Le festin des rapaces ou Les prémices de la libéralisation des honoraires médicaux ( Par Raymond MARI)

lundi 21 avril 2008.
 

En 1990, décision a été prise de ne plus permettre d’opter pour le secteur 2. Décision autoritaire, intervenue dans l’urgence, qui faisait l’économie d’une réforme approfondie (la suppression du paiement à l’acte par exemple) et instaurait une situation pour le moins inéquitable, puisque ceux qui s’étaient inscrit dans le secteur 2 avant cette date conservaient leurs privilèges. D’autant plus inéquitable, que les médecins qui disposent de titres universitaires (essentiellement des spécialistes) et qui s’installent pour la première fois en libéral, peuvent toujours choisir d’exercer en secteur 2, ce qu’ils font majoritairement.

Au regard des objectifs du législateur (encadrer les prix des prestations sanitaires pour permettre à chacun d’accéder aux soins), la situation s’est depuis considérablement dégradée. Plusieurs facteurs concourent à une régression considérable de la protection sociale par une distanciation de plus en plus importante entre les frais engagés par les malades et le montant pris en charge par les systèmes d’assurance

L’encadrement des honoraires médicaux : une nécessité en péril

L’une des plus belles conquêtes sociales est intervenue à l’issue de la seconde guerre mondiale. En sortant de l’épreuve, une courte éclaircie a rendu à la politique ses finalités humanitaires.

La Nation reconnaissait le droit à la santé pour tous (11ème alinéa du préambule de la Constitution) et, à cet effet, créait la Sécurité Sociale sur des fondements remarquables : la solidarité constituait le principe du système. Les assurés cotisaient selon leurs moyens et accédaient aux soins selon leurs besoins. En remboursant la dépense individuelle, la collectivité permettait à chacun de se soigner, quelles que soient ses capacités financières.

Devant un dispositif sanitaire substantiellement libéral, afin de couvrir la dépense des patients tout en maîtrisant le budget qu’elle y consacre, l’assurance maladie a proposé aux professionnels de santé un contrat (les conventions) leur offrant de multiples avantages en contrepartie d’un encadrement des honoraires médicaux.

Combattues par un corps médical réfractaire à la régulation du financeur, les conventions ne sont vraiment entrées dans la réalité qu’en 1960, lorsque le législateur a imposé un certain nombre de règles d’utilité publique. Avec une couverture des frais optimale, la protection sociale a joué un rôle prépondérant dans l’élévation du niveau sanitaire et social de la population. Corrélativement, le budget de l’assurance maladie a connu une forte augmentation.

En 1980 (gouvernement Giscard/Barre), l’effort d’encadrement des honoraires a été stoppé. En remplacement d’une possibilité qui, sur des critères de notoriété souvent contestables, donnait aux médecins la possibilité de dépasser les tarifs conventionnels, une brèche a été ouverte avec la création, au sein de la convention, d’un statut permettant de se soustraire à l’encadrement des honoraires (le secteur 2), sous réserve de les fixer avec « tact et mesure ».

Cette évolution présentée à l’époque comme un progrès favorable au système de santé s’est rapidement révélée néfaste. Les médecins pouvant tous les ans opter pour le secteur de « liberté » tarifaire », l’évasion des praticiens vers ce statut provoquait une réduction préoccupante de l’offre de soins respectant les tarifs conventionnels.

En 1990, décision a été prise de ne plus permettre d’opter pour le secteur 2. Décision autoritaire, intervenue dans l’urgence, qui faisait l’économie d’une réforme approfondie (la suppression du paiement à l’acte par exemple) et instaurait une situation pour le moins inéquitable, puisque ceux qui s’étaient inscrit dans le secteur 2 avant cette date conservaient leurs privilèges. D’autant plus inéquitable, que les médecins qui disposent de titres universitaires (essentiellement des spécialistes) et qui s’installent pour la première fois en libéral, peuvent toujours choisir d’exercer en secteur 2, ce qu’ils font majoritairement.

Au regard des objectifs du législateur (encadrer les prix des prestations sanitaires pour permettre à chacun d’accéder aux soins), la situation s’est depuis considérablement dégradée. Plusieurs facteurs concourent à une régression considérable de la protection sociale par une distanciation de plus en plus importante entre les frais engagés par les malades et le montant pris en charge par les systèmes d’assurance

Les facteurs d’inflation des honoraires médicaux

* Une augmentation du nombre de spécialistes qui s’inscrivent majoritairement en secteur 2

* L’évolution du montant des dépassements qui progressent de plus de 10% par an depuis 25 ans.

* La démission des organismes d’assurance maladie qui ne sanctionnent pas les abus financiers, alors qu’ils ont pourtant mission de réguler les infractions aux règles conventionnelles en utilisant les procédures prévues par le code de sécurité sociale et par les conventions.

* La subordination des malades dans leurs relations avec le médecin dont dépendent leur santé et leur grande difficulté à résister aux exigences financières de ce dernier.

* Le corporatisme du Conseil de l’Ordre des médecins qui refuse de moraliser des pratiques non conformes aux dispositions du Code de Déontologie (le tact et la mesure).

* Les carences de l’assurance maladie et des médecins eux-mêmes, vis-à-vis de leurs obligations d’information des assurés sociaux.

* Un défaut d’éthique chez les médecins (en tous cas, certains d’entre eux) qui révèlent des appétits financiers indécents ? L’Inspection Générale des Affaires Sociales dans un rapport d’avril 2007, la presse dans plusieurs médias, dénoncent des honoraires démesurés. Mais l’absence de sanction instaure cette inflation dans les normes.

* La plupart des syndicats médicaux qui ne cessent de revendiquer une libéralisation générale des honoraires.

* Les gouvernements actuellement au pouvoir qui encouragent la disparition de l’encadrement des honoraires et ce, pour plusieurs raisons : c’est une façon de satisfaire une corporation majoritairement proche du pouvoir sans augmenter les dépenses de l’assurance maladie puisque les dépassements ne sont pas remboursés. C’est aussi le moyen de transférer la charge des frais sanitaires vers les assurances complémentaires (La prise en charge des dépassements par les organismes complémentaires est faible et très disparate (elle atteindrait à peine 1/3 des 6 milliards comptabilisés a ce titre, en additionnant ceux des médecins et des dentistes), objectif libéral à peine caché.

Ces divers facteurs de dérive sont d’une redoutable efficacité dans la mesure où ils agissent dans le consensus mou des acteurs qui sont censés gérer et promouvoir le service public de la protection sociale sur ses fondements de 1945. Mises à part quelques gesticulations de principe, les partis politiques « de gauche » et les syndicats sont, soit silencieux, soit inconscients, soit complices, de cet abandon de notre système d’assurance maladie solidaire.

Pour achever ce bilan, il faut citer le jeu particulièrement ambigu des régimes complémentaires. Les mutuelles de travailleurs sont à cet égard remarquables. Elles naviguent entre un affichage assez ostentatoire de leur attachement au système de solidarité et, en arrière plan, de discrètes manœuvres de soutien aux mesures de transfert vers la prévoyance individuelle. Quant aux compagnies d’assurances, elles lorgnent depuis longtemps sur un juteux marché où elles pourront donner toute leur mesure. Pour les deux, il s’agit de « gagner des parts de marché ».

Profitant de cette situation, les lobbys intéressés à cette affaire mènent des stratégies d’une habileté remarquable.

La dernière en date émane de l’UNOCAM (Union Nationale des Organismes d’Assurance Maladie Complémentaire). Cette institution a été créée par la loi « Douste-Blazy » en 2004. Elle est composée des représentants des organismes complémentaires (mutuelles, compagnies d’assurance, etc..).

La conjuration des promoteurs du « marché » de la santé

Elle est le pendant de l’UNCAM où siègent les régimes d’assurance maladie obligatoire. (salariés, non salariés, agricoles).

Ces deux institutions sont chargées de coordonner les politiques de protection sanitaire et sociale.

L’UNOCAM vient donc de prendre une initiative qui semble être la relance d’une opération véritablement engagée il y a deux ans. Le gouvernement s’était alors fortement investi en concevant le projet de créer un nouveau secteur de liberté tarifaire au sein de la convention médicale. Cette convention est aujourd’hui composée de trois catégories de médecins : - le secteur 1 où les tarifs sont strictement encadrés - le secteur 1+DP (secteur fermé en 1980) - et le secteur 2 (ouvert en 1980 et fermé en 1990, sauf pour les spécialistes -) au sein desquels, pour ces deux derniers, les médecins peuvent se soustraire aux tarifs conventionnels, à condition de respecter « le tact et la mesure » (cette obligation déontologique et conventionnelle sous-entend que les honoraires doivent être adaptés aux ressources du patient - ce qui exclut tout systématisme - et ne pas être excessifs. Dans un arrêt du 30 juin 1993, le Conseil d’Etat avait estimé que le doublement des tarifs conventionnels constituait un manquement à cette règle), en adaptant leurs honoraires aux capacités financières de leurs patients.

A l’époque, « le secteur optionnel » (c’est sous ce vocable qu’il avait été présenté) avait relativement défrayé la chronique, car le ministre (X. Bertrand) voulait forcer les membres plutôt réticents des Conseils de la CNAMTS et de l’UNCAM à le mettre en place.

Après quelques péripéties juridiques, le gouvernement avait été autorisé à en imposer la création. Pour diverses raisons, notamment électorales (présidentielles), cette possibilité n’est pas encore entrée dans les faits. En quoi consiste ce « secteur optionnel » ou toute autre appellation qui aurait les mêmes effets ?

Pour faire simple, il ne s’agit plus d’encadrer les honoraires, mais d’encadrer les dépassements tarifaires... ! Ou, pour tenter un peu d’humour devant cette vilaine manipulation, on se propose d’escamoter les dépassements en... supprimant la notion de dépassement... !

A défaut d’humour, cela mérite une explication :

Aujourd’hui, dans certaines régions (Ile de France, PACA,...) et dans certaines spécialités (chirurgie, urologie,...), la grande majorité des médecins est en secteur 2 et pratique des honoraires qui peuvent parfois décupler ( !) les tarifs de remboursement.

A défaut de supprimer les dépassements, la solution consisterait donc à les plafonner... Simple et séduisant !

C’est d’ailleurs sur cette logique d’esbroufe que comptent vraisemblablement les promoteurs de l’opération. Car lorsqu’on examine de près la manœuvre on y découvre des impossibilités et de grands dangers.

Au rang des impossibilités, on ne voit pas ce qui pourrait séduire les médecins du secteur 2 qui, actuellement, ajustent comme ils le souhaitent leur revenus en majorant les dépassements, une bonne partie d’entre eux ayant franchi depuis longtemps un plafond raisonnable qui pourrait être fixé à 50% des tarifs conventionnels. Quand bien même on tenterait de les séduire en prenant en charge leurs cotisations sociales (ce qui n’est pas le cas actuellement, seuls les médecins du secteur 1 en bénéficient), l’échec de « l’option de coordination » (très faible adhésion) proposée aux praticiens du secteur 2 par la dernière convention de 2005 et qui permet cet avantage, hypothèque le succès de cette tentative.

Quant à supprimer purement et simplement le secteur 2 ou imposer aux médecins dudit secteur un plafonnement de leurs dépassements, les très influents syndicats médicaux en ont fait un casus belli. Ils ont d’ailleurs obtenu, sur ce sujet en particulier, des garanties de la part des principaux dirigeants politiques (Sarkozy, Bertrand, Bachelot) : on ne touchera pas au secteur 2 !

Déguiser une décadence en progrès

Le secteur optionnel n’a donc d’avenir que pour les médecins qui sont en secteur 1 et qui respectent (en principe) les tarifs conventionnels. C’est le danger bien entendu ! Car cette belle manœuvre pourrait se traduire par la disparition progressive et sans doute assez rapide des médecins qui appliquent les tarifs de la convention, base de remboursement de l’assurance maladie.

Les malades fréquentant ces médecins y auraient « gagné » une majoration des honoraires, non remboursée bien entendu, mais ...plafonnée ... !

Ce serait donc la fin de l’opposabilité des tarifs et une augmentation importante du reste à charge des malades. Evidemment, dans la lettre ouverte de l’UNOCAM, l’affaire n’est pas présentée sous cette forme. Au contraire, le secteur optionnel est paré de toutes les vertus. C’est l’occasion « d’améliorer la qualité des soins », d’offrir « une information claire sur le coût des actes », de parvenir au « rééquilibrage de l’offre de soins ». Observons que la convention de 2005 avait inscrit ces objectifs dans ses finalités en y consacrant de substantiels moyens financiers. La Cour des Comptes en a dressé un bilan déplorable.

En quoi des dépassements généralisés obtiendraient de meilleurs résultats ?

Et en quoi serait-il nécessaire de sacrifier la protection sociale des assurés, pour atteindre des objectifs qui devraient avoir fait l’objet, depuis longtemps, de mesures spécifiques ?

Voilà bien la démonstration des manœuvres utilisées par les promoteurs d’un marché libre de la santé qui n’hésitent pas à l’aide d’une dialectique perverse à parer l’inacceptable de déguisements séduisants !

Pour ce qui concerne la prise en charge de ces dépassements, les organismes complémentaires précisent quand même qu’ils ne veulent pas qu’on leur impose une couverture unifiée. Ils souhaitent « qu’on laisse jouer la dynamique entre complémentaires », ce qui sous-entend qu’on ne se fait guère d’illusions sur l’encadrement, non plus des honoraires, mais celui des dépassements.

La communication de l’UNOCAM est un modèle d’habileté. On y utilise avec maestria tous les leurres qui peuvent abuser le badaud. De belles expressions y scintillent : nous en avons cité quelques unes ci-dessus. Il y en a d’autres, toujours plus séduisantes : « transparence du système », « participation de l’assuré à la régulation », mais encore, « modernisation du mode de rémunération des médecins ». Sans illusion sur les motivations des compagnies d’assurance qui, après tout, font leur travail, le mouvement mutualiste ne risque-t-il pas de perdre son âme à la poursuite d’hypothétiques parts de marché en s’associant à de telles stratégies... ? La nuée des rapaces sur les vestiges de la solidarité... !

Quant à la « modernisation » qui agrémente désormais toutes les mesures de régression sociale, on en mesurera la réalité en sachant que cette dernière atteinte à notre protection sanitaire et sociale risque de nous faire reculer d’un demi siècle. Un grand bond en arrière en quelque sorte... !

par Raymond MARI


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