Le 28 septembre 2000, Ariel Sharon, raciste génocidaire, se pavane sur l’Esplanade des mosquées en territoire palestinien dans un but de provocation évident.
Le mouvement national palestinien réagit par l’appel à une journée de grève et de mobilisation deux jours plus tard. En ce jour du 30 septembre 2000, seize civils palestiniens dont quatre mineurs sont tués par des tirs de l’armée israélienne.
Durant l’après-midi de ce 30 septembre, le cameraman de France 2 filme, au carrefour de Netzarim où se trouve un poste militaire israélien, des civils qui fuient sous les rafales.
La caméra suit un homme qui se réfugie derrière une borne en ciment, protégeant de son corps son fils apeuré de douze ans : Mohammed Al-Durah. Durant plusieurs minutes, les tirs des soldats israéliens visent le père et l’enfant recroquevillés et sans la moindre arme comme les autres manifestants. Soudain les deux sont atteints. (Dans la vidéo de France 2 portée ci-dessous, la suite est enlevée pour diffusion au public mais a été visionnée plusieurs fois, en particulier par la justice française).
http://www.dailymotion.com/video/x5...
Charles Enderlin (journaliste de France 2 au bureau de Jérusalem) reçoit les rushes de Netzarim. Il prend contact avec l’armée israélienne pour l’informer du document à sa disposition et si possible connaître sa version ; les services de Tsahal ne lui répondent pas. Le journaliste français transmet donc les images et son commentaire à la chaîne sur Paris pour diffusion.
Devant l’émotion soulevée par la vidéo puisqu’il s’agit d’un pur assassinat, l’armée israélienne assume la vérité (général Giora Eiland puis général Moshe Ya’alon) :
"les tirs venaient apparemment des soldats israéliens postés à Netzarim"
"apparemment l’enfant a été tué par l’armée israélienne"
"Autant que nous puissions savoir, l’enfant a été tué par nos tirs"
Afin d’éviter une enquête précise, Tsahal prend cependant la décision inacceptable de raser tous les environs du carrefour.
Des contestations s’élèvent alors contre le reportage de France 2 :
en Israël où N. Shahaf et Y. Duriel nient que les balles aient été tirées du poste israélien, évoquent une "mise en scène des Palestiniens" avec figurants, fausses ambulances, y compris pour l’enfant qui aurait "joué la scène".
aux Etats-Unis parmi les ultra-conservateurs
en France, où la Ligue de défense juive, groupe sioniste d’extrême droite, attribue un "Prix Goebbels de la désinformation" à France 2 et Charles Enderlin et organise même une manifestation devant les locaux de la chaîne.
Victime de menaces et intimidations diverses, Charles Enderlin se voit obligé de déménager avec sa famille.
En 2003, Philippe Karsenty (maire adjoint de Neuilly) entre en ligne, relayant l’accusation de "mise en scène", de "supercherie", de "mascarade", réclamant la démission d’Arlette Chabot et Charles Enderlin.
France 2 assigne Karsenty en diffamation. S’ensuit une longue procédure judiciaire (condamnation de Karsenty en première instance, relaxé en appel, relaxe cassée par la Cour de cassation, nouveau jugement en appel qui alourdit les dommages et intérêts à verser par Philippe Karsenty à Charles Enderlin et France 2).
Qu’est-ce qui a déterminé la justice à donner tort à Karsenty ,
la confirmation de l’évènement par un reportage filmé de l’agence Associated Press sous un autre angle.
l’enfant Mohammed Al-Durah a été transporté en Jordanie pour y subir plusieurs opérations chirurgicales avant de décéder (certificat de l’Hôpital militaire, vidéo de la visite du prince Abdallah à l’enfant puis vidéo à la morgue vu les contestations).
les blessures du père (filmées en 2000) correspondant aux tirs du reportage.
Parmi les attitudes moralement inacceptables des personnes qui ont sali Charles Enderlin, signalons leur proposition de marchandage : lâche le cameraman sinon tu es mort " Je peux t’aider dans un scénario dont tu pourrais sortir meurtri mais pas mort... Si tu choisis de persévérer dans l’erreur, je continuerai à faire en sorte que tu en crèves, professionnellement s’entend."
Je conclus en souhaitant qu’une volonté internationale réelle permette de trouver une solution pacifique, juste et pérenne au Moyen Orient. Cette solution ne viendra pas d’Israël qui est sans cesse conforté dans sa fuite en avant par la lâcheté plus ou moins raciste des pays européens et atlantistes.
Jacques Serieys le 30 janvier 2008. Article un peu complété début 2014 lors de la mise en ligne de l’entretien ci-dessous
Guillaume Weill-Raynal revient dans un petit livre très argumenté sur la mort du petit Mohamed, sur les genoux de son père, en juin 2000, pour démonter les thèses fantaisistes et scandaleuses de Philippe Karsenty
En 2000, mourait à Gaza un enfant. Un de plus dans le conflit qui oppose Israël et la Palestine. L’image est apparue dans un reportage de Charles Enderlin, sur France 2. La cabale contre le journaliste, lancée par Philippe Karsenty, un homme d’affaires, n’a pas tardé : Charles Enderlin a été accusé de mise en scène et de manipulation. Entretien avec Guillaume Weill-Raynal.
Pourquoi avez-vous éprouvé le besoin de déconstruire l’affaire Al Dura, d’enquêter sur ce qui s’est vraiment passé ?
Guillaume Weill-Raynal. Dans Une haine imaginaire (2005), j’ai déconstruit le procès d’antisémitisme latent fait aux médias français par certains membres de la communauté juive. En 2004-2005, quand a ressurgi sur la scène l’affaire Al Dura, Une haine imaginaire était à l’imprimerie. J’ai pris le temps de faire une note, mais surtout d’écrire un article, dans la revue de Pascal Boniface, à l’Iris. Boniface a transmis cet article à Enderlin. Du coup, celui-ci m’a envoyé une cassette, avec les rushes de son reportage. J’ai alors dit à ma famille : « Mais venez voir les rushes. » On m’a rétorqué : « Je ne veux pas, mon opinion est faite. » Voilà comment j’ai été amené à m’intéresser à l’affaire Al Dura. Pour moi, en 2006, c’est une affaire terminée, puisque Karsenty était condamné par la cour d’appel de Paris. Et puis, l’affaire a rebondi en 2008, quand il a été relaxé. (Philippe Karsenty a au final été définitivement condamné le 26 juin 2013 – NDLR.)
Ce qui est terrible, c’est qu’on est dans le déni de la mort d’un enfant, avec une position hyperdéfensive…
Guillaume Weill-Raynal. Très honnêtement, je ne sais pas si j’étais, le 30 septembre 2000, devant ma télévision. Je ne sais pas si j’ai vu cette image. C’est possible. Mais au journal de 20 heures, on voit des choses horribles, le tsunami, les inondations aux Philippines… C’est très triste, et le lendemain, on passe à autre chose. Mais dans cette histoire, il ne s’agit pas de déni : il y a une fixation de départ sur ces images. Dans un premier temps, les Israéliens, et notamment Olivier Rafovitch, à l’époque porte-parole de l’armée israélienne, ont dit : « C’est la guerre. » En édulcorant ses propos et en ajoutant : « C’est parce que les enfants nous jettent des pierres. » Soit l’argumentation habituelle d’Israël. Mais d’un point de vue de communication, c’était la position la plus intelligente à avoir. Prasquier, Karsenty et d’autres vont jusqu’à dire que c’est cette affaire qui a déclenché la seconde Intifada, qu’il y a une place à Bamako et que Daniel Pearl a été égorgé. Ce n’est pas vrai : l’Intifada n’a pas été déclenchée à cause de cette affaire, ce n’est même pas la peine de le démontrer. Mais oui, il y a une place Mohamed-Al-Dura à Bamako. Et un timbre en Tunisie. Pour Daniel Pearl, la vidéo propagande de son assassinat met en exergue l’image du petit Mohamed, mais il n’y a pas de lien de cause à effet. Pour la majorité des juifs, de gauche comme de droite, il y a eu une espèce de fixation collective.
Mais il y a derrière des intellectuels qui croient aux « 100 preuves » de Philippe Karsenty : Mohamed fait semblant d’être mort, il jette un chiffon rouge pour faire croire à une mare de sang, les enquêtes balistiques ne correspondent à rien, il fait appel à des bouchers pour accréditer ses thèses… Autant d’arguments très fumeux !
Guillaume Weill-Raynal. Il y a eu un effet boule de neige. Cet agrégat de n’importe quoi est devenu un délire collectif. C’est beaucoup plus fort que du déni. Dans ma génération, on a été nourri à la communication israélienne, quand on était petit… Il y a aussi la fixette collective : j’ai tenté de l’expliquer dans ce livre, avec la dimension religieuse, mystique, la comparaison avec l’affaire Dreyfus, le patriotisme exacerbé… L’irrationnel peut s’expliquer rationnellement, mais reste une part d’inexplicable : pourquoi, à ce point, cette image est intolérable ?
D’où ce parallèle avec l’affaire Dreyfus, avec la différence que ça sépare juste une communauté…
Guillaume Weill-Raynal. Non, la communauté est soudée à 99 % autour de cette question. Certains individus ont quand même résisté, comme René Bachmann, au Nouvel Obs, initiateur de la pétition de soutien à Enderlin, signée par 2 500 journalistes. Certains ont signé par réflexe sans trop savoir… On est très peu nombreux. Je suis allé à pas mal d’audiences du procès Karsenty. Il y avait une électricité ! Ce que j’ai vu aussi, c’est un entre-soi, où les gens arrivent et se sourient, se congratulent…
D’où ce besoin d’une contre-enquête ? Quand la voix de France 2 et de Charles Enderlin n’est plus audible ?
Guillaume Weill-Raynal. Il n’y a pas besoin de faire de contre-enquête rigoureuse. Les faits bruts suffisent : il s’agit d’une image, dans un reportage sur plusieurs zones de conflits. Des tas de cameramen étaient présents, des témoins… Le problème de Karsenty, c’est qu’il renverse la charge de la preuve. C’est pour ça que c’est diabolique. Un type comme Denis Jeambar peut dire en toute tranquillité : « Quand je vois cette image, rien ne me prouve que l’enfant est mort. » Mais c’est pareil pour la petite fille vietnamienne qui court au bord d’une route. Qu’est-ce qui prouve qu’elle a été blessée au napalm, on n’en sait rien ! Elle court toute nue, ça veut peut-être dire qu’elle a été violée… peut-être par les soldats vietnamiens qui courent derrière elle. Si on voit marcher Hollande sur un tarmac, on peut dire : « Désolé, rien ne me dit qu’on est à l’aéroport de Djakarta. » Il y a une présomption que ce qui est montré est vrai. Je ne dis pas que c’est irréfragable. Mais c’est à celui qui prétend que l’image est fausse d’apporter les preuves. Un par un, les arguments de Karsenty feraient rire un enfant de huit ans.
Pour en finir avec l’affaire Al Dura, de Guillaume Weill-Raynal, Éditions du Cygne, 13 euros.
Entretien réalisé par Caroline Constant, L’Humanité
Date | Nom | Message |