Prostitution : cherchez le client par Laurence Rossignol (secrétaire nationale socialiste aux droits des femmes et à la parité)

samedi 1er juillet 2006.
 

La Coupe du monde de football de 1998 avait restitué à la France l’image de son métissage contribuant ainsi à éclairer, par contraste, l’ampleur des discriminations. Celle de 2006 aura-t-elle pour effet de rendre visible et dicible la prostitution et de confronter la France à son timide abolitionnisme ?

La création d’un grand centre de prostitution, à Berlin, pour la Coupe du monde, et dont les salariées habituelles ont reçu les renforts de nombreuses filles venues des pays les plus pauvres de l’Europe, provoque l’émotion. Notre indignation ne doit pas être dirigée vers les lois du foot mais vers celles de l’Allemagne. Car rien de ce qui nous choque n’est illégal ; ce n’est que de la logistique ! Dans les pays qui ont légalisé et réglementé la prostitution (Allemagne, Pays-Bas), la vente de services sexuels est un métier comme les autres et les proxénètes, des chefs d’entreprise. Pourvoir en femmes les clients potentiels n’est donc qu’un problème de même nature que la capacité hôtelière ou le parking. De bonnes conditions d’hygiène sont garanties et les clients sont invités à être « polis ». En France, la loi Sarkozy, en créant un délit de racolage, a déplacé la prostitution de rue loin des quartiers chic et fragilisé davantage les prostituées. Radicalisées par cette loi, des associations et des personnalités plaident au nom de la sécurité et de l’hygiénisme en faveur d’un « statut des travailleurs du sexe ». Ils opèrent de savantes distinctions entre prostitution contrainte et prostitution choisie. Ce lobby est actif, présent notamment à Bruxelles, soutenu par les industriels du sexe ; les sommes en jeu seraient supérieures au budget militaire planétaire. L’âge moyen d’entrée en prostitution se situe, moyenne mondiale, entre 12 et 13 ans, et en tout état de cause avant l’âge adulte. Près des trois quarts des personnes prostituées ont subi des violences sexuelles dans l’enfance. Aux Pays-Bas, où la prostitution est légale, 80 % des prostituées sont étrangères et le recours aux prostituées mineures est en développement. Et que dire de l’industrie pornographique qui offre des milliers d’images de zoophilie, sadomasochisme, violences en tout genre, tournées avec de vraies filles, les plus pauvres, les plus vulnérables, celles qui acceptent ce que d’autres ne veulent pas faire ? C’est leur choix ! Leur liberté individuelle !

La prostitution est une violence à l’encontre des femmes (qui sont 92 % des prostitués), car elle repose sur la dissociation entre sexualité féminine et désir. Elle a pour fonction de soumettre des individus au diktat d’une sexualité masculine stéréotypée et réifie les femmes en réceptacles d’une virilité aux besoins irrépressibles. Un client récemment interrogé dans un documentaire (1) sur son éventuelle empathie avec les prostituées répondait  : « Quand je mange un bifteck, je ne me demande pas si la vache a souffert »...

Notre société soucieuse de la dignité humaine et de l’égalité des droits doit vouloir l’extinction de la prostitution, comme elle a voulu l’abolition de l’esclavage. Et elle doit en exprimer l’ambition. Pour y parvenir, il convient de tarir la demande. En éduquant d’abord et en apprenant aux petits garçons qu’il n’est pas plus acceptable d’acheter le corps des femmes que de voler au supermarché. En accroissant la prévention et le suivi des enfants victimes d’abus sexuels. En décriminalisant les prostituées et en dégageant les moyens nécessaires à la réinsertion et à l’accompagnement. Enfin, en impliquant la responsabilité du client afin de le dissuader de recourir à l’achat de services sexuels. En ratifiant le protocole de Palerme en 2004 (2), la France s’est engagée à décourager la demande (article 9.5). Le rapport de l’ONU 2006 sur la traite (3) insiste tout spécialement sur le lien entre légalisation de la prostitution et développement de la traite, et sur la nécessité d’engager des campagnes en direction des clients. Actuellement, seule la Suède en Europe a légiféré en ce sens. Le Parti socialiste, dans son projet pour 2007, s’est engagé dans la même voie en annonçant que la prostitution serait combattue « en mettant en cause, notamment, la responsabilité du client ». C’est une évolution remarquable, attendue par les abolitionnistes européens. En faisant le choix de sortir de l’hypocrisie actuelle qui combine une posture abolitionniste avec le prohibitionnisme de Sarkozy, la France s’attaquera au dernier obstacle symbolique à l’égalité des sexes que constitue la permission pour les hommes d’acheter, vendre et exploiter des femmes et des enfants.

Par Laurence ROSSIGNOL

secrétaire nationale du PS aux droits des femmes et à la parité

(1) Les Clients, Hubert Dubois, productions Rue Charlot. Voir également, les Clients de la prostitution, l’enquête, Claudine Legardinier et Said Bouamama, Presses de la Renaissance. (2) Protocole additionnel à la convention contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants. (3) E/CN.4/2006/62, 20 février 2006.


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