Retour sur les élections municipales et cantonales (par Denis COLLIN)

jeudi 3 avril 2008.
 

La signification des élections municipales et cantonales de mars 2008 est bien moins claire qu’il ne semble. Si on s’en tient aux chiffres, la droite connaît un revers cinglant et donc la gauche remporte une victoire. Un exemple suffit pour comprendre : en Haute-Normandie, la région est à gauche (depuis 1998), les deux départements (Eure et Seine-Maritime) sont à gauche. À l’exception du Havre (76) et de Bernay (27) toutes les villes un peu importantes sont à gauche. Les députés de droite sont battus à Rouen, à Évreux (deux d’un coup !), à Vernon... Mais l’analyse politique révèle une situation beaucoup plus contrastée et comme la roche tarpéienne est proche du Capitole, la victoire de mars pourrait bien être le prélude d’une nouvelle et profonde crise de la gauche.

En premier lieu, nous devons remarquer que cette victoire de la gauche intervient dans un contexte de démobilisation électorale. Le taux d’abstention établit de nouveaux records pour une élection de ce type et singulièrement dans les quartiers populaires. Une partie de l’électorat que Sarkozy avait réussi à conquérir en 2007 a déserté. L’électorat ouvrier et employé (Sarkozy avait devancé Royal dans cette catégorie de la population) a cessé de croire aux tours de magie de l’illusionniste et la baisse patente du pouvoir d’achat a pesé lourd dans la balance. D’autre part, « l’électorat des cathédrale » a pu aussi déserter ce parvenu aux mauvaises manières et menant une vie de patachon. Inutile de se cacher derrière son petit doigt : une partie des succès socialistes s’est construite là-dessus.

En second lieu, le rôle du PS comme parti des classes moyennes aisées est confirmé par cette élection. Les succès de Lyon, de Lille [1] et de Paris le démontrent à l’envi. Inversement, Marseille qui est une ville plus ouvrière et un des hauts lieux des manifestations des quinze dernières années est restée à droite. L’exemple de Bordeaux ne contredit pas cette analyse. Juppé s’est sauvé en prenant ses distances vis-à-vis de Sarkozy et la même ville qui vote majoritairement pour Royal réélit Juppé au premier tour avec 55% des suffrages. Coïncidence finalement riche d’enseignements.

Dans ces élections, on n’a pas eu une stratégie du PS mais plusieurs qui pourraient bien faire exploser le parti à la première occasion. Encore majoritairement, c’est la traditionnelle union de la gauche qui a prévalu, notamment quand il s’agissait de reconduire les municipalités sortantes. Mais cet élément ancien commence à être supplanté par d’autres qui sont nettement plus indicatifs de la stratégie des chefs de la rue de Solferino. En criant le soir du premier tour « Alliance avec le MODEM », Mme Royal a dévoilé le pot aux roses. Hollande avait organisé une stratégie au cas par cas et s’était refusé à toute déclaration péremptoire : il s’agissait de rôtir l’agneau « union de la gauche » sans qu’il s’en aperçoive, pendant qu’on mitonnait dans l’arrière cuisine la bonne vieille tambouille « troisième force » un peu rancie et reprise dans les manuels de la IVe République et de la SFIO à la sauce Félix Gouin.

Sur l’efficacité électorale de l’alliance avec le MODEM, Jean-Luc Mélenchon a dit ce qu’il fallait dire. Mais de Lille à Marseille, on voit clairement maintenant de quel côté la direction du PS commence à pencher. Le revers de cette ligne, c’est qu’il faut éliminer le PCF. Le candidat « socialiste » de Gisors (Eure) le dit sans ambages. Alors que le maire communiste sortant, Marcel Larmanou, vient d’être réélu à la suite d’une triangulaire PCF-PS-droite, le chef de file des « socialistes » (en désaccord avec la fédération « fabiusienne » de l’Eure) affirme qu’il y a une majorité contre Larmanou. La « majorité » dont se réclame ce « socialiste » est une majorité PS-droite : c’est le secret de la direction hollandiste du PS que ce politicien de troisième zone révèle crument.

En Seine-Saint-Denis, cette stratégie a été testée en grand. Avec des succès variables. Mme Voynet, sénatrice « verte », mais élue sur une liste socialiste, a ainsi décidé de se maintenir contre Brard, le maire de Montreuil, communiste dissident, alors que la règle du désistement républicain eût voulu qu’elle se désistât pour la liste de gauche arrivée en tête au premier tour ou encore qu’elle fusionnât avec la liste Brard selon les règles classiques dans ce genre de situation. Ayant réalisé un bon score dans les bureaux les plus bourgeois de Montreuil, Mme Voynet a pu faire le plein des voix de droite et de la gauche libérale au second tour et s’est assise dans le fauteuil du maire le samedi suivant. Évidemment il ne s’agit pas d’une victoire des Verts - par la seule force de son parti, Mme Voynet n’aurait sans guère pu espérer plus que les résultats assez catastrophiques du premier tour de l’élection présidentielle de 2007. Mme Voynet a gagné en tant que tête de file d’une opération beaucoup plus vaste de recomposition de la « gauche » [2], enterrant l’union à gauche au profit d’accords avec la droite moderne et branchée. Les Verts sur ce terrain vont chercher à occuper la place que guigne le MODEM. Il est vrai que leurs électorats se ressemblent beaucoup, que leurs idées sont assez proches et que la confusion est de plus en plus fréquente. On ne compte plus les Verts passés au MODEM (comme Benhamias à Marseille) et certains groupes du MODEM n’hésitent pas à aller taquiner les Verts sur leurs terrains de prédilection.

La stratégie impulsée rue de Solferino n’a pas toujours très bien marché. Il est assez fréquent que les listes PS aient été battues soit par des listes d’union de la gauche moins le « PS canal officiel », comme à Évreux, où la liste gagnante était conduite par un PS « dissident » [3] ou à Brignoles où la liste était dirigée par le PCF. Au Havre, où le PS avait fait cavalier seul au premier tour, il n’a pas réussi à faire la moitié des voix de son concurrent communiste, mais la fusion entre les deux tours n’a pas suffit à créer une dynamique qui eût pu en mettre en danger Rufenacht. Ajoutons que là où la liste dirigée par le PS était trop nettement orientée à droite, les listes alternatives, notamment avec la LCR ont fait de très bons résultats comme à Clermont-Ferrand ou à Montpellier.

Donc, la « victoire » du PS pourrait bien être une victoire en trompe-l’œil. Le recul d’une droite dont la politique est rejetée par la masse de la population laborieuse de ce pays s’est traduit par la victoire concomitante de plusieurs lignes politiques concurrentes et à brève échéance incompatibles. Recordman des élus locaux, le PS pourrait bien avoir perdu du même coup ses chances pour la prochaine présidentielle ainsi que le pensent plusieurs commentateurs. Quoi qu’il en soit, ceux qui croient que cette victoire va à nouveau faire du PS le point de convergence des espoirs de transformation sociale se trompent d’époque. Nous n’avons plus affaire au PS des années 70, au PS de Mitterrand vers lequel les jeunes, les ouvriers, les employés se sont tournés pour trouver un débouché aux puissantes luttes sociales de la fin des années 60 et des années suivantes. Nous avons affaire au PS des Hollande, Royal et autres Rebsamen, un parti de politiciens dépourvus de tout rapport avec les traditions socialistes, de politiciens qui abhorrent plus que tout l’expression « lutte des classes ».

Cela ne veut pas dire que la voie d’un nouveau parti est grande ouverte. Le modèle allemand « Die Linke » est séduisant : l’union de la gauche du SPD et des ex-communistes est d’ores et déjà la troisième force politique du pays. Mais la situation française est bien différente. Les institutions de la Ve République rendent très difficile l’émergence d’un nouveau parti et le PS n’est pas encore pleinement dans une coalition avec la droite comme l’est la SPD avec Mme Merkel. Les lignes de la recomposition et de la reconstruction d’une gauche honnête sont encore hésitantes, et, comme nous avons commencé à le faire sur ce site(voir La leçon d’Évreux), il serait nécessaire de faire un recensement complet de toutes les situations locales pour y voir plus clair. Cependant, l’année 2009 va obliger tous les partis, tous les groupes à se déterminer. Nous allons avoir des élections pour désigner les représentants français au « Parlement européen » [4]. Ces élections se font par un scrutin de liste à la proportionnelle. La gauche anti-TCE, la gauche qui refuse de sacrifier les services publics et la protection sociale aux dogmes dominants, la gauche qui veut défendre les travailleurs (et pas seulement les classes moyennes supérieures qui tirent parti de la mondialisation), cette gauche-là a une chance de s’affirmer et de jeter toutes ses forces dans la bataille pour être disposée comme il convient face aux échéances à venir. Ce sera l’occasion de voir ce que valent les paroles des uns et des autres.


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