" Eh bien non, il n’y a pas de lois en économie ! "

jeudi 17 avril 2008.
 

A propos du livre Y a-t-il des lois en économie ? par Arnaud Berthout, Bernard Delmas et Thierry Demals (coord.), Presses universitaires du Septentrion, 2007, 647 pages, 35 euros.

« La littérature économique est remplie de belles lois. La plus connue, même par les non-économistes, est la loi de l’offre et de la demande. C’est aussi la plus ancienne : dès la Genèse, explique le Québécois Maurice Lagueux, Joseph, fils de Jacob, gagne l’estime de Pharaon en lui expliquant qu’en période de disette, le surcroît de demande de blé par rapport à l’offre va en faire augmenter le prix ! Mais ce n’est pas la seule loi, loin s’en faut, et vous ne tarderez pas, en feuilletant tout bon manuel d’économie, à trouver les lois de Say, de Malthus, de Gresham, d’Engel, etc., qui ont assuré la postérité de leur auteur. D’où la question, iconoclaste a priori, du 11e colloque de l’Association Charles Gide pour l’étude de la pensée économique : " Y a-t-il des lois en économie ? " Ce qui nous vaut un pavé de près de 700 pages, mobilisant plus d’une trentaine d’auteurs, pour conclure qu’à bien y regarder, eh bien non, il n’y a pas de lois en économie !

Même la loi de l’offre et de la demande n’en est pas une, explique Nicolas Postel, de l’université Lille I. Il retrace dans le détail le cheminement intellectuel suivi par les économistes pour la bâtir en théorie et montre l’échec de cette construction : vous pouvez toujours constater que la demande de lecteurs de DVD augmente quand le prix baisse, mais la théorie économique standard ne l’explique pas.

Question de variables. De manière plus générale, les auteurs mobilisés ne croient pas à l’existence de principes économiques valables de tout temps et en tout lieux. Même les physiocrates du XVIIIe siècle, qui cherchaient pourtant, à l’instar de François Quesnay, à démontrer des interdépendances entre différents phénomènes économiques et des relations constantes entre variables, n’ont jamais voulu baptiser de "lois" ce qu’ils mettaient en évidence, analyse Catherine Larrère, de l’université Paris I.

En fait, la quête de lois universelles en économie, au sens de lois abstraites régissant les relations économiques et sociales, date de la génération d’économistes qui a suivi la mort d’Adam Smith à la fin du XVIIIe et au début du XIXe ; elle regroupe des gens comme Jean-Baptiste Say, David Ricardo, Jeremy Bentham... Elle suscita immédiatement de fortes critiques théoriques, notamment de Bruno Hildebrand, mais aussi politiques car " les lois supposées universelles de l’économie politique furent suspectées d’être l’expression de la loi anglaise ", expose Emma Rothschild, de l’université de Cambridge.

De la même façon, l’expression mathématique des lois, notamment portée par Léon Walras, provoque dès l’origine une forte contestation. Comme le rappelle le mathématicien Giorgio Israël, les commentaires d’Emile Levasseur qui suivent la présentation par Walras de son premier travail d’économie mathématique devant l’Académie des sciences morales et politiques le 16 août 1876 insistent sur le danger " à appliquer à l’économie politique une méthode qui est excellente pour les sciences physiques, mais qui ne saurait être appliquée sans discernement à un ordre de phénomènes dont les causes sont si variables, si complexes, et dans lesquelles intervient surtout cette cause éminemment variable et irréductible en formule algébrique : la liberté humaine ".

Les supposées lois en économie font enfin l’objet d’une contestation due au fait que plutôt que des phénomènes objectifs, elles se présentent souvent comme les principes normatifs du bon fonctionnement des économies. Comme l’explique Robert Boyer, "l’économiste revendique une approche causale (quels sont les facteurs explicatifs de l’inflation, du chômage ?), mais la prescription n’est jamais très loin, dans la mesure où il sera tenté de voir dans l’existence de normes sociales, juridiques ou éthiques les sources des écarts par rapport à un modèle dans lequel, par exemple, le chômage n’existerait pas et ou la stabilité des prix serait garantie par principe".

Pour Boyer, les quelques régularités observables empiriquement sont toujours "contingentes à un espace économique donné et à une période précise" et elles changent à chaque crise... Conclusion : " La profession ne dispose pas de la liste des lois supposées régir les grandes transformations économiques. "

Christian Chavagneux

De : Association pour l’étude de la pensée économique


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