La pierre ( autobiographie de Georges Courbot, militant ouvrier) Cinq premières parties

vendredi 29 avril 2022.
 

Parmi les nombreux militants croisés au hasard des débats et combats, quelques-uns m’ont marqué par leur histoire personnelle, leur dévouement au mouvement ouvrier et socialiste, leurs qualités personnelles. S’il suffisait d’avoir de l’expérience et les qualités d’un dirigeant politique pour devenir parlementaire, Georges Courbot aurait franchi les portes de l’Assemblée nationale ou du Sénat depuis longtemps. Plaidaient également pour lui sa forte personnalité et sa sincérité. Mais Georges est resté surtout un militant ouvrier, de ceux qui collent des affiches et distribuent des tracts pour d’autres. La nature politicienne bourgeoise des institutions en place dans le mode de production capitaliste n’intègre jamais ou presque des humains sortis du peuple au niveau national, surtout s’ils restent solidaires du monde ouvrier.

Jacques Serieys

Première partie : Chez mes grands parents

Je suis né le 14 MAI 1943 à COURBEVOIE

Ma mère n’a pas encore 19 ans. Son mari l’a quittée enceinte de 5 mois. Mon père à cette époque est chef d’ équipe chez AMIOT une usine d’aviation. Je connaîtrais mon géniteur en 1964 .....

Ma mère retourne chez ses parents après la rupture. Mes grands parents vont m élever jusqu’en 1956 .

J’ ai peu de souvenirs de ma mère pour la période de très petite enfance. Je me souviens d’elle alors que je devais avoir moins de 2 ans, habillée en militaire venant nous voir avec une amie elle-même militaire. Ma mère s’ était engagée comme infirmière pour intervenir sur les camps de concentration où les gens étaient dans un état de détresse que nous connaissons maintenant. C’ est ainsi qu’elle a pu retrouver sa cousine Léontine à Buckenval et la faire diriger vers la Suède pour être soignée et remise en forme. Ma mère m’ a aussi pris avec elle quelque temps ; je revois un camp militaire américain où j ’avais un chien nommé Niby ; ce chien me traînait partout et les soldats me donnaient des bonbons et du chocolat, ce qui était des friandises rares ..

Une autre fois, ma mère toujours en uniforme, ayant une grosse altercation avec ma grand mère. La scène est encore très forte dans ma mémoire : il s’agissait de moi. Ma grand mère reprochait à ma mère de vivre sa vie sans s’ occuper de moi. Ma mère criant que si mes grands parents ne pouvaient se charger de moi, l’Assistance Publique n ’était pas faite pour les chiens. Je revois ma grand mère sortant d’ un tiroir un grand couteau de cuisine et foncer sur sa fille en lui criant de foutre le camp ce que ma mère fit précipitamment.

Mon enfance chez mes grands parents a été heureuse avec beaucoup d affection.

Mes grands parents : Cyprien et Catherine nés en 189O.

Ce couple n’aurait jamais dû se former : Cyprien venant du monde ouvrier, Catherine du monde des gens du voyage, une Tzigane de souche allemande. Il a donc fallu que mon grand père enlève la belle .Ce qui a amené l’exclusion définitive de sa famille pour Catherine ( ce qui ne sera pas valable pour ses enfants et moi même qui avons été reçus par la famille maternelle). Ils auront quatre enfants : Emile , Eugène, Marinette(ma mère) et Jean respectivement nés en 1911, 1912,1924,et 1929 ;

CYPRIEN :

Né le 3juin 1890 à Montmartre, il a 2 soeurs ainées et un petit frère (Auguste je crois). Malgré ses 181cm il est le plus petit de la famille !!! Ses soeurs le dépassent de 10 cm .

CYPRIEN n’ a jamais connu son père autrement que couché. Il est resté allongé pendant 17ans jusqu’à sa mort. Cet AIEUL est né en Limousin soi-disant à PARSAC_GOUZON. Nom de famille MARTIN. Il devait avoir du bien (terres) mais il faisait le limousinier et partit sur PARIS comme tailleur de pierre . Avec le second Empire il y avait de l’ouvrage : tous les grands boulevards à construire, le palais Garnier etc... Il s’est marié avec Blanche, la mère de mon grand père, blanchisseuse de son état (normal avec un prénom pareil) . Il se trouvera a PARIS au printemps 1871, lors de La Commune. D’après ce que m’ a dit Cyprien, lors de l’ arrivée des Versaillais il ne sera pas fusillé comme beaucoup de ses camarades ni envoyé au bagne de la Nouvelle Calédonie avec la LOUISE .Il va être condamné à reconstruire l’HOTEL DE VILLE DE PARIS qu’il aurait soi disant brulé (ceci m étonne car ouvrier militant moi même je n’ aurai jamais pu détruire mon propre travail ; il est vrai qu’il n avait pas participé à la construction du précédent qui devait représenter pour lui la Bourgeoisie et les dominants patrons).

La construction du nouvel hôtel de ville (celui de Chirac et de Delanoé maintenant) va prendre plusieurs années. A l’ issue de sa peine, il va se COUCHER, ne voulant plus travailler pour les bourgeois. Blanche va assurer les revenus du ménage avec à portée de main ,un sifflet pour appeler. Et bien sûr une bouteille de rouge qu’il faudra lui renouveler. Il est couché sur son grabas, un fouet près de lui pour avertir dès qu’elle sera vidée. CYPRIEN m’ a raconté ses peurs du coup de sifflet. Du fouet qu’il maniait avec précision et de ses coups de gueule qui rassemblait tout le quartier. Quand il s ’est senti partir Blanche était au lavoir et les enfants sans doute à l’ école. La voisine a fait venir le curé ; quand celui- ci est entré dans le taudis, le vieux s’ est dressé sur son lit et à crié DEHORS LE CORBEAU !!!!le pauvre curé a décampé.

Dans les années 1945 à 1950, CYPRIEN à chaque fois que nous passions devant la mairie de PARIS ne manquait pas de me répéter " regarde GEORGES, c’ est ton arrière grand père qui a taillé ces PIERRES".

Dans son enfance, CYPRIEN va à l école de la REPUBLIQUE rue Championnet à Montmartre. Il me raconte qu’ils sont 80 dans sa classe. L’instit est très dur ; il écrit au tableau en tenant une glace appuyée sur ce dernier pour surveiller sa meute de poulbots. Si un môme fait le jacques, la grande règle de bois châtie immédiatement le perturbateur. Plusieurs fois Blanche sera convoquée par le directeur. Il n’est pas facile le Cyprien ; il faut dire que la Butte est un repaire de voyous à cette époque. Il faut savoir très tôt se défendre et ne pas hésiter à faire le coup de poing, parfois sortir sa lame(tout le monde a un "surin" dans sa poche). Il va quitter l’école à 12ans ; il sait lire, écrire et compter. Il écrit sans aucune faute d’ orthographe ; il est vrai que son futur métier l’exigera. Son écriture est merveilleuse, inimitable, faite de pleins et de déliés ; je suis admiratif devant une telle calligraphie.

Blanche va lui trouver un apprentissage dans l’imprimerie chez CHAIX. Cette grande maison connue pour ses indicateurs de chemins de fer imprime aussi par exemple des billets de banque pour l’étranger, ce qui amène une réglementation très rigoureuse. Cyprien entre donc chez CHAIX en 1902 ou 1903 et va y rester jusqu’en 1911 date de son service national qui à cette période durait 3 ans. Il sera linotypiste. Imprimeur est un métier très considéré dans le monde ouvrier, presque un noble chez les prolétaires. Il m’ a expliqué ses conditions de travail : il embauche le lundi matin à 6H jusqu’au mardi 18H, reprend le mercredi matin à 6H jusqu’au jeudi 18H puis du vendredi 6H pour finir sa semaine le samedi soir 18H. 3 FOIS 36 heures par semaine !!!!! Il "conduit" plusieurs machines ; bien souvent ce n’ est que de la surveillance et du contrôle de qualité d’ impression. Sans compter le déplacement pour se rendre au boulot qui se trouve à plusieurs kilomètres et se fait à pieds.

On définit cette tranche d’histoire comme étant LA BELLE EPOQUE. Il est bien évident que pour certains la vie était belle, facile, avec de jolies toilettes pour les dames, mais pour l’énorme majorité c’était la misère l’ exploitation, la précarité, la crainte de l’accident, de la maladie. Le seul jour de congé était le dimanche et quelques fêtes religieuses ou corporatives. On est encore très loin des deux semaines de congé de 1936.

Dans ce contexte social les influences syndicales et politiques sont très fortes. Cyprien adhère au parti de JAURES et va militer surtout contre l’esprit revanchard du moment . Il me raconte des contre manifs face aux droites qui veulent en découdre pour récupérer l’ ALSACE et la LORRAINE.

Je ne sais s’il a rencontré JAURES pour lequel il avait une admiration sans borne. Par contre, je sais qu’il va rencontrer Catherine par l’intermédiaire de son frère AUGUSTE qui lui même a rencontré une ravissante vendeuse sur le marché de PUTEAUX. Son frère lui dit que la belle a une grande soeur aussi jolie .

Il va suivre son frère sur ce fameux marché et va aussitôt être séduit par cette grande jeune fille (1M75), ce qui est rare a cette epoque. Elle est blonde très clair. CYPRIEN dira qu’il faisait le tour de sa taille avec ses 2 mains. Leur aventure va durer 55 ans ; je n ai jamais entendu mes grands parents se quereller, ils devaient régler leurs différents dans l’intimité. Une seule exception selon ma mère (qui devait avoir 12 ANS) : un soir, mon grand père est rentré un peu éméché, sans doute après une petite fête de boulot. Ils se sont accrochés devant les enfants ; Cyprien a dit à CATHERINE" :’tu es une gueule de vache" ; elle a attrapé la pile de bols qui se trouvait sur l’évier et jeté toute la pile par terre. Surprise ! pas un bol ne s’ est brisé !!! Etonnés, ils se sont regardés et ont éclaté de rire. J’ avais récupéré un de ces bols GUEULE DE VACHE.

Après plusieurs semaines de rencontres furtives,rapides et secrètes, Cyprien s’ apercoit que son attachement est devenu sérieux et il demande à CATHERINE de rencontrer sa famille. CATHERINE n’ignore pas le fossé qui sépare les autres du monde des voyageurs. Ses parents font du commerce de bonetterie, de la vannerie et des animations foraines ; ils possèdent des ânes,des chevaux. Originaires de l’Est ils se sont sédentarisés à Puteaux. Aucun de la famille, y compris CATHERINE, ne sait lire et écrire ; par contre compter, ça ils savent .CYPRIEN apprendra à lire et écrire à CATHERINE plus tard.

La rencontre de présentation est catastrophique ; les voyageurs ne peuvent donner une de leur fille surtout l ’aînée à un PAYSAN, un paillou comme disent les gitans. CYPRIEN comprend qu’il va falloir agir autrement s’ il veut garder CATHERINE. Au jour convenu, il vient la voir sur le marché et lui demande de partir avec lui. Elle remet ses casiers de fils d aiguilles, de rubans... à sa jeune soeur et suit CYPRIEN. Il l’enlève !!!!

Gustave lui, voyant la galère, préfèrera rompre avec la jeune soeur de CATHERINE.

Quelque temps après, CATHERINE pensant que les choses s’ étaient calmées, revient chez ses parents pour récupérer quelques affaires. Elle est très mal reçue et rouée de coups par son père ; elle ne doit son salut qu’à sa vitesse de jambes. Elle ne reverra jamais son père ni sa mère .Elle est exclue,une fille perdue. Seules ses soeurs et cousins renoueront contact avec elle et encore plusieurs années après.

L’arrivée de CATHERINE chez BLANCHE ne sera pas non plus chose facile. CYPRIEN et CATHERINE vont très vite emménager dans un garni sur la Butte.Certainement une période de grand bonheur (les naissances d’ EMILE et d’ EUGENE en 1911 et 12).

Mais arrive hélas la conscription de CYPRIEN pour 3 ans ; son incorpororation au 5eme régiment d’ infanterie à Paris va clore cette période de félicité.

CATHERINE va trouver du travail et malgrè ses 2 enfants à charge pourvoira CYPRIEN de sa pièce de 5 Francs tous les jours et ceci pendant 7 années !!!!

CYPRIEN avec son instruction très correcte pour l’époque suit le peloton. Le jour de sa promotion il va fêter ça avec les copains et ils se mettent à chanter à faire du tapage ; Cyprien entonne l’INTERNATIONALE au moment où la maréchaussée deboule dans l’estaminet. Il en est alors au chant du 17eme ; il est ceinturé, conduit au poste et retenu. Il ne sera jamais caporal, ni sergent ; il restera simple troufion pendant 7 ANS et repéré comme rouge. Il va faire son temps aux cuisines.

Il va être démobilisé en mai 1914,reprendre son travail chez CHAIX. Survient l’assasinat de JAURES. Il ne comprendra jamais pourquoi les députés socialistes soi disant amis du grand pacifiste vont voter la guerre quelques jours après sa fin tragique ; il n’ aura plus jamais confiance en ces "retourneurs de veste" comme il les appelait.

CYPRIEN part a la guerre sans fleur au fusil laissant CATHERINE avec ses 2 enfants, seule coupée de sa famille de ses racines.

Je ne relaterai pas sa guerre, il ne m’a pas tout raconté. Il a fait Charleroi, la Marne, le plateau de Craonne. Il sera blessé une première fois en Belgique d’ un coup de sabre de hulan au bras.

A CRAONE il sera fauché par une mitrailleuse et il va rester plusieurs heures entre les 2 lignes. Une balle a traversé la tête,une autre dans un poumon, une autre au dessus du coeur noyée dans un tissu graisseux et enfin la dernière dans une jambe. Il va rester là sans soin pendant 2 jours ; ses jambes sont gelées. Il gémit, enfin un brancardier le repère et le récupère.Il est conduit mourant dans un château servant d’hôpital ; le commandant médecin le fait placer à son arrivée dans les combles du château : "celui là il est foutu" a t il déclaré. Mais l’homme est solide ; il devra son salut à un infirmier qui a remarqué qu’il était de PARIS grâce à son numéro de régiment ; il fera pression pour qu’on s ’occupe de lui. De longues semaines passent, il se déplace courbé sur de courtes béquilles. Blessé en novembre 1916 Il revient mutilé, handicapé, chez lui courant 17. Ils habitent maintenant à PUTEAUX. Le maire est le socialiste MARIUS JACOTOT, ami de mon grand père. CYPRIEN est chez lui en convalescence couché dans la chambre. On frappe à la porte, CATHERINE ouvre ; elle se trouve devant MARIUS JACOTOT. D’un air grave, emprunté, il dit à CATHERINE "j’ ai une grave nouvelle, je suis désolé, CYPRIEN est porté... disparu". CATHERINE se met à rire aux éclats ; le maire pense qu’elle est victime de folie. Voyant son embarras, elle lui crie : il est là CYPRIEN !!!! Le pauvre MARIUS a un doute "il n’a pas déserté au moins". "Non il est là, viens voir comment ils me l’ont rendu". Le maire pénètre dans la chambre et voit CYPRIEN allongé, très mal en point. Ils se regardent et se mettent à sangloter.Une erreur administrative, ce n’était que cela.

CYPRIEN ne s’ est jamais vanté de sa guerre. Il a cependant reçu 11 decorations dont la médaille militaire, la croix de guerre avec plusieurs palmes, chevalier de la légion d’ honneur puis officier, pas mal pour un simple soldat marqué de rouge....

Si Cyprien est parti pour cette guerre qui selon lui ne concernait pas les ouvriers et qu’il n avait rien contre les ouvriers allemands c’était parce qu’il avait femme et enfants. Il n’ en va pas de même pour son frère Gustave qui dés mobilisé se montrera réfractaire et sera envoyé aux bataillons d Afrique en Algérie.En 1916 au plus fort de Verdun il est ramené sur Verdun et maintiendra qu’il ne tirera jamais sur ses camarades Allemands. Sur ordre de PETAIN il sera fusillé comme bon nombre de ses camarades .(Merci à toi JOSPIN d’avoir tenté de réhabiliter ces hommes courageux et fiers de leurs idées)

En 1920 CYPRIEN au congrès de TOURS lâchera la SFIO pour adhérer au parti COMMUNISTE

Il sera conforté dans son choix quand il constatera qu’en 1936 la SFIO trahit une seconde fois ses engagements pris au précédent CONGRES concernant l’intervention militaire en ESPAGNE. Je suis persuadé qu’il avait raison. Si nous étions intervenus massivement, je suis persuadé que le conflit 40-45 ne se serait pas passé de la même manière. Après la guerre, CYPRIEN sera encore déçu par la SFIO qui enverra l’armée contre les mineurs. La position de la SFIO dans le conflit algérien le révoltera lui qui était tant attaché a la liberté des peuples.

Mon grand père est décédé en mars 1965 d’ une pleurésie due à la balle qu’il avait toujours dans le poumon. CATHERINE s’est effondrée ; ma mère pour lui changer les idées l’a emmenée en vacances en Auvergne. Le 12 Aout, sur une route près de la CHAISE DIEU, leur voiture s’ est écrasée contre un arbre. CATHERINE est morte sur le coup, ma mère 2j ours plus tard à l’hôpital du PUY. JOSY, ma femme, était enceinte de 7 mois attendant notre fils DANIEL.

A 22 ans je me retrouvais doublement orphelin. La période fut très dure pour notre jeune couple .Heureusement l’ arrivée de DANIEL le 22 octobre apporta une joie immense.


Deuxième partie : Enfance et école à La Garenne Colombes

Depuis 1950 mes grands parents ont quitté le petit pavillon de Colombes et ils habitent un petit logement d’ une pièce cuisine à LA GARENNE COLOMBES dans le quartier ouvrier des cheminots.

Ce quartier,petit bourg sympa de banlieue comporte la cité SNCF ; plusieurs centaines d ’employés travaillent aux ateliers d’ entretien des trains de l’Ouest.L’ environnement est extraordinaire pour le gamin que je suis. Derrière le boulevard qui conduit au pont de Neuilly où sont implantées de grosses entreprises (dépot RATP. PEUGEOT CADUM SIMCA etc...) se trouve un énorme nomansland. Sur des Kilomètres, des jardins ouvriers, des terrains vagues allant en largeur jusqu’à Nanterre (c’ est sur cette bande en proximité de Nanterre que s ’édifieront dans cette période les fameux bidonvilles immigrés).

De plus les cheminots ont un équipement rare à l’époque : le stade des cheminots de l’ouest : l’ ASCO. Là on peut faire du sport encadré par des moniteurs compétents et surtout dévoues. La majeure partie d’entre eux est au PC. Dans cet environnement je suis tres heureux, libre de vivre des aventures.

CYPRIEN l’ancien poulbot répète toujours : VAS OU TU VEUX, MEURS OU TU DOIS malgré l’angoisse de CATHERINE.

En octobre 1949 j’entre au CP de l’école ERNEST RENAN rue Roussel. Je me suis fais des potes, souvent des fils de cheminots ; pas de copines car nous sommes séparés par un mur de deux mètres de haut ; puis elles sont bizarres ces quilles comme nous les appelons.

Le jeudi, je vais au patronage laique de l’école ; les monos sont des instits qui arrondissent leur petit salaire. Ils sont sympas, inventifs, bref c’ est supe ;r ils sont aussi au PC ou sympathisants. C’ est là que le fossé se creuse entre ceux du laique et ceux qui vont au catéchisme ; on ne s’aime pas, on joue très peu ensemble. Un jour il y en a un qui vient en tenue de louveteau avec des rubans partout ; les potes et moi on est scandalisé ; nous on n’a pas le droit de venir avec nos foulards rouges de pionniers. On le hue, le bouscule un peu ; LE DIRECTEUR, MR GRAND, fend la meute(nous sommes 500 au moins dans l’école de garçons, autant pour les filles). Il se plante devant le garçon et lui dit "Mr BENTOT vous avez le temps ; retournez chez vous pour vous habiller correctement et vous vous présenterez à mon bureau".

Tout le monde porte une blouse noire ou grise, des culottes courtes et des galoches. On reconnait le niveau social aux galoches ; certaines sont en carton bouilli avec des fers au bout et dessous des morceaux de pneus découpés cloués et collés ; moi j ai des brodequins en cuir, une grande pèlerine en tissu caoutchouté (le cache misère comme dit Catherine), une culotte courte de velours et pull avec des raies horizontales.

Comme dit CYPRIEN je ressemble à un coureur du tour de France. C’est Catherine qui les tricote avec de la laine de récupération ; elle récupère tout, me fait baisser pour ramasser dans la rue un bouton,une vis meme un boulet de charbon ; elle a l’oeil partout, rècupère tout. Je suis devenu pareil.

BENTOT doit donc se présenter au" dirlo" ; on sait ce qui l ’attend, la punition suprême et ordinaire : il va falloir qu’il calligraphie cinq lignes d’ écriture à la sergent major sans faute. Cela ne poserait aucun problème à CYPRIEN mais à’ n importe lequel d’ entre nous : OUI. Il va falloir en faire des cinq lignes d’ écriture pour qu’enfin cela convienne à Mr GRAND. Ce dernier ne m’a jamais épargné ; j’ai moi aussi tiré la langue sur les cinq lignes. Ce dernier discutant souvent avec mon grand père, je pensais qu’ils se connaissaient bien. Etait-il au PC ou était-ce la rangée de petits rubans à la boutonnière de CYPRIEN ?.

Je ne peux éluder mon parcours scolaire, surtout mon année passée en CE2 dans la classe à la Garenne Colombes de Monsieur Fernand OURY, cet instituteur pratiquant la pédagogie FREINET est pour beaucoup dans mon évolution. Je lui dois la capacité à travailler seul à mon rythme, à chercher, découvrir, s’ exprimer, avoir le culot de faire du porte à porte pour la vente du petit lutin garennois, le passage à l ’écrit etc....

Cet homme qui a été reconnu dans sa profession ; a su donner aux enfants en grande difficulté que nous étions le goût du combat, de la réflexion et de l’engagement. 20 ANS après, lors du défilé du 1er mai, arrivés en fin de manif au père LACHAISE un homme me tend la main afin de faire la chaîne de sécurité ; je regarde cet homme ,pense le reconnaitre je lui dis : vous êtes Fernand OURY ? Il me regarde, me détaille, réfléchit et me dit : "tu es Georges COURBOT". C’ est extraordinaire, n est ce pas ? nous nous sommes revus plusieurs fois .Il m’ a invité chez MASPERO pour la sortie du livre écrit en commun avec AIDA VASQUEZ. Nous avons aussi recherché et trouvé certains anciens élèves. Nous avons découvert que pratiquement tous etaient des militants engagés soit en politique soit au syndicat. Cet homme était un monument de l’Education nationale. Il travaillait dans les banlieues les plus défavorisées ; en grande partie, il a été l’artisan de mon engagement et pour bien d’autres encore.

Les grandes parties de ballon, de gendarmes et voleurs dans la plaine (je remarque que je préfère être voleur ou indien que gendarme ou cow-boy, pourquoi ?), les bagarres de sarbacanes ,de lance pierres... je rentre le soir fourbu, égratigné heureux.

Attention mes grands parents ne sont pas des tendres. Je me souviens pas d’avoir pris une "calotte" (tiens pourquoi disait-ils calotte ? Qu’ est ce que le curé vient faire là dedans ?). Le regard noir de bondempère ou le regard vert de bonnedenmère suffisait à me plaquer sous la table ; ils étaient déterminés à respecter les autres mais aussi à se faire respecter.

Quand nous allions à PARIS faire des courses nous prenions le METRO. CYPRIEN, grand invalide de guerre, nous faisait asseoir aux places réservées aux personnes en difficulté à se tenir debout ; dès qu’une femme montait sans trouver de place assise il me regardait, je me levais et cèdais ma place si encore une autre femme montait dans le wagon c’était lui qui cédait sa place ...

Cela c’était le respect des autres qu’il m’a inculqué. Une fois, ils m’ avaient emmené au jardin d’ acclimatation ; nous sommes revenus en bus ceux à plate forme arrivés à destination ma grand mère s’ est engagée pour descendre, le contrôleur ayant ôté la chaine de sécurité. Deux hommes jeunes, selon moi 25.30 ans, la bousculent pour descendre avant elle. CYPRIEN en attrape un par le bras et lui reproche son incorrection ; le type lui jette "vieux con".

Mal lui en a pris. CYPRIEN le prend par le col du veston et lui met un coup de boule ; le type tombe a la renverse, saigne, son collègue s’approche menaçant ; il recoit un coup de pied sous le genou, se plie en deux criant de douleur ; il a du lui péter le ménisque. Je suis tremblant de peur mais fier de mon héros.Il faut préciser que le grand père a pratiqué la savate et la canne dans ses jeunes années montmartroise.

Un autre souvenir, Cyprien est à l’hôpital il s’est fait mal en tombant ; on s’inquiète ; ma mère décide de contacter son frère EUGENE.

Lui aussi un drôle de type évadé de Rawaruska puis Résistant, il s’engage pour la durée de la guerre, finit lieutenant puis constate que beaucoup d’anciens nazis s’engagent dans l’armée francaise pour s’eclipser en Indochine. Il est revenu d’Indochine avec trois doigts en moins et surtout une jambe, officier de la legion d’honneur etc. Il marche donc avec un pilon. Je ne l’avais jamais vu, je suis impressionné par ce grand gaillard de 1M85. Ma mère a décidé de nous réunir autour d’un repas. Mon oncle dans le feu de ses souvenirs lance à ma grand mère "la mère tu as été vache quand on était jeunes" CATHERINE BONDIT LUI DEMANDE DE SE LEVER ET LUI ADRESSE UNE PAIRES DE CALOTTES QUI RESONNENT ENCORE DANS MA TETE. Il répond, penaud, MERCI MAMAN. Je suis abasourdi ;il est beau le grand homme officier de la légion d’honneur.....

Non ils ne sont pas tendres mais débordent tellement d’amour pour moi.


Troisième partie : C’est décidé, je serai fraiseur

En attendant, puisque j’ ai quatorze ans passés, je vais travailler comme stagiaire dans l ’usine de fabrication d’amortisseurs de voiture ou travaillent déjà ma mère et Josette. C’est ma mère qui a arrangé le coup.

Je commence un lundi matin. Il est sept heures moins le quart nous venons en tenue de chez nous c’ est très proche, trois cent mètres à peine. Je suis affublé d’une cote de bleu toute neuve et raide. Je ne me sens pas à l’aise, tiré vers le haut par les bretelles ; c’est l’été, je porte une chemisette à manches courtes.

Les ouvriers se rendent souvent au travail en tenue. On peut reconnaître leur emploi à leur tenue : le blanc pour les peintres, le chiné bleu et blanc pourles boulangers charcutiers bouchers ... le bleu de chauffe pour les métallos et le noir pour les imprimeurs, les charbonniers. Il s’ agit d’une tenue complète veste et pantalon ; cette vieille habitude ouvrière disparaitra peu à peu avec ma génération. La blouse est réservée aux chefs( les petits chefs d équipe et contremaitres). Les grands chefs sont en tenue de ville et les très grands chefs en costume cravate ; naviguent entre les deux les employés de bureau parfois aussi en blouse. Il y a une grande distance entre ceux de l’ atelier et ceux des bureaux, pas toujours forcément en salaire mais en statut social. D’abord, ils n ’ont pas les memes horaires 40H par semaine ; la pénibilité est moins grande et ils sont plus près des décideurs donc se sentent plus de ce coté là. J ai toujours connu le clivage entre ces deux mondes.

J’ entre avec ma mère dans un grand batiment large d’au moins quarante mètres et profond d’au moins le double, très haut de plafond. Nous sommes à l’entrée, à droite, un bureau vitré sans lumière. A gauche un mur en partie caché par plein de petits cartons avec des noms dessus. Ils sont bien alignés autour d’une machine avec une pendule et une poignèe. A droite de la pendule des encoches vides ou les petits cartons viendront se loger quand les gens auront POINTE car il s agit bien de cela : les ouvriers marquent leur entrée et leur sortie deux fois par jour.

Ceux des bureaux ne pointent pas et ils ont un salaire mensuel. Ce fait à lui tout seul justifie la lutte des classes.

Mon carton de pointage est deja prêt ; ma mère me montre comment appuyer sur la manette ; ça y est, à partir de 7H je suis payé !!! ma mère me montre le bureau derrière nous : c est le bureau d’ un grand chef : le chef d ’atelier et de la production. Il commande les hommes et les chefs : il arrive le matin à huit heures.

Je n’ ai pas droit à une période d’échauffement ; je démarre dans les horaires plein pot

7H Au travail

12H repas

13H reprise

19H fin des hostilités

avec en prime le samedi matin çà fait 11 heures par jour multiplié par cinq jours plus cinq heures le samedi matin ça fait soixante heures pile poil comme dit Chirac. Et on peut encore monter en puissance en mangeant en une demie heure et en bossant le samedi toute la journée.

C est la bonne période ; tout le monde veut une bagnole ; il y a quatre amortisseurs par caisse et en plus le renouvellement. EN AVANT LES TRENTE GLORIEUSES, JE POURRAI DIRE : J ’EN ETAIS !!!!!

Une blouse blanche vient me chercher ; il est grand, les cheveux blancs, il a l’ air très gentil : "viens gamin je vais te donner du travail" j’ avais rien demandé mais je l’ ai suivi. L’atelier comporte une grande allée centrale pour le cheminement des hommes et des FENWICK avec à sa droite toute la fabrication des différentes pièces composant un amortisseur. A gauche le montage avec des presses hydrauliques et toutes sortes de petites machines fonctionnant à l’ air comprimé. Soudain un coup de klaxon : tout se met en route... les machines-outils, les presses, les bruits stridents des machines à air. Je mets mes mains sur les oreilles ; mon chef sourit "tu t’ habitueras" me crie t-il. Il me fait assoir sur un tabouret en bois à vis. Il me montre : je dois passer un fil de fer de corde à piano dans un rainure jusqu’en butée puis actionner le levier d’ une cisaille qui coupe le fil à dimension. Je fais des séries de cent fils de fer à 420mm et à 383mm pour comprimer des amortisseurs pour PANHARD. Je ne sais plus si les 420 ou les 383 correspondent aux amortisseurs avant ou arrière ; j ai une bonne mémoire mais faut pas exagérer. J ’enfile le fil dans la rainure, le mène en butée, abaisse le levier et clac le fil est coupé et ainsi de suite pendant des heures. Après 1968 des étudiants iront travailler à la chaîne et dénonceront ce travail répétitif. Ils iront s "établir" et bien moi je suis bien dans ce boulot ; mes bras travaillent et j’’ arrive à m ’automatiser. Pendant que je produis, je pense à mes potes, à plein de choses agréables, je ne souffre pas de la répétition des gestes. Le soir, bien après onze heures de gymnatique des bras, j’ ai surtout mal aux fesses et aux jambes d ’etre assis.

Au bout d’un moment je lève la tête et tout en faisant mon boulot je regarde les autres qui s’ activent aussi. Je constate qu’ il y a énormément de femmes, des âgées, des femmes mûres, des jeunes et memes d ’autres qui sont un peu plus âgées que moi. Dans leurs blouses elles semblent sans forme ; malgrè cela j’ en trouve certaines jolies. Surtout cette fille brune et mate de peau qui tavaille de l’ autre cote de l’ allée à percer des embouts d’amortisseur en alu. Elle a dû sentir mon regard, pose ses yeux sur moi et esquisse un sourire ; vite je baisse la tête... une chaleur me monte aux joues, je dois être rouge de honte. Je poursuis mon boulot en évitant de regarder dans son coin.

Au centre de l’ atelier, en hauteur, trône une grosse pendule ; à midi, de nouveau le klaxon retentit. Tout s ’arrète soudain, on entend le silence.Pour peu de temps car les gens discutent ; les femmes avec leur voix plus hautes dominent. C ’est dans un brouhaha que je suis tout le monde aux lavabos pour me laver les mains .Ma mère m ’attrape au passage ; ses collègues lui demandent "c est ton fiston Marinette". "Qu’ il est mignon on le croquerait" ; de nouveau cette saloperie de rougeur qui m’ envahit, me trahit. Surtout que le petite brunette est présente. J’ entends les autres l’appeler MALIKA. Pour éviter cette gêne incontrolable, j’ arrive à mon poste de travail dix minutes avant les autres et je pars quand tout le monde a fini de se laver les mains sinon j’ ai droit aux quolibets et à des invites non dèguisées ; elle se jouent de ma faiblesse, les... Deux ans plus tard, il ne faudra plus me provoquer, les occasions ne manqueront pas ; il y a plus de 150 femmes dans l’atelier.

Le midi nous rentrons manger à la maison, beaucoup font de même ; les autres apportent une gamelle à plusieurs étages qu’ ils déposent le matin dans un grand bac collectif qui sert de bain-marie. Ainsi, ils peuvent manger chaud dans un réduit qui sert de réfectoire.

A 13H je suis déjà devant mon poste de travail depuis dix minutes ; le chef est déjà là, assis devant un vieux bureau en bois ; il doit faire les états de production ? Il vient me voir et me demande ce que je veux faire plus tard ; je lui reponds qu’à la rentrée je rentre au lycée technique. "Tu aimes donc la mécanique" ; la grimace que je lui renvoie lui fait comprendre mon incertitude. "Tu travailles vite et bien ; cet après midi si je trouve un moment je te ferai visiter tout l ’atelier" ; je le remercie. Il me montre que maintenant, les fils coupès doivent être coudés à chaque extremité afin de servir d’ attache à l’ amortisseur pour le comprimer : les deux coudes doivent être bien en face l’ un de l’autre pour tenir l’amortisseur. Il me fait la démonstration ; je fais un éssai devant lui. En avant, je suis parti jusqu’à 19H.

Cintrer les fils c’ est beaucoup plus long que les couper et en plus il y a deux opérations sur chaque fil. Au bout d ’une heure je suis devenu le champion du fil. J’apprendrai une semaine plus tard que je suis plus de deux fois plus productif que l’ ouvrière réalisant ce travail de cintrage habituellement. Ceci ne me rejouit pas du tout ayant conscience d’avoir cassé la cadence habituelle : je suis devenu un stakhanoviste .....

Vers 17H le chef mr CALVET (j’ ai appris son nom crié par l’ ouvrière qui est en face moi ; dans l’ usine pour communiquer, il faut crier j’ai gardé cette habitude qui me sera utile quand je serai formateur mais qui n’ est plus de mise aujourd’hui pardon pour vos oreilles) vient me chercher pour me faire visiter l’atelier. Nous commençons par le côté droit de l’allée centrale : LA FABRICATION. Au début, deux machines qui par compression hydraulique réalisent le filetage des tiges d’amortisseur. Ces tiges sont en acier dur chromées (acier MARTIN pour les puristes), deux femmes aux commandes ; ensuite une batterie de petits tours réalisant les pistons, les diaphragmes et autres pièces cylindriques composant le produit : toujours des femmes... deux ou trois fois j’ai dû piquer un fard sous leur regard.

Après les rectifieuses grosses machines ou les tiges passent entre deux meules pour obtenir la précision du diamètre et un état de surface parfait, là deux hommes crient leurs explications. Je ne comprends rien... je n’ai pas encore appris l’espagnol. Mr Calvet complète. Puis vient une batterie de perceuses ; rien que des femmes et MALIKA. Elle perce les embouts d ’amortisseur en alu ; c’ est dans le trou qu’elle a percé que vient se loger le crochet du fil de fer que j ai coupé et cintré (marrant non...?) ; c’ est MrCALVET qui m’explique cela. J’observe l’ ouvrière ; elle est magnifique, on dirait AVA GARDNER. Hélas, elle a au moins 20 ans ; devant ses grands cheveux noirs coulant sur sa blouse, je me sens tout emprunté .

Mr CALVET me sauve ; nous avançons ; plus loin une rangée de tours de décolletage. Je remarque la mixité. J’ apprendrai bien après que les hommes sur ces postes gagnent dix pour cent de plus que les femmes alors que ces dernières produisent vingt pour cent en plus. Je n’ ai bien sûr pas trouvé cela normal. M’en étant ouvert à Mr JOLIVET, le chef de la fabrication, ce dernier m’ a expliqué que le salaire des femmes était un salaire d’appoint..... QUE VIENT FAIRE LE MOT EGALITE SUR LE FRONTON DES MAIRIES ? Je ne lui ai pas dit comme ça mais presque quelques années plus tard lors d’une revendication sur les salaires. Il m’a répondu alors : "CE N’EST PAS TOI QUI VA CHANGER LE MONDE".

Ensuite nous arrivons sur des tours plus compliqués LES BESCHLER. Dans ces machines on introduit des barres d ’acier de six mètres, la machine décolte, usine et coupe les tiges d’ amortisseurs ; elles sont automatiques, conduites par des hommes ; les barres sont poussées par des contre- poids qui plongent dans une fosse d’ un mètre carré c’est impressionnant.

Nous sommes arrivés au fond de l’atelier ; il y a contre le mur des établis d’ ajusteurs avec leurs étaux. Soudain, je reconnais un pote du foot : GEGENE ( il a quatre ans de plus que moi mais nous avons souvent joué ensemble, à la FSGT, on n’ est pas toujours regardant sur les catégories d’âge). Nous nous saluons. A côté se trouve une autre machine plus compliquée ; la machine travaille seule et un homme assis sur un tabouret la surveille. MR CALVET me dit" un fraiseur et sa fraiseuse ici, il y a trois ajusteurs un électricien deux tourneurs, un soudeur et un fraiseur il y a des P1, des P2 et trois P3 "’(un ajusteur ;un tourneur, et un fraiseur). J’ apprendrai par la suite que le fraiseur est le mieux payé. Ces ouvriers dépendent d’un service particulier : LES ESSAIS. Ils sont chargés de l’ entretien, de la réalisation de l’ outillage et de la recherche. Ils sont sous les ordres des ingénieurs et du patron en personne.

LA HIERARCHIE

Tous les salariés sont alignés sur la convention collective de l’UIMM(union industrielle métallurgie et minière) comme RENAULT et c’ est un bienfait. Grace à notre puissante organisation syndicale et à nos combats nous obtiendrons bien avant les autres la quatrième semaine de congés et la retraite complémentaire ; pour ma modeste personne c’ est très loin ;mais déjà à quatorze ans je mesure les avancées.

Le salaire minimum de l’époque est nommé SMIG. Dans l’ entreprise, en bas de l’ échelle, on trouve les manoeuvres sur deux catégories : ceux qui balaient et ceux qui véhiculent les transpalettes.

Ensuite le gros du wagon les ouvriers spécialisés (O S)ils sont répartis sur trois échelons : OS1 .OS2.OS3. En premier, ceux qui effectuent un travail simple, ensuite ceux qui conduisent une machine, après ceux qui soit conduisent une machine plus compliquée ou dangereuse ou effectuent un travail de montage avec une difficulté. Après viennent les professionnels :P1 P2 P3.

Le salaire horaire va crescendo du manoeuvre au P3. A la fin de mon premier mois de travail je perçois (si je me souviens bien aux alentours de 30000 Francs). Je suis payé comme OS1 stagiaire. Les heures sont comptabilisées à la semaine je suis payé 120 Francs de l’heure pour les quarante premières heures, pour les huit suivantes jusqu’à la quarante huitième une majoration de vingt cinq pour cent et pour le surplus des heures de la semaine cinquante pour cent. On voit qu’à partir de la quarante neuvième heure je gagne 180 Francs par heure supplémentaire. Cela semble beaucoup d’argent mais en 1957 le général de GAULLE se morfond toujours à COLOMBEY et le nouveau FRANC ne viendra qu’après sa prise du pouvoir hélas.

Tous les 15 du mois le comptable descend dans l ’atelier et distribue à chacun une enveloppe en kraft contenant un accompte d’à peu près le montant net gagné dans ces 15 premiers jours. Le solde de la paye sera distribué le 5 du mois suivant avec le bulletin de salaire et règlé au centime près ; on entend dans les enveloppes tinter la cliquaille(en argot les pièces de monnaies). La distribution des payes se fait le plus près possible de la fin de la journée car bien sûr les gens s’ arrètent de produire pour vérifier et compter leur salaire ce qui coupe la production. Les contestations se feront ainsi après le temps de travail ; il faut dire qu’elles sont rares, les cartons de pointage ne permettant pas les litiges ; seules les erreurs de calcul soit sur les heures soit sur les charges peuvant se produire.

ERRATUM .Les patrons à notre époque nous rabattent les oreilles que les charges sociales sont trop importantes. Or il ne s’agit pas de charges mais d’ assurances protégeant les patrons et leurs salariés (assurances accident, maladie, indemnités journalières, retraite, chômage et la caisse d’ allocation familiale veritable prime à la reproduction de la gente ouvrière)

On peut seulement qualifier de CHARGES : la CSG et encore ROCARD qui l’a mise en place en avait fait un impôt de répartition ; en effet les bas salaires étaient au contraire réhaussés c’ est EDITH CRESSON qui tranformera cette juste mesure en impôt(ce qui amènera la démission du PARTI SOCIALISTE de JOSY ma femme)

Dernière vraie charge la RDS qui pèse sur les salaires les retraites les indemnités diverses alors qu’ il ne s’agit que de la faillite d’une banque le crédit lyonnais. Que sont devenus les responsables ? Les a-t-on sanctionnés sur leurs fonds personnels ou leur responsabilité pénale ? Comme le vante leur pub délirante : SI VOUS AVEZ BESOIN D’UNE BONNE BANQUE ? Il sont quand même gonflés ces gens là.

A chaque fois que j’entends parler de charges sociales je bondis. Ne me laissez pas seul, réagissez vous aussi. Il s’agit de notre équilibre social et du respect pour nos anciens qui ont lutté pour leur santé, leur dignité et leurs enfants ; REAGISSEZ.

Mr CALVET et moi continuons notre périple ; nous sommes revenus dans son aire de responsabilité et nous remontons par le fond de l’atelier. Un homme et une femme incrustent des tubes d’amortisseurs déjà peints du nom de l’entreprise et de la référence de l’appareil à l’ aide d’une machine . Ces tubes sont sortis d’ un container et redéposés dans un autre une fois gravés.

Ensuite, nous arrivons vers une série d’établis où des femmes garnissent des tiges d’amortisseurs avec des rondelles fines et rigides appelées clapets ; vient ensuite le piston alvéolé et de nouveau des clapets le tout fermé par un écrou poinçonné pour empècher son dévissage. Terminé cela resemble à une tulipe. Ces ensembles mécaniques sont amenés ensuite aux presses de montage.

Une équipe mixte est chargée de chaque presse de montage. L’homme debout place le tube sur la base d’une presse verticale ; la femme verse une pipette d’azote liquide ; vite l ’homme introduit le diaphragme avec son joint de caoutchouc ; un coup de presse et voila le tout au fond du tube ; ensuite il emplit d’huile à moitié le tube, introduit la tige tulipe et termine de remplir d’huile ; il place un premier circlips dans une gorge du tube, place le" bouchon" d’alu et le ferme par un dernier circlips . C’est fini, l’ amortisseur est monté. Vous avez compris ?

L’homme plonge maintenant l’appareil dans un seau d’eau et tout en montant un autre appareil, il jette un oeil pour vérifier si de petites bulles ne remontent pas du seau ; dans ce cas l’amortisseur est défectueux c’est un "fuyard". Toutes ces opérations s’effectuent en trois ,quatre minutes .Ces postes de travail sont de loin les plus pénibles ; les deux protagonistes sont aspergés d’huile rouge malodorante ; ils se protègent comme ils peuvent avec de vieux chiffons ; ils constituent le grattin des ouvriers spécialisés ils sont OS3.

Une fois assuré de son étanchéité l’ amortisseur va circuler sur la chaîne de montage. Il va être habillé d’un soufflet de protection ; ensuite vont venir les silentblocs(une coupelle un caoutchouc, une contre coupelle, une coupelle, un autre caoutchouc une contre coupelle ) tout cela bloqué par deux écrous ; ensuite sur une dernière presse compression de l’ engin et mise en place de mon fil de fer coudé. Vous savez maintenant tout des amortisseurs, de la fabrication au montage. Il reste encore à l’emballer ce qui sera fait dans une salle ou des femmes avec une dextérité qui laisse pantois forment des cartons prédécoupés pour y loger une paire d’amortisseurs avant ou arrière.Avez vous déjà plié un paquet poste ?Imaginez un double paquet poste.....

Je vais couper et couder mes fils de fer jusqu’à la fin du mois de juillet. L’usine ferme comme RENAULT pour les congés d’été ; nous reprendrons comme RENAULT dans trois semaines. La région parisienne est arrêtée, figée pendant cette période ; la métallurgie conditionne l’ activité de la capitale.

Je vais reprendre le boulot courant AOUT et je finirai juste avant la rentrée au lycée.

Quand nous reprenons en août, il fait une chaleur écrasante dans cet atelier ; les femmes travaillent en sous vètements sous leurs blouses ; chacun cherche des combines pour moins souffrir de la torpeur ; l’azote liquide (moins 250 degrès) aide à refroidir les boissons. MALIKA a trouvé une solution en relevant le carter supérieur de sa perceuse. La rotation des poulies amène un filet d’ air qui fait voler ses cheveux attachés sur sa nuque ; je jette souvent mon regard sur elle. En relevant mes yeux vers elle, je la vois courbée sur son tabouret ; d’ autres femmes l ’entourent, on l’ accompagne pliée en deux jusqu à l’" infirmerie". J’ai vu du sang sur son visage, elle semble pleurer. J’apprends par la rumeur ce qui lui est arrivé : en se levant de son siège pour changer de place sa caisse de pièces terminées, ses cheveux se sont enroulés autour de la poulie et elle a été littéralement scalpée ; pauvre MALIKA, je ne la reverrai jamais. Elle doit avoir quitté l’entreprise après son arrêt de travail.

Tout de suite bien sûr, est affichée l’interdiction de relever les carters de perceuses.

Je suis allé voir le compagnon fraiseur très intéressé par ce métier qui rapporte plus que les autres, semble moins pénible et ouvre la considération des autres. L’homme est très ouvert, il m’explique ce qu’il fait, me montre sommairement le fonctionnement de sa machine, me met en garde contre ses dangers et m’avertit de la complexité du métier. Il faut plusieurs années d’ expérience et dans des entreprises différentes pour acquérir un bon niveau professionnel. Tout le monde n’y parvient pas faute de rencontrer les difficultés les plus diversifiées du métier de fraiseur. Et encore il y a des spécialités(le moule,l’ outillage etc.)...

C’est décidé je serai fraiseur j’ignore encore que cette décision va m’obliger à travailler plus que les autres au Lycée technique, cette option fraisage étant réservée aux huit meilleurs de la quatrième.

Quatrième partie : chez Citroën

En cette année 1957, faute d’ouverture sur un projet de vie professionnelle je me projett sur une formation de métallo-fraiseur.

Ce métier fait partie du haut de gamme de la classe ouvrière professionnelle.

Les stratégies à mettre en place pour la réalisation des objets ( pièces) à réaliser sont multiples et développent un esprit de projection pour une réalisation finale privée de droit à l’erreur. Plusieurs ouvriers fraiseur deviendront des politiques de valeur, ne citons que Pierre Bérégovoy et Lula au Brésil et bien d’autres encore. Ce métier oblige à la raison.

Afin à parvenir à trouver une école de formation de fraiseur je fais une première tentative auprès de la SNCF employeur de Marcel mon beau-père fouettard !!

Je passe les épreuves de sélection mais c’est un véritable concours d’entrée, je ne suis pas reçu et c’est dommage car le centre de formation se trouve à La Garenne-Colombes – la Folie où je réside. Un copain de la cité cheminot Guy Hoguin a lui aussi passé le concours et a échoué. Il désire devenir comme son père dessinateur industriel et doit pour cela effectuer au préalable une formation de métalo. Nous apprenons, par quel hasard ?, que Citroën a sa propre école de formation professionnelle. Nous prenons contact et sommes convoqués pour une pré sélection dans le 15 eme arrondissement .

Nous sommes une trentaine de candidats à passer cette épreuve. Le couperet est très rapide après une heure d’attente nous sommes fixés. Guy reste sur le carreau. Nous sommes trois à sauter l’obstacle. Nous sommes convoqués pour le grand concours dans une salle de la mairie du XV eme une journée entière. Guy se remet en recherche du Graal ! A ce moment de ma vie je ne suis pas très lié avec lui, il ne fait pas partie de ma bande, sa famille est catholique pratiquante, il a fait sa communion et son père est plutôt CFTC et travaille dans les bureaux !!!

Dans cette salle de la Mairie du XV eme nous nous retrouvons à 800 pour passer la sélection finale. On nous parle par micro et des examinateurs parcourent les allées pour nous distribuer les feuilles d’exercices et assurer notre surveillance. La dictée au micro c’est un drôle d’exercice, heureusement j’ai une très bonne oreille. Les Mathématiques, Histoire et Géographie sont sur papier. A midi ma mère m’a préparé un casse croûte. Je croise des concurrents dans un square proche. Nous discutons mais le contact est difficile, personne ne se connaît, nous venons tous de la grande région parisienne, des « « parigots » comme moi, je suis né dans le département 75 la Seine, et des « paysans »de la Seine et Oise, Seine et Marne départements extra muraux en cette époque pré-gaullienne.

L’après-midi nous avons des épreuves plus techniques : géométrie-physique-dessins etc.….A 16 H je suis crevé de cette journée de concentration maximale, je reprend le métro direction St Lazare puis retour en train via la Gare des Vallées.

Les résultats seront communiqués dans la semaine qui vient devant la porte des Ateliers Citroën. La rentrée pour ces établissements privés est calée sur l’entreprise c’est-à-dire début septembre, nous sommes encore fin Août.

Je cherche mon nom sur la liste des 200 retenus et c’est dans la quatrième page que mon nom apparaît je suis 135 eme dans la section de formation professionnelle des tuyauteurs !!!!

Je vais fabriquer des tuyaux, j’imagine : pipes et collecteurs divers, pots d’échappement, châssis de 2 CV. Je suis desapointé, déçu, je reviens sur la liste seul les dix premiers sont dans la section fraisage ensuite viennent les tourneurs, les ajusteurs, les électriciens etc.….. Les derniers de la liste ont droit à une formation de sellier garnisseur.

De retour au gîte, déçu ma mère et Marcel tentent de me remonter le moral. Je suis tout de même 135 eme sur 800 après avoir été sélectionné à 3 sur 30 !! Cela ne me rassure pas mais ils réussissent à me convaincre de me présenter à la rentrée du lundi suivant.

Pour aller de chez nous à l’école avec train et métro plus parcours à pieds il faut 1H15 minimum. On embauche à 8 H, il faut donc se lever à 5H45 pour se préparer et aller pointer, car nous pointons à 7H50 et devons être en tenue de travail à 8H pile. Le soir fin à 18H, pointage long et encombré, se laver les mains, se changer bref retour au bercail vers 19H45. Mais ce n’est pas terminé car il y a des devoirs et des choses à apprendre. Pour un gosse de 14 ans c’est une grande amplitude et nous avons école le samedi matin. Le mercredi après-midi est consacré au sport dans un stade à l’opposé de la région parisienne à Bagnolet (deux heures de transport).

Ce premier lundi matin je me présente lesté d’un sac gonflé d’affaires et d’outils d’écolier mais avec en plus, bleus de travail et chaussures d’atelier plus un béret. Nous sommes regroupés par ordre de résultat au concours c’est-à-dire par section de formation professionnelle. Je suis dans le groupe des tuyauteurs. Je détaille mes compagnons, personne n’à l’air réjouit, la trouille noue nos ventres d’ados. Ici nous sommes à l’atelier, ce lieu sera notre lieu de résidence principal, les cours d’enseignement général se déroulent à plusieurs hectomètres dans des baraquements préfabriqués.

Nous sommes une douzaine de postulants tuyauteurs. Un moniteur nous est affecté, il s’agit d’un ouvrier professionnel qui est promu à la formation des jeunes, sans doute un poste très privilégié offert par la direction de Citroën à ses bons sujets.

L’atelier est immense, très haut avec des coursives. La lumière extérieure nous parvient des verrières situées sur le toit. J’aperçois des dizaines voir des centaines de tenues bleues. Nous sommes la première année, deux promotions nous précèdent. Nous sommes cependant les « bleus » les bizuts !!! Notre moniteur nous conduit à notre poste de travail. Pour cette première année tous les primo arrivants suivent pendant six mois le même cycle d’initiation ; un tronc commun.

Cela éveille en moi un espoir : si je suis à la hauteur pourrai-je remonter dans la hiérarchie metallo ? Mon expérience de stagiaire à l’usine d’amortisseurs me donne un avantage sur mes camarades, je suis à l’aise dans cette atmosphère industriel.

Notre formateur nous assigne à chacun une place devant un établi collectif côte à côte et face à face. Un treillage nous sépare de notre voisin d’en face. Un étau parallèle de mécanicien compose le poste de travail. Un grand tiroir dessous. Notre mentor va passer à chacun d’entre nous pour adapter notre taille physique par rapport à l’étau.

Notre bras plié vers le haut, le poing touchant le menton, le coude doit juste reposer sur les mors de l’étau. Et oui les amis notre métier comme tous les métiers possède un vocabulaire précis, on en découvrira d’autres au fil du récit. Je suis déjà plus grand que la moyenne, il faudra donc rehausser mon étau pour qu’il soit adapté à ma taille. Pour certains plus petits on leur mettra un caillebotis sous les pieds.

Cela fait, notre instructeur nous fait ouvrir le tiroir ou des outils et des instruments sont rangés chacun séparément avec soin.

Les outils : principalement des limes et un marteau – Les instruments : réglets, équerre d’ajusteur, pointe à tracer et pointeau, un chiffon, une queue de morue (ouais c’est un pinceau d’atelier ! )

Il nous fait sortir la plus grosse lime placée à gauche, nous devons la prendre dans la main et la brandir, il la nomme : une taille d’Allemagne… !! lime lourde d’ébauche à grosse denture, puis vient la bâtarde de 300 mm pour semi finition, la bâtarde de finition, la demi ronde et la queue de rat !!!!

Par la suite nous aurons droit à un inventaire des instruments avec une explication sur leur utilisation.

Certains d’entre nous sont ébahis, ils découvrent ce que seront leurs instruments de tortures (ampoules, coupures etc. …)

Il remet à chacun une grosse pièce d’acier formant une équerre de 4 cm d’épaisseur sur 15 cm de long et 8 cm de hauteur.

Soudain un énorme coup de klaxon résonne, nous surprend. Je regarde ma montre il est 10 H. C’est la pause générale. Nous sortons un peu anxieux. Les deuxièmes années sont dans une grande cour avec nous la bleusaille. On essaie de lier contact avec les anciens. Ils nous charrient, un d’entre nous particulièrement perturbé par ce qui nous attend demande ce que nous allons faire avec le morceau d’acier qu’on nous a distribué avant la pause. Le type lui répond hilare « les jeunes vous allez en baver il faut réduire cette pièce en limaille, il ne doit rien rester et c’est ceux qui finiront les premiers qui auront les meilleurs notes »

Plus tard devenu moi-même formateur j’étudierai cette forme pédagogique que nous identifions comme pédagogie de l’échec. On lance l’apprenant sans consigne dans une exécution répétitive et traumatisante avant de donner des instructions permettant d’accéder à la réussite.

J’ai repéré les sourires moqueurs de ces potes de seconde année. Je suis dubitatif ils nous enfument ce n’est pas réaliste de nous faire limer jusqu’à épuisement de la matière. Je décide de ne pas me jeter dans le massacre de mon équerre d’acier. Malgré ma courte existence j’ai déjà rencontré ce type de comportement de malveillance auprès de primo arrivants. Je suis sur que ces bizutés reporteront les mêmes méchancetés l’année prochaine sur la génération suivante. Partout ce système perdure et se transmet à l’école, à l’armée, à l’université, dans l’entreprise, en politique. Je lutterai toujours contre ces humiliations !

Nouveau coup de klaxon, retour à l’établi au cours du parcours la rumeur va bon train (la rumeur immonde et perfide que je rencontrerai plusieurs fois au cours de mon existence, dans la vie de groupe, comme dans l’armée, le monde professionnel, la prison etc.…)

Dés la reprise notre responsable nous met à la tâche sans explication. Je regarde ma pièce de ferraille et constate qu’elle a été usinée grossièrement à la fraiseuse. Je distingue bien les rayures circulaires de l’outil de fraisage déjà rencontrées à l’usine d’amortisseurs. Je réfléchis, je sors de mon tiroir la bâtarde demi finition et je m’attaque à effacer le plus précautionneusement possible les traces de la machine outil.

Un coup d’œil à droite, à gauche, devant, je vois mes collègues qui ont pris en main la taille d’Allemagne et s’activent à grands coups de bras. Nous sommes en été, beaucoup transpirent à grosses gouttes sous le béret enfoncé jusqu’au front.

Notre maître lui est assis à un petit bureau en bois, il remplit des papiers, trace des lignes avec une règle sur un cahier, sans doute cela nous concerne.

Parfois il jette un œil furtif sur nous et se replonge dans ses papiers.

A midi nouveau coup de klaxon : le repas. Vestiaires collectifs pourvus d’armoires individuelles avec le cadenas que nous avons amené dans notre paquetage. Un lavabo collectif recto verso permet à une vingtaine d’apprentis de se laver les mains à l’aide de pâte à savon.

Les mains propres, toujours en tenue nous sommes conduits vers le réfectoire avec le ticket que l’on nous a remis après la pose du matin. C’est une sorte de self, nous avons droit à l’entrée, le plat chaud, fromage et dessert, très bien nourris. Nous mangeons avec les ouvriers de la production des ateliers citroen du lieu. Nous pouvons acheter des aliments en supplément pour quelques centimes de franc (le prix est dérisoire).

Repas rapide, pause dans la grande cour, prise de connaissance, quelque chose me dit que j’ai bien flairé le coup.

13H30 retour à l’atelier. Réunion générale, notre moniteur nous demande de venir avec notre pièce. Je vois que certains ont même attaqué par les arêtes de leur morceau d’acier, pensant limiter l’effort exercé en diminuant la surface de travail. Dans le vocabulaire technique ils ont réalisé des chanfreins sur toutes les parties saillantes de leur pièce. Notre responsable examine toutes nos prestations, prend des notes sur chacun d’entre nous sans aucunement montrer de sentiment.

Revenant à nous il nous explique enfin ce qu’il attend de nous ! Il veut que nous réalisions sur cette épaisse équerre une face plate sur la partie la plus longue. Bien sur pour la plupart d’entre nous c’est la première fois que nous utilisons une lime. Il nous montre le geste, la façon de se poser, la technique de limer en croisé pour plus d’assise, la souplesse du corps.

Moi je n’ai pas limé avec technique mais je n’ai pas non plus massacré la surface quasi plate réalisée par la machine outil. Il nous montre comment contrôler la planéité avec le réglet et l’arête de l’équerre. Il nous renvoie à nos étaux en nous conviant à venir lui présenter nos prestations.

Le lendemain matin nous serons en instruction générale avec un autre référent. Dans le courant de l’après-midi après la pause je viens lui présenter mon ouvrage, il regarde avec l’équerre en long, en large et en travers la surface de ma pièce, il observe aussi si les traits de fraisage ont disparu. C’est bon dit-il, maintenant tu dois sur la face en forme d’équerre réaliser la même planéité mais aussi être d’équerre avec le champ que tu viens de réaliser !

Vous avez tout compris ? Moi j’ai tout de suite compris sa consigne. Avec les dégâts qu’ils ont commis, mes collègues tuyauteurs n’auront pas atteint la première face plane à la fin de la semaine….

Il note tous nos faits et gestes sur ses feuilles. Comme je suis en avance sur le groupe il vient me donner des exercices : mesurer le plus précisément possible avec mon réglet des pièces de différentes formes, et des pièces cylindriques. Il me donne des lunettes de protection et je dois réaliser sur un barreau cylindrique un cône à 90°. Tout le monde passe à ce type d’évaluation à un moment ou à un autre. A chaque exercice il note la prestation. Les repas du midi sont collectifs avec les ouvriers metallo. Faute de place je dois m’asseoir pour manger entre deux types, pour moi des vieux, ils ont au moins 40 ans. Ils sont sympas, me traite comme un collègue malgré mon âge, ils bossent à la chaîne sur des boîtes de vitesses. En passant par le réfectoire nous traversons un hall où il y a des affiches syndicales j’identifie tout de suite la CGT,FO,et la CFTC mais une autre affiche plus imposante avec un sigle inconnu retient mon attention. Le lendemain je recherche la compagnie de mes deux anciens et m’étant installé près d’eux je leur demande dans la conversation que représente cette affiche syndicale.

L’un deux me répond avec une moue dubitative « ça c’est le syndicat maison »Le soir au bercail j’en parle à ma mère et à Marcel, eux non plus ne connaisse pas ce syndicat. Marcel immédiatement réagit : « cela doit être le syndicat des jaunes », dans ma petite tête de Komsomol je comprend que c’est le syndicat des collabos de l’entreprise.

Le lundi suivant tout de suite à mon arrivée, avant de pointer mon moniteur m’approche et me dit de rester en tenue de ville, deux autres moniteurs sont là aussi avec deux autres jeunes recrues comme moi mais appartenant à d’autres sections de formation. « Attendez ici, Monsieur le Directeur veut vous voir » Je ne suis pas à l’aise me demandant quelle connerie j’ai pu faire. On nous conduit au bureau du grand directeur, un type très important chez Citroën, mes jambes flagellent, les deux autres doivent être dans le même état. Quelle engueulade par ma mère et Marcel je vais déguster ce soir.

Un homme âgé, cheveux blancs et costume cravate, ce qui est rare dans ce lieu nous reçoit. Plutôt avenant je sens tout de suite le personnage important. « Asseyez vous jeunes hommes « des fauteuils tubes chromés et molesquine nous tendent les bras. Je me dis que cela ne doit pas être si grave, sinon il nous aurait laissé debout. Sa première question « Que pensez-vous de votre première semaine chez nous ? » Mes deux collègues répondent bien sur qu’ils sont contents. Que puis je faire d’autre ? Mais moi je lui dis aussi que je suis déçu par mon orientation due à mon rang au concours, j’aurai aimé être fraiseur.

Il me répond que les places sont limitées dans la formation d’usinage. Cependant pour nous trois la première semaine de formation a révélé que nous pouvions bénéficier d’autre chose plus intéressante. « Vous allez être accompagnés à l’usine de St Ouen par un moniteur en métro. Je vous rejoins sur place ». Lui bien sur bénéficie d’une voiture Citroën maison, nous on prend le métro avec un moniteur que l’on n’a jamais vu. Pendant le voyage en métro on essaie d’en savoir plus mais le bonhomme n’est visiblement au courant de rien.

A l’usine de Saint Ouen drôle d’impression, c’est vraiment différent de celle du 15 ème . On nous fait entrer dans une grande pièce avec de beaux lambris, un vrai musée avec des statuts en bronze magnifiques. Nous admirons ces chefs d’œuvre. La porte s’ouvre et notre petit monsieur Directeur arrive « Alors jeunes gens que pensez vous de tout cela ? »Il voit bien que nous sommes en admiration et touchés par le lieu.

Il nous propose alors de quitter nos sections professionnelles pour une formation de fondeurs mouleurs. Dans ma petite tête je me dis fabriquer des œuvres pareilles ce doit être encore mieux que fraiseur. Remarquant notre intérêt il nous convie à le suivre au moulage et à la fonderie. Les ateliers sont sombres, cela sent mauvais, des creusets remplis de métal en fusion jettent des étincelles. Je ne suis pas très rassuré.

Il nous fait voir le résultat de la production moulage fonderie : des blocs moteurs et boîtes de vitesses des 2 chevaux….Moi qui m’imaginai fondre des « RODINS « Il voit notre déception et nous reconduit dans la salle musée pour nous faire entrer dans un bureau cossu avec cette fois des fauteuils en cuir. Intimidés et déçus nous prenons place. « Jeunes gens ici nous avons besoin de cadres, je vous fais la proposition suivante : vous êtes en apprentissage de mouleurs fondeurs pendant trois ans et à votre sortie vous êtes chefs d’équipes à 17 ans. A votre retour du service militaire vous serez contremaîtres, de plus vous percevrez une petite indemnité pendant votre formation. Tout cela je suis prêt à le signer par contrat avec vous et vos parents, parlez-en chez vous ce soir. Sachez que c’est une proposition très avantageuse par rapport aux autres apprentis de toutes nos formations ».

Retour en métro à Vaugirard dans nos groupes respectifs.

Le soir j’en parle à la maison. Marcel semble emballé lui qui est ouvrier chaudronnier à la SNCF. Il dit chef d’équipe à 17 ans c’est tout de même bien.

Ma mère qui à travaillé chez Hutchinson dans le caoutchouc est beaucoup plus réservée et dit « moi je pense que fraiseur c’était quand mieux « Je dois donner la réponse au directeur la semaine prochaine.

Je rencontre les copains de la cité et mon pote Guy qui me dit être sur une piste au collège Vauban à Courbevoie où il y a des formations de fraiseurs. Il faut prendre rendez-vous avec le Surveillant Général monsieur Gergaud. Rapide comme l’éclair j’y cours, je rencontre le surveillant général et lui explique mon cas. Il me fait passer une évaluation que je réussie sans problème (n’oublions jamais qu’au royaume des aveugles le borgne est roi comme dit ma grand-mère Catherine).

J’en parle à la maison, j’évoque l’amplitude de la journée chez Citroën, fondre des moteurs de 2 CV cela ne fait pas rêver. Ma mère en convient. Le lundi je demande à voir le directeur et lui fait part de ma décision de démissionner. Il regrette, me disant que l’entreprise Citroën offrait des plans de carrières. Ainsi s’achève notre aventure Citroën bien que cette marque d’auto a souvent été ma préférée.

Cinquième partie : Au lycée Vauban pendant la guerre d’Algérie

Monsieur Gergaud m’a bien prévenu, je rentre à Vauban mais je dois me battre pour entrer en formation de fraisage car il n’y a que 12 places et peut-être 200 postulants !

Vauban : l’établissement se situe sur deux sites, rue du château du Loir et rue Lambrecht pour cette partie de tronc commun. Pour la première session du tronc je fais une période d’un mois en ajustage. Je suis conscient qu’il va me falloir faire des efforts, m’accrocher pour aller en fraisage à l’issue du tronc. Je viens d’effectuer déjà deux semaines chez Citroën dans ce domaine. Là pas de pédagogie de l’échec mais de l’initiation au geste, j’apprends à manier la lime bâtarde, à limer en large, en long, et en croisé, toujours attentif à utiliser la partie bombée afin de ne pas faire des tombées en haut des pièces. J’aurai 16 de moyenne à la sortie de cette session, la meilleure note possible. Un bon point pour l’orientation fraisage. Mon professeur Monsieur Le ny a effectué la croisière automobile Citroën en ses tendres années. J’ai bien accroché avec lui, un type plein de rigueur mais juste.

Ensuite période menuiserie que je passe sans encombre mais sans enthousiasme.

Vauban c’est 3 kilomètres aller de chez moi dans ces années où la marche ne nous fait pas peur. Le midi je mange dans une cantine bruyante où je suis confronté aux plus âgés et un fait divers ou un « grand » veut me piquer ma côte de porc, je lui serre le poignet, il insiste, alors je remonte mon coude brusquement ce qui lui procure un saignement de la lèvre inférieure. Il est surpris qu’un gosse de 14 ans résiste à un autre de 16 ans ! Ma réputation est faite, il ne faut pas me chatouiller ! J’écope du renvoi de la cantine, je marcherai donc 12 kilomètres par jour, mais j’y gagne sur la qualité de la nourriture.

Vient une période en tôlerie qui se passe très bien. J’apprends les tracés de développés, à souder par point, à former des tôles minces.

En formation générale je survole grâce à mes acquis. J’ai de très bons résultats.

Pendant cette période est relancé le sport par l’ASSU. Le sport c’est mon « dada » plutôt hand que basket. Je m’inscris toutefois au basket pour rejoindre mon pote Guy qui lui y excelle. Une saison dans l’équipe de l’école ou de par ma taille je suis récupérateur sous le panier, dès que je prends le ballon je le balance en avant où mon pote Guy avec son bras roulé concrétise les points. Je suis heureux de jouer, mais le basket n’est pas mon truc.

Monsieur Gergaud le surveillant général m’a repéré et m’a à la bonne cela va me servir !

Période moulage, bingo comme chez Citroën je suis confronté au moulage sablage. J’assure le minimum, nous coulons des poignées, des leviers en alu, j’ai bien fait de fuir Citroën, je me serai emmerdé toute ma vie !

Dernière du tronc : la forge. J’ai aimé travailler le fer rouge, changer sa forme, sa section, faire du rond, du carré, cintrer, souder aussi par fusion. Là comme partout nous sommes attifés d’un bleu de chauffe et d’un béret. C’est dans cette période que je vais friser la correctionnelle. Un copain de mon groupe avec qui je n’ai jamais eu d’atomes crochus et même quelques accrochages passe derrière moi pendant que je martèle le fer rougi sur l’enclume, il m’arrache mon béret et le jette dans la forge. Révolté par un tel acte je me jette sur l’agresseur et le projette dans la forge, attisée par la ventilation sa montre tombe dans la foyer. Il faudra plusieurs copains et le prof pour me faire lâcher l’indélicat. En plus de sa montre il est brûlé au bras et son bleu de travail est cramé ! Je reviens au calme mais l’affaire est grave. C’est l’exclusion assurée, adieu fraisage.

Heureusement un autre prof a vu toute la scène et vient témoigner que je suis le premier agressé. En conseil de discipline devant monsieur Gergaud il explique l’affaire. Comme je suis bon élève et que monsieur Gergaud me connaît bien je n’écope que de trois jours d’exclusion ainsi que mon agresseur. Je sais maintenant que confronté à un évènement abject ou insultant je suis capable de tuer. Je pense d’ailleurs ne pas être le seul dans ce cas.

Cet incident sera déclencheur pour toute ma vie de mon opposition absolue à la peine de mort.

1958 fin du tronc commun en fonction de notre convoitise et de nos résultats nous sommes orientés ver la formation professionnelle. Pour moi malgré mon écart à la forge ce sera le fraisage.

Pendant cette année 1958 je vais être confronté à des évènements divers.

13 Mai 1958 Avec marcel et ses copains CGT et communistes nous sommes allés porter la contradiction au Général de Gaulle place de la République. J’ai 15 ans mais je cours vite. Nous avons des pancartes contestataires fixées sur un gros manche en bois. Nous désirons nous faire entendre, nous sommes nombreux les boulevards grouillent de monde. En face de nous la garde mobile avec ses boucliers et ses triques. La place de la République est à tout le monde, mais nous est interdite par des barrières, seuls ceux qui ont un laisser passer sont filtrés pour entrer et écouter le général. Nous aussi nous voulons être entendu. La garde mobile s’agite et se met à nous charger lentement d’abord, puis au pas de course. Marcel me dit « il faut se tirer « Nous cavalons, je me retourne, ils arrivent, je croise à ce moment là un vieux monsieur qui vient visiblement de faire ses courses, il tient à la main un sac à provisions fait de petits morceaux de cuir boutés et cousus, son pain dépasse du sac. La horde policière arrive sur lui, je vois tout, il est couché d’un coup de matraque. Nous sommes écoeurés avec Marcel et ses potes. Nous les insultons, ce type n’était qu’habitant du quartier. Nous nous regroupons avec nos pancartes à gros manches. Les militaires s’arrêtent eux aussi, nous nous faisons face. Soudain des pots de fleurs tombent des étages sur les têtes casquées, cela tombe de partout. Braves parisiens ! Les flics refluent, nous nous rentrons chez nous. C’était ma première manif, d’autres viendront !

A Vauban la sélection orientation est pyramidale, en haut les fraiseurs, puis les électriciens, viennent ensuite les tourneurs, les ajusteurs et puis les autres sections. Les élèves en difficultés d’apprentissage vont combler les sections déficitaires.

Ma section est nommé 1C3, nous sommes 12 apprentis fraiseurs et 12 tourneurs en ce qui concerne la formation générale et les activités sportives. Cette période fin 1950 et début 1960 est marquée sur la région parisienne par un climat d’insécurité : la répression anti-maghrébine et la lutte sanglante que se livre les deux mouvements de libération Algériens le MNA et le FLN.

Les commissariats sont barricadés avec des sacs de sable. Les ponts sont sous surveillance armée, la police à peur et beaucoup ont la gâchette facile. Ainsi un bon copain du nom de Léger qui faisait le tronc commun dans mon groupe va en faire les frais ! A Argenteuil où il habite un soir avec ses potes en rentrant du ciné ils s’amusent à sauter les poubelles sur les trottoirs, les flics les interpellent, les mômes se cavalent, un flic tire, notre copain est abattu d’une balle dans le dos.

A cette nouvelle Gergaud réunira tout le collège et nous observerons une minute de silence en mémoire de ce si brave copain si plein de vie. A cette époque la cellule psychologique reste à inventer !

Je vais être confronté à cette période de violences un soir d’hiver (entre 18H30 et 19H) passant avec des copains vers le passage à niveau derrière la gare des Vallées se tient un café arabe, nous parvenons à sa hauteur sur le trottoir opposé, longeant les barrières bétonnées et ajourées SNCF hautes de 90 cm à 1M et surplombant la voie ferrée 5 à 6 mètres plus bas. Soudain une traction avant s’arrête devant l’établissement et immédiatement c’est la pétarade. Sans se consulter avec un réflexe de survie nous sautons les barrières et nous couchons accrochés au versant herbeux. Des vitres tombent, ça crie, nous sommes transis de peur. La voiture redémarre, cela n’a pas duré une minute ! Nous avons vraiment la pétoche, les jambes tremblent, nous restons ainsi peut-être plusieurs minutes, puis nous repassons les barrières plus loin après avoir rampé. Nous ne nous parlons pas, nous franchissons le passage à niveau ouvert et nous entendons la sirène du car de police de Bois-Colombes qui se rend sur les lieux. Plus loin nous convenons de ne pas en parler aux parents qui nous empêcheraient de sortir la nuit tombée. Il s’agit d’un règlement de compte entre les deux mouvements Algériens.

Pour moi cette année 1958 celle de mes 15 ans est marquante en évènements multiples. La Coupe du Monde de Foot en Suède. Avec trois salaires à la maison nous avons déjà la télé. Une petite télé de 43 cm de diagonale en noir et blanc bien sûr !Je vais voir Kopa, Fontaine, Piantoni et leurs équipes : en demi-finale contre le Brésil je découvre le jeune Pelé, nous perdons le match en jouant à 10 contre 11 après la blessure du capitaine Jonquet. Dans ces années là il n’y à pas de remplacement de joueur. Nous obtenons la troisième place en battant l’Allemagne dans la petite finale. J’ai eu la chance de voir tout cela en direct à la maison.

Je retrouve l’usine d’amortisseurs en Juillet pour participer au fonctionnement familial. Le produit de ma paye m’était bien sur intégralement confisqué. Certains de mes potes font aussi des petits boulots, Guy ramasse les tickets voyageurs à la sortie du quai à la Gare Saint-Lazare. D’autres jouent dans la cour de la cité. Peu de filles se montrent, elles sont gardées dans les appartements à l’écart des petits voyous que nous sommes. Des moments de bonheur, le ciel est bleu sur nos vacances près de Cannes à Mouans Sartou mais les nuages sombres arrivent.

En septembre rentrée à Vauban avec l’équipement complet bleus et bérets, tenue de sport, classeur, cahiers plus le pied à coulisse. Ce dernier coûte très cher, je suis équipé d’un vieux Roch suisse au 50 ième appartenant à Marcel, mais l’instrument est fiable pour travailler à 5/100 de mm. Le plus gênant c’est le matériel de dessin, la planche, le té, l’équerre, les règles plates graduées, les compas tout cela protégés dans un carton que je coince sous mon bras et que je ne peux maintenir qu’avec mes dernières phalanges bras tendu, c’est dire si c’est mal commode ; 2 séances par semaine avec 12 kilomètres et c’est l’horreur quand il pleut.

Notre prof de fraisage se nomme Chamberlain, nous le surnommons « parapluie » normal non ? Bon prof, patient, exigeant, juste. 2 ans avec lui ça ira. Le parc machine est divers et varié, à part une toutes les fraiseuses sont universelles (têtes inclinables gauche/droite et avant/arrière) de marque divers : une Rouchaud, deux Alcera, trois Dufour, quatre Gambin, une Cincinatti, et deux Somua.

Nous allons passer alternativement sur tous ces types de fraiseuses. L’atelier est très grand. D’autres fraiseuses, des dizaines de tours, quelques rectifieuses et un enclos réservé au magasin général et à l’affûtage des outils et des fraises. Nous avons reçu chacun cinq jetons en alu numérotés pour retirer des magasins nos outillages nécessaires à l’usinage des pièces qui servent à notre formation. Nous travaillerons souvent de la fonte, matière dure, friable et carbonée, ce qui nous rend les mains noires comme les mineurs. Avec Guy nous sommes les meneurs du groupe, nous avons de l’ascendance sur les autres qui sont plutôt introvertis. Notre apprentissage va se dérouler sans encombre.

A la rentrée de Septembre Marinette, ma mère est convoquée comme chaque année avec ses collègues à la Médecine du Travail afin de passer la radioscopie du thorax. Le médecin diagnostique un foyer infectieux aux poumons. Radiographie à l’hôpital, puis hospitalisation en urgence à l’hôpital Foch de Suresnes. Elle va y rester 8 mois pour ensuite partir dans un sanatorium au Plateau d’Assy en Savoie où elle va rester de longs mois. C’est la catastrophe familiale, d’abord financière, la smala est endettée (meubles télé équipements divers car nous avons aussi une machine à laver) Le salaire de ma mère est de loin le plus conséquent. A cette époque la mensualisation reste une utopie et il va falloir se contenter des indemnités journalières de la Sécurité Sociale. Rendre visite à ma mère régulièrement cause des frais, heureusement que nous ne payons pas le train.

Je vais être obligé d’aller faire des heures d’attente dans la cabane en bois servant de siège à la Sécu dans la cour de la Mairie de La Garenne-Colombes pour percevoir avec procuration les indemnités journalières de ma mère. Pour les rapports humains, ma mère régulait quelque peu mes relations avec Marcel, son absence va libérer ses instincts brutaux, surtout le soir après son boulot et ses trois ou quatre litrons de rouge ingurgités dans la journée ! A l’usine d’amortisseurs un collègue de ma mère, tient un camion de distribution de presse le dimanche devant la gare de la Garenne. Son fils avec un vélo, la roue avant surbaissée pour laisser place à un grand porte bagages fait la tournée de la sortie des cinémas Garennois à la fin de la séance en soirée. Un circuit de plusieurs kilomètres avec en apothéose un dépôt au tabac perché en haut de la côte du cimetière. C’est lourd 200 « canards » posés sur la roue avant, il faut du mollet, d’autant qu’il n’y a pas de dérailleur. La roue arrière étant équipée juste d’un frein moyeux. Le plus dur c’est quand il pleut, il faut protéger le papier. Le patron me propose de remplacer son fils partant pour l’Algérie. Il me donne cinq francs par journal vendu, le journal coûte à la vente si j’ai bonne mémoire 50 F. En plus il y a des clients individuels à qui je jette le journal dans la boîte à lettre, ils règlent au mois. J’accepte bien entendu la proposition. U n motard avec side-car doit me livrer les 200 exemplaires devant chez moi à 19 H précises.

La première tournée avec le fils du patron me paraît sympa, il fait beau en ce mois d’Octobre 1958. Il s’est renseigné le matin de l’heure de sortie des cinoches. Trois sont à assurer : le Voltaire, le Palace et le Casino. La marge de temps est faible, une demi heure à peine, il ne faut pad chômer. Quand la foule gicle par les portes je crie sous ma casquette de presse « La dernière, demandez la dernière ! » J’ai un genre de tablier ou j’encaisse monnaie et les billets. Les clients ont l’habitude ils font la queue pour avoir les dernières nouvelles. Après le Voltaire, vite au Palace, là même scénario, je crie, je distribue, j’encaisse. Et vite au Casino là encore une bonne moisson. Ensuite il est presque 20 H je monte au tabac du cimetière et je compte le nombre d’exemplaires restant que je laisse au bistrotier. Le patron passe vers 23 H à la fermeture pour encaisser la vente. Les invendus s’appellent des « bouillons « Je ne perçois rien sur la vente du tabac du cimetière, cela fait partie du boulot. Ensuite je redescends à la camionnette du patron et nous faisons les comptes.

Ce premier soir le fils du patron m’abandonne sa gratte ! Pour 1H30 de boulot j’ai du gagner pour ce coup d’essai entre 500 et 600 F c’est considérable, un ouvrier doit être payé à cette période 200 F de l’heure. Rentré à la maison je pense m’être fait un peu d’argent de poche. Que nenni, le Marcel m’attend et me déleste du pognon en guise de participation au ménage.

Déçu je gamberge : vais-je trimer comme un fou tous les dimanches pour des guignes !

Je réfléchis ! Les sept ou huit clients réglant au mois me doivent leurs achats c’est donc là que je peux faire une partie de ma gratte, car moi je suis à jour à l’encontre du patron.

Je pense que je peux améliorer la vente en criant les titres à la une, ce qui devrait attirer d’autres clients. J’ai donc une bonne marge de progression. Je me torture l’esprit pendant la semaine afin d’améliorer mon bénéfice (en 2013 nous dirions agrandir mes parts de marché !)

Pour garantir ma sécurité je décide de donner un exemplaire gratis au poste de police situé face au cinéma le Palace. Je me fais pote avec les « hirondelles «  ! Il faut aussi se faire pote avec les responsables des cinémas afin de mieux caler les horaires chaque dimanche. Je leur donne un numéro gratuit réglé par moi. Ils ne seront d’ailleurs pas en reste avec moi, car ils me feront profiter du cinoche gratuit à la séance de l’après-midi. Je vais donc au cinéma chaque dimanche en fonction de mon intérêt pour le film projeté dans les salles. Au bout d’un mois j’ai notablement amélioré mon revenu, je passe à 1100 voir 1200 F par dimanche. Le Marcel il est malin, mais moi aussi. Avant de poser mon vélo au garage j’ai trouvé une planque dans le calfeutrage des tuyaux de chauffage de l’immeuble et bien sûr je fais fluctuer à chaque fois ce qu’il me reste à lui remettre entre 600 et 700 F. J’ai trouvé une bonne combine pour acheter mes cigarettes P4. Cependant quand il pleut qu’elle galère ! Je vais faire ce boulot jusqu’au retour de ma mère. C’est l’âge d’or de la presse papier, cela a bien changé !

Avec cet argent, je vais aussi avec mon copain Guy m’inscrire au club de boxe de la SNCASO (usine d’aviation). Le prof nous initie à frapper dans des sacs de cuir remplis de sable. Directs, crochets, uppercuts et swings font partie de notre bagage technique initiatique. Saut à la corde (il s’agit d’une lanière de cuir) et combat mimé devant une glace. Quelques rounds sur le ring servent d’application avec casque de protection. Nous avons dans le club le champion de France professionnel Maurice Mols. Comme beaucoup de poids lourds il est un peu ventripotent et rondouillard. Il doit bientôt remettre son titre en jeu et bien sûr perdre du poids, et retrouver la condition physique. Nous nous succédons sur le ring pour lui redonner du fond. Il doit retenir ses coups, l’objectif c’est le regain de forme. Nous faisons un round (3 minutes) à tour de rôle. Mois je pèse 60 K, je suis classé super léger, quand vient mon tour je me déplace autour de lui, je virevolte, ma garde haute pour me protéger. Au bout de deux minutes il est en nage surtout dû aux sparings partner précédents. Il lâche un direct pan dans mes gants, mais son quintal au bout du poing est largement suffisant pour m’étendre, pour le compte je suis ko. Le professeur l’engueule. J’ai du mal a retrouvé ma lucidité. Plus jamais je ne retournai à la salle de box. Je ne serai jamais champion du monde !

En 1959 dernière année à Vauban la formation fraisage suit son cours. Nous avons un nouveau prof de gym monsieur Hallaire, énorme 1,95 cm, au moins 100 kg. Il joue au rugby, seconde ligne au PUC en première division et sera même sélectionné en équipe de France. Bien sûr il veut nous initier au ballon ovale, mais à ce moment là Guy et moi nous évoluons dans l’équipe de Hand Ball de l’école. A bientôt 17 ans je suis déjà étoffé 1m75 et près de 70 kg. Il nous remarque et essaie de nous attirer vers son sport lors d’une séance de gym. Il divise notre section en deux et se mets dans l’équipe des plus faiblards. Il faut se passer la balle en arrière, mouvement technique pas facile à acquérir pour les handballeurs que nous sommes. Mais malins comme des singes nous parvenons à passer l’adversaire et marquer l’essai à 3 points. Un peu vexé avec sa bande de bras cassés, il prend le ballon sous le bras arrive sur Guy et d’un coup de main sur le front de mon pote, il le fait décollé de terre. Guy se retrouve les quatre fers en l’air sur l’aire de jeu caillouteuse. Il arrive sur moi tel Obélix sur le romain, il va me pulvériser ; d’autant qu’il est maintenant lancé. A son passage je me penche sur le côté et je lui lance un grand coup de pied au dessous du genoux, il s’étale lourdement de tout son long, écorché partout et les deux genoux amochés. Il se relève furieux, m’agrippe, pose ses mains sur mes deux épaules et me soulève de terre, me triture les trapèzes en me disant « Courbot je vais te tuer » Misère je ne peux plus bouger la tête pendant huit jours.

Le vendredi matin à la piscine de la Jonquière, en maillot de bain, tête encore rigidifiée je constate que je l’ai bien arrangé, ses genoux sont tuméfiés, il ne pourra pas jouer avec son équipe pendant 2 semaines. Trois ans plus tard je le retrouve en bas de chez moi en tenue militaire du bataillon de Joinville, il va au stade de Colombes assisté à un match de l’équipe de France. Il y a 5 bornes au moins à se taper, les jours de match les transports en commun sont inaccessibles, je lui propose de l’accompagner avec mon scooter. Quand il grimpe sur la selle biplace. Le Lambretta gémit, s’écrase, nous roulons au ras du sol, suspensions comprimées à fond. Le pauvre Lambretta, cela le change de la légère Josy, il peine, il souffre. Nous assistons au match ensemble, il sait maintenant qu’il m’a convaincu car je suis rugbyman comme lui, et je sais aussi que l’on ne fait pas de croche patte de ce type dans notre noble sport.

Début 1960 Marinette revient à la maison. En petite forme elle reprend le boulot à mi-temps au printemps. Déçue par le peu de contact et soutien de ses camarades communistes pendant sa longue maladie elle se met en retrait de ses activités militantes. Marcel est ravi, les finances vont s’améliorer.

Je dois passer le CAP au mois de mai. Je sais que je peux maintenant manœuvrer correctement une fraiseuse. Je peux réaliser des pièces assez compliquées mais je suis très conscient d’être un débutant et qu’il me faudra du temps et de l’expérience pour devenir un compagnon accompli. Ma petite expérience de métallo m’a démontré que certains professionnels n’y parviennent jamais.

Le jour du CAP, passé bien sûr dans un autre établissement de Paris intra muraux, je suis victime d’une entourloupe : la tête de ma fraiseuse est inclinée d’un demi degré, ce qui est un piège. Je ne connais pas ce type de machine Sagem. Mais à la première opération sur une pièce en fonte je vois le dégât. Je le signale au surveillant d’examen qui est le prof titulaire du lieu. Il vient constaté et me dit que la machine a été mal préparée. Cela n’a pourtant aucune incidence sur la suite de la réalisation de l’ensemble mécanique à réaliser.

Après cet avatar je poursuis l’usinage des différentes pièces. Nous avons 12 heures pour produire l’examen demandé. Donc tout le vendredi et le samedi matin. Le vendredi soir je suis très en avance sur les copains les plus lents du groupe. Demain matin l’affaire sera terminée, il ne me restera que l’assemblage de la composition mécanique. A 9h30 j’ai terminé mon boulot, cela me paraît réussi, pas de jeu dans les pièces coulissantes, pas de cotes bouffées. Tout est parfait. Je vais remettre mon ouvrage à l’examinateur. Chaque pièce est cachetée à la cire pour la confidentialité. Il me dit « c’est du bon boulot ! Tu n’auras pas de problème « 

Il me reste deux heures à tuer pour attendre mes potes. Sympa je nettoie la machine. Un copain est lui très en retard. Toujours prêt à rendre service je propose de lui réaliser une pièce. Je me remets au travail sur ma bécane. L’examinateur me voit, vient me trouver et me demande ce que je fais, je lui réponds que j’aide un copain qui n’a pas terminé. Sans rien me dire il regagne sa place.

Huit jours plus tard j’apprends que ma réalisation a été jetée à la poubelle sans correction pour tricherie ! J’en ai gros sur la patate car le pote que j’ai aidé à obtenu lui le CAP.

Monsieur Chamberlain et le directeur déposeront réclamation surtout après l’entourloupe du dérèglement de la fraiseuse. Chaque établissement est repéré en fonction du résultat au CAP.

Descendre un lycée de bonne réputation comme Vauban arrange sans doute certains autres.

Le directeur de Vauban connaissant ma situation familiale me donne une lettre pour ma mère. Il propose que je poursuive mes études malgré ce déboire pour un CAP de dessin et le B.E.I. Notre situation financière est désastreuse suite à la maladie de ma mère. Je veux gagner ma croûte, être autonome le plus vite possible. Je décide donc d’arrêter l’école et de trouver du travail.


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