Une nouvelle déclaration de principes pour ouvrir le débat du congrès du PS ? (par Pierre Ruscassie, proche de Gérard Filoche)

mardi 13 mai 2008.
 

Après les déclarations de principes que le Parti socialiste avait adoptées en 1969 et 1990, une nouvelle déclaration doit être débattue au cours du mois de mai 2008. Un tel texte tente de définir les conceptions qui feraient consensus au sein du PS. Il devrait donc permettre d’identifier la gauche, puisque toute la gauche a place en son sein, c’est d’ailleurs ce que dit clairement le dernier article du texte qui est maintenant proposé : « Le Parti socialiste veut rassembler toutes les cultures de la gauche. Il ne se résigne pas aux divisions de l’histoire. Organisant en son sein depuis toujours un libre débat, il appelle tous les hommes et toutes les femmes qui partagent ses valeurs à rejoindre ce combat. »

Ces textes tolèrent des interprétations contradictoires

L’examen de ces déclarations, celle de 1990 et celle de 2008, ne nous renseigne pas sur l’usage que les socialistes pouvaient et pourront en faire. C’est pourquoi les adhérents, les militants et même les responsables socialistes ignoraient la dernière déclaration adoptée. Il est probable que, d’ici quelques semaines, ils auront oublié la nouvelle.

Le texte de 2008, par exemple, affirme que les socialistes veulent « contribuer à faire de la France un pays ouvert ». Ouvert aux libres circulation et implantation des capitaux ou des humains ? Ce n’est pas dans de telles déclarations de principes que nous aurons la réponse : elles sont écrites, précisément pour ne pas donner de réponse. Ce n’est pas leur finalité.

Le texte de 1990, par exemple, affirmait que, dans les « sociétés contemporaines », n’avaient pas été éliminées « les oppositions de classes et groupes sociaux ». La formule maniait savamment le flou. Des classes peuvent parfaitement être en opposition sans pour autant lutter. Cette formulation n’excluait pas, non plus, que l’on puisse considérer que ce qui opposait les différentes catégories qui composaient le salariat (ouvriers, employés, cadres...) l’emportait sur ce qui les unissait.

Les deux textes se contentent d’un « coup de chapeau » aux grands mouvements historiques dans lesquels se forment pourtant de nouvelles générations militantes et qui scandent la vie de la gauche et du Parti socialiste. Nos principes devraient donc s’inspirer beaucoup plus profondément des mobilisations qui ont marqué la vie politique des militants. Une déclaration qui se prive des leçons de ces expériences, surtout des plus récentes, ne sert ni à identifier la gauche ni à apporter au Parti socialiste le renfort de la jeunesse.

Le texte de 1990 était particulièrement abstrait et général, éloigné de toute référence : aucun exemple historique n’était cité. La gauche et le Parti socialiste n’auraient eu aucune histoire.

Pour sa part, le projet de 2008 est plus avancé puisqu’il énumère quelques références dans son préambule : la Commune, l’Affaire Dreyfus, le Front Populaire, la Libération, Mai 68 et Mai 81, même s’il oublie la grève générale de 1936, qui a permis la conquête des congés payés et des 40 heures. Ce que le programme du Front Populaire ne prévoyait pas. Quant aux mouvements de 1986, 1994, 1994, 1995, 2003, 2006 (université, laïcité, Smic jeunes, Sécu, retraites, CPE), ils sont totalement ignorés.

Le texte de 2008, pas davantage que celui de 1990, ne marquera l’histoire des débats socialistes... Parce que ce qui est nécessaire à la gauche, c’est d’écouter ces mouvements : pas de ron-ron, mais de la vie, du renouveau, de nouvelles équipes forgées dans les nouvelles luttes... C’est aux questions que posent ces mouvements sociaux que la gauche et, d’abord, le PS doivent répondre. Les réponses attendues sont concrètes, ce sont les mesures d’urgence sociale que devrait prendre un gouvernement de gauche.

Le texte de 2008 nous sert une belle formule : « la démocratie représente, à la fois, une fin et un moyen ». Mais à propos des moyens, le suffrage universel est remplacé par une énumération ; « démocratie politique et démocratie sociale, démocratie représentative et démocratie participative.

Quant à la fin, elle se juge aux réponses apportées aux questions concrètes que posent les mobilisations réelles : pour l’augmentation des salaires, pour la réduction du temps de travail réel à la durée légale, pour la retraite à 60 ans à taux plein, pour les droits du travail acquis par les salariés, pour la régularisation des sans-papiers, pour la création des postes nécessaires dans les services publics qui subissent une dégradation continuelle. Nous restons sur notre faim car les formules générales ont pour fonction de se prêter à des interprétations contradictoires et de contourner tout engagement.

La nouvelle déclaration ne change pas, qualitativement, de la précédente

La rupture avec la lutte de classe, avec la socialisation des moyens de production n’est pas l’objet de la déclaration de principes de 2008. Cette rupture avec les déclarations de 1905, 1946 et 1969 avait déjà eu lieu en 1990.

Il est d’ailleurs significatif que cette confusion soit entretenue à la fois par ceux (Le Monde du 21 Avril, par exemple) qui veulent tirer le Parti Socialiste à droite pour le transformer en un parti démocrate à l’américaine ou à l’italienne et par ceux qui considèrent qu’il faut quitter le Parti Socialiste parce qu’il ne serait plus un parti de gauche.

Selon les deux textes, de 1990 et de 2008, le Parti socialiste est « ancré dans le monde du travail ». Mais cette affirmation ne garantit pas cet ancrage.

En 1990, la construction d’un statut salarial au travers du renforcement nécessaire du droit du travail, ne semblait pas être un objectif : la déclaration de principe oubliait la vie réelle. En 2008, il n’est pas question du salariat et la remise en cause des droits des salariés, au travers de la réécriture du Code du travail, n’est pas mentionnée : les intérêts de 90 % de la population sont encore oubliés. Rien de nouveau.

Selon le texte de 1990, le PS « met le réformisme au service des espérances révolutionnaires ». Qui peut être abusé par une telle formule creuse ? Selon celui de 2008, le PS « est un parti réformiste [qui] porte un projet de transformation sociale radicale ». C’est moins creux, mais ça reste une déclaration de principe.

À propos de l’Europe, le texte de 1990 notait qu’elle permettra « d’affronter les défis de l’avenir [...] à condition qu’elle ne se réduise pas à un simple marché ». On comprend ainsi qu’elle sera une construction politique.

Celui de 2008 « revendique le choix historique [...] de la construction d’une Europe politique ». C’est dit.

Les deux textes se disent partisans d’une « économie mixte », le texte de 2008 précise d’une « économie sociale et écologique de marché ». Contrairement à ce qui est affirmé ici et là, cette formule n’est pas une reprise explicite du traité de Lisbonne. L’article 2.3 du titre 1 de ce traité fait, en effet, référence à « une économie sociale de marché hautement compétitive ». Ce qui n’est pas exactement la même chose. Mais ce n’est pas le plus important. Le plus important est que, dans le traité de Lisbonne, cette formule hautement contradictoire se situe dans la « vitrine » d’un traité où le mot « concurrence » est repris 72 fois et où l’adjectif « sociale » ne qualifie plus jamais l’économie de marché dans les articles (l’essentiel du traité) où la mise en œuvre de cette dernière est détaillée.

Il n’en va pas de même dans la déclaration de principe de 2008. L’ambiguïté de la formule n’est pas levée (qui l’emportera du marché ou du social et de l’écologie ?) mais dépendra de la bataille pour le congrès et des mesures concrètes qui y seront (ou non) adoptées. Cette bataille n’est pas réglée par cette formule de la déclaration de principe, elle est devant nous et non pas derrière nous.

Deux différences importantes entre la déclaration de 1990 et celle de 2008 concernent l’intégration de la problématique du développement durable et l’affirmation que le Parti Socialiste est « féministe et agit en faveur de l’émancipation des femmes ». C’est positif, mais dépendra, là encore des réponses concrètes qu’apportera le Parti Socialiste.

La nouvelle « déclaration de principes » du PS est avant tout dans la continuité de celle de 1990. Un certain nombre d’éditorialistes y ont cherché des preuves de « rupture » du PS avec son passé. En vain. Une grande partie des dirigeants du PS a changé d’orientation politique en 1983, une déclaration de principes est venue en 1990 modifier celle de 1969, mais la nature sociale du PS n’a pas changé. La « parenthèse » ouverte en 1983 n’a pas été refermée, l’orientation sociale-libérale est la cause des défaites subies, le parti en est affaibli, mais il reste toujours le parti majoritaire de la gauche. Les dirigeants les plus sociaux-libéraux du Parti Socialiste l’ont d’ailleurs bien compris en acceptant une déclaration de principes qui ne cherche surtout pas à prendre les adhérents du Parti Socialiste à rebrousse-poil.

Une déclaration de principes qui fait perdre du temps au Parti Socialiste et à la gauche

Cette nouvelle déclaration est présentée comme barrage face à un risque de division qui menacerait le PS.

Or, tout le monde sait que ce ne sont pas les déclarations de principes qui protègent de la division. D’ailleurs, ce qui menace vraiment la direction du PS c’est la colère de ses électeurs, désespérés de la voir programmatiquement désarmée face à un gouvernement de droite qui n’a jamais été aussi discrédité. La déclaration de principes ne peut pas résoudre ce problème.

La tactique d’enlisement du débat, de cache des divergences, c’est-à-dire de négation des problèmes qu’il faudrait résoudre pour sortir de la crise, a déjà été utilisée, sous d’autres formes, depuis 2002. Il serait nécessaire que nous tirions les leçons de cette expérience pour ne pas, à nouveau, replonger dans les mêmes errances avec, en fin de course, les mêmes résultats catastrophiques qu’en 2007.

Après le 21 avril 2002, l’urgence était d’élaborer le programme de gouvernement des socialistes et de le proposer à toute la gauche pour que, du débat public, résulte un programme commun de gouvernement qui aurait suscité enthousiasme et mobilisation et aurait assuré la victoire de l’union de la gauche à l’échéance de 2007. Nous avions 5 ans pour réussir cette mobilisation politique. Nous avons échoué.

Il aurait fallu, pour éviter cet échec, que le congrès socialiste de 2003 s’attache aux mesures concrètes qui devaient constituer ce programme, même s’il fallait pour cela ouvrir la boîte de Pandore des divergences au sein de ce qui constituait la majorité du parti.

Au lieu de cela, le débat politique n’a jamais eu lieu sur le fond au sein de cette majorité, ni en 2003, ni en 2006 où la calamiteuse « synthèse » du Mans a refermé le couvercle sur la marmite. Le débat sur le programme, sans cesse reporté, s’est transformé en débat sur les personnes au moment de la désignation du candidat ou de la candidate du Parti Socialiste à l’élection présidentielle.

Cette tactique a conduit la gauche à la défaite dans une élection imperdable en 2007. C’est de nouveau ce risque que nous fait courir la volonté d’enterrer le débat dès son ouverture autour d’une déclaration qui évite les vraies questions et fait diversion.

S’il y a urgence, elle n’est pas dans le débat sur cette déclaration de principes. Ce qu’il faut discuter ce sont les réponses concrètes à la seule urgence véritable : l’urgence sociale. C’est ce que va faire « Démocratie & Socialisme » en proposant au débat et à la signature une contribution générale qui veut répondre à l’urgence sociale pour préparer une motion à vocation majoritaire, afin d’ancrer le PS à gauche.

Ouvrons le débat du congrès socialiste !

Pierre Ruscassie


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