Myriam Novitch, rescapée du ghetto de Varsovie, résume parfaitement les étapes du génocide tsigane « Tout d’abord ils sont déclarés asociaux, ensuite on les met dans un camp de concentration, enfin on les extermine. »
L’oppression des tsiganes avait commencé dans la plupart des pays d’Europe bien avant la naissance du nazisme. En conséquence, leur génocide de 1940 à 1945 a été préparé par de nombreuses lois liberticides précédentes. Ainsi, en France, dès 1912, les gens du voyage se voient attribuer un carnet anthropométrique, visé dans chaque commune, à l’arrivée comme au départ.
Le gouvernement de Pétain ne fait qu’aggraver, systématiser ce racisme. Dès l’automne 1940, des Tsiganes sont internés dans des camps de concentration, à Argelès-sur-Mer et au Barcarès, dans les Pyrénées Orientales, camps créés à l’origine afin d’accueillir les réfugiés espagnols et les Juifs. Même logique d’exclusion, pour des populations pourtant différentes. Et ce sont près de trois mille Tsiganes qui auraient été internés dans l’ensemble de la France entre 1940 et 1946.
C’est en 1942 qu’est créé le seul camp d’internement réservé aux Nomades, celui de Saliers
Le camp est situé en zone libre, sur la commune d’Arles, dans les Bouches-du-Rhône. ll s’est d’abord inscrit dans une logique de sédentarisation, puis d’enfermement. Pour commencer, trois cents nomades doivent s’entasser dans des petites cabanes inachevées, sans électricité. Les conditions d’hébergement et de ravitaillement sont lamentables. Le sort des enfants est particulièrement difficile ; ils ne sont évidemment pas scolarisés. Sans vêtements de rechange, les hébergés finissent par porter des loques. Ils sont squelettiques, mais ils résistent. Aguerris et indomptables. Finalement, le sous-Préfet d’Arles demande la fermeture du camp dès juillet 44.
En Allemagne, le génocide des Juifs, des tsiganes (Sinti et Roms), des anticapitalistes par l’extrême droite a été préparé depuis le 19ème siècle et les années 1920 par la dérive de la droite elle-même, des classes privilégiées et parfois d’une partie de la gauche modérée. Les Sinti allemands étaient très majoritairement sédentaires et généralement bien intégrés. Le racisme constituait donc la principale raison de leur différenciation, en particulier par la police. « Depuis la fin du XIXème siècle, les Tsiganes allemands, majoritairement sédentaires, étaient devenus l’objet de toutes les attentions de ceux qui dénonçaient le "fléau tsigane" (anthropologues, linguistes, folkloristes) et notamment des services de polices qui entreprirent de les recenser et de les mettre sous étroite surveillance. Ces mesures n’avaient qu’un seul objectif : marginaliser toujours plus les Tsiganes. » (Marie-Christine Hubert et Daniel Laurent ; voir sitographie)
B1) Le Zigeunerbuch sous le Kaiser Friedrich Wilhelm Viktor Albrecht von Hohenzollern, roi de Prusse et empereur d’Allemagne de 1888 à 1918
La Direction royale de la police institutionnalise déjà la haine des tsiganes. Elle commande au célèbre raciste Alfred Dillman et son Centre tsigane de Munich un ouvrage paru en 1905 comprenant :
une liste de quinze justifications condamnant l’ensemble du peuple rom
un inventaire des lois répressives à leur encontre
un recensement détaillé de nombreux Sinti allemands
La large participation des anthropologues allemands à la définition raciale des roms et à leur répression a été soulignée par l’historienne Henriette Asséo. Les services d’hygiène de la ville de Francfort, par exemple, salariaient deux chercheurs racistes, les docteurs Ritter et Justin, qui prenaient en charge les "Archives de l’héritage biologique" contenant un fichier spécifique des tsiganes.
B2) La république de Weimar
La dénonciation et la persécution des Sinti s’accéléra à partir des lois de contrôle de la "plaie tsigane" de 1926. Deux ans plus tard, la surveillance devint plus spécifique, plus permanente, plus dure.
Prenons le cas de la ville de Göttingen : son Service de la statistique raciale socioprofessionnelle tenait à jour un fichier tsigane depuis 1931 ; en accédant au pouvoir fin janvier 1933, les nazis n’eurent qu’à l’ouvrir pour arrêter les personnes concernées.
Avec l’arrivée au pouvoir des nazis, l’oppression des tsiganes s’aggrave donc :
définition des Sinti et Roms comme une population non intégrable, d’où exclusion civique puis sociale (non scolarisation, interdiction de circuler, parcage dans des camps d’internement régionaux...)
2 novembre 1933 "stérilisation eugénique" (femmes stérilisées de force) dans le cadre de la loi contre les "asociaux" dont les Zigeuner (tsiganes)
premiers enfermements au camp de Dachau puis généralisation de l’enfermement jusqu’en 1938.
en 1934 la "loi contre les criminels irrécupérables et dangereux" intègre de nombreux Zigeuner dans un processus de fichage policier de type anthropologique
interdiction des mariages mixtes en 1934-35
en septembre 1935, les lois de Nuremberg "sur l’aryanisation" cataloguent collectivement les Tsiganes parmi les criminels irrécupérables
le 10 février 1936, pleins pouvoirs sont donnés à la police dans la lutte nationale contre les tsiganes.
1938 : première rafles. La loi du 18 décembre légalise et généralise stérilisation, enfermement dans les camps de concentration et autres mesures de répression totalitaires.
27 avril 1940 : début de la déportation vers les camps allemands nazis situés en Pologne (Auschwitz...)
Himmler ordonne le fichage ( 1941) puis la déportation généralisée (16 décembre 1942) des tsiganes vivant en Allemagne
« Les Nazis achevèrent de fédérer les différentes législations anti-tsiganes des Länder, mirent au point une définition raciale devant permettre l’éradication définitive du "fléau tsigane". » (Marie-Christine Hubert et Daniel Laurent ; voir sitographie)
La traque du "gibier" tsigane se généralise dans toute l’Europe occupée, de 1938 à 1941. Le racisme des populations locales a largement préparé et facilité l’action des nazis. Ce sont les tsiganes de l’ancien empire austro-hongrois qui furent les premières victimes de masse dès 1938, ensuite ceux de Pologne et Bohême Moravie enfin ceux de Norvège, Pays-Bas, Pays baltes, Ukraine...
L’ouvrage de Claire Auzias intitulé " Samudaripen Le génocide des tsiganes" différencie trois types de pays quant à l’oppression des tsiganes :
- soit ils furent d’abord exclus juridiquement puis arrêtés, parqués dans des camps de transit et enfin déportés puis gazés (Grand Reich)
soit ils furent massacrés par l’armée occupante et par les civils, enfermés dans les ghettos avec les Juifs, comme en Pologne, et exterminés.
soit ils furent internés dans des camps locaux comme en France et en Italie, voués à périr, et sporadiquement déportés vers les camps de la mort.
C’est à l’automne 1939 que les déportations deviennent massives ; et c’est sur deux cent cinquante enfants tsiganes que les nazis testent le zyklon B, au camp de Buchenwald, en février 1940. Par ailleurs, à Ravensbrück ont été pratiquées des opérations pseudo-scientifiques sur des cobayes humains, entre autres tsiganes.
La dérive génocidaire du fascisme allemand prend des formes variées de 1933 à 1945. Plusieurs cas cités par Claire Auzias méritent d’être signalés :
Johan Trollman, tsigane, perd son titre de champion national de boxe au printemps 1933 pour cette raison. Sa carrière est terminée. Ses trois frères sont déportés en camps de concentration ; lui, combat pourtant courageusement sur le front russe dans la Wehrmacht. En 1942, il est arrêté par la Gestapo, versé dans les travaux forcés au camp de concentration de Neuengamme. Le 9 février 1943, il est abattu par les SS.
dans la ville de Hamm (Westphalie), les tsiganes furent groupés le 17 octobre 1939 dans un camp d’internement local formé de cinq baraquements insalubres, rue Hafen. En 1941, les survivants n’occupent plus qu’un de ces baraquements. Le 13 mai 1943, ils arrivent à Auschswitz mais aussi à Sachsenhausen, Buchenwald, Ravensbrück, Dachau et Neuengamme. Parmi ces déportés tsiganes de Hamm exterminés en camps de concentration, quatre-vingt-quinze sont connus nominativement.
Si l’on en croit les nazis, la moitié de la population tsigane d’Europe fut supprimée . Tragédie supplémentaire, le nom des victimes Tsiganes ne fut même pas mentionné durant le Procès de Nuremberg ! L’oubli total.... comparé à la communication entourant à juste titre la shoah.
L’extermination des 5 à 600 000 nomades eut essentiellement lieu dans les camps nazis mis en place en Pologne.
La réponse est difficile. Nous reprenons ci-dessous les cas de figure bien différenciés par Claire Auzias.
D1) Les victimes d’extermination par gazage en camp de concentration
Les historiens donnent un fourchette entre 200000 et 600000 gitans morts en camp de concentration. Michel Collon argumente en faveur de l’hypothèse haute « Dans les camps de concentration allemands, les Tsiganes ont été littéralement massacrés. On cite par exemple le chiffre de 20.000 pour la seule nuit du 31 juillet 1944, à Auschwitz. Le 1er août, un officier SS d’Auschwitz put écrire, après l’envoi des Tsiganes à la chambre à gaz : " Mission terminée, traitement spécial exécuté ". Traitement spécial ! Pire encore que celui que subirent les Juifs, les handicapés, les malades mentaux, les homosexuels, les communistes, les résistants ! Et au total, pour la seule Allemagne, cinq à six cent mille Gitans, Roms, Kalderas, Manouches, auraient péri. A Dachau, les Tsiganes étaient tués le jour même de leur arrivée, ou le lendemain. Simplement parce qu’ils étaient nés Tsiganes.
Comme les Juifs, les Tsiganes ont été victimes de l’idéologie nazie, politique de la race afin de régénérer le sang allemand, et politique de l’espace pour la création d’une Grande Allemagne débarrassée des éléments impurs, étrangers, inférieurs. L’élimination des Tsiganes aura d’autant mieux été acceptée, que la mise à l’index était ancienne. »
D2) Les morts en camp de concentration suite aux mauvais traitements
Ils représentent une partie importante des 500000 à 600000 génocidés du Grand Reich pour cause de malnutrition, sévices, épuisement physique, maladie, tortures morales...
D3) Les massacres commis par les populations civiles dans des pays comme Pologne, Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Slovaquie, Ukraine, Lituanie, Lettonie, Estonie.
D4) Les décès survenus dans les camps d’internement comme en France, en Croatie et en Serbie
D5) Les disparitions advenues parmi les populations tsiganes qui se cachaient dans les forêts pour se soustraire aux nazis, tels des roms polonais
Ce 29 octobre, à Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire), François Hollande visitait le plus grand des camps dans lequel l’État français internait les Tsiganes durant la Seconde Guerre mondiale. « La République reconnaît la souffrance des nomades qui ont été internés et admet que sa responsabilité est grande dans ce drame », a reconnu le président de la République. Il fallait que cette vérité soit dite, en effet, mais est-ce pour autant toute la vérité ? Si elle en est l’apogée criminel, l’histoire des vexations, des discriminations, de la haine de la France pour les communautés nomades vivant sur son territoire ne se limite pas à cette période.
L’historien Emmanuel Filhol, spécialiste de l’histoire des Tsiganes de France, la fait remonter au XVIIe siècle, celui des premières politiques raciales, celui du Code noir de Colbert. C’est de cette époque que datent les premières sédentarisations forcées de nomades manouches, roms, gitans ou bohémiens, sous peine de galères pour les hommes ou de tonsure (déjà) pour les femmes. Par la suite, la IIIe République obligera, par une loi du 6 juin 1912, chaque nomade à partir de 13 ans à posséder un carnet anthropométrique, avec empreintes de chacun des doigts, données anthropométriques et photos de face et de profil, comme celles que les policiers utilisaient pour les bandits. Chaque famille détient un carnet collectif, avec obligation de le faire viser par la gendarmerie chaque fois qu’elle s’installe dans une commune. Quand éclate la Première Guerre mondiale, les « Romanichels » d’Alsace et de Lorraine sont déjà perçus par les autorités françaises comme des traîtres potentiels, des espions de l’ennemi. Sans autre cause que leur appartenance à la communauté tsigane, ils sont alors arrêtés, déportés et « internés » dans près de 70 camps, souvent dans le sud de la France (Alès, Saint-Maximin, Crest, etc.). Des familles y sont séparées, la nourriture est rationnée. Ils vivent sans carreaux aux fenêtres. Un enfer qui ne prendra fin qu’avec le traité de Versailles, en 1919.
Dans des camps insalubres et non chauffés
Tout cela nous rappelle qu’il n’a pas fallu attendre la Seconde Guerre mondiale pour que la France et la République ne maltraitent ses populations tsiganes. Mais avec celle-ci, la répression envers ces populations va prendre une ampleur inédite. Et là aussi, il sera difficile de faire porter le chapeau au seul envahisseur nazi. C’est par un décret signé par le président français Albert Lebrun, le 6 avril 1940, soit près de trois mois avant la capitulation devant l’Allemagne, que les nomades sont interdits de circulation. Et si sous l’Occupation les nazis font ouvrir de nombreux camps pour les enfermer, c’est le gouvernement français de Vichy qui décidera tout seul de l’ouverture des camps de Saliers et de Lannemezan, en zone libre, deux endroits spécialement dédiés aux Tsiganes, en plus de ceux de Rivesaltes, du Barcarès ou d’Argelès-sur-Mer, où étaient aussi enfermés des juifs. En tout, le pays comptera plus d’une trentaine de camps dans lesquels seront internés plus de 6 000 Tsiganes.
Dans ces camps insalubres et non chauffés, les Tsiganes français ne sont pas déportés vers les camps de la mort, comme ceux des autres pays d’Europe. Les hommes sont contraints au travail et les enfants (qui représentent plus du tiers des internés) reçoivent une « éducation », notamment religieuse, dans le but de les faire rompre avec leur culture en leur imposant les préceptes d’une société sédentaire. Certains quand même sont envoyés vers les camps de la mort, comme à Poitiers où, selon les travaux des historiens Daniel Pechanski et Jacques Sigot, la municipalité décide de les déporter à la place de jeunes de la région. Dans les camps de la mort, du moins dans un premier temps, les Tsiganes ne sont pas exterminés, mais on les laisse mourir de faim ou de maladies, quand ils ne servent pas de cobayes aux sinistres expériences du Dr Mengele. À partir de 1944, les nazis finissent tout de même par décider de les gazer.
En 1945, c’est la Libération. Mais pas pour les Tsiganes de France. Il faut attendre le 1er juin 1946 pour que les derniers internés soient autorisés à quitter le camp des Alliers, en Charente. Mais pour aller où ? Ils sont relâchés dans la nature, dépossédés de leurs biens. Les communes ne les acceptent plus. Une circulaire du 24 juillet 1946 invite même les maires à distinguer les « bons » Tsiganes sédentarisés des « mauvais » qui perpétuent leur mode de vie. Jamais depuis, ces populations n’ont été indemnisées. Elles patienteront jusqu’au 2 février 2011 pour qu’une institution, le Parlement européen, ne commémore enfin le « génocide des Roms par les nazis ». Aujourd’hui encore, en France, les nomades sont tenus de posséder un livret de circulation.
Une telle histoire laisse des traces… et des stéréotypes sur ce qu’il est désormais convenu d’appeler les « gens du voyage ». Les déclarations d’un ancien ministre de l’Intérieur socialiste, depuis devenu premier ministre et qui considérait en septembre 2013 que « seule une minorité » de Roms avaient vocation à s’intégrer et que « ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et sont évidemment en confrontation », résonnent étrangement. La reconnaissance par la République de la responsabilité de la France dans la sombre histoire de la Seconde Guerre mondiale est évidemment tardive, mais bienvenue. Elle ne peut être qu’un début.