10 août 1792 La prise des Tuileries engage la 2ème phase de la Révolution française, portée par le peuple

jeudi 14 mars 2024.
 

1) La révolution française comme révolution bourgeoise de 1789 à 1792

Du printemps 1789 à l’été 1792, les mouvements sociaux (paysans en particulier), l’auto-organisation municipale et les journées révolutionnaires font exploser l’Ancien régime.

C’est l’Assemblée (constituante puis législative) qui impose son autorité politique. Elle mène une révolution bourgeoise radicale pour assurer un rapport de forces face aux forces féodales, pour prendre en compte les aspirations populaires et faire retomber la combativité. Cependant, presque tous ses animateurs craignent la logique des mobilisations révolutionnaires qui pourraient mettre en cause leurs intérêts plus encore que l’Ancien régime. Tel est le cas par exemple de Pierre Victor Malouet, Jean-Joseph Mounier, Stanislas de Clermont Tonnerre, Adrien Duport, Antoine Barnave, Charles de Lameth, Alexandre de Lameth, Guy-Jean-Baptiste Target, Isaac Le Chapelier, Nicolas Bergasse, Gérard de Lally Tollendal, César de la Luzerne, François Henri de Virieu, Mirabeau, Jean Antoine d’Averhoult, Louis Ramond de Carbonnières, Jacques Claude Beugnot, Emmanuel de Pastoret, Louis Stanislas de Girardin, La Fayette. Mathieu Dumas, Jean Antoine d’Averhoult, François de Jaucourt, Théodore de Lameth,Vincent-Marie Viénot de Vaublanc, Joseph Vincent Dumolard...

De tels "révolutionnaires" ne se soucient guère des besoins du peuple. Plusieurs fois, ils décident même de faire tirer sur lui lorsqu’il veut se mêler de politique. C’est ce que fait par exemple Jean Sylvain Bailly, maire de Paris, héros de la révolution bourgeoise face au Roi en juin 1789 mais qui ordonne de tirer sur les citoyens le 17 juillet 1791 au Champ de Mars lorsqu’une pétition ose poser la question du pouvoir politique du Roi au lendemain de la fuite de Varennes.

En Europe, les autres grandes révolutions bourgeoises ont débouché sur un succès économique pour le capitalisme mais un compromis politique entre classes possédantes, maintenant par exemple un rôle de la royauté (Pays Bas, Angleterre, Belgique, Allemagne de 1848, Italie du Risorgimento...).

2) La guerre place la révolution bourgeoise dans l’impasse

Dès 1791, les volontés conciliatrices de l’Assemblée laissent place à des initiatives de royalistes qui tournent court en raison de la puissante mobilisation populaire. Les meneurs de la révolution bourgeoise sont en train de perdre la maîtrise des évènements.

Chevaliers du poignard et générosité des révolutionnaires (28 février 1791)

21 juin 1791 La fuite de Louis XVI s’arrête à Varennes

La Déclaration de guerre de la France à l’empire d’Autriche s’explique de façon importante par le jeu tactique du Roi d’un côté, de la bourgeoisie conciliatrice de l’autre (derrière La Fayette...) cherchant à arrêter la révolution par le rassemblement de la nation afin de défendre les frontières face à l’ennemi. Or, la logique du conflit va se retourner contre eux.

L’empereur d’Autriche réussit à constituer une coalition européenne en s’alliant particulièrement à la Prusse et la principauté allemande de Hesse. Tous les Etats européens ( Espagne, Angleterre, Russie, roi de Sardaigne) adoptent une attitude hostile aux révolutionnaires parisiens . Dans toute la France, des milliers de prêtres relaient l’offensive du pape contre la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Dans Paris même la Garde constitutionnelle du roi peut servir de cheval de Troie aux royalistes.

Les monarchies rassemblent environ 150000 hommes aux frontières du Nord-Est. Beaucoup de nobles français quittent leur pays pour renforcer les envahisseurs et ainsi écraser la révolution, restaurer l’Ancien régime. L’armée française se trouve totalement désorganisée par l’émigration de ses officiers (environ les deux tiers) et par les désertions.

Le comte de Provence (frère du Roi) tente de soulever la Vendée, le Midi et le Vivarais. La Reine communique les décisions de l’Etat major aux Autrichiens et La Fayette négocie secrètement avec eux.

Alors que le territoire national commence à être envahi, cet insipide général Lafayette, commandant en chef de l’Armée du Centre, tente un coup d’Etat puis fait opérer à une partie de ses troupes des marches menaçantes jusqu’à Compiègne. Les deux autres chefs d’armée (Rochambeau et Luckner) ne sont pas plus sûrs. Dans les Cévennes, en Bretagne, en Vendée, royalistes et catholiques papistes se soulèvent. Aux frontières la situation empire. Lückner brûle Courtrai avant de se réfugier à Lille. Dans les salons royaux, la reine prépare avec ses amis l’accueil des "libérateurs" prussiens et autrichiens.

3) C’est alors que le petit peuple prend en main sa Révolution

En ce printemps 1792, la mobilisation des volontaires devient plus rapide qu’en 1791, plus généralisée sur le territoire (départements ruraux), plus pauvre socialement, plus nombreuse, plus déterminée politiquement. Le 25 avril, Rouget de Lisle entonne pour la première fois le "Chant de guerre pour l’armée du Rhin" qui deviendra La Marseillaise.

Les sections populaires parisiennes et les fédérés montés de province pour défendre la capitale réclament des mesures d’urgence. Robespierre se fait l’écho de cette nécessité. Les Girondins, alors majoritaires à l’Assemblée, sont contraints de réagir ou disparaître :

* ils font voter fin mai deux décrets mais le roi y oppose son veto, les rendant illégaux ;

* le 6 juin, ils décident le rassemblement de 20000 fédérés sur Paris pour participer à la fête de la Fédération du 14 juillet puis constituer une force armée de réserve. Ceux-ci vont jouer un rôle important dans les quatre mois suivants.

Mi-juin, la situation devient grave ; le peuple réagit de façon spontanée par une mobilisation mêlée de peur, souvent brouillonne. Aucun courant politique n’organise ni même ne soutient l’organisation d’une initiative populaire.

Dès les premières heures du 20 juin, des cortèges nombreux de Sans-culottes armés de piques et reconnaissables à leurs bonnets rouges marchent vers le centre de Paris où se trouvent les bâtiments abritant le pouvoir politique (Salle du Manège où siège l’Assemblée, Palais des Tuileries où vit la famille royale). La foule est tellement nombreuse qu’elle occupe toutes les rues environnantes ; des délégués sont reçus par l’assemblée. Soudain, une porte cède et le flot se déverse sur la Place du Carroussel puis le jardin des Tuileries. Louis XVI coincé dans l’embrasure d’une fenêtre entend les cris des manifestations ; il accepte d’arborer le bonnet rouge et de lever son verre à la santé de la patrie mais il ne cède pas politiquement sur la signature des décrets.

Lors de cette journée de mobilisation populaire du 20 juin 1792, les Sans-culottes sont apparus pour la première fois sur la scène politique. Par manque d’animateurs et d’objectifs clairs, la journée se termine par la dispersion de la manifestation, la libération du jardin des Tuileries et un découragement important. Cependant, des liens se sont créés entre éléments radicaux, quelques meneurs sont apparus comme le brasseur Antoine Joseph Santerre, déjà remarqué le 14 juillet 1789.

Les sections parisiennes trouvent rapidement une initiative apte à améliorer leur rapport de force. En accord avec de nombreuses municipalités de province, elles appellent les milices provinciales à monter sur Paris pour fêter le troisième anniversaire du 14 juillet.

Le 27 juin, la municipalité de Marseille demande la destitution de tout le pouvoir politique en place et son remplacement par un autre choisi par le peuple.

Encore une fois, pour garder la maîtrise des évènements et du pouvoir, les Girondins font légaliser cet objectif par l’Assemblée. Ainsi, le 2 juillet 1792, les députés lancent un appel officiel aux Gardes nationaux de province pour venir à Paris le 14 juillet (beaucoup s’étaient déjà mis en route). Les ministres "Feuillants", les plus modérés, démissionnent le 10 juillet.

A partir du 8 juillet, des unités imposantes et armées arrivent dans la capitale, souvent animées d’une détermination contre le Roi et les conciliateurs plus importante que la population parisienne.

Encore une fois, les Girondins essaient de flotter sur les mobilisations pour conforter leur rapport de forces face au Roi tout en ne cédant rien à la mobilisation populaire.

Le 11 juillet, dans un centre de Paris submergé de milices provinciales de plus en plus chauffées à blanc, l’assemblée déclare "La patrie en danger".

11 et 12 juillet 1792 La patrie en danger ! Aux armes citoyens ! (article et film de 10 minutes)

4) Face au Manifeste de Brunswick se développe un mouvement populaire autonome dans les 48 sections et la Commune de Paris

L’armée prussienne et Autrichienne est commandée par le duc de Brunswick, réputé meilleur général du continent, et par des militaires expérimentés comme Clerfayt, Hohenlohe, Beaulieu, Kalkreuth. Le roi de Prusse (Frédéric-Guillaume II) avance avec ses troupes. A leurs côtés, paradent les 25000 nobles français émigrés de l’armée des princes, bien décidés à se venger.

Le 25 juillet 1792, la Gazette de Paris publie le Manifeste de Brunswick qui demande la restauration du trône et de l’autel, menaçant, sinon, "d’une vengeance exemplaire et à jamais mémorable, en livrant la ville de Paris à une exécution militaire et à une subversion totale".

Des historiens estiment que ce texte n’a été connu de sections parisiennes que le 1er août. Quoi qu’il en soit, l’échec du 20 juin 1792 est à présent dépassé, gommé par la réussite du 14 juillet. Une nouvelle radicalisation se développe sur Paris, d’autant plus que des milices et bataillons de volontaires (bretons en particulier) continuent d’affluer. Le 17 juillet, ces Fédérés déposent à l’Assemblée une pétition demandant la suspension du Roi et l’élection d’une convention nationale au suffrage universel.

Cet appel au suffrage universel déclenche une mobilisation extrêmement puissante des citoyens parisiens considérés comme "passifs", pas assez riches pour voter selon la constitution en vigueur. Ils entrent en masse dans les sections qui changent socialement de nature.

En peu de jours 47 sections parisiennes sur 48 demandent la déchéance du roi et la mobilisation armée de tout le peuple pour défendre la révolution.

Dès le 26 juillet, l’Adresse présentée par la Section des Quatre Saisons à l’Assemblée nationale donne le ton : "La patrie est en danger. Ce cri de ralliement a retenti d’un bout à l’autre... Notre liberté est en danger ! Nous avons donc à craindre un nouvel esclavage ! Qui a pu mettre la patrie en danger ?... Le roi a-t-il tenu sa parole ? A-t-il agi avec la loyauté qu’il nous avait promise... Varennes... la proposition de guerre qui n’était que le signal donné aux ennemis... les coalitions tenues secrètes... les enrôlements suspendus... les émigrations d’officiers... le terrible et désastreux veto sur les décrets de salut public... Voilà les crimes dont la nation demande vengeance... Les hommes du 14 juillet sont prêts. La liberté ou la mort. Aux armes, citoyens, la patrie ne doit être qu’une fois en danger".

Le 29 juillet, Robespierre prononce un grand discours dans lequel il reprend de façon argumentée les mots d’ordre des sectionnaires et des Fédérés : déchéance du roi, élection au suffrage universel d’une Convention nationale.

Le 30 juillet, les célèbres bataillons de volontaires marseillais traversent Paris, tambours et trompettes faisant vibrer toutes les fenêtres, chantant sans cesse à tue-tête les célèbres couplets qui deviendront la Marseillaise.

Le 31 juillet, l’Adresse de la section Mauconseil résume l’avis général : "L’Assemblée nationale délibère ; mais l’ennemi approche, et bientôt Louis XVI va livrer nos cités aux fers ensanglantés des despotes de l’Europe... Que Paris soit encore l’étonnement de l’univers et l’effroi du despotisme. Déjà depuis trop longtemps un tyran méprisable se joue de nos destinées ; gardons-nous d’attendre, pour le punir, qu’il ait assuré son triomphe... Que le bruit de sa chute fasse pâlir les tyrans jusqu’à l’extrémité du monde. Unissons-nous pour prononcer la déchéance de ce roi cruel. Disons d’un commun accord : Louis XVI n’est plus le roi des Français... La section de Mauconseil déclare donc... qu’elle ne reconnaît plus Louis XVI comme roi des Français... Citoyens, imitez notre exemple, la tyrannie s’écroule et la France est sauvée pour jamais. Le rendez-vous général est boulevard de la Madeleine Saint Honoré".

Fin juillet et début août 1792, deux nouveaux pouvoirs apparaissent sur Paris, réunis à l’Hôtel de Ville :

- le Bureau central des sections qui va devenir la Commune insurrectionnelle de Paris

- le Comité central des Fédérés

Un groupe de députés autour de Robespierre est en contact permanent avec eux. Les forces de la Seconde révolution française sont prêtes.

Leur mot d’ordre résume leur état d’esprit : "La liberté ou la mort".

Le 4 août, la section des Quinze-Vingts pose un ultimatum à l’Assemblée demandant la déchéance du roi, pour le 9 août à onze heures du soir. Passé ce délai, le peuple agira par lui-même. Le moment (à une heure près) et le jour de l’insurrection sont déjà dans toutes les têtes. Cette section va assurer la direction de fait du mouvement insurrectionnel jusqu’à la victoire du 10 août ; or, elle correspond aux quartiers très populaires à cette époque de l’actuel Val de Marne.

L’Assemblée ne donne pas suite à cet ultimatum. Très majoritairement composée de députés favorables à arrêter la révolution sur le compromis d’une monarchie constitutionnelle, elle ne peut accepter ni suspension, ni déchéance du Roi.

Le 9 août, Robespierre prévoit la suite. Il annonce par lettre à son ami Couthon que « la Révolution va reprendre un cours plus rapide, si elle ne s’abîme dans le despotisme militaire et dictatorial ».

A minuit, le tocsin sonne. Plusieurs milliers de Parisiens et de Fédérés en armes se regroupent aux points prévus. Environ deux mille défenseurs des Tuileries les attendent de pied ferme, en particulier les célèbres Gardes Suisses et quelques centaines de gentilhommes.

5) La journée du 10 août 1792

Rarement insurrection fut aussi prévisible, aussi mûre et aussi bien préparée. Un petit cercle dont le futur général Westermann y travaille depuis le 26 juillet.

Au soir du 9 août, Louis XVI passe en revue les défenseurs de son palais alors que le tocsin commence à sonner dans tous les quartiers pour appeler à l’insurrection du lendemain matin :

Pour visionner le début du film de Jean Renoir sur ce préliminaire de l’affrontement, cliquer sur l’adresse URL ci-dessous :

http://www.youtube.com/watch?v=7cke...

Le 9 août, à onze heures du soir, la section des Quinze-Vingts, toujours elle, prend un arrêté : « Attendu qu’il s’agit de sauver la patrie et la chose publique, la section nomme trois commissaires pour se rendre à la maison commune et, conjointement avec ceux qui seront nommés par les autres sections, aviser aux moyens de se concerter sur les mesures à prendre dans les circonstances actuelles. »

La majorité des sections adopte aussitôt des arrêtés analogues. Entre une heure et deux (nuit du 9 au 10), de nouveaux commissaires nommés par celles-ci arrivent à l’Hôtel de ville. Vers trois heures du matin, 19 sections sont représentées. Huguenin, des Quinze-Vingts, assure la présidence . Entre 3 heures et 7 heures, les délégués d’environ 28 sections sont réunis. Les 20 autres nomment leurs commissaires en cours de journée.

Cette instance de coordination des sections, structures permanentes d’auto-organisation du peuple parisien dans chaque quartier, présente un caractère légal au 10 août, y compris sa présence dans l’Hôtel de ville. En effet, la municipalité avait invité les sections à nommer pour cette date des commissaires qui discuteraient avec elle la création d’un camp sous Paris et les moyens d’arrêter l’ennemi.

En fait, la première décision prise par ces commissaires députés pour mobiliser le peuple afin de défendre Paris, c’est de démissionner l’ancienne municipalité et constituer à sa place la Commune insurrectionnelle de Paris qui va jouer un rôle très important jusqu’au 9 thermidor. Le commandant de la Garde nationale de Paris est également destitué et remplacé par Santerre.

L’assaut du palais des Tuileries est mené par deux colonnes, l’une partant de la rive droite de la Seine (faubourg Saint Antoine), l’autre de la rive gauche essentiellement composée de volontaires bretons et marseillais.

Ce groupe de la rive gauche arrive avant l’autre aux portes du château et attaque. Pour visionner la partie du film de Jean Renoir sur ce premier assaut vers les Tuileries, cliquer sur l’adresse URL ci-dessous :

http://www.youtube.com/watch?v=QSJ3...

Pour visionner la partie du film de Jean Renoir sur la contre attaque des Bretons, des Marseillais et des sectionnaires parisiens venus de la rive droite, cliquer sur l’adresse URL ci-dessous :

http://www.youtube.com/watch?v=edR_...

Parmi les 376 morts ou blessés graves de ce 10 août 1792, les habitants des faubourgs sont particulièrement nombreux contrairement aux vainqueurs de la Bastille en 1789.

Le Roi s’est réfugié sous la protection de l’Assemblée dans la salle du Manège.

Au soir du 10 août, alors que les révolutionnaires vainqueurs défilent sans cesse, l’Assemblée sous leur pression, vote la suspension du Roi, son remplacement par un Conseil exécutif provisoire.

La nouvelle Commune insurrectionnelle de Paris arrête Louis XVI et le fait emprisonner au Temple.

COMPLEMENT

Le 6 Juillet, Louis XVI* informe l’Assemblée de l’avance des troupes prussiennes. Il souhaite, par cette initiative, rassembler toutes les énergies et surtout donner un gage de sa bonne foi. Mais les Ministres, voyant arriver une grande crise, conseillent au Roi d’aller plus loin encore et de se rendre, à leur tête, devant les députés pour dénoncer les périls que les factieux font courir à la France en conspirant contre la monarchie. Louis XVI* hésite et finalement refuse après avoir pris l’avis de Duport qui, lui, ne voit plus de salut que dans une intervention de La Fayette*.

Quatre jours plus tard, les Ministres Feuillants présentent leur démission. Ils veulent ainsi dénoncer l’anarchie qui règne dans le pays. Ils ont voulu protéger la monarchie, ils vont précipiter sa chute !..

L’effet de ces événements est quasi immédiat : le 11 Juillet, Hérault de Séchelles (1) et les Girondins font proclamer par l’Assemblée la « Patrie en danger ». Tous les corps administratifs et les municipalités siègent en permanence. Toutes les gardes nationales sont rappelées sous les armes. On enrôle dans les rues de la capitale, alors même que des milliers de gardes nationaux, les « Fédérés », font route vers Paris pour célébrer la Fête de la Fédération du 14 Juillet.

Ce sont ces Fédérés, invités à rejoindre la capitale, en dépit du veto du Roi, qui vont jouer un rôle déterminant dans la suite des événements. Dès leur arrivée, ils sont pris en main par les Sociétés populaires. Robespierre*, qui a bien compris quel parti on pouvait tirer de ce renfort d’hommes jeunes et tout dévoués à la cause de la Révolution, ne ménage pas ses efforts pour les « colérer », selon sa propre expression. Les sections siègent en permanence et rédigent des pétitions que les Fédérés vont, eux-mêmes, présenter à l’Assemblée nationale. Toutes sont inspirées par l’Incorruptible ; toutes demandent la déchéance du Roi.

Dans le même temps, les Sections parisiennes s’organisent : elles créent le 27 Juillet un Bureau de Correspondance à l’intérieur de la Commune pour leur permettre de communiquer entre elles de manière plus efficace et surtout plus rapide.

Mais la vacance du pouvoir, qui fait suite à la démission du ministère Feuillant, a aiguisé l’appétit des Girondins : déjà des tractations sont menées avec la Cour par des Vergniaud, Gensonné, Guadet. Ces mêmes députés adoptent, subitement, une attitude opposée à celle qu’ils avaient il y a quelques jours à peine ! Brissot se prononce ouvertement contre la déchéance du Roi et le suffrage universel. C’en est trop pour Robespierre* qui, le 29 Juillet, dénonce avec violence « le jeu concerté entre la Cour et les intrigants de la Législative ». Il réclame la dissolution immédiate de l’Assemblée et son remplacement par une Convention chargée de réformer la Constitution.

Le 30 Juillet, la Section du Théâtre Français, ouverte jusqu’à ce jour, comme toutes les sections parisiennes aux seuls citoyens actifs (2), déclare la mise en place, en son sein, du suffrage universel. Danton, en tant que Président, fait voter une déclaration qui stipule :

« La patrie étant en danger, tous les hommes français sont, de fait, appelés à la défendre ; que les citoyens vulgairement et aristocratiquement connus sous le nom de citoyens passifs sont des hommes français, partant qu’ils doivent être et qu’ils sont appelés tant dans le service de la garde nationale pour y porter les armes que dans les sections et dans les Assemblées primaires pour y délibérer (...) »

Dès le lendemain, la Déclaration de la Section du Théâtre Français est affichée. Elle fait l’effet d’un véritable appel à la rébellion. Ce même jour arrivent à Paris les fédérés marseillais qui prennent leurs quartiers aux Cordeliers. Danton les harangue et leur fait même, selon un rapport de police, distribuer des cartouches.

Paris est en effervescence. La fièvre révolutionnaire monte de jour en jour, au fur et à mesure que les Fédérés rallient la capitale. C’est dans cette ambiance survoltée que le texte du Manifeste de Brunswick, rédigé à Coblence, est diffusé à Paris au matin du 1er Août. Très certainement inspiré par Marie-Antoinette* dans le but d’effrayer les révolutionnaires les plus ardents, le manifeste est une menace à l’encontre du peuple parisien :

« ...S’il était fait le moindre mal à la famille royale, la ville de Paris serait livrée à une exécution militaire et à une subversion totale, et les révoltés aux supplices qu’ils auront mérités.. »

Le texte va produire l’effet inverse de celui qui était escompté par ses auteurs : il met le feu aux poudres. Les Sections de la capitale se réunissent en toute hâte et rédigent de nouvelles pétitions demandant, à nouveau, la déchéance du Roi. Certaines vont encore plus loin, comme la Section de Monconseil qui déclare solennellement ne plus reconnaître Louis XVI* comme Roi de France !

Le 4 Août, la Section du Théâtre Français, encore elle, prend un arrêté qui supprime l’Etat Major de la Garde nationale composé « de courtisans plus empressés à complaire aux hommes puissants qu’à rendre des services à la Commune et à la Patrie.. » Quarante-sept sections demandent la déchéance du Roi par une pétition présentée à l’Assemblée nationale par le Maire Pétion. Dans le même temps, Robespierre* dénonce un complot formé par les aristocrates pour faire évader Louis XVI*. On parle, en effet, à nouveau d’une tentative de La Fayette* pour faire sortir le Roi et sa famille de la capitale.

Le 6 Août, alors que les multiples pétitions sont toujours demeurées sans effet, la Section des Quinze-Vingt, présidée par Santerre, fixe au 9 Août la date extrême à laquelle l’Assemblée devra se prononcer sur la déchéance du Roi. « Sinon, à minuit, le tocsin sonnera, et la générale battra, et tout le monde se lèvera, à la fois, à l’instant.. » (4) C’est un ultimatum !... Le processus est enclenché ; rien ni personne ne pourra maintenant l’arrêter.

LES ACTEURS DE LA REVOLUTION : DANTON (18 / 52)

Prise des Tuileries - Journée du 10 août 1792

Que fait Danton pendant ces préparatifs d’insurrection ? Il part à Arcis-sur-Aube ! Il en donnera l’explication lors de son procès devant le Tribunal révolutionnaire :

« Je fus à Arcis, parce que Danton est bon fils, passer trois jours, faire mes adieux à ma mère et régler mes affaires. Il y a des témoins... » (5)

Danton craint-il à ce point pour sa vie, ou tout au moins pour sa liberté, à la veille d’événements dont la date est programmée et qu’il envisage comme des événements qui pourraient être tragiques ? On a beaucoup de mal à imaginer le bouillonnant Danton sous ce jour là, et l’explication fournie au Tribunal révolutionnaire paraît bien mystérieuse !

Au cours de la journée du 8 Août se déroule à l’Assemblée Législative un nouvel incident qui va finir d’exaspérer les patriotes : à une très forte majorité (les deux tiers) les députés refusent de décréter d’accusation La Fayette*. Le soir, plusieurs députés modérés sont conspués et même molestés par les sans-culottes.

Arrive la soirée du 9 Août et l’heure à laquelle l’ultimatum des sections vient à expiration. Danton est revenu à Paris, plusieurs témoins en attestent. Il prend une part active à la préparation de l’insurrection. A la fin de l’après midi, alors que les rassemblements dans les sections se font de plus en plus nombreux, Danton est passé à l’action. De la tribune des Cordeliers, il appelle les parisiens aux armes :

« Hâtez-vous, car cette nuit même les satellites cachés dans le Château doivent faire une sortie sur le peuple et l’égorger avant de quitter Paris pour rejoindre Coblence. Sauvez-vous donc ! Aux armes ! » (6)

On attend toujours des nouvelles de la Législative. Les députés vont-ils enfin prendre une décision ? L’Assemblée, au soir du 9 Août, est clairsemée ; beaucoup de députés ne sont pas venus siéger par peur. Elle se sépare après avoir, une nouvelle fois, ajourné la décision relative à la déchéance du Roi. La mécanique de l’insurrection se met alors en marche.. Les sections parisiennes envoient leurs représentants à l’Hôtel de Ville pour siéger aux côtés du Conseil Général. Au petit matin, 28 sections sont ainsi représentées et s’instituent commune insurrectionnelle en remplacement du Conseil général. Pétion, le Maire, est assigné à résidence.

Le rôle de Danton dans cette nuit, au cours de laquelle l’émeute se prépare, est bien équivoque. Des témoins prétendent que Danton, dans la nuit du 9 est allé se coucher. Puis on l’a vu sortir vers minuit, se rendre à sa section, avant de regagner son domicile pour se remettre au lit. C’est à l’aube, le 10 Août, sur la demande expresse de nombreux patriotes qui viennent le solliciter chez lui, qu’il se rend à l’Hôtel de Ville et prend place au sein de la Commune insurrectionnelle qui vient de remplacer l’Assemblée municipale légale.

La milice est commandée, cette nuit là, par le Marquis de Mandat. La Commune insurrectionnelle le fait convoquer et l’accuse aussitôt de trahison. On l’arrête, on prépare son transfert à la prison de l’Abbaye lorsque, vers 7 heures du matin, il est abattu par un des lieutenants de Santerre, sur les marches de l’Hôtel de Ville. Ordre de Danton, dira-t-on ! Et Danton lui-même ne démentira pas cette accusation devant le Tribunal révolutionnaire.

Santerre prend alors le commandement de la Garde nationale.

Vers huit heures, ce sont les Fédérés marseillais qui pénètrent les premiers dans la cour du Château. La garde Suisse ouvre le feu, obligeant les Marseillais à reculer. Louis XVI*, dès le début de l’assaut, a quitté les Tuileries avec sa famille pour se réfugier à l’Assemblée nationale toute proche. C’est de l’enceinte du Manège qu’il entendra le bruit de la fusillade : les Fédérés se sont regroupés, ils ont été rejoints par le peuple des Faubourgs et l’assaut est donné. Les Suisses repliés à l’intérieur du Palais sont littéralement massacrés. On tue et on égorge les soldats en armes mais aussi les domestiques et les quelques nobles qui se trouvaient encore dans les lieux. Une véritable fureur meurtrière s’empare des assaillants ; ceux du château qui tentent désespérément d’échapper sont poursuivis jusque dans les jardins et les rues avoisinantes. Le Roi aurait bien fait passer, au plus fort de la fusillade, un billet donnant ordre de faire cesser le feu. Mais certains démentiront cette version des faits ; et puis, de toute façon, il était déjà trop tard ! On dénombrera, à la fin de la matinée, un millier de morts dont près de 800 gardes Suisses.

Comme dans d’autres circonstances et comme pour d’autres responsables révolutionnaires, tels Robespierre* ou Marat*, Danton ne se montre pas aux Tuileries. Il demeure à l’Hôtel de Ville pendant toute la journée du 10 Août où il se tient au courant du déroulement des événements. Ce n’est que tard, le soir du 10, qu’il regagne son domicile.

(2) citoyens actifs : Les citoyens "actifs" ont seuls le droit de vote pour choisir les élus municipaux et les électeurs qui voteront pour les Administrateurs de Districts ou de Département et les représentants à l’Assemblée. Il faut être de sexe masculin, avoir plus de vingt-cinq ans, être domicilié dans le canton depuis au moins un an, ne pas être fonctionnaire ni en situation de banqueroute ou de faillite et payer un impôt direct au moins égal à trois jours de salaire d’un ouvrier non qualifié. En Mai 1791, le nombre de citoyens actifs est de 15,6 % de la population totale de la France.


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