Suez-GdF : D’un litige privé à une affaire d’Etat... Un parfum de scandale autour de 1,25 milliard d’€

dimanche 18 juillet 2010.
 

Victime d’un litige privé avec une filiale d’Albert Frères, Jean-Marie Kuhn, un entrepreneur français, mène une enquête minutieuse qui lui fait lever un lièvre politico-financier hors du commun. « D’ordinaire, en matière de corruption, « ils » sont plus malins », commente un expert...

D’un litige privé à une affaire d’Etat...

Le 21 janvier dernier, RELATIO révélait quelques informations (non démenties depuis) qui ont jeté troubles et embarras dans quelques milieux financiers, judiciaires et politiques. Au moins 1, 25 milliard d’euro d’argent public français aurait servi à enrichir le milliardaire belge Albert Frère !

Comment ? Les fils n’étaient pas tous démêlés... Pourquoi ? Seule une enquête officielle pourrait le dire...

Mais les questions posées méritaient des réponses qui ne sont pas venues, en dépit des démarches effectuées au plus haut niveau de l’Etat par le plaignant...qui a vu sa plainte rejetée à la vitesse grand V d’une façon pour le moins troublante.

Ne voulant pas tomber dans les pièges de la médiatisation, refusant d’être instrumentalisé politiquement, d’abord soucieux de régler ses propres affaires, l’entrepreneur français à l’origine de ces découvertes (bien malgré lui) voulait conserver l’anonymat et tenter « d’épargner à la France un nouveau scandale ».

Mais, « trop c’est trop » : Il a parlé, à visage découvert. Sous l’œil d’une caméra. En présence de témoins. En exclusivité pour RELATIO. Et il a ouvert ses volumineux dossiers. « D’ordinaire, en matière de corruption, ils sont plus habiles », commente un expert qui a étudié à fond ce dossier...

L’homme n’a rien ni d’un « faiseur », ni d’un provocateur, ni d’un contestataire, ni d’un anarchiste. Il gère ses affaires avec le souci d’être en accord avec son éthique de vie et se lance volontiers dans des aventures entreprenariales conformes à ses idéaux. Il aime la vie simple. Et il se veut un citoyen conscient de ses devoirs et soucieux de servir au mieux les intérêts de son pays.

C’est sans doute d’ailleurs parce qu’il n’est pas de la race des « cannibales » (de plus en plus nombreux en cette ère l’hypercapitalisme financier) qu’il s’est fait escroquer dans une tractation commerciale où le « meilleur » est celui qui sait le mieux jouer... avec les règles du jeu.

Quand la franchise, l’honnêteté, la bonne foi deviennent des handicaps, salut les dégâts ! La morale et les appels à la moralisation sont plus des thèmes de prédication politique que des principes d’action...

Mais lui, Jean-Marie Kuhn, 52 ans, c’est au nom de la morale et pour réparer le préjudice dont il a été victime qu’il a mis en place une veille des affaires d’Albert Frère et qu’il a été conduit à jouer (si l’on peut dire) aux détectives...

Plongée dans un décor d’affaires « en or », avec des personnages « renommés », des jeux subtils du « je te tiens, tu me tiens par la barbichette », des intrigues, des dessous de tables. Avec aussi des enseignes célèbres : Groupe Albert Frère, Quick, Eiffage, Suez, Gaz de France, Caisse des dépôts et consignations ... Avec encore quelques uns de ces apparentements terribles entre « affaires » et « politique » qui contribuent plus que tout peut-être à décrédibiliser nos démocraties européennes.

Cela vaudra peut-être un jour un livre : un thriller politico-financier...dont la fin n’est pas encore écrite !

Quand la police des capitaux et la « justice financière » seront aussi bien équipées que la « police scientifique » et sauront rendre visibles ce que cachent les sociétés écrans, les filiales bidons, les secrets bancaires, les paradis fiscaux, les manipulations informatiques, de nouvelles séries des « Experts » vont faire grimper l’audimat...

En attendant, voici une ITW de ce héros bien malgré lui d’un épisode étonnant et détonnant : « L’énigme belge de la fusion Suez-GdF ». Avec une bonne dose de mystères français.

Daniel RIOT

ITW RELATIO

« A Bercy, on m’a suggéré de porter plainte : Cette affaire est extrêmement grave »

RELATIO : Vous êtes qui exactement, Jean-Marie Kuhn ?

Jean-Marie KUHN : Je suis dans les affaires. Immobilières et autres. En cela, je suis un entrepreneur qui participe à la vie économique et sociale du pays et je tente de concilier mes intérêts personnels, mes idées, mes aspirations et ce que je crois être l’intérêt commun. En l’occurrence, et sachez que cela me coûte de le dire, je suis une victime de pratiques que je trouve scandaleuses.

Votre dossier impressionne, par son volume et par ce qu’il contient.

A l’origine, tout part d’un litige privé...

Oui. A l’origine de l’affaire, il y a la signature d’une Convention entre la société GIB et moi-même. GIB est une société belge, qui appartient aujourd’hui, principalement au groupe Albert FRERE. Et cette société a signé une Convention aux termes de laquelle, elle devait réparer un préjudice me concernant. Cette convention a été signée en l’an 2000 et n’a jamais été honorée. Selon mes avocats, cette Convention, en fait, n’avait été signée que pour obtenir le retrait de ma plainte au pénal en Belgique.

Votre litige se montait à combien ?

A 22,5 millions d’euros. Un manque à gagner à la suite de malversations dans une affaire de reprise de sociétés. C’est parce qu’ils ont reconnu ce manque à gagner que les dirigeants de GIB ont voulu eux-mêmes réparer ces « dégâts » par cette Convention. Personnellement, j’ai fait confiance. Pourquoi aurais-je du me méfier ? J’avais à faire à des gens crédibles...

Pourquoi n’avez-vous pas réglé ces litiges devant les chambres de commerce par les circuits normaux ?

Cette Convention n’ayant pas été mise en œuvre, je me suis d’abord rapproché d’un actionnaire de référence, à savoir BNP Paribas qui, en 2002, l’a étudiée et a procédé aux investigations qui s’imposaient. Et là, coup de tonnerre, BNP a pris deux décisions spectaculaires. La première, celle de ne pas donner suite à ma demande et la deuxième, celle de sortir de GIB. Ce qui fut fait sans tarder et la participation a été cédée au groupe Albert FRERE qui était déjà largement présent dans le capital de GIB au moment des faits, et représenté au Conseil d’administration par Gérald FRERE, fils d’Albert FRERE. En se désolidarisant ainsi des comportements du groupe Albert FRERE, les juristes de BNP PARIBAS, m’ont écrit « comprendre que la Justice est par ailleurs saisie ». C’est dire la gravité des faits aux yeux de BNP PARIBAS...

Vous avez donc saisi la Chambre de Commerce Internationale qui était désignée comme instance d’arbitrage dans la Convention, je suppose ?

La démarche auprès de BNP Paribas n’ayant abouti qu’à me conforter dans le bien-fondé de ma demande, se posait alors le problème de faire exécuter ladite Convention par voie judiciaire. Je voulais saisir la Chambre de Commerce Internationale, mais vous connaissez la lenteur, la lourdeur et le coût de ce type de procédures. J’ai préféré poursuivre encore un peu sur la voie de la recherche d’un arrangement à l’amiable. Je suis un homme de bon sens, d’abord. Et au moment où j’allais le faire et dans le cadre de la constitution du dossier, j’ai eu connaissance d’agissements extrêmement troublants du Groupe Albert FRERE dans d’autres affaires.

Quelles affaires ? Et comment avez-vous eu les informations dont vous faites état ?

Quelles affaires ? Celle notamment qui fait la une des médias économiques aujourd’hui, je veux parler de SUEZ et GDF.... Comment en suis-je arrivé là ? En essayant de comprendre pourquoi mon litige avec Albert FRERE, important pour moi, mais relativement léger pour le groupe belge, restait ainsi sans solution, en l’air. Aux Etats-Unis j’aurais fait appel à un cabinet d’avocats qui emploient des détectives. En France, si vous voulez comprendre ce qu’il vous arrive, il faut parfois jouer soi-même les détectives, pratiquer ces investigations forcément longues et difficiles, tenter de décrypter des choses qui vous dépassent. J’ai passé deux ans, 2003 et 2004, à tenter de comprendre. A démêler des fils. A trouver des pièces d’un puzzle à reconstituer... Ce n’est pas faute d’avoir multiplié les interventions, mais on m’a toujours promis des choses qui ne sont jamais venues. Et dans ce qu’il faut bien appeler mon « enquête », je me suis intéressé de plus en plus près aux activités d’Albert FRERE en France. Des activités qui se sont étonnement étoffées et multipliées, puisqu’il est devenu présent dans des affaires telles que EIFFAGE, SUEZ, GDF, QUICK etc... Tout naturellement, je me suis dit : « mais lorsque l’on ne tient pas parole dans un dossier, pour un montant aussi faible pour Albert Frère, comment veut-on ou peut-on se comporter convenablement dans des affaires nettement plus importantes, avec des sommes en jeu autrement plus impressionnantes ? » Je me suis dit aussi : « pourquoi moi, aurai-je été la seule victime d’Albert FRERE ? » Logique, non ?

Et ce que vous dites avoir découvert dépasse l’entendement.

Que l’Etat, par le biais de la Caisse Des Dépôts et Consignations, ait déposé, dans la corbeille du Groupe Albert FRERE 1,25 Milliard d’euros, comme un cadeau a de quoi intriguer, interpeller et scandaliser le citoyen que je suis, oui.

Vous êtes arrivé à cette somme comment ?

Le Groupe Albert FRERE et la CDC ont acquis, en même temps, des actions dans EIFFAGE et la CDC a repris neuf mois plus tard la participation d’Albert FRERE pour 398 Millions d’euros dégageant une plus-value de 91 Millions d’euros pour Albert FRERE.

C’est le genre d’opérations courantes, non ?

La CDC aurait pu renforcer sa participation dès le départ, et économiser ainsi 91 Millions d’euros.... C’est vérifiable.

Pourquoi un tel « cadeau », à votre avis ?

A part pour enrichir Albert FRERE aux frais du contribuable, je ne vois aucune autre raison...Mais il ne s’agit là que d’une opération parmi d’autres...Je crois que nous vivons une époque difficile, et ce qui se passe au niveau du pouvoir d’achat, du chômage, des inégalités, de la faiblesse de la croissance et la dureté de la vie, font qu’aujourd’hui, plus que jamais, de telles pratiques ne devraient plus avoir cours. Mais le plus troublant est à venir...

C’est-à-dire ?

Parlons de QUICK, cette chaîne de restauration rapide qu’Albert FRERE a cédée en novembre 2006, à la CDC pour le prix de 850 Millions d’euros. Or QUICK ne correspond pas aux critères d’investissements de la CDC tels qu’ils ont été précisés par ses dirigeants lors de leur audition devant la Commission des Finances de l’Assemblée nationale le 24 janvier 2007... C’est d’ailleurs là encore une affaire de bon sens : chacun comprendra que le rôle de la Caisse de Dépôt, n’est pas avec l’argent du contribuable, d’acheter une société de restauration rapide qui avait un actionnaire, qui n’était pas en péril et dont les emplois n’étaient pas menacés.

Et qu’a rapporté QUICK à Albert FRERE ?

Une trésorerie importante et un Taux de Rendement Interne de 237%, dissimulé sous une présentation plus acceptable en l’affichant à 60% en taux annuel composé...

Je ne comprends pas tout dans ces « dissimulation », mais visiblement, ce peut être juteux, la restauration rapide...

Effectivement, encore des cadeaux. Et j’imagine mal la Caisse de Dépôt débourser cet argent de son propre chef, sans l’ordre ou l’aval de l’autorité politique.

C’est là que vous glissez sur un autre terrain dangereux, celui des affaires et de la politique...

Ce n’est pas moi qui glisse sur ce terrain là... Moi j’en reste aux faits, aux constats, et aux « coïncidences » et je ne crois pas au hasard. L’année 2006 a donc été particulièrement faste pour Albert FRERE qui a su faire débourser en décembre 1,25 MiIlliard d’euros par la CDC. Et c’est sur cette trésorerie qui lui est apportée par la CDC qu’il va pouvoir bâtir une prospérité longue, certaine et sans risque. Et, d’ailleurs, il ne perd pas de temps puisque, dès janvier 2007, le Groupe Albert FRERE renforce sa participation dans SUEZ pour détenir 13,4% des droits de vote. Coût de l’opération : 798 Millions d’euros. Avec de jolies perspectives de gains au terme de la fusion annoncée avec GDF......

Toutes ces mécaniques comptables se résument mal en un entretien. Nous publierons un dossier en annexe par souci d’information en laissant bien sûr le soin aux experts de juger de la justesse de vos additions, multiplications et pourcentages... Ce qui me semble important, c’est le pourquoi de cette attention portée à Albert FRERE, de ces « cadeaux ». Si je vous suis, je suis amené à penser que l’Etat a apporté tout cet argent afin qu’Albert FRERE se renforce dans SUEZ et devienne incontournable...

Les faits parlent d’eux-mêmes ...

La CDC est sous la tutelle du Ministère de l’Economie et des Finances. L’avez-vous contacté ?

Bien entendu, je me suis rapproché de Bercy. Du temps de Thierry BRETON et de Christine LAGARDE. Thierry BRETON était ministre lorsque ces opérations ont été conclues et Christine LAGARDE est la ministre de la concrétisation de la fusion GDF-SUEZ pour laquelle les décrets nécessaires viennent d’être publiés en décembre 2007.

Vous oubliez un autre ministre des Finances qui peut être au moins indirectement concerné : Nicolas SARKOZY qui, alors qu’il était ministre de l’Economie et des Finances en 2004 a ouvert le capital de GDF et a pris l’engagement -non tenu d’ailleurs- de maintenir la participation de l’Etat dans GDF à un minimum de 70%.

Vous avez raison. Cette décision a été le point de départ du processus de fusion SUEZ-GDF. On peut remarquer aussi sans en tirer aucune conclusion que Nicolas SARKOZY était présent à toutes les étapes cruciales du processus : ouverture du capital de GDF lorsqu’il était aux Finances en 2004, vote de la fusion en 2006 lorsqu’il était président de l’UMP, et arbitrage en faveur d’Albert FRERE en 2007 en tant que Chef de l’Etat...

L’avez-vous informé, contacté, questionné, consulté directement ?

J’ai informé Monsieur Nicolas SARKOZY de mes constats et de mes interrogations légitimes à de multiples reprises. Lorsqu’il était candidat à la Présidence, quand il a été élu mais pas encore investi et depuis qu’il est en fonction.

Comment l’avez-vous informé depuis qu’il est à l’Elysée ?

Par l’ensemble de ses Conseillers, dont les plus proches et les plus influents : Guaino, Guéant, Martinon, Mignon...A part des entretiens téléphoniques où l’on me promettait une audience jamais venue, la seule réponse écrite date du 19 juillet 2007.

J’ai vu que vous aviez alerté l’Élysée d’une façon ou d’une autre 109 fois, vous êtes un obsessionnel des mails, des dossiers, des coups de fil à répétition ... ?

Non, si j’ai des obsessions, ce ne sont pas celles-là .Je me serais bien passé de tout ça. Mais vous avez raison de le souligner, 109 interventions ont été faites pour alerter l’Élysée. Comme réponses écrites, j’ai une réponse plus surprenante que d’autres. Celle d’Emmanuelle Mignon, directrice du cabinet de Nicolas Sarkozy, qui m’a opposé une fin de non-recevoir extrêmement sèche, dans un mail, qu’elle m’a adressé le 19 juillet 2007, alors que deux jours avant il « était question que j’aie une audience « dans les délais les plus brefs ».

Oui, mais qu’est ce qu’elle avait d’étonnant cette réponse cette fin de non-recevoir ? Ce n’est pas de la compétence du Président de la République de s’occuper des affaires d’Albert FRERE et des vôtres ...

Non, ce n’est pas de sa compétence, mais le rôle de l’Etat n’est pas non plus d’enrichir un milliardaire avec des fonds publics... Au moins, sa réponse constitue-t-elle une preuve que l’Elysée n’ignore rien, absolument rien des faits que j’énonce...

RELATIO : Considérez-vous que le Président a été directement et incontestablement informé ? L’absence de réponse à vos requêtes et messages n’est pas forcément la preuve d’une loi non écrite du silence. Les entourages sont d’abord des filtres...

JEAN-MARIE KUHN : On peut tout de même penser et même espérer que la directrice de cabinet engage le Président... Cependant, conscient des filtres, j’ai porté le dossier à la connaissance de Maître Thierry HERZOG, l’avocat personnel de Nicolas SARKOZY, et également de Maître Arnaud CLAUDE associé au cabinet d’avocats « Nicolas SARKOZY - Arnaud CLAUDE ». Alors que je les ai informés à quatre mois d’intervalle, ils m’ont fait la même réponse écrite « n’ont pas vocation à ... ». Pourtant ces deux cabinets sont spécialisés dans les affaires financières. Thierry HERZOG est l’avocat de Nicolas SARKOZY notamment dans l’affaire CLEARSTREAM, affaire financière emblématique s’il en est, et le cabinet de Nicolas SARKOZY traite aussi d’affaires financières...

Et l’Hôtel Matignon, dans ces affaires ?

Deux périodes à Matignon : celle de Dominique de VILLEPIN qui a saisi la Chancellerie. Nous en avons parlé.

Et celle de François FILLON...

Je l’ai informé personnellement par courrier UPS le 18 mai 2007. Il a chargé un Conseiller de ce dossier. Le 4 juin 2007 était une journée à marquer d’une pierre blanche.

Pourquoi ?

Trois appels de Matignon : le premier à 9h31 pour me proposer une audience de 30 mns pour le 6 juin à 18h00, un second appel à 10h44 pour proposer d’avancer le rendez-vous à 17h00 afin de disposer de 90mns, et un troisième et dernier appel à 12h32 pour annuler le rendez-vous aux motifs que ce créneau serait occupé par le Premier Ministre, et préciser qu’une nouvelle date serait fixée au lendemain des élections législatives.

Qui est ce Conseiller ? Quelles sont ses fonctions ?

Antoine GOSSET-GRAINVILLE, directeur - adjoint du Cabinet de François FILLON. Il vient, du privé et était avocat - associé et chef du bureau de Bruxelles du cabinet d’avocats GIDE. Il se trouve que Gide a été mon conseil au début du litige avec le Groupe Albert FRERE, est devenu depuis le Conseil habituel d’Albert FRERE, ce qui n’a pas du tout empêché Christine LAGARDE d’en faire le Conseil de l’Etat pour la fusion...

Après cette annulation de l’audience, avez-vous baissé les bras ?

Evidemment non. J’ai fait délivrer une sommation interpellative par exploit d’huissier à Antoine GOSSET-GRAINVILLE le 29 juin 2007 et, depuis cette date, j’ai adressé 9 courriels à François FILLON, 13 à Sylvie FOURMONT qui est chef de son secrétariat particulier, 11 à Antoine GOSSET-GRAINVILLE, et 3 aux Conseillers suivants : Maryvonne CAILLIBOTTE, Franck ROBINE et Myriam LEVY...

Avec quelles réponses à la clef ?

Trois entretiens téléphoniques avec Sylvie FOURMONT qui me promet une réponse ou une audience à bref délai, depuis... juillet 2007 !

L’article 40 du code de procédure pénale stipule qu’une personne détentrice de l’autorité publique doit porter immédiatement à la connaissance du Procureur des faits délictuels et lui fournisse tous les éléments en sa possession. Il semble qu’il s’agisse de faits suffisamment troublants. Quelqu’un a-t-il saisi la Justice ou vous a incité à le faire ?

Oui, Monsieur Dominique de VILLEPIN, alors qu’il était Premier Ministre, a saisi la Chancellerie dès le 19 avril 2007. Monsieur Alain JUPPE par son chef de cabinet, m’a conseillé de porter ce dossier à la Justice. La Chancellerie m’a promis une réponse rapide. Mais le changement de Gouvernement a interrompu la célérité et peut-être la sérénité, car mon dossier a été perdu, après un nouvel envoi et de multiples interventions j’ai enfin obtenu une réponse le 23 juillet 2007, sachant que les réponses téléphoniques ne cachaient ni la gravité des faits ni l’embarras à me répondre par écrit.

Que dit cette réponse ?

Elle considère qu’il s’agit d’une affaire privée et occulte totalement la partie publique pour laquelle Matignon l’avait pourtant saisie.

Et Bercy ?

Thierry BRETON n’avait jamais daigné me répondre et là encore, on me faisait des promesses d’audience quotidiennes jamais tenues.... Mais il a pris soin de se dédouaner en déclarant le 6 octobre 2007, alors qu’il était auditionné au Sénat dans le cadre de l’affaire EADS, avoir appris la cession de QUICK par la presse et non par la CDC...Christine LAGARDE, elle, a désigné l’un de ses Conseillers qui a travaillé pendant quatre mois sur le dossier. Madame LAGARDE m’a appelé personnellement le 17 septembre 2007.

Résultat ?

En date du 5 décembre 2007, lors d’une réunion au Ministère des Finances, il m’a été fortement conseillé de déposer une plainte, en me précisant que le haut niveau des personnalités impliquées ne devait pas me décourager mais, bien au contraire, était une circonstance particulièrement aggravante.

Vous me dites là que c’est le ministère qui vous a conseillé de porter plainte ! Comment expliquez-vous que le Ministère des Finances n’ait pas déposé plainte lui-même ?

Je l’ignore mais on peut penser qu’il n’a pas été autorisé à le faire... Hiérarchie oblige...Etrange, en effet.

Je ne connais pas bien le fonctionnement interne du Ministère des Finances mais permettez moi d’être surpris... Cela mérite des explications un peu plus détaillées, même si, je le comprendrais, vous ne voulez pas mettre en cause des gens qui en l’occurrence semblent avoir très bien fait leur travail.

Madame LAGARDE a délégué un Conseiller nommé Philippe LOGAK, avec qui j’ai travaillé pendant 4 mois. Nous avons échangé quantité d’informations, sous formes de mails, de dossiers et d’échanges téléphoniques. Durant ces 4 mois, Monsieur LOGAK m’a tenu au courant des différentes étapes. Ainsi, une enquête approfondie a été confiée à la direction juridique. Cette enquête a duré 6 semaines, et au vu de ses conclusions, la direction financière a été saisie par Madame LAGARDE. Aux termes de ces deux rapports et de ses investigations, LOGAK s’est assuré, par un appel téléphonique du 14 novembre 2007 au soir, que je ne porterai pas plainte et que je n’exigerai pas du MINEFI qu’il porte lui-même plainte. J’ai rassuré Monsieur LOGAK sur ces points et il me disait en référer à Madame LAGARDE et revenir vers moi sous quinzaine, le temps de trouver la solution amiable à mon problème.

Évidemment, vous avez acquiescé, puisque votre but n’est pas de jouer les Zorro mais d’obtenir finalement votre dû.

Bien sûr. Et effectivement, le 26 novembre, LOGAK m’a appelé pour me dire avec enthousiasme que Madame LAGARDE avait désigné Madame Nicole PLANCHON pour m’arranger au mieux dans cette affaire. Et LOGAK m’a présenté Madame PLANCHON comme une personne particulièrement importante à deux titres :

1) Dans la hiérarchie du MINEFI, elle est directrice du droit privé à la direction des affaires juridiques, ce qui est un poste extrêmement important,

2) Elle est aussi Magistrate de formation et saisit donc mieux que quiconque, ce qui se passe dans ce dossier.

Un rendez-vous a été fixé au 5 décembre 2007, à 10h, au MINEFI. Madame PLANCHON, à ma grande surprise, n’avait qu’une connaissance sommaire du dossier. Je lui ai fourni quelques explications et, après une demi-heure d’entretien, elle m’a dit, en substance : « KUHN, ce dossier est tellement grave, ce n’est pas parce que des personnes haut placées sont impliquées d’une manière directe ou indirecte, qu’il s’agit à mes yeux d’une circonstance atténuante. Bien au contraire, c’est une circonstance aggravante. Je vous incite vivement à déposer une plainte, sans tarder »

C’est à la suite de cet entretien que vous avez déposé une plainte « contre X, contre le groupe Albert Frère et autres », avec une déclinaison collatérale, qui inévitablement rejaillit sur l’inertie de certains hommes politiques.

J’étais abasourdi par cet entretien et j’en ai immédiatement informé Monsieur LOGAK qui paraissait sincèrement surpris. Je lui ai également fait part de mon étonnement que Madame PLANCHON n’était pas en possession de l’intégralité de mon épais dossier mais seulement de quelques éléments qui tenaient dans une petite chemise. Rien ne correspondait avec ce que m’avait dit Monsieur LOGAK. Il m’avait assuré, le 26 novembre, que le dossier était déjà entre les mains de Madame PLANCHON et que le complément qui se trouvait encore dans son bureau lui parviendrait dans la journée. Monsieur LOGAK a conclu notre entretien téléphonique en me disant qu’il ne comprenait pas, que tout était pourtant clair avec Madame LAGARDE, qu’il était désolé, et qu’il reviendrait vers moi. Nous avons ensuite eu plusieurs échanges qui montraient son embarras devant ce changement de ligne et il a fini par m’avouer que la position de Madame PLANCHON était devenue celle, officielle, du Ministère des Finances. Fort de ces informations, j’ai donc déposé une plainte le 24 décembre 2007, en période de vacances judiciaires. J’avais, auparavant, pris soin de porter le projet de plainte à la connaissance de l’Elysée, de la Chancellerie, de Matignon et bien entendu de Bercy. C’est cette plainte qui a été classée sans suite le 11 janvier 2008 au motif d’être « insuffisamment caractérisée ».

Un classement TGV. Avez-vous été entendu par la Justice ?

Non. L’un de mes Conseils, Maître Catherine BRAUN, avocat à la Cour, m’a fait part du classement le 11 janvier 2008. Ce classement -effectué en 4 jours, la rentrée judiciaire ayant eu lieu le 7 janvier !-, ouvre la voie à de nouvelles actions judiciaires notamment au dépôt de plaintes avec constitution de partie civile en France et / ou en Belgique.

Et maintenant ?

Le 29 janvier 2008 j’ai écrit une dernière fois au Président, sans réponse à ce jour. Et j’ai demandé audience à Christine LAGARDE, car il est important pour mes avocats d’avoir communication du rapport d’enquête de la direction juridique et de la direction financière du MINEFI. Une réponse m’avait été promise sous 2-3 jours. A chacun de mes appels, on me dit que la demande est sur son bureau, qu’elle ne l’a pas encore signée etc. C’est la politique de l’autruche. Aussi réfléchissons-nous aux actions à entreprendre, car il est bien évident, qu’un certain nombre de magistrats ont vu ce dossier aussi bien au MINEFI qu’à la Chancellerie et la gravité des faits ne leur a pas échappé. J’ai même consulté un professeur spécialiste en droit pénal des affaires, professeur émérite s’il en est, qui a eu cette remarque lapidaire, après avoir longuement étudié le dossier, en me disant : « d’ordinaire, en matière de corruption, « ils » sont plus malins ». Et là, voyez-vous RIOT, j’étais surpris car, comme me disait un ami député, nous pensions que depuis longtemps la France était débarrassée du problème de la corruption

« Corruption ? Le mot est fort. « Pacte de Corruption » ? C’est encore plus fort. Et vous mettez sinon SARKOZY du moins l’Elysée en cause. Une accusation grave... Vous savez, qu’en parlant devant nos caméras et nos micros, devant nous, vous prenez le risque d’être poursuivi devant les tribunaux pour diffamation, atteinte à la dignité du Président de la République et quelques autres « fariboles », comme dirait la Ministre de l’Economie...

Je n’accuse personne. Et je ne jette aucune suspicion sur quiconque. SARKOZY a raison lorsqu’il dit qu’il faut savoir défendre ses idées et garder un certain sens de l’éthique et de la morale. Au nom de ce sens de l’éthique et de la morale, je prends ce risque. J’attache beaucoup d’importance à la présomption d’innocence, donc loin de moi, toute idée d’accuser quelqu’un ou de suspecter quelqu’un. « Pacte de corruption » ? C’est le nom qui convient, selon moi. La justice en délibérera s’il le faut. Je n’accuse Monsieur SARKOZY de rien. Aujourd’hui, je veux simplement dire que Nicolas SARKOZY a été informé par une multitude d’interventions, c’est-à-dire des envois par porteur, des mails, une sommation interpellative, adressée à Matignon et une autre adressée à un directeur de cabinet.

Certains esprits pourraient même voir dans les silences de l’Elysée et de nombreuses personnalités non une protection du Président mais une occasion de le déstabiliser un peu plus à un moment difficile pour lui à plus d’un titre...

Que chacun voit ce qu’il veut y voir. Là n’est pas mon problème. Je réagis tel un homme floué. J’ai tout fait pour avertir les autorités concernées sans jamais privilégier une exploitation politicienne, car la France vaut mieux que cela. J’ai aussi fait montre d’une patience qui d’ailleurs nuit considérablement à ma vie professionnelle et personnelle. Je ne suis pas un Don Quichotte. Et je vous le redis je suis victime et non procureur.

Vous allez continuer à alerter les politiques. Est-ce que vous avez saisi aussi les députés, qui font partie de l’amical de la lutte anti-corruption par exemple, « Transparency international » ou d’autres..

- Je considère l’information largement suffisante : 2 sommations interpellatives, 424 courriels, 31 courriers, soit un total de 457 interventions, qui ont donné lieu à 16 réponses écrites et à un classement sans suite. Je ne parle pas de la multitude d’entretiens téléphoniques qui ont donné lieu, pour certains, à des confidences édifiantes...On peut quand même dire que ce dossier, qui est maintenant un dossier complet et étoffé, se heurte à une inertie politique qui pose vraiment un problème et bien des questions. J’ai réellement travaillé d’une manière très dense et les faits ont été avérés, recoupés, vérifiés... Et comme je ne voulais pas que ce dossier pollue les échéances électorales, j’ai accepté, à la demande de certains élus UMP, de laisser passer la présidentielle puis les législatives. J’ai renoncé à faire valoir et prévaloir mes intérêts privés au bénéfice de l’intérêt supérieur de la Nation. Et au fur et à mesure que les mois ont passé le dossier s’est étoffé, s’est aggravé et un certain nombre de complicités passives, pour ne pas dire plus, se sont révélées au grand jour. Aujourd’hui, on me suggère « attendez les « municipales ». Et après quoi d’autre ? Non... Je suis devenu impatient, chacun peut le comprendre.

Qu’est-ce qui vous tient le plus à cœur en ce moment : c’est de récupérer l’argent que vous avez perdu ou que justice soit faite sur un plan général ?

Quand vous êtes un petit entrepreneur et qu’il vous manque une telle somme pendant autant de temps, naturellement vous souhaitez qu’un jour réparation soit faite. Vous ne pouvez imaginer à quel point j’ai été freiné dans mes projets et les dommages collatéraux sont nombreux, importants et indélébiles. Je veux donc récupérer mon dû et mon honneur et je remuerai ciel et terre pour y arriver. Ma détermination est totale et comparable à celle de SARKOZY dans l’affaire Clearstream, qui ne lui a pourtant pas coûté d’argent et qui ne l’a pas empêché de devenir Président. Je n’ai ni haine ni amertume contre quiconque. Deux personnes ont le pouvoir de faire réparer immédiatement mon préjudice : Albert FRERE en tant que patron de son Groupe, et le Président de la République qui peut et doit intervenir auprès d’Albert FRERE pour que celui qui est devenu incontournable grâce aux fonds publics ne traîne pas plus longtemps de telles casseroles liées à un capitalisme immoral que notre Président, Monsieur Nicolas SARKOZY, dit vouloir assainir. »

(ITW recueillie par Daniel RIOT et Sandrine KAUFFER et texte des réponses relu par l’interviewé et l’un de ses Conseils)


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