Le risque de mort du peuple palestinien se pose de façon de plus en plus pressante et de plus en plus dramatique. En ce printemps 2012, la décision du gouvernement israélien de laisser mourir des prisonniers de la faim palestiniens auquel il n’a en fait rien à reprocher, la décision de poursuivre la colonisation... en apportent de nouvelles preuves. Comment en est-on arrivé là ?
Après la Seconde Guerre mondiale et la tragédie de la Shoah, la perspective sioniste du retour vers Israël séduit un nombre important de juifs. Ils rejoignent donc la Palestine habitée par les Palestiniens. Quelle cohabitation peut s’instaurer ?
1a) Première solution ( un compromis territorial dans une sorte d’Etat binational)
Après 1945, l’ONU débat du moyen de permettre, sous protection et aide internationale, l’existence d’un Etat juif pour accueillir une population meurtrie par la Shoah sans voler aux Palestiniens toute leur terre et leurs biens personnels (d’autant plus qu’ils n’étaient pour rien dans la Shoah). Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale des Nations Unies vote sur deux projets : soit un Etat fédéral soit la création de deux Etats liés, l’un arabe (palestinien), l’autre juif.
La deuxième solution obtient une majorité et une frontière est tracée. Avant même l’entrée en application de cet accord, Israel déclenche une offensive unilatérale alliant terrorisme de masse, destruction des biens, expulsion des habitants et occupation militaire coloniale. Des centaines de milliers de Palestiniens sont ainsi chassés de leurs maisons et de leurs villages, fuyant de tous côtés (Liban, Jordanie, Egypte, Europe, Syrie, Irak, Afrique du Nord, Etats Unis...) souvent accueillis dans des camps de tentes aux conditions de vie indignes.
Pire, le nouvel Etat d’Israel s’entend avec l’émir Abdallah pour plier les Palestiniens restants sous le joug du royaume féodal hachémite de Jordanie qui les décimera sans vergogne en 1970. Depuis, l’ONU a voté d’innombrables résolutions ni acceptées ni appliquées par Israel.
1b) Deuxième solution ( Un Etat démocratique laïque commun pour les Juifs, les Palestiniens et autres)
Dans la foulée de la grande poussée progressiste mondiale des années 1967-1975, l’OLP de Yasser Arafat propose comme modèle constitutionnel un Etat démocratique républicain non confessionnel et non ethnique considérant tous les habitants de la Palestine historique comme des citoyens égaux élisant leur Parlement. A l’époque, toutes les organisations palestiniennes apportent leur soutien à cette perspective.
Mais elle se heurte à la nature sioniste ethnique d’Israel, aux aspirations nationales populaires israéliennes, à la nature nationaliste de plusieurs gouvernements arabes de la région, aux projets impérialistes américains au Moyen Orient. La gauche israélienne et le "mouvement juif organisé" n’entament guère de discussions sur ce sujet, encore moins avec les Palestiniens. La presse déforme la proposition palestinienne comme un moyen de "nier" Israel. L’Organisation de Libération de la Palestine va donc changer de perspective stratégique.
1c) Troisième solution ( deux Etats) : En 1988, le Conseil National Palestinien réuni à Alger prend en compte la volonté presque unanime des Israéliens de vivre dans un Etat d’Israel "ethniquement juif". Yasser Arafat fait ratifier par une large majorité l’objectif de construire, aux côtés de cet Etat, un Etat palestinien souverain sur les maigres terres non annexées par Israel jusqu’en 1967 puis occupées (Gaza, Cisjordanie).
1d) Ce troisième projet mène aux Accords d’Oslo
Sur ces accords, voici le juste bilan tiré par Michel Warchawski, personnalité de la gauche altermondialiste israélienne :
" Les Accords d’Oslo étaient censés mener à la réalisation de l’objectif des deux Etats souverains. Dans l’opinion publique israélienne cette perspective avait largement percé et s’était imposée à une partie importante de la direction travailliste. Pourtant, tout en négociant avec l’OLP des accords intérimaires supposés mener à la fin du contrôle israélien sur les territoires occupés en 1967, les divers gouvernements israéliens poursuivaient, voire accéléraient, la colonisation de ces mêmes territoires. Rapidement, la réalité de la colonisation définissait les limites du territoire sur lequel Israel était prêt à voir se constituer un Etat palestinien indépendant, réduisant la Cisjordanie à une série de cantons isolés les uns des autres sur 50 à 60% des terres occupées en 1967). Les "blocs de colonies" étaient de fait annexés à Israel, rendant la perspective d’un Etat palestinien indépendant en Cisjordanie et Gaza caduque."
1e) Vers un sociocide des Palestiniens (destruction de ce peuple comme entité politique nationale, comme groupe politique national et comme société).
Depuis 30 ans, la politique israélienne, américaine et européenne donne de plus en plus de crédibilité à cette hypothèse historique qui ouvrirait bien mal le troisième millénaire.
L’adhésion d’Israel à l’OCDE au moment où il développe la colonisation en est la plus triste illustration.
La guerre israélienne de 1948 était déjà un programme unilatéral de purification ethnique.
Depuis 1967, l’objectif du sociocide a pris des formes plus variées pour tenir compte de l’opinion internationale et des meilleurs moyens d’affaiblir les Palestiniens ( formes militaires mais aussi politiques, économiques, sociales, culturelles, psychologiques...).
En l’absence de volonté de la communauté internationale d’imposer à Israel un minimum de compromis autre que le sociocide , "l’Etat juif" a progressé sans cesse dans cette voie créant une situation sans solution pour la population désignée comme "ennemie".
Depuis la mort de Yasser Arafat, la direction du Fatah s’est avérée incapable de négocier (la création d’un Etat palestinien dans les frontières de 1967) tout en ne bradant pas complètement les intérêts de la population palestinienne. Il faut bien reconnaître que Mahmoud Abbas ne disposait d’aucune marge de manoeuvre hors reprise d’attentats :
* vu d’une part le soutien des Etats Unis et de l’Europe au nationalisme communautariste israélien
* vu d’autre part le glissement vers la droite et l’extrême droite du champ politique israélien
L’impasse des solutions, l’aide longtemps apportée par Israël aux religieux islamiques pour affaiblir le Fatah et la gauche palestinienne, l’écrasement de ces deux forces (assassinats, prison, destruction des maisons de militants...) dans un contexte régional de poussée islamiste ont laissé place au développement du Hamas. Cela permet aujourd’hui à ceux qui sont sur le fond favorables à un sociocide des Palestiniens et à un grand Israël de la Méditerranée au Jourdain de stigmatiser les défenseurs d’une solution juste au Moyen Orient comme des soutiens du Hamas. Ils oublient au moins une chose : la gauche palestinienne n’a pas complètement été exterminée ou emprisonnée par Israël ; elle a même obtenu 10% des voix lors des dernières législatives ; elle a un certain poids au sein du Fatah.
Vu l’absence d’implication politique de la communauté internationale, vu l’état du rapport de force et leurs conditions de vie catastrophiques, vu les emprisonnements, assassinats, destructions de maisons et dépossessions permanents :
- soit de très nombreux Palestiniens acceptent de quitter la Palestine laissant les Israéliens seuls de la Méditerranée au Jourdain
- soit ils acceptent un statut d’apartheid ( quelques minuscules bantoustans surveillés de près par l’armée israélienne et dont l’économie serait totalement dépendante de cette puissance occupante)
- soit ils se défendent artisanalement par de petits coups de main comme quelques roquettes artisanales et une guérilla de pierres lancées sur les chars d’assaut.
Mais chaque minuscule opération militaire de Palestiniens est utilisée par Israel :
- pour présenter médiatiquement "les Juifs" comme toujours menacés, persécutés et isoler encore plus les Palestiniens dans l’opinion internationale en faisant jouer le rappel de la Shoah.
- pour persécuter, écraser, déposséder, expulser encore plus les Palestiniens.
Cette demande présente plusieurs qualités :
elle permet de mieux faire connaître au monde entier l’oppression et la colonisation imposée au peuple palestinien depuis plus de 60 ans. Elle peut permettre de démasquer l’hypocrisie d’un Sarkozy comme de l’Internationale socialiste sur ce dossier.
elle contribue à prouver une certaine continuité du droit international puisque la reconnaissance de l’Etat de Palestine pour les populations palestiniennes était acté par l’ONU en 1947 (avant le nettoyage ethnique entrepris par les activistes sionistes), puisque de nombreuses résolutions de l’ONU ont, depuis, maintenu ce cap, pour l’essentiel. Sur le fond, cette demande des Palestiniens pose une question simple : l’ONU est-elle un "machin" au service des USA ou peut-elle devenir l’embryon d’une institution internationale efficace ?
elle poursuit la cohérence de la direction palestinienne depuis 30 ans : une paix négociée sans sociocide des palestiniens.
elle apporte la suite logique des accords d’Oslo et de l’Accord Jéricho-Gaza pour ceux qui souhaitent la paix et le progrès des deux populations israélienne et palestinienne.
elle permet d’apporter un espoir au peuple palestinien et en particulier à ses jeunes autre que la guerre
elle permet d’apporter une solution à un conflit que les réactionnaires des USA comme d’Afghanistan utilisent pour pousser au "choc des civilisations". Elle permet de rendre une dignité enlevée aux peuples arabes par la façon dont l’Etat d’Israël s’est créé puis dont il a été soutenu par le "monde occidental"
elle permet d’apporter un espoir au peuple israélien que des criminels comme Ariel Sharon et Ehoud Barak ont mené dans une spirale de tuerie de gosses armés de pierres, dans une indigne politique d’apartheid raciste, dans l’isolement diplomatique international et dans une politique d’austérité totalement au détriment des salariés et couches populaires
elle donne à la gauche israélienne la possibilité de se démarquer des courants fascistes juifs
elle met au pied du mur les ordures du gouvernement israélien dont tout le monde sait que leur but est la disparition du peuple palestinien par la mort, par la terreur, par l’occupation, par l’émigration, par l’asphyxie économique.
elle peut permettre au Mouvement juif organisé mondial de stopper son glissement vers l’extrême droite néo-libérale qui meurtrit tout progressiste dans le monde
elle montre à quel point aux USA, ce n’est pas le président ou le gouvernement ou même le congrès qui dirigent mais les officines des multinationales et de lobbies divers. Obama avait annoncé en septembre 2010 devant l’Assemblée générale de l’ONU qu’un Etat palestinien deviendrait membre de l’ONU en septembre 2011 ; qu’en est-il aujourd’hui. Obama avait déclaré que les colonies israéliennes étaient non seulement un obstacle à la négociation mais un fait totalement illégal ; qu’en est-il aujourd’hui ?
Cette demande ouvre aussi une énorme inconnue : si les USA, Israel et l’Europe réussissent à tromper une nouvelle fois la direction palestinienne par des espoirs bidon de négociation, ni l’Autorité palestinienne, ni l’OLP ne garderont de crédibilité. Les Palestiniens se trouveraient à nouveau dans la situation des Résistants français en 1942 : un seul choix, les attentats mais un seul avenir : la mort.
Pouvons-nous aider en France à une issue positive de la demande palestinienne même si cela ne résout pas tous les problèmes ? Vu le racisme anti-arabe et les clichés anti-palestiniens que la droite, des medias, des forces diverses ont enraciné dans une partie significative de la population, ce ne sera pas facile. Ceci dit, aucune seconde ne doit être perdue pour expliquer, convaincre et mobiliser sans cesse.
Sur un point, il est important d’être clair : la demande de création de l’Etat palestinien dans les frontières de 1967 représente un tel cadeau à Israël du point de vue de la répartition des richesses entre les deux Etats, par rapport aux frontières prévues par l’ONU en 1947, par rapport à la légitimité des uns et des autres sur cette terre, qu’aucune demande de "négociation" d’Israël sur un millimètre supplémentaire du territoire palestinien ne peut être acceptée.
Yasser Arafat avait bien résumé la conception de la négociation portée par les dirigeants d’Israël et du mouvement sioniste organisé mondial (dont le CRIF) : "Les Israéliens ont une étrange conception de la négociation : ils volent votre voiture puis vous proposent de négocier combien de roues ils vont vous rendre. Israël occupe 80% de la Palestine et refuse de reconnaître nos droits sur les 20% qui restent."
Etat palestinien 194ème à l’ONU (12 articles)
Jacques Serieys
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