens. Même un spécialiste comme vous, M. Houdebine, vous ne savez pas comment définir ces labos...

Louis-Marie Houdebine. Et pourtant, les toxicologues nous disent : on peut avoir confiance dans les tests à trois mois. Car la plupart des effets que l’on peut observer à six mois ont déjà été vus à trois mois. Que va-t-on démontrer de plus si on allonge les tests ?

Certains scientifiques de la haute autorité sur les OGM ont reproché au président de cette structure, le sénateur Jean-François Legrand, d’avoir transformé leurs « interrogations » sur le maïs Monsanto en « doutes sérieux ». Mais n’est-ce pas le rôle du politique d’interpréter ce que les scientifiques mettent en avant ?

Louis-Marie Houdebine. Je ne connais aucun scientifique qui remettrait en cause cela. Le dernier mot revient au politique, cela va de soi, mais déformer les conclusions des scientifiques pour s’en servir, non. Allons droit au but : il semble qu’il y ait eu un marchandage entre Nicolas Sarkozy et les écologistes, sur le mode : « Vous nous laissez faire ce qu’on veut avec le nucléaire et on vous donne un os à ronger avec les OGM. » Tout montre que la décision était prise d’avance. On ne peut pas supporter des méthodes pareilles.

Au moment où la France décide de suspendre son maïs OGM, l’Allemagne, elle, les autorise de nouveau. Comment expliquer ces contradictions au niveau européen ?

Jacques Testart. Cela s’explique par les différences de rapports de forces entre les citoyens, les puissances technologiques et le poids des politiques. En ce moment, le rapport de forces semble plutôt favorable aux anti-OGM. On aura sans doute une année sans OGM, en France, en 2008. Mais l’année prochaine, l’offensive des pro-OGM sera bien armée. Les 45 millions d’euros de complément pour les biotechnologies, annoncés par Valérie Pécresse en même temps que l’application de la clause de sauvegarde sur le MON 810, vont bien servir à quelque chose...

Marcel Mazoyer. Si on considère que l’innocuité écologique et nutritionnelle des OGM est évaluée dans des conditions désastreuses et que des contaminations écologiques peuvent avoir lieu, il faut alors maintenir ces cultures en milieu fermé pendant un certain temps. Je n’ai aucune objection philosophique ou religieuse contre les OGM.

Mais quelle peut être leur utilité ?

Marcel Mazoyer. Jusqu’à maintenant, les bénéfices techniques ne vont pas très loin. Personne ne peut dire qu’utiliser les OGM peut augmenter la croissance de 10 %. Et puis on peut le faire de tellement d’autres manières. Maintenant, si on le fait, il faut procéder de manière écologique et sanitaire indiscutable. Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Si les études menées étaient réellement publiques, sous le contrôle de comités scientifiques, politiques et éthiques, on pourrait l’accepter. Mais ces conditions sont loin d’être réunies. Dans un domaine aussi controversé et peu connu, seule la recherche publique devrait être habilitée et financée. Dans ce contexte, il vaut mieux opter non pas pour les brevets mais pour ce qu’on appelle le certificat d’obtention végétal. Des COV qui n’interdisent pas à l’agriculteur de multiplier sa propre semence indéfiniment s’il le veut, contrairement au brevet. C’est le privilège du cultivateur. Quant au privilège de l’obtenteur, c’est le droit d’utiliser cette variété pour l’améliorer. On peut craindre une privatisation du génome excluant la paysannerie de la reproduction de ses propres semences. On peut s’inquiéter en effet que tous les génomes de la planète soient la propriété d’une douzaine de firmes multinationales. De même, pourquoi choisir de modifier le maïs ou le soja, plus grande culture du monde, au bénéfice de l’industrie agroalimentaire et de Monsanto, qui est par ailleurs en train de détruire l’Amazonie. Il faudrait au contraire commencer par les plantes orphelines d’Afrique, d’Asie et d’ailleurs, sur lesquelles personne n’a travaillé, et pour cause : les paysans pauvres ne représentent pas un marché intéressant. Si la recherche est au service de ceux qui ont déjà la plus grande capacité d’investissement, qui ont la possibilité de défricher les régions les plus fertiles du monde, au détriment de la biodiversité et en se basant sur les plus bas salaires du monde, dans ce cas, il faut leur interdire de faire des manipulations génétiques. Cette course au rendement est en train de faire crever les paysans qui sont moins compétitifs sur la planète. Et, de fait, aujourd’hui, les OGM sont faits par des riches, pour des riches.

Louis-Marie Houdebine. Il faut arrêter de croire que nous les scientifiques sommes obsédés par la recherche sur les OGM. Il s’agit d’un sujet de recherche parmi d’autres.

Jacques Testart. Le certificat d’obtention végétal pour une variété amène à l’inscrire sur un catalogue. Mais la même inscription est obligatoire y compris quand il n’y a pas de revendications de propriété. Par exemple, les gens qui cultivent des variétés anciennes, ne peuvent pas les commercialiser ni les diffuser, si ces variétés ne sont pas inscrites au catalogue. Or ces paysans qui se passionnent pour ces variétés rustiques propices à la culture bio ne peuvent pas remplir les cadres réglementaires, lesquels obligent à faire des tests complexes et à payer une redevance annuelle. Du coup, les seules variétés qui sont autorisées sont celles que l’industrie va répandre, en dehors même des OGM.

Marcel Mazoyer. Les COV européens n’étaient pas faits au départ pour empêcher les agriculteurs de cultiver. Le catalogue avait pour but d’éviter qu’on leur vende de manière non vérifiée des semences non conformes. Mais aujourd’hui, beaucoup de paysans refusent d’acheter des semences trop chères et qui ont perdu certaines qualités. Ces semences sélectionnées et produites pour être en conformité avec l’agriculture intensive ne leur conviennent pas. Ils préfèrent leurs semences, même si celles-ci ne produisent pas 10 tonnes de rendement à l’hectare. Des semences qui n’ont pas besoin d’engrais ou de pesticides grâce à une biodiversité suffisante pour résister. Cette autre agriculture essaie de se protéger des excès de ce que l’on tente de promouvoir depuis cinquante ans.

Louis-Marie Houdebine. Quand un OGM est produit, la recherche peut s’en servir autant qu’elle le veut. Quand Monsanto vend ses souches de maïs à des compétiteurs pour qu’ils les développent, ils se font de l’argent. Et alors ? Ça marche très bien. Et les agriculteurs s’y retrouvent avec ces semences.

Il existe un seuil de tolérance de 0,9 % concernant la « contamination » de cultures par les OGM. Ce seuil est-il pertinent selon vous ?

Jacques Testart. C’est un seuil arbitraire et non scientifique. Le seuil de détection est de l’ordre de 0,1 %. Mais pour que ce soit plus rentable, on autorise une certaine pollution de l’ensemble de l’agriculture.

Louis-Marie Houdebine. Toute semence ou toute récolte peut être contaminée à 1,2 ou 4 % par l’agriculture voisine sans que personne ne remette en cause la pureté de la variété. Je ne vois vraiment pas de problème à ce que des récoltes soient contaminées par un OGM plutôt que par n’importe quelle autre semence.

Le 5 février, le projet de loi sur les OGM doit être discuté au Sénat. Un texte qui prévoit que les cultivateurs d’OGM seront tenus de souscrire une « garantie inancière » en cas de préjudice causé par leur culture...

Jacques Testart. L’idée de cette garantie financière ne date pas d’hier, elle a déjà été lancée par la conférence des citoyens organisée par le Parlement en 1998. Plus généralement, on peut s’interroger sur la place qui sera donnée à la société civile par rapport aux scientifiques dans les futures instances d’évaluation, comme la haute autorité sur les OGM ? Aura-t-on vraiment des outils d’évaluation ou seulement des outils au service des industriels ? Les scientifiques ne doivent pas être les seuls à décider. Ce que je vois, c’est que le gouvernement vient d’allouer 45 millions d’euros aux biotechnologies. C’est exactement l’inverse de ce que le Grenelle de l’environnement avait décidé, c’est-à-dire soutenir les progrès de l’agriculture biologique. Pour laquelle il y a beaucoup à faire.

Louis-Marie Houdebine. Il ne faut pas se tromper sur les motivations des chercheurs. La plupart se fichent de savoir s’il y a des OGM dans les champs ou non. À titre personnel, je participe en tant qu’expert à des commissions parce que j’estime que c’est un devoir citoyen. Parce que je ne veux pas qu’on prenne des décisions sur la base d’informations fausses, tronquées, qui sont là pour tromper les gens.

(*) Louis-Marie Houdebine est l’auteur de OGM, le vrai et le faux (Éditions Le Pommier, 2003) .

Marcel Mazoyer est l’auteur de l’Histoire des agricultures du monde. Du néolithique à la crise (Éditions du Seuil, « Points Histoire », 2002) .

Jacques Testart est l’auteur, avec Yves Chupeau, de OGM, quels risques ? (Éditions Prométhée, 2007).

Propos recueillis par Ixchel Delaporte et Alexandre Fache Photographies Francine Bajande


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