L’Union de la gauche (formation PRS national)

samedi 8 juillet 2006.
 

En France, l’union des forces de gauche est un débat d’une importance majeure depuis la naissance du mouvement ouvrier. Il prend de façon cyclique une intensité particulière.

La gauche française a toujours été multiple. Au XIXe siècle, elle se divise déjà entre les différentes familles socialistes, les anarchistes, les républicains sociaux et les radicaux. Si le XXe siècle s’ouvre par l’unification des courants socialistes et la naissance de la SFIO en 1905, il se poursuit par la séparation entre socialistes et communistes, lors de la scission du Congrès de Tours en 1920.

Cet éparpillement s’est amplifié de nos jours avec les Verts, le PRG, le MRC, la LCR et d’autres organisations se réclamant du trotskisme (LO, PT, etc.). Certains courants ont désormais quasiment perdu toute réalité organisée même si leur influence intellectuelle perdure (les anarchistes et les anarchosyndicalistes). D’autres ont existé quelques années pour disparaître définitivement (les maoïstes ou le PSU dans une moindre mesure).

La gauche française a toujours été traversée et structurée par le débat idéologique. Elle est depuis sa naissance une gauche « très politique ». Et cette « passion du politique  » si particulière a eu des conséquences nombreuses sur le développement du paysage associatif et du syndicalisme que nous connaissons : de nombreux mouvements dits « sociaux », plusieurs associations défendant la laïcité, luttant contre le racisme, pour les droits des femmes, pour le droit au logement, Attac, etc. , et pas moins de trois Confédérations syndicales et plusieurs dizaines de syndicats professionnels non confédérés !

Cette diversité, tant de fois moquée par beaucoup d’observateurs, n’a pourtant jamais empêché ce mouvement ouvrier de compter parmi les plus combatifs du monde. La classe ouvrière française reste une des plus politisées. Son niveau de conscience est des plus élevés. Elle s’impose donc parmi les plus réactives. Cela ne s’est pas démenti lors du débat concernant le projet de Constitution pour l’Europe, où elle s’est majoritairement prononcée pour le non.

Tout ceci peut donc être une richesse, à la condition que les forces de gauche travaillent à leur rassemblement plutôt qu’à leur affrontement. Car la leçon de plus de 150 ans de luttes politiques est assez limpide : chaque fois que la gauche n’a pas su réaliser l’union, la droite l’a vaincue durablement. A l’inverse, c’est uniquement quand elle a su se réunir qu’elle a créé les conditions favorables pour devenir majoritaire pour changer la société et bâtir un monde meilleur.

Tous les grands moments du mouvement ouvrier français, qui brillent encore comme des références positives, sont des moments d’Union de la Gauche (notamment juin 36). A l’inverse, les périodes les plus sombres sont celles de la division entraînant défaites et reculs sociaux.

Dans les lignes qui suivent nous allons présenter quatre raisons de défendre l’union. Puis, nous reviendrons brièvement sur quelques épisodes des années 70, seul exemple d’une Union de la Gauche permettant la victoire à l’élection présidentielle d’un candidat issu de ses rangs.

Quatre raisons de défendre l’Union : l’Union pourquoi et comment ? Ces dernières années l’Union de la Gauche n’est souvent apparue que dans sa conception purement électoraliste. En réalité, l’action politique pour l’Union de la Gauche va bien au-delà. Les lignes qui suivent visent à rappeler quelques fondamentaux.

1) L’Union de la Gauche est une position de principe

La recherche de l’Union de la Gauche et des différentes forces du mouvement ouvrier, est une position de principe, aux origines de la pensée socialiste. Pour nous, l’Union de la Gauche fait écho l’unité de la classe ouvrière.

Dans le Manifeste du Parti Communiste, rédigé en 1848, Karl Marx et Friedrich Engels écrivent : « Les communistes ne forment pas un parti distinct opposé aux autres partis ouvriers. Ils n’ont point d’intérêts qui les séparent de l’ensemble du prolétariat. (...) Dans les différentes luttes nationales des prolétaires, ils mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat et dans les différentes phases que traverse la lutte entre prolétaires et bourgeois, ils représentent toujours les intérêts du mouvement dans son ensemble. »

Ecrites il y a plus d’un siècle et demi, ces lignes gardent leur pertinence. Pour la bonne compréhension, le lecteur devra bien entendu corriger un peu les termes, et la dénomination de « communistes », selon Marx et Engels, ne visent pas les seuls militants ayant une appartenance à un Parti communiste, mais tous ceux qui s’inscrivent dans une activité consciente liée à un mouvement réel pour la rupture avec le capitalisme et l’émancipation du salariat.

Il faut prendre garde à ne pas faire une lecture anachronique de ces lignes. Lorsque Marx et Engels les rédigent, le mouvement ouvrier organisé n’en est qu’à ses balbutiements. A présent, l’existence de plusieurs partis politiques à gauche est un fait incontournable, conséquence d’une histoire complexe et douloureuse marquée par de grands évènements historiques (la Révolution d’Octobre 17, le stalinisme, le nazisme, le colonialisme, etc.). Face à chacun de ces évènements, le mouvement ouvrier a dû se positionner et il s’est souvent déchiré sur chacun d’entre eux, car beaucoup de militants et d’organisations n’avaient pas la même analyse et n’en déduisaient pas les mêmes tâches.

Aujourd’hui, le combat pour l’union n’est pas celui pour l’unicité, pour le parti unique. Mais la « boussole » que nous proposent ces lignes reste utilisable. La bonne question à se poser reste : où se trouvent les « intérêts du mouvement dans son ensemble  » ? C’est ce qu’il faut rechercher. Ce ne peut être l’objet que d’un débat politique car leur expression en mots d’ordres rassembleurs ne naît pas spontanément. L’existence de forces politiques est indispensable à tout combat conscient pour changer l’ordre des choses.

De nos jours, ce principe s’oppose parfois aux logiques d’appareils, pour qui il est important, déterminant souvent - et c’est compréhensible -, de se renforcer numéri- quement, d’avoir une existence et une « visibilité », notamment lors des échéances électorales. La médiatisation du débat politique peut en être la cause ; le financement public des partis politiques lié aux résultats obtenus lors des différents scrutins, aussi. Des formations politiques auront intérêt, financièrement parlant, à se présenter lors de chaque élections, même si cela ne correspond pas vraiment à l’intérêt de la gauche «  dans son ensemble ».

Enfin, ce combat pour l’unité de la classe converge avec celui des républicains pour un cadre unique des droits des travailleurs qui est une des premières armes contre la concurrence entre eux, et aussi contre les différents communautarismes. Se battre pour l’unité de la classe ouvrière c’est encore éviter l’existence de syndicats de travailleurs « locaux », luttant parfois pour qu’une préférence régionale ou ethnique soit appliquée à l’embauche. Dans beaucoup de pays des syndicats confessionnels existent ou encore, par exemple en Inde, des syndicats de « caste » ne défendant que les intérêts des travailleurs dits « intouchables ».

2) L’Union exige un contenu politique donc un programme

Pour que l’Union dispose d’une réelle force propulsive susceptible de mobiliser la totalité de son camp, elle doit être porteuse d’un contenu politique public, répondant aux aspirations profondes de son électorat : c’est à dire un programme. Les partis qui le rédigent ont une tâche difficile. Ils doivent aller plus loin que le simple accord électoral réduit à un « timbre-poste » n’établissant en réalité qu’une courte règle de désistement mutuel. Le peuple de gauche généralement ne s’y trompe pas.

Il peut arriver que si le contenu de l’accord est faible, la mobilisation populaire le soit aussi. Dans des circonstances exceptionnelles, la réalité peut être différente. En 1936, le programme du Front populaire avait laissé la part belle aux Radicaux et n’était pas très exigeant sur le plan social. Mais, l’Union de la Gauche se réalisant pour la première fois entre communistes et socialistes provoquera une dynamique électorale. Le mouvement de grève qui suivra permettra au gouvernement de Léon Blum de mettre en place une augmentation significative des salaires, la semaine de 40 heures et les deux semaines de congés payés (absent du programme de Front populaire).

L’Union ne peut se réaliser pleinement si elle ne respecte pas la volonté populaire qu’elle prétend représenter. Mais par son existence, le programme qui rassemble les partis renforce la gauche en lui proposant des réponses, des mots d’ordres, une issue politique. Le programme élève le niveau de conscience des masses.

Rappelons des évidences : à gauche, aucun accord électoral ne serait soutenu majoritairement s’il veut faire accepter au peuple les conséquences du néo-libéralisme ; c’est à dire s’il concède la remise en cause de droits sociaux fondamentaux acquis de haute lutte (droit à la retraite et droit à la santé par exemple) et s’il remet en cause les fondements républicains de notre pays (laïcité, service public de qualité, etc.).

C’est sans doute à la force majoritaire à gauche de faciliter cet accord, en créant les conditions les plus favorables. Elle doit trouver un vocabulaire politique commun utilisable et compréhensible par tous. Elle échouerait en pensant que c’est d’abord à elle, et à elle seule, de définir le contenu du programme, puis de le soumettre aux autres qui n’ont plus pour seule alternative que de l’accepter ou de renoncer à toute alliance. L’Union ne peut avoir pour point de départ un ultimatum arrogant. Mais cette exigence fonctionne dans les deux sens et s’impose aux autres forces politiques. Pour que l’union existe il faut que tous les partenaires soient prêts aux concessions nécessaires., intégrant les poids politiques respectifs des uns et des autres.

Un programme commun de la gauche, ce n’est pas un texte désincarné, fruit d’un accord froid dominé par les dures lois de la « realpolitik » issue du poids électoral des uns et des autres. Enfin, au-delà de son contenu qui est très important, le programme est perçu par le peuple de gauche en fonction de ceux qui le soutiennent et qui l’ont rédigé, mais aussi en fonction de ceux qui n’y participent pas. Avant de lire le contenu du Programme, des millions de gens de gauche seront attentifs à ceux qui le leur présentent.

Un programme d’Union de la Gauche intégrant des forces ou des personnalités politiques extérieures à la gauche (celles qui sont dites « centristes » par exemple) serait perçu par le peuple de gauche comme annonciateur de futures capitulations. A contrario, la présence de forces politiques considérées très exigeantes et « très à gauche  » rassurerait beaucoup de gens sur la fermeté dans l’application de ce programme, considérant leur seule présence comme une garantie. « Dis moi avec qui tu t’allies, je te dirais qui tu es » pourrait-on dire. La nature du programme détermine les alliances et vice versa !

3) L’Union provoque une dynamique

L’union est une dynamique, une dialectique. Pour que ce processus prenne vie, le programme, s’il doit d’abord être rédigé par les partis, seules forces réelles capables d’assumer cette tâche, doit rechercher une assise populaire plus large en se soumettant à un « contrôle populaire » qu’il s’agirait d’inventer. Le débat doit être public, enrichi par le maximum d’acteurs. L’union politise les masses.

En politique, quand on est unitaire, un plus un fait beaucoup plus que deux. Quand la dynamique est engagée, la force va à la force. Les salles des meetings et réunions se remplissent plus facilement. Beaucoup de ceux qui avaient pris du recul les années précédentes reviennent, considérant que « si cette fois on est unis, cela change tout  ». C’est un processus classique, que les militants syndicaux retrouvent souvent sur les lieux de travail. Si le mot d’ordre de grève est unitaire alors cela change tout. Même les ouvriers non syndiqués entrent dans l’action en se disant « cette fois-ci c’est sérieux, on peut gagner ».

« Les masses travaillent à l’économie » disait-on autrefois. Elles recherchent le chemin le plus court, le plus efficace pour se défendre. Celui de l’union leur apparaîtra toujours comme le plus simple, le plus praticable. Mais pour être dynamique cette union doit aussi être innovante et nouvelle. Innovante dans ces pratiques et ses idées en développant de nouveaux thèmes comme par exemple la question environnementale qu’il serait absurde de réserver à une seule formation politique. Nouvelle par les forces qui la composent. Il ne peut y avoir d’exclusive vis-à-vis de quiconque.

L’union ne peut pas concerner les seules formations ayant déjà participé à un gouvernement. Pour renforcer l’union, tout le monde est le bienvenu. Ensuite, chacun se positionne librement pour ou contre cette union des gauches et son programme. Il y a un lien constant entre la dynamique unitaire et la mutation des diverses composantes de la gauche. La stratégie unitaire tire sa force de l’utilisation de ce rapport dialectique. C’est en cela qu’elle se distingue de tout empirisme tacticien.

4) L’Union est aussi une nécessité électorale

Ce dernier point ne doit pas être lu comme la présentation d’arguments bassement électoralistes. Pour nous, l’union est utile car elle politise et dynamise le peuple de gauche dans sa confrontation avec la droite. Mais, le système politique français tel qu’il fonctionne dans la cinquième république impose aussi à la gauche de se rassembler lors des élections, au moins pour le second tour. C’est la conséquence du scrutin majoritaire à deux tours. Il faut arriver en tête au premier, puis trouver des voix supplémentaires pour l’emporter au second. Ces voix sont généralement le fruit d’un accord électoral préalable, ou bien d’une tradition politique qui fait que les électeurs de gauche votent pour la candidat de la gauche arrivé en tête au premier tour. Mais cette tradition, héritière d’une longue histoire faite de combats communs peut s’affaiblir au fil des années si l’Union n’est pas régulièrement « revigorée ».

Cette réalité n’est pas la même dans d’autres pays d’Europe.

En Grande-Bretagne, c’est la formation arrivée en tête qui remporte le siège aux élections législatives. Ce mode de scrutin encourage l’existence d’une formation politique unique, quasi hégémonique sur son électorat. Les débats au sein de la gauche sont donc cantonnés au sein du principal parti (le Labour Party), et l’ensemble des autres forces sont quasi inexistantes sur le plan électoral.

En Allemagne, le scrutin est proportionnel. Avant les élections, il n’y a pas de coalition. Celle-ci n’intervient qu’après les élections, laissant ouverte la porte à des alliances qui peuvent prendre à revers la volonté des électeurs. Les récentes élections débouchant sur une alliance CDU-SPD, alors que la gauche est majoritaire en voix et en sièges (327 contre 286), illustrent les surprises et les paradoxes que réserve ce système

En France, rien de tout cela. L’accord entre les partis de gauche doit être annoncé à l’avance, porté à la connaissance des électeurs. Nul ne peut être élu s’il n’a pas rassemblé son camp au second tour. Les alliances, ou au moins les désistements et les accords électoraux, sont préalables au vote. C’est d’ailleurs la seule manière pour les partis de gauche de « corriger les déformations » du système électoral qui ne permet pas à certaines formations d’avoir des élus. Des circonscriptions ou des cantons ne peuvent être réservés à des « petites formations » qu’à la condition d’un accord global entre les partis de gauche. Mais cette union pour l’emporter, ne peut rester qu’un simple accord électoral de désistement.

L’Union de la Gauche doit donc intégrer l’ensemble des aspects du combat politique : l’élaboration d’une politique alternative à celle de la droite, le rassemblement de la gauche pour faire front aux attaques de cette même droite, mais enfin aussi une stratégie pour les partis de gauche aidant à prendre le pouvoir pour changer la vie, et avancer vers le socialisme.


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