Très bon bilan (provisoire) de Roger Martelli qui, avec lucidité, fait le constat d’un déclin inexorable de l’influence du PCF au niveau communal. On constate une baisse aussi continuelle dans le résultat des élections législatives et présidentielles. Malheureusement, l’analyse causale de cette perte d’influence idéologique par les responsables communistes est extrêmement insuffisante. Et ce n’est pas avec les explications comme celles d’Emmanuel Todd exposées dans son chapitre sur la droitisation de l’électorat figurant dans son livre la France mystérieuse (vieillissement de la population, effondrement de l’empire soviétique, etc.) que l’on sera plus éclairé.

Individualisme, précarité, effets de la crise sur le comportement provoquant angoisse et repli sur soi,, segmentation du travail, délocalisations, peur du communisme, diminution du secteur industriel au profit du tertiaire, manque de démocratie, dégoût de la politique, etc. on pourrait dresser un lexique de toutes ces fausses des explications, ou pour le moins insuffisantes. Comment se fait-il, alors que la crise du capitalisme n’a jamais été aussi profonde à notre époque contemporaine et que toutes les thèses économiques du PCF et de ses alliés sont validées par les faits, que l’Autre gauche peine à dépasser 10 % des suffrages exprimés ? (combien en pourcentage des inscrits ?)

Or, l’une des raisons fondamentales de cette perte d’influence est l’intensité et l’ampleur de la guerre idéologique et cognitive menée par la grande bourgeoisie, via ses médias et serviteurs politiques contre l’Autre gauche et plus généralement contre tous ceux qui proposent des alternatives démocratiques au fonctionnement du capitalisme.

Aucune étude globale tant quantitative que qualitative n’a été entreprise par les responsables politiques de l’Autre gauche pour mesurer et apprécier à sa juste valeur la puissance des moyens techniques et humains engagés pour anéantir l’influence des idées de l’Autre gauche.

Pourtant, nous ne sommes plus à l’époque du XIXe et première moitié du XXe siècle où la propagande était essentiellement véhiculée par la presse écrite. Depuis 30 ou 40 ans, la diversité des moyens techniques des moyens de communication a explosé. Constellations de satellites, forêt d’antennes, myriade de moyens de réception du poste de radio ou smartphone en passant par la télévision, sont mobilisés jours et nuits, sur chaque millimètres carré de notre territoire pour mettre en application la stratégie suintante :

 formatage des esprits à distance par diffusion continue des logiciels libéraux de gauche et de droite .- Dépolitisation, incitation au renoncement du droit naturel de penser, organisation du dégoût de la politique, inhibition de la raison au profit de l’émotion.

 Neutralisation politique de l’autre gauche par l’instrumentalisation du Front National via les médias notamment de la presse locale mettant en exergue les faits divers générateurs d’angoisse.

L’objectif à atteindre pour la classe dominante est le partage du champ politique en deux partis dominants interchangeables économiquement et une population abstentionniste de l’ordre de 50 %. À l’image de ce qui existe aux Etats-Unis.

Il serait temps de faire l’inventaire en terme de presse écrite nationale, régionale, locale ; des stations de radio ; des chaînes de télévision, etc. et des moyens financiers utilisés (y compris les aides de l’État) au service de la pensée libérale et au service de la pensée qui ne l’est pas. La disproportion est absolument gigantesque.

À ce bilan quantitatif il faudrait faire une analyse qualitative sur les différentes stratégies utilisées pour donner l’apparence de pluralisme tout en neutralisant la diffusion des analyses et des propositions de l’Autre gauche. Tous les moyens techniques issus des sciences humaines contemporaines : théorie des représentations sociales, techniques publicitaires et de marketing, sociopsychologie, etc. sont mobilisés pour adapter les discours aux différentes cibles socioculturelles visées. Quelles origines sociales et formations des journalistes, diffusion de l’économie néoclassique dans les classes de lycée et dans les universités ? Quelle diffusion des modèles sociaux culturels libéraux nord-américains, etc par le cinéma et les séries télévisées, etc ? J’arrête ici l’énumération que l’on pourrait continuer.

Ainsi à cette intensification en terme quantitatif s’ajoute une sophistication des moyens de conditionnement utilisés. Si l’on prend du recul avec un tel phénomène d’ampleur non seulement française mais planétaire, on aperçoit alors une situation digne de l’imaginaire de la science-fiction : une fantastique télé bioprogrammation des cerveaux à distance.

Le phénomène est tellement permanent et invisible que la quasi-totalité des gens qui en sont victimes et notamment des responsables politiques de l’Autre gauche mais aussi un certain nombre de sociologues de la communication (un comble !) en n’ont pas conscience. Il est vrai que les poissons ne voient pas l’eau dans laquelle ils vivent. Cette inconscience a évidemment des explications que je détaillerai pas ici.

C’est donc à une véritable armée de soldats- journalistes sans uniformes, dont les généraux élaborent les stratégies non pas dans les états-majors mais dans des think—tanks appropriés, que doit faire face les organisations de l’Autre gauche. Mais malheureusement, leur cécité ne leur permet pas de voir à qui ils ont affaire, d’analyser les moyens matériels mis en œuvre, les stratégies utilisées.

Certes, à certains moments, surgissent quelques éclairs de lucidité mais celle-ci est vite étouffée par la résignation d’une impuissance intériorisée. Même les éléments politiquement les plus éclairés de l’Autre gauche n’ont pas encore compris que la bataille centrale est la bataille médiatique : celle de l’audience, celle de la liberté d’expression et de diffusion des idées, celle de la liberté de pensée. C’est tragique.

À quoi ont servi les milliers de kilomètres de textes écrits par les intellectuels de l’Autre gauche depuis 40 ans , les centaines de revues diffusées (mais à faible tirage) par le PCF ? Faute d’une diffusion suffisante, dépassant le cadre limité des "déjà convaincus," tous ces travaux d’élaboration et de propositions débouchent sur une efficacité politique et sociale extrêmement faible. C’est dramatique.

Pourtant il existe des stratégies politiques pour neutraliser cette méga machine médiatique. Je n’en ferai pas ici le développement, cela dépasserait largement le cadre de ce commentaire déjà long. Le PCF a préféré investir l’essentiel de son temps dans la gestion des communes, dans des batailles d’assemblées, dans des activités de "clientélisme social" que d’investir l’essentiel de son temps dans la formation de ses propres militants et des citoyens, dans la mise en action de stratégies de communication et d’information, notamment en utilisant massivement l’Internet couplé avec des activités de porte-à-porte et de diffusion imprimée, pour contrer l’endoctrinement libéral. (je ne prends ici qu’un tout petit exemple).

Il existe des organisations humanitaires comme le secours populaire, des O.N.G., des syndicats pour aider au plus près la population la plus démunie et la plus vulnérable. Le PCF n’a pas compris que sa tâche essentielle n’est pas de faire le même travail que ces organisations mais que sa tâche essentielle devait être de nature politique, idéologique en accordant la priorité de son action à la formation politique des citoyens dans la perspective d’un changement radical de la société capitaliste, productiviste et consumériste dans laquelle nous vivons. Le clientélisme social est arrivé en bout de course. Le PCF doit refaire de la philosophie politique et de la politique de terrain. Projetde société – programme de gouvernement + Audience + Formation + Organisation : telle est la formule gagnante. Je l’ai appelé système PAFO. (le détail de ce système figure dans un autre de mes articles de ce site) .

Hervé Debonrivage