L’Indonésie fait partie des dix nations dont la connaissance est incontournable pour comprendre le monde :
Par son immensité géographique : 17000 îles (dont Java, Sumatra, Bornéo, la Sonde, les Moluques…), dispersées sur 5000 kilomètres de long et 3 fuseaux horaires.
Par sa population supérieure à 250 millions d’habitants, la 4ème du globe (après la Chine, l’Inde et les USA)
Par la civilisation pluri-millénaire de ses territoires qui explique sa diversité culturelle (plus de 700 langues, 1100 groupes ethniques déclarés)
Par la situation de cet archipel au cœur de grands échanges commerciaux et culturels depuis plusieurs millénaires.
Par son emplacement de carrefour maritime au cœur de la zone économique actuellement la plus dynamique du monde entre Inde, Chine, Japon, USA et Australie.
Par ses richesses (agriculture, pétrole, gaz naturel, caoutchouc…)
Par un dynamisme agricole et industriel tel que sa croissance triple celle du Brésil et que son économie devrait supplanter d’ici 15 ans, par exemple celle de l’Allemagne, selon les spécialistes.
Par son niveau de vie assez élevé (dont une classe moyenne de 50 millions d’habitants) qui a poussé, par exemple L’Oréal à construire ici sa plus grande usine du monde.
Dès le 16ème siècle, sa richesse en fait un grand enjeu entre puissances coloniales (Portugais, Espagnols, Hollandais, Anglais).
Durant trois siècles, il s’agit de comptoirs commerciaux, de petits territoires bien contrôlés voués à la monoculture, par exemple de la muscade, du clou de girofle, de l’huile de palme, du café, de la canne à sucre…
Les profits générés par certains arbres comme le muscadier et le giroflier entraînent de dures guerres pour la possession de petites îles aujourd’hui bien oubliées. Ce sont les Hollandais qui s’imposent grâce à leur Compagnie des Indes orientales (la VOC ou Vereenigde Oostindische Compagnie )fondée en 1602 par fusion de plusieurs petites compagnies ; il s’agit d’une société monopoliste bien soutenue par l’Etat et sa marine. Sa domination se concrétise par la confiscation de terres et un développement du travail forcé au profit de leur Compagnie des Indes. Une marine de guerre hollandaise forte d’une quarantaine de navires protège plus de cent cinquante navires marchands, chargés de cannelle de Ceylan, de girofle et de muscade d’Indonésie, de bois exotiques, déchargent leurs précieuses cargaisons à Amsterdam ; les dividendes annuels versés aux actionnaires de la compagnie atteignent alors parfois soixante-dix pour cent l’an.
Pour les Hollandais, l’Indonésie représente seulement une source de revenus, d’où une faible prise en compte de l’aristocratie indigène et une surexploitation des populations locales. L’insurrection de Java dirigée par Diponegoro, tient de 1825 à 1830 ; son difficile écrasement (200000 morts) pousse les Hollandais à essayer d’intégrer les nobles comme fonctionnaires dans leur système de domination. Vis-à-vis des populations rurales, les cultures forcées sont systématisées (un quart de la surface agricole d’une ferme est réservé à une culture d’exportation destinée au marché mondial : café, sucre, indigo…) ; le gouvernement colonial récupère la récolte. Durant la grande époque de la colonisation européenne du monde (1870 à 1914), l’Etat hollandais renforce son contrôle dans la crainte de voir une puissance concurrente tenter sa chance dans l’eldorado indonésien. De 1873 à 1904, les populations de la province d’ Aceh (au Nord de Sumatra) tiennent tête à l’armée hollandaise.
Dès les premières années du 20ème siècle se créent des associations culturelles valorisant la civilisation ancestrale indonésienne et des partis dont le plus important s’intitule le Partai Sarekat Islam. Dans le même temps, les idées socialistes progressent, des militants apparaissent (comme Sneevliet) donnant naissance en 1914 à l’ Indische Sociaal-Democratische Vereeniging ("Union social-démocrate des Indes") ou ISDV, dans laquelle militent des Indonésiens et des Néerlandais. En 1915, l’ISDV publie Het Vrije Woord ("la parole libre") en hollandais puis Soeara Merdika ("la voix de la liberté") en malais . Durant la Première guerre mondiale, cet ISDV connaît une radicalisation qui amène à la création du SDP (1916)
Sneevliet voit dans la Révolution russe la voie à suivre pour l’Indonésie. Le parti se développe parmi les marins et soldats hollandais basés dans la colonie. Il crée les "Gardes Rouges", qui sont 3 000 au bout de trois mois. Fin 1917, des soldats et des marins se révoltent dans la grande base navale des Indes néerlandaises, Surabaya, et forment un conseil des soviets. Les autorités coloniales répriment les soviets de Surabaya et l’ISDV. Les dirigeants de la révolte sont condamnés à 40 ans de prison, les Hollandais communistes renvoyés en métropole. En 1919, le parti n’a plus que 25 membres hollandais sur un total d’environ 400.
Avec le renfort d’un courant venu du Partai Sarekat Islam, le SDP fonde en 1920 le premier parti communiste d’Asie qui deviendra le PKI (Partai Komunis Indonesia), parti communiste indonésien, celui-ci s’investit particulièrement dans le développement de l’action syndicale.
En 1922, une grande grève des syndicats de cheminots contre les restrictions financières du gouvernement se transforme en révolte contre l’autorité hollandaise.
• Le 28 novembre 1925, le gouvernement des Indes orientales néerlandaises décide de suspendre le droit de réunion dans presque toute l’Indonésie pour le Parti communiste et les organisations syndicales animées par des communistes. En décembre 1925, le congrès du Parti communiste indonésien réunit à Prambanan décide un soulèvement armé. L’insurrection, qui commence en novembre 1926 à Java et en janvier 1927 à Sumatra, subit une répression telle (environ 8000 tués, 13000 emprisonnés, 1 300 cadres du parti enfermés dans le camp de concentration de Boven-Digoel en Nouvelle-Guinée occidentale) que le PKI pulvérisé, laminé, déclaré hors-la-loi et réduit à la clandestinité… va se limiter à survivre jusqu’en 1942.
L’écrasement du PKI laisse place au développement de courants islamistes et nationalistes. Notons surtout le rôle que prend le Parti national indonésien. Animé par Soekarno et Hatta, ce PNI prétend réaliser une synthèse entre nationalisme indonésien, socialisme et islam ; il s’investit dans la codification d’une langue unitaire indonésienne ; ses dirigeants participent à des conférences internationales anticoloniales et anti-impérialistes comme le congrès de la Ligue contre l’Impérialisme et le Colonialisme à Bruxelles en février 1927.
Face à la crise économique commencée en 1929, le gouvernement hollandais mise sur une politique systématique d’austérité couplée à une répression accrue (interdiction de toute réunion hors du cadre institutionnel, bannissement de nombreux cadres indigènes, y compris non communistes, comme Boven-Digoel Soekarno) .
De 1942 à 1945, l’armée japonaise occupe l’archipel indonésien. Tokyo se limite à y piller ce dont il a besoin (pétrole, caoutchouc, riz…). Le Parti Nationaliste entretient des relations avec l’occupant japonais dont il espère l’aide pour accéder à l’indépendance. Dans ce contexte, le Parti Communiste indonésien recrute une nouvelle génération de cadres.
En août 1945, les Japonais voient l’archipel leur échapper ; les Hollandais se déclarent toujours propriétaires coloniaux du pays. Le peuple des îles indonésiennes se soulève mettant en avant l’indépendance mais aussi ses propres revendications dans les usines comme en milieu rural. Le Parti Communiste gonfle alors d’une masse de jeunes particulièrement motivés à changer le monde et au moins, dans l’immédiat, l’Indonésie.
Le 17 août 1945, l’Indonésie se déclare République indépendante. De 1945 à 1949, une véritable armée indonésienne naît au travers de la lutte contre les Japonais puis contre les Hollandais. En 1947 et 1948, ceux-ci tentent militairement de reprendre leur domination par la force et en jouant sur la diversité des îles. Ils savent Java et Sumatra définitivement perdues pour eux mais poussent au séparatisme des Moluques en particulier, leur fief depuis 3 siècles, dans lesquelles ils ont choyé une forte minorité chrétienne autochtone y recrutant par exemple nombre de cadres administratifs. Mais les difficultés rencontrées par leurs expéditions comme le contexte mondial (soutien de l’ONU à la République indépendante d’Indonésie) poussent le gouvernement de La Haye à reconnaître définitivement l’indépendance à dater du 1er janvier 1950.
Dans le même temps, des désaccords et des luttes s’exacerbent parmi les Indonésiens entre courants nationalistes conservateurs et courants progressistes. En 1948, le PKI forme avec le Partai Sosialis (PS) et des syndicats un "Front Démocratique Populaire". L’aile gauche du PS rejoint le PKI.
Après le cessez-le-feu permis par l’accord du Renville avec les Hollandais (17 janvier 1948), des généraux liés à la droite nationaliste et islamiste prennent prétexte d’un ordre de désarmement de toutes les unités de guérilla et milices locales visant particulièrement celles contrôlées par le PKI pour massacrer une partie de l’armée. Cela déclenche en septembre 1948 l’autodéfense de la province de Madiun, ville à l’Est de Java. Le PKI ne soutient pas le soulèvement et appelle à une solution négociée. L’armée écrase les insurgés ; au niveau national, des milliers de cadres du PKI sont exécutés et 36 000 jetés en prison. Le PKI n’est toutefois pas interdit car son existence set à Soekarno de contrepoids face aux islamistes et aux courants d’extrême droite de l’armée ; sa reconstruction reprend dès 1949.
Les débuts de la république indonésienne sont marqués par une instabilité importante due :
Aux contradictions internes au mouvement de libération nationale : installer un Etat laïque (comme le réclament les musulmans abangan) ou un Etat islamique imposant la charia. Dans quelques territoires excentrés comme Acceh, des islamistes entretiennent des guérillas fortes
A la volonté des islamistes et de nombreux généraux de massacrer tous les communistes
Aux revendications séparatistes de certains archipels et peuples, particulièrement les Moluques, la Papouasie mais aussi dans les Célèbes...
A la transition entre colonisation et indépendance, les Hollandais ayant gardé la maîtrise de toutes les grandes entreprises
L’Indonésie de cette époque ne peut être comprise sans brosser le portrait de son principal dirigeant politique, premier président de la République (1945-1967), nommé Soekarno. Il est depuis les années 1925 une forte personnalité du mouvement indépendantiste. Fils d’un instituteur issu de la petite noblesse javanaise et d’une mère de l’aristocratie balinaise, il a pu suivre un cursus scolaire : primaire, lycée, supérieur (ingénieur en 1926). Arrêté en 1929 et 1933 pour son action indépendantiste, exilé ensuite, il gagne une crédibilité au sein du mouvement nationaliste.
En 1942, les Japonais débarquent aux Indes néerlandaises, s’en rendent maîtres et libèrent Soekarno qui accepte de participer en 1943 au « Centre du pouvoir populaire » puis en 1945 à un « comité d’investigation pour préparer l’indépendance de l’Indonésie ». Membre de ce comité et figure du nationalisme au moment où les Japonais perdent pied dans le Pacifique, il préempte la direction politique et culturelle d’une indépendance de l’Indonésie en développant le 1er juin cinq piliers idéologiques.
1. La Nation . comme fondement idéologique, principal ; ce principe de la Nation étant défini dans la filiation du discours prononcé par Ernest Renan le 1er mars 1882 à la Sorbonne.
2. L’Internationalisme posé comme un humanisme universel car le nationalisme seul est dangereux (exemple du nazisme et autres fascismes européens récents). Référence à Gandhi : « My nationalism is humanity » (« Mon nationalisme, c’est l’humanité »).
3. Consensus (mufakat, mot d’origine arabe), de la représentation (perwakilan, mot formé sur l’arabe wakil, "représentant") et de la délibération (permusyawaratan, de l’arabe mushawarah). L’Indonésie doit être l’État d’« un pour tous, tous pour un ».
4. Bien-être (kesejahteraan), c’est-à-dire qu’il ne doit plus y avoir de pauvreté en Indonésie et que le capital ne doit pas tout dominer. Pour Soekarno, qui cite Jean Jaurès, il ne suffit pas d’avoir la démocratie politique, il faut qu’il y ait la justice sociale, la démocratie économique.
5. Indonésie libre et un Dieu unique (Ketuhanan yang Maha Esa), dans laquelle « les chrétiens prient Dieu selon les préceptes de Jésus le Messie, les musulmans selon ceux du prophète de l’islam Mahomet, les bouddhistes selon leurs livres »
Le Comité des 9, issu du « comité d’investigation », se met d’accord sur la Charte de Djakarta, compromis entre nationalistes et « orthodoxes musulmans » pour préciser les cinq « principes » suivants :
1. Croyance en un Dieu, avec l’obligation pour les musulmans d’observer la shariah
2. Humanisme juste et civilisé
3. Unité de l’Indonésie
4. Démocratie dirigée par un esprit de sagesse dans la délibération représentative
5. Justice sociale pour tout le peuple indonésien.
Lorsque le texte est présenté devant l’ensemble du Comité d’investigation, pour former un préambule de la constitution, le premier point devient "Croyance en un Dieu Unique" ; les mots « avec l’obligation pour les musulmans d’observer la shariah » étant supprimés.
Ce début de la République indonésienne occupé par des débats idéologiques s’explique par la diversité culturelle du pays après trois siècles de colonisation hollandaise :
des courants orthodoxes musulmans (dont des islamistes sectaires) pesant entre 33% et 45% de la population (39% en 1956)
un courant progressiste et d’implantation populaire incarné par le PKI (Parti Communiste Indonésien) qui obtient 16,5% des voix aux législatives de 1956 et progresse rapidement ensuite
Un courant nationaliste, appuyé sur l’armée et l’administration, qui obtient 22% en 1956
Soekarno réussit à maintenir au second plan les désaccords ainsi que les difficultés économiques, monétaires et sociales par sa politique étrangère, symbolisée par la conférence des non alignés à Bandung. Il passe par exemple le cap de la crise monétaire de 1957 en nationalisant les entreprises hollandaises. Cependant, une fois cela fait, l’armée veut jouer un rôle dans leur contrôle alors que les syndicalistes et salariés liés au PKI aspirent à participer à la gestion de ces sociétés.
Globalement, le pays connaît une situation de paralysie politique suite au résultat des législatives de 1956. Aussi, en 1959, Soekarno invente un nouveau « principe », la « démocratie dirigée » qui commence par la dissolution du Parlement et l’obligation pour tout parti de s’inclure dans son discours nationaliste, socialisant et autocratique.
E1) Contexte mondial de « montée révolutionnaire »
Il serait trop long de rappeler ici la théorie socialiste des cycles politiques avec leurs phases d’apogée de la combativité, de recul, de remontée puis à nouveau une période révolutionnaire.
Le cycle politique, instrument d’analyse des périodes et conjonctures
Dans les années 1960 à 1965, le monde connaît une période de « forte montée » dans les pays du Tiers-Monde (révolution cubaine, indépendance de l’Algérie…) comme dans les citadelles capitalistes (mouvement jeune, mouvement des droits civiques aux USA, grève générale belge…).
Après l’éclatement de la crise de 1929, le grand capital avait réagi en finançant les SA et SS de Hitler pour procéder au génocide de la force de gauche la plus dangereuse, celle d’Allemagne et ainsi imposer un rapport de force pour faire payer la crise aux salariés et aux pays pauvres. En 1964 1965, le grand capital vit une situation de doute sur son avenir pour d’autres raisons qu’en 1929 mais avec la même acuité, la même lucidité et la même immoralité profonde. Il va réagir comme en 1929 en trouvant les forces aptes à perpétuer le génocide de la force de gauche qui paraît la plus dangereuse, celle d’Indonésie. Pour cela, il va s’appuyer comme dans l’Allemagne des années 1930 sur l’armée, la religion dominante, la pègre, la droite et le patronat comme forces sociales et sur racisme, nationalisme comme axes de propagande.
E2) Les USA et l’Indonésie de 1953 à 1965
Les Etats-Unis regardent avec suspicion l’action politique internationale de l’Indonésie lors des Conférences de Bandung (1955) puis de Belgrade (1961). Leurs dirigeants peuvent constater à l’ONU, l’augmentation rapide du nombre d’Etats « non-alignés » votant ensemble sur des questions sensibles comme Berlin, Vietnam, Laos, refus de toute base militaire d’un pays étranger, Cuba et la base de Guantanamo… La Conférence du Caire (1964) met en danger la politique de prétendue « coexistence pacifique » (cachant l’impérialisme agressif des USA) car elle propose de renforcer le rôle de l’ONU et son autorité, en demandant l’application stricte des Accords de Genève sur le Vietnam (en particulier des élections générales empêchées par Washington depuis dix ans), en abordant la question taboue du développement économique des pays du « Tiers Monde »…
Cette suspicion de Washington due au mouvement des non-alignés s’accentue avec :
les voyages de Soekarno à Moscou puis Pékin.
la sortie du Fonds Monétaire International
Surtout, les USA sont alors engagés dans la mise en place de dictatures militaires à leur solde dans le Sud-Est asiatique ; partout les communistes et opposants démocrates sont jetés en prison ou même simplement assassinés.
Dans ce contexte, l’acceptation par Soekarno de l’existence d’un fort parti communiste constitue un anachronisme à supprimer rapidement.
E3) Les USA et la CIA en Indonésie de 1953 à 1965
Dès 1953, la question indonésienne est prise en charge à Washington au plus haut niveau, celui du Conseil de sécurité nationale comprenant président de la république, vice-président, secrétaire d’Etat (ministre des Affaires étrangères), secrétaire à la Défense et conseiller à la sécurité nationale. Ce Conseil organise « une action appropriée, en collaboration avec d’autres pays amis, afin d’empêcher un contrôle permanent des communistes ». La forme de cette action est précisée dans la directive NSC 171/1 :
former idéologiquement et militairement les cadres de l’armée indonésienne à la lutte contre-insurrectionnelle et anticommuniste.
soutenir des maquis sécessionnistes
créer un climat de tension
La CIA précise un peu plus cette stratégie en se préoccupant :
de « soutenir financièrement les partis modérés… sur la droite ». Il s’agit d’une part du parti musulman Masjumi qui va bientôt s’allier au Darul Islam pour mener des guérillas islamistes sécessionnistes dans l’Ouest de Java, dans le sud puis également le Nord de Célèbes, à Sumatra occidental, d’autre part surtout du Parti Socialiste Indonésien qui reçoit des sommes phénoménales et va fournir les meilleurs cadres préparant le génocide de 1965 : des militaires tels que Sarwo Edhie et Suwarto, qui formera le futur président Suharto, tel aussi Sjam, probable agent double de la CIA passé au PKI et élément important dans le déclenchement du génocide.
de fournir armes et hommes aux mouvements rebelles du PRRI-Permesta qui tiennent des territoires à Sulawesi et à Sumatra-Ouest Frank Wisner, sous-directeur des opérations secrètes de la CIA en 1956 définit la stratégie de tension à imposer en Indonésie comme ne visant pas à renverser Soekarno mais à le pousser à remettre l’essentiel du pouvoir réel aux mains de l’armée. Après une tentative avortée d’assassinat sur lui, Soekarno proclame effectivement la loi martiale le 14 mars 1957 qui place l’armée au cœur de la vie du pays. En 1975, une commission d’enquête sénatoriale US sur la CIA émettra l’hypothèse que la CIA ait commandité cette tentative d’assassinat.
Notons l’ingénuité de la CIA qui subventionne des guérillas islamistes pour pousser l’Etat à s’en remettre à l’armée contre ces guérillas et qui forme les cadres de cette armée à la lutte anti-insurrectionnelle prétendument pour lutter contre les guérillas qu’elle subventionne mais surtout comme pilier anticommuniste. Pour compléter le dispositif :
les USA subventionnent grassement l’armée indonésienne (environ 20 millions de dollars l’an).
E4) La CIA et l’armée indonésienne
Le général Suwarto, membre du PSI, qui a suivi une formation militaire aux États-Unis et est très proche de Guy Pauker, transforme dès 1958 le SESKOAD en un centre d’entraînement pour la conquête du pouvoir politique. C’est là qu’il élabore la stratégie contre-insurrectionnelle du Territorial Warfare (ou « guerre territoriale ») et obtient de larges crédits de l’administration Kennedy pour constituer une infrastructure politique et paramilitaire territoriale (parfois jusqu’au niveau du village) dans un cadre nommé « action civique ». Le SESKOAD prend également en charge une formation des officiers à l’économie et à l’administration pour la préparer à constituer un nouvel Etat.
Soekarno joue au non-aligné dans les conférences internationales, pavane à Moscou lors de sa distinction au titre du Prix Lénine pour la paix. Dans le même temps, il laisse la CIA assurer un rôle central dans le SESKOAD qui forme tous les échelons de l’armée pour qu’ils soient aptes à mater toute insurrection « communiste ». Cette École des officiers de l’armée indonésienne forme tout autant les cadres des milices locales qui vont jouer un grand rôle dans le génocide de 1965.
E5) La CIA et la préparation du génocide de 1965
La CIA s’était fixé l’objectif d’une liquidation militaire du PKI dès 1950 1952. Ainsi, William Kintner, officier supérieur de la CIA écrivait alors « avec l’aide de l’Ouest, les dirigeants politiques asiatiques - alliés aux militaires - ne devront pas simplement tenir et survivre, mais réformer et avancer tout en liquidant les forces politiques et de guérilla de l’ennemi ».
En 1958, la CIA fait une erreur en voulant précipiter le renversement de Soekarno par une insurrection dans la grande île de Sumatra, riche en pétrole, soutenue par le Parti Socialiste (ultra-atlantiste) et les partis islamistes. Elle fournit les bases logistiques et militaires d’une rébellion armée à Sumatra, riche en pétrole. Le « gouvernement révolutionnaire » qu’elle met en place ne bénéficie d’aucun soutien populaire et se trouve confronté à l’armée indonésienne pourtant seule réelle force anticommuniste du pays ; aussi, il s’effondre lamentablement.
Les Etats-Unis changent donc de stratégie, privilégiant le travail au sein de l’armée. Le Colonel Suharto rejoint la SESKOAD en octobre 1959, où il devient proche de Suwarto. C’est autour de lui que la CIA va construire son projet de coup d’état pour établir un Etat allié des USA, politiquement une dictature et économiquement un paradis libéral.
La CIA s’appuie sur les think tanks qu’elle finance (particulièrement des universitaires comme Guy Pauker, enseignant à Berkeley, qui entretient un contact permanent avec un groupe d’intellectuels du Parti socialiste indonésien et « leurs amis au sein de l’armée ») pour élaborer les éléments de langage en direction des médias occidentaux généralement peu regardants sur ses informations. Ainsi, de 1961 à 1965, un travail énorme de communication est réalisé pour noircir le PKI, pour faire de la gauche indonésienne un "danger"...
En 1963, Washington met en place un groupe de fonctionnaires du département d’État et de la CIA sous la responsabilité de Robert J. Martens, cadre de la section politique de l’ambassade américaine à Jakarta, pour constituer des listes de communistes dans la perspective d’une action subversive et répressive. En 1990, ce Robert J. Martens a confirmé l’information dans le Washington Post.
En 1964, le rôle de la CIA dans le coup d’état militaire au Brésil, dans le soutien à Moïse Tshombe contre les derniers soutiens du président Lumumba légalement élu, le coup d’état en Bolivie contre le président Víctor Paz Estenssoro légalement élu, l’impasse de la gauche colombienne massacrée et obligée de prendre le maquis (FARC), le bombardement apocalyptique du Laos et du Nord-Vietnam, l’"état d’urgence" au Sud Vietnam, le soutien militaire des insurgés monarchistes islamistes arriérés au Yémen... laissaient présager une initiative totalitaire du même type en Indonésie.
1) Le contexte immédiat du massacre
Durant l’été 1965, plusieurs évènements indonésiens tendent le contexte politique national :
Depuis l’indépendance, la réforme agraire, première nécessité économique et sociale du pays, n’a pas avancé. Des membres du PKI en milieu rural s’appuient sur le vote d’une première loi par le Parlement pour avancer de fait sur le terrain. Les propriétaires terriens, force importante de la bourgeoisie liée à des militaires influents et aux islamistes orthodoxes, assument une bataille de plus en plus frontale. Les paysans pauvres, jusque-là généralement proches du PNI évoluent vers le PKI et s’en prennent de plus en plus aux gros propriétaires, souvent des santri (musulmans pratiquants et orthodoxes)
Le président Soekarno, jamais en reste d’un slogan idéologique, lance la bataille du Nasakom (coalition du nationalisme, de la religion et du communisme) qui doit être appliqué dans tous les secteurs de l’administration et des services publics. Dans ce cadre, un premier contingent d’ouvriers-paysans est reçu par la base aérienne de Halim pour être formés militairement dans ce cadre (les dirigeants de l’aviation sont proches du PKI et ce premier contingent ne comprend guère que des militants communistes). L’armée de terre, très réactionnaire et opposée au Nasakom, voit rouge..
La crise économique s’exacerbe avec une inflation galopante (supérieure aux 134% de 1964) et l’arrêt des crédits anglo-américains.
La fraction réactionnaire de l’armée « réaffirme ses revendications à jouer un rôle politique indépendant », c’est à dire en fait à servir de pilier à une dictature militaire anticommuniste. Elle ne parvient pas à mobiliser la masse des officiers en raison du poids du groupe de généraux proches de Soekarno qui jouent un rôle modérateur, en particulier le général Yani.
F2) Le prétexte du massacre
Le 30 septembre 1965, six sur sept des généraux du haut commandement militaire indonésien dont le général Yani, faisant partie de ce groupe « modéré », ni pro-US, ni pro-PKI, sont assassinés. Il est hautement probable aujourd’hui que la CIA ou ses affidés, les a fait tuer tout en désignant les communistes comme les assassins. D’ailleurs les deux grands généraux proches de l’extrême droite et des USA, les deux plus anticommunistes, ne sont pas tués, ni Nasution (massacreur des communistes en 1948 et également membre du haut commandement) ni Suharto dont nous connaissons le rôle auprès de la CIA. Enfin, les éléments impliqués directement dans les meurtres sont sous la responsabilité militaire de Suharto et viennent d’être dénoncés par le colonel de la garde présidentielle comme préparant un coup d’état. En gros, même type de vrai faux coup que l’incendie du Reichstag qui a permis à Hitler d’accaparer tous les pouvoirs.
Parmi les éléments contribuant à confirmer cette hypothèse, notons :
la lettre (de décembre 1964) envoyée par un ambassadeur pakistanais à son ministre des Affaires étrangères, M. Bhutto dans laquelle il rend compte d’informations selon lesquelles « l’Indonésie va tomber dans l’escarcelle de l’Ouest comme un pomme pourrie… Les services de renseignement occidentaux, vont organiser un "coup d’État communiste prématuré" [qui sera] destiné à échouer, offrant une opportunité légitime et bienvenue à l’armée pour écraser les communistes et faire de Sukarno un prisonnier à la merci de l’armée »
Qui prend immédiatement la tête de troupes « légalistes » pour venger ces généraux ? le général Suharto, très lié à la CIA et cœur anticommuniste du SESKOAD.
Autant le PKI est décontenancé par l’évènement et ses conséquences, autant l’état-major autour de Suharto suit un plan de route bien préparé et efficace.
Une fois lancé le processus de génocide, la CIA confectionne la propagande anticommuniste de l’armée faisant en particulier circuler des faux sur les atrocités commises par les communistes. et attisant les haines raciales (contre les Chinois) ainsi que religieuses (contre les athées, contre les hindouistes et animistes).
F3) L’enchaînement du massacre
L’armée, financée et formée par les États-Unis, constitue le coeur de l’opération de génocide. Son mot d’ordre répété est celui de « Sikat » qui peut être traduit par meurtre de masse, liquidation, nettoyage, pogrom.
Dans chaque île, chaque petit territoire, ce sont les milices locales constituées par le SESKOAD, armées, formées et encadrées par l’armée qui constituent l’artère active du génocide.
Quelle est la composition réelle de ses groupes paramilitaires ? Il s’agit surtout des milices civiles issues des partis religieux : NU (Nahdaltul Ulama) – avec sa branche de jeunesse fanatisée, l’ANSOR – et Muhammadiyah, deux organisations islamistes de masse, ancrés dans les communautés rurales. Pour ces bandes de fous furieux, le mot d’ordre Sikat lancé par l’armée correspond à un djihad anti-communiste sans merci au service d’Allah.
Il serait cependant injuste de ne percevoir le fanatisme religieux que parmi les islamistes. Comme dans les années 1930 où toutes les religions ont contribué à la constellation fasciste européenne, toutes les religions présentes en Indonésie ont contribué au génocide fasciste de 1965 :
chrétiennes à Java où les forces catholiques ont participé notamment à la formation du KAMI (Forum d’action étudiant), mouvement étudiant qui participa à l’épuration des communistes.
hindous à Bali, pour la défense du système de caste et contre les influences chinoises ;
Le coup d’état militaire a été très pensé politiquement, avec pour complément une propagande désignant des boucs émissaires prétendument responsables des difficultés des milieux populaires :
les communistes mais plus largement les athées dont la présence en Indonésie, pays musulman, offenserait Allah (notons qu’en réalité beaucoup de "communistes indonésiens", en particulier en milieu rural, étaient des musulmans non réactionnaires, non fanatiques).
les Chinois qui mangent le riz des gens du pays en accaparant une partie du commerce...
L’armée, toujours conseillée par la CIA, pousse les milices locales et les islamistes à des pogroms systématiques qui vont effectivement se multiplier.
F4) La terreur fasciste comme politique
Cette terreur de masse est le fruit d’une stratégie politique des USA par crainte de la "contagion communiste", des propriétaires terriens et de patrons inquiets par la progression communiste, de l’armée qui veut accaparer les richesses du pays, en particulier le pétrole.
Dans de telles conditions de libération des plus basses pulsions par le pays arborant fièrement la statue de la liberté, par les militaires censés être armés pour défendre les citoyens, par les religions censées reposer sur des valeurs, il n’est pas étonnant que ce soient développés :
d’innombrables viols,
de la prostitution forcée durant plusieurs jours, mois et années
d’innombrables cas de pillage
d’innombrables incendies de maisons en prenant soin de ne pas laisser échapper le petit enfant,
d’innombrables séances de torture au moins aussi raffinées et écoeurantes que celles de la gestapo et des SS
d’innombrables cas d’atteinte à des personnes non communistes, par exemple intellectuels locaux peu pratiquants du point de vue religieux
Ajoutons qu’environ 500000 "communistes sont déportés dans des conditions dignes des camps de la seconde guerre mondiale et des goulags ; seulement 100000 en reviendront vivants.
G) Quel bilan du PKI et du génocide ?
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