CHANGER LE PCF ? (analyse du débat qui éclata dans ce parti en 1978)

jeudi 29 mai 2008.
 

"La crise que traverse le PCF depuis la débâcle de l’Union de la gauche en mars 1978 passe pour la plus sérieuse de l’après-guerre.

Certes, ceux qui attendent le renvoi à la production du "Groupe Marchais" ou, à l’issue d’un Congrès dramatique, la proclamation d’un parti communiste dissident, en seront encore une fois pour leurs frais. L’appareil connaît son métier : il sait jouer des ouvriers contre les intellectuels, la province contre Paris, les sectaires contre les ouverts, les "patriotes" contre les œcuméniques.

Moyennant quelques milliers de départ, deux ou trois esclandres et - une fois écrasés les infâmes - un train de mesures démocratiques, la direction reprendra les choses en main, comme aux plus beaux jours.

A une différence près toutefois : les question soulevées par les « contestataires » ne pourront plus être durablement éludées, comme en 1956, 1962,1968... Elles continueront à agiter les esprits, susciter des réponses contradictoires, nourrir des "courants de pensée" de plus en plus cohérents.

Car la crise de l’été 1978 présente quelques spécificités remarquables, qui la différencient des précédentes :

Cette crise affecte un Parti communiste idéologiquement à découvert : l’aggiornamento eurocommmuniste a sapé l’orthodoxie stalinienne. Mais rien de bien consistant n’a été mis à la place. Les Italiens ont déterré et accommodé Gramsci comme stratège d’une voie antistalinienne au socialisme. Les Espagnols leur ont, tardivement mais fermement, emboîté le pas. Malgré les efforts méritoires de quelques uns (J. Texier, Gramsci, Seghers ; Ch. Buci-Glucksmann, Gramsci et l’Etat, Fayard 1974),les Français n’ont jamais pu se faire aux subtilités du théoricien sarde.

Ils tentent laborieusement d’assigner à Maurice Thorez le rôle de père fondateur de « la voie française du socialisme ». Entreprise stérile et sans espoir : l’illustre « fils du peuple » ne s’est-il pas proclamé à bon droit « premier stalinien de France » ? L’inconsistance idéologique du communisme français nourrit le désarroi des militants, leur « crise d’identité » ; elle rend urgente l’élaboration d’une nouvelle cohérence.

D’autant que ce parti est menacé de déclin : la salarisation massive de la population française ne lui a pas profité. Le PS qui lui dispute son électorat, la CFDT, sa suprématie absolue dans les usines, l’extrême gauche le contrôle des nouveaux mouvements sociaux...S’il veut endiguer la lente érosion qui mine sa puissance ,l’appareil communiste doit chercher la voie de l’adaptation aux conditions nouvelles de la vie politique.

Enfin la masse des adhérents actifs appartient à la génération des années 60 réputée « anti autoritaire », non sans quelques raisons. Les « nouveaux communistes » tolèreraient moins aisément que leurs aînés l’étouffement bureaucratique des débats et leur liquidation administrative.

Du vivant de Lénine, la presse communiste et l’édition foisonnaient de débats contradictoires qui mettaient aux prises souvent les dirigeants les plus en vue du parti.

Comme le rappelle Georges Lavau, le PCF regroupe la fine fleur du prolétariat français, des dizaines de milliers de militants d’une exceptionnelle qualité humaine. Ce n’est pas le moindre crime du stalinisme que d’avoir stérilisé ce potentiel humain incomparable transformé tant de jeunes ouvriers révolutionnaires en bureaucrates cyniques et conservateurs.

Ces dizaines de milliers de militants viennent de vivre coup sur coup : la liquidation de la plus puissante grève générale de l’histoire de la France, faute dune « alternative politique de gauche » ; et la liquidation de cette « alternative », patiemment édifiée au long de quinze ans, « pour ne pas servir de marchepied à la social démocratie »...A quoi s’ajoute l’écrasement blindé du Printemps de Prague, l’abandon subreptice de la « dictature du prolétariat », concept jadis réputé « clef de voûte » du marxisme ; le ralliement à la force de frappe et bien d’autres innovations encore, généralement communiquées par la voie des ondes.

A nombre d’entre eux s’applique désormais la boutade de Jorge Semprun : « Ils ont perdu leurs certitudes, s’ils leur restent des illusions... ».

1. L’ELECTORALISME OU COMMENT PERDRE LES ELECTIONS

Si la « cause immédiate » de l’échec - pour reprendre la saine distinction des historiens -est bien la polémique PC-PS, la cause « profonde », celle qui éclaire finalement l’explosion de cette polémique elle-même, réside dans la stratégie de l’Union de la gauche et son caractère étroitement électoraliste.

Les partis socialistes révolutionnaires de la fin du XIXè siècle ont cru ingénument que la conquête du suffrage universel, dans des Etats où la prolétarisation des masses allait bon train, porterait irrésistiblement la classe ouvrière au pouvoir. Depuis, ils ont déchanté... ou se sont résignés à la « gestion loyale » de l’ordre bourgeois.

On sait que dans les centres impérialistes la bourgeoisie domine plutôt « au consensus » qu’à la « coercition » : elle s’efforce d’obtenir l’adhésion des classes dominées aux valeurs, aux finalités, aux options conformes à ses intérêts de classe, plutôt que de contraindre les travailleurs par la force.

Mais la société capitaliste - même avancée - étant déchirée par les antagonismes de classes, la production du consensus est rien moins que spontanée. Elle s’effectue délibérément et systématiquement au moyens d’un ensemble complexe d’appareils d’hégémonie publics u privés, qui vont des grands moyens d’information et de communication de masse à l’Eglise, la famille, la caserne, l’école ; en passant bien sur par l’usine qui comme chacun sait ne produit pas seulement des biens matériels mais de l’idéologie et des rapports sociaux (cf. Robert Linhart, l’Etabli, Ed . de Minuit 1978).

C’est ce travail quotidien de production et de reproduction du consentement que les élections viennent périodiquement entériner. Celles-ci ne sont qu’un instrument de mesure, une photographie de l’opinion à un instant donné. Elles ne produisent pas elles-même cette opinion. Laquelle se forme pour l’essentiel hors de la sphère électorale, dans les pratiques sociales telles qu’elles sont structurées par les rapports sociaux dominants et les institutions qui les cristallisent. C’est ce que confirment tous les travaux de sociologie politique, y compris ceux des sociologues et politologues communistes (cf. Classe sociale, religion et comportement politique, G. Michelat et M. Simon).

Pour que les élections n’enregistrent pas simplement « la domination des dominateurs », le mouvement ouvrier doit intervenir longtemps avant l’échéance électorale, au niveau du procès de formation du consensus lui-même.

Il doit promouvoir une pratique anticapitaliste de lutte qui, précisément , sape l’hégémonie bourgeoise, désagrège l’alliance de classes qui la sous-tend, met en crise les « appareils », les institutions, les pratiques vécues là où elles s’enracinent.

La conquête parlementaire présuppose et sanctionne une ample activité extra-parlementaire. Si cette activité fait défaut, le suffrage universel débouche le plus souvent sur la défaite, dans le meilleur des cas sur une victoire précaire et sans lendemain.

Il y a une pratique révolutionnaire et une pratique intégrée, subalterne, du suffrage universel, martèle l’Internationale communiste dès ses premiers congrès.

La première conçoit la lutte électorale comme un moment -important mais non décisif- de la lutte des classes ; un terrain institutionnel de confrontation, où le mouvement ouvrier engrange des résultats obtenus ailleurs, par un travail de mobilisation, d’organisation, d’éducation, visant à concrétiser dans tous les domaines l’alternative socialiste.

La seconde tend à considérer en pratique la lutte électorale et parlementaire comme la force par excellence de la lutte des classes, son point culminant, le terrain privilégié où elle se déploie et se dénoue, le moment stratégique qui commande tout le reste.

L’électoralisme ce n’est pas le fait de participer aux élections et de s’efforcer de les gagner, comme l’a longtemps cru un certain gauchisme. C’est l’idée que le Pouvoir se conquiert par les élections et que les élections se gagnent dans les campagnes électorales. Pour gagner les élections, dit l’électoraliste, il faut attirer les électeurs hésitants, modérés, indécis : ceux qui votaient jusqu’alors conservateur mais qui pourraient bien cette fois ci sauter le pas. Or, pas plus qu’on n’attire les mouches avec du vinaigre, on ne gagne les modérés par l’agitation. Les luttes ouvrières aliènent au socialisme le vote des cadres et des petits patrons ; les luttes des femmes celui des phallocrates, celles des jeunes, celui des vieux...

C’est ainsi que l’électoraliste se fait piéger par l’adversaire : il renonce à promouvoir sur tous les terrains les mouvements unitaires de masse porteurs d’alternative socialiste par crainte d’effaroucher les électeurs modérés. Sa dénonciation du système reste purement propagandiste, ne s’incarne pas dans des pratiques de lutte et des formes organisées qui la rendraient concrète et convaincante ; le travail des « appareils bourgeois d’hégémonie » s’exerce en conséquence sur des masses passives, atomisées en électeurs, donc à plein rendement.

Pour gagner des élections - objectif en effet majeur - il faut résolument tourner le dos à l’électoralisme. Il faut modifier les rapports de classe là où ces rapports se nouent. En appuyant sans réserve l’auto-organisation des masses pour la défense de leurs intérêts, le mouvement ouvrier stimule au maximum toutes les aspirations au changement et répond simultanément au besoin de sécurité des travailleurs.

Seul il peut empêcher que la victoire électorale soit une victoire sans lendemain, préparant après une phase plus ou moins courte de convulsions et de chaos le retour en force de la réaction. Car la victoire électorale n’est pas la révolution, l’accession au gouvernement n’est pas la conquête du pouvoir. Elles ne sont tout au plus que des moments - nécessaires mais non suffisants - de l’avènement socialiste.

Ce ne sont pas les appareils qui comptent, mais leur fonction, pas la multitude des adhérents mais leur travail politique, moins la variété des organisations que leurs relations avec les mouvements sociaux.

L’attitude du PCF dans la tourmente sociale de Mai - moment de vérité par excellence -révèle le conservatisme frileux de sa direction, son incapacité à mettre en œuvre une « démarche hégémonique » ; ce que Jean Rony appelle pudiquement son « politicisme », ou tendance à privilégier étroitement les aspects institutionnels » de la lutte : incapacité à définir un projet de société traduisant les aspirations les plus avancées de la jeunesse et des travailleurs. Incapacité à poser la classe ouvrière comme classe dirigeante potentielles, prenant en charge les problèmes de toutes les couches populaires et leur donnant une solution intégrée à son projet révolutionnaire d’ensemble.

Attitude crispée, craintive, conservatrice, effet d’un stalinisme persistant qui rend compte plus que toute autre chose de la stagnation du PCF, de la régression de la CGT, face à la renaissance miraculeuse d’un Parti socialiste réduit pourtant à l’ombre de lui-même par vingt-cinq ans de molletisme.

La consigne de François Mitterrand à ses troupes « le maximum de programme commun, le minimum d’actions communes devenant dans les faits le précepte de toute la gauche.

Ce « minimum » ce furent des journées de protestation morcelées, éparpillées, des grèves de vingt-quatre heures et des journées d’action par branches, secteurs, ou régions, notoirement insuffisantes pour faire plier le gouvernement, mais usant à la longue la combativité populaire. Cette érosion se mesure dans le succès décroissant des initiatives. De toute évidence, les travailleurs ont compris le caractère purement protestataire de ces barouds d’honneur. D’où leur attentisme croissant.

Etroitesse électoraliste qui n’est elle même qu’une manifestation de la stratégie consacrée par le XXIIè Congrès.

2. COMMENT UNIR LA GAUCHE ?

La direction du PCF explique les nombreux coups de barre de sa tactique unitaire comme autant de réponses au « turnant »du Parti socialiste. Au Congrès d’Epinay, en 1971, ce parti se serait résolument « tourné à gauche » ; d’où l’attitude fraternelle, indulgente, affectueuses même du PCF à son endroit, culminant dans la campagne présidentielle de 1974. Mais après les « Assises pour le socialisme » et l’entrée en force des amis de Michel Rocard , le PS aurait viré de bord, repris au seuil du pouvoir par ses vieux démons. D’où l’attitude de plus en plu ferme d u »parti de la classe ouvrière » afin d’endiguer la dérive sociale démocrate de son versatile allié....

Cette explication ne tient pas debout : la direction du Parti socialiste n’était pas « plus à gauche » en 1972 qu’en 1976. Elle était plus loin du pouvoir. Il lui fallait l’alliance avec le PCF pour se refaire une virginité et séduire ces millions de nouveaux salariés dont l’industrialisation pompidolienne avait peuplé les villes nouvelles. Le projet de François Mitterrand étai minutieusement exposé, noir sur blanc, dès 1969, dans un pamphlet acerbe « Ma part de vérité ». Se placer sur orbite grâce à la fusée PCF, et tandis qu’elle retomberait vers la terre, gouverner à loisir au centre gauche.

François Mitterrand applique ponctuellement son programme : au Congrès de Nantes, il traite déjà le PCF comme une force d’appoint... N’y a t il pas de parade ? Le PCF est-l condamné soit à l’impuissance, soit au rôle de marche pied de la social-démmocratie ?

La parade existe : elle consiste à jouer des contradictions de l’allié socialiste. L’arroseur peut être arrosé. Mais il faut pour cela tourner le dos à l’électoralisme. Et comprendre à qui on a affaire.

Les analyses du PS que propose le PC attestent à quel point la théorie marxiste s’es t dégradée, dans ce Parti, en idéologie inconsistante. Elle ne vise pas à produire des connaissances mais à justifier les tournants tactiques de la direction. Ce qui frappe donc, dans les analyses du PS produites par le PCF c’est leur caractère unilatéral, non-dialectique : l’incapacité de saisir les contradictions de la formation socialiste et d’élaborer une tactique unitaire jouant sur elle.

Les partis sociaux-démocrates sont pourtant bien les lieux de contradictions spécifiques que les théoriciens marxistes ont mis à jour de longue date.

Ces partis ont été forgés par la clase ouvrière à la fin du XIXè siècle pour assurer la représentation au sein des institutions démocratiques bourgeoisies et, au-delà ,sa présence au niveau politique. Ils assument une fonction de médiation entre les masses salariées et l’Etat bourgeois au profit de ce dernier, dont ils vivent.

Le Parti communiste peut avoir une prise sur la direction social-démocrate, en agissant sur les aspirations, les attitudes, les attentes politiques de sa base sociale. Cette base sociale , même dans le cas du PS, est composée pour l’essentiel de travailleurs salariés. Ses intérêts de classe ne sont pas substantiellement distincts de ceux des travailleurs communistes.

L’appareil social démocrate est alors placé devant une alternative : ou bien s’aligner sur la combativité nouvelle de sa base ; ou bien s’y opposer frontalement, au risque de lourdes pertes d’influence.

Mais pour promouvoir cette tactique, il ne faut pas soi-même sombrer dans l’électoralisme !

En réalité derrière tous ces débats c’est le problème général de la stratégie révolutionnaire en Occident qui se trouve posé : en Europe occidentale, la classe ouvrière affronte un ennemi bien plus puissant que les oligarchies tsaristes ou chinoise.

Cela ne veut pas dire que toute transition au socialisme est impossible en Occident : les pays capitalistes avancés d’Europe occidentale sont le lieu de contradiction spécifiques dont la condensation peut précipiter des crises pré-révolutionnaires parfaitement exploitables par le mouvement ouvrier. Mais cette transition au socialisme doit tenir le plus grand compte des spécificités de la domination bourgeoise en Occident.

Comme l’a souligné Gramsci mais avant lui Karl Radek, Paul Lévy et bien d’autres, la transition au socialisme dans ces pays couronne un long travail de gestation, de préparation politique, où le mouvement ouvrier doit consciemment et systématiquement contribuer à produire les conditions de la conquête révolutionnaire du pouvoir.

3. DEMOCRATISER LE CENTRALISME DEMOCRATIQUE ?

Reste la question de la conception du Parti : son rapport aux masses, son régime intérieur. C’est ici que l’immobilisme est sans doute le plus frappant. Le rapport aux mouvements et aux organisations de masse demeure régi par le modèle de la « courroie de transmission » : le Parti s’assure le contrôle sans partage des organisations de masse - sans omettre évidemment d’attribuer quelques strapontins en vue à des « potiches démocratiques »- et leur insuffle sa « ligne juste ».

Rien de plus étranger à sa démarche que l’idée d’un réel respect de l’autonomie de ces mouvements. Attitude évidemment incompatible avec toute stratégie révolutionnaire. Le Parti doit certes transformer la spontanéité des masses en pratique révolutionnaire consciente ; mais pour cela, il lui faut d’abord reconnaître cette spontanéité et s’éduquer lui-même à son école.

Quant a u régime intérieur du Parti, il est resté pratiquement inchangé depuis Staline. Certes il ne se donne plus le ridicule d’exclure les non-conformistes, et la « liberté de râler » (cf. L’expression est de Molina et Vargas) est totale à la base. Mais l’exercice du pouvoir au sein du Parti reste toujours autocratique. Peu importe que l’autocrate soi une personne morale (le « groupe dirigeant » et non plus une personne physique (le secrétaire général). Peu importe que sa manière soit plutôt libérale. La base militante ne joue toujours aucun rôle réel dans l’élaboration de la ligne et la désignation des dirigeants. Certes, les statuts du Parti stipulent tout le contraire.

Mais il y a le droit et le fait, la théorie et la pratique. Et cette dernière est parfaitement rôdée.

Les « élections » ne sont pas des élections : à tous les niveaux, des « commissions de candidature » choisissent les candidats. Et comme il y a autant de candidats désignés que e postes à pourvoir, l’élection n’est qu’une ratification des choix effectués par la hiérarchie. On n’a pas d’exemple d’un candidat ainsi coopté qui ne soit élu.

En présentant le « centralisme bureaucratique » qui sévit dans le Parti comme un modèle de démocratie prolétarienne, Georges Marchais a ingénument révélé le contenu réel de son idéal démocratique : un pouvoir exercé pour le peuple, par une élite strictement hiérarchisée, et qui sait mieux que les travailleurs où se trouve leur intérêt. Tout cela est bien connu et les « contestataires » communistes du printemps de 1978 s’en sont expliqués mieux que quiconque.

Tous se récrient d’horreur à l’évocation du droit de tendance agité comme un épouvantail par la direction du Parti.

La pratique de la démocratie dans un parti ouvrier de masse n’est pas chose facile, et nul ne peut prétendre en détenir la formule. Le degré de démocratie praticable dans un parti de combat est d’ailleurs fonction du degré de démocratie existant dans la société où il lutte. Il faut donc se garder d’aborder ce problème abstraitement, en métaphysicien ou en moraliste. Il faut l’aborder en politique : étant donné les conditions de lutte en Europe occidentale et la stratégie spécifique de transition au socialisme qui y correspond, de quel type de parti communiste les travailleurs ont-ils besoin ? quel type de militant former ?

Si l’on admet que la fonction politique cardiale d’un parti ouvrier révolutionnaire est de promouvoir l’auto-organisation des masses et de travailler à la radicalisation politique de leurs mouvements, on comprend l’importance politique de la démocratie interne au sein d’un parti véritablement communiste : seul un parti ouvrier réellement démocratique peut former des militants capables d’une « démarche hégémonique ».

Tout se tient : si l’on veut disposer de militants capables de « rapports hégémoniques » -et non plus bureaucratiques - avec les masses, il faut les dégager des rapports bureaucratiques au sein de leur propre parti.

La démocratie ce n’est pas « le droit de râler » dans être exclu, disent à juste titre les oppositionnels communistes. C’est le pouvoir d’influer effectivement sur l’élaboration de la ligne du Parti et le choix de ses dirigeants. La démocratisation du PCF passe par l’instauration de procédures statutaires créant la possibilité effective pour les militants de mettre en minorité la direction, d’en changer la composition, de lui imposer des choix politiques.

Louis Althusser a lumineusement mis en évidence comment ce système dépossède politiquement la base et concentre tout le pouvoir dans les mains du « groupe dirigeant ».

Pour en finir avec le centralisme bureaucratique, il faut que les élections au sein du Parti deviennent de vraies élections.

Pour qu’il y ait une élection véritable, réelle possibilité de choix, il faut que le nombre des candidats ne soit pas limitatif, qu’il puisse excéder largement le nombre des postes à pourvoir ; que l’avis de la Commission des candidatures puisse être discuté, contredit avant le scrutin ; que les candidats non retenus puissent être défendus par les instances qui les présentent ou par eux-mêmes.

Pour en finir avec le centralisme bureaucratique, il faut que les débats soient de vrais débats. Un parti ouvrier de masse se trouve inséré dans des situations complexes, placé devant des choix dramatiques pour lesquels il ne dispose que de données partielles, fragmentaires. Il est normal que ces situations engendrent des appréciations divergentes. Nul ne détient la Vérité au sein du Parti, pas même le secrétaire général. Nul ne connaît a priori la ligne correcte la ligne juste. Celle-ci ne peut être approchée que dans la libre confrontation des points de vue, la lutte des idées. C’est dans et par cette fonction que le Parti s’acquitte de sa fonction d’ »intellectuel collectif ».

La fameuse clause -prétendument antifractionnelle - interdisant les « contacts horizontaux » entre militants porte une restriction draconienne au libre développement du débat.

Mais le militant de base en désaccord ne peut exprimer ses critiques que dans a cellule - où l’appareil dépêche rapidement « du renfort »....S’il cherche à confronter ses thèses avec des militants critiques d’autres cellules, s’il cherche à réunir ceux qui partagent son point de vue pour élaborer collectivement des options alternatives à celles de la direction, il tombe sous le délit « d’activité fractionnelle » et se met hors la loi.

Pour que le débat soit un vrai débat, il faut que saute ce système de cloisonnement vertical par lequel l’appareil asseoit sa dictature sur le Parti.

Mais c’est le droit de tendance que vous nous prêchez-là, protestent à cet instant, chacun sur son registre, contestataires et orthodoxes du PCF ! Arrière Satan ! Vous voulez transformer le Parti communiste en « club de discussion », écarter les dirigeants ouvriers au profit des intellectuels beaux parleurs, substituer à l’unité du Parti les querelles de fractions ! Voyez le Ps, le PSU, le Fen ! Et c’est pour aboutir à ces résultats que nous nous exhortez à renoncer à l’acquis léniniste ?

Ce réquisitoire est en parti fondé. D’où son impact sur les oppositionnels qui ont pourtant tout intérêt à gagner d’un démocratisation réelle du PC.

Il n’est de démocratie que pluraliste, et de pluralisme démocratique qu’organisé.

Les traits négatifs d’un « pluralisme organisé » que soulignent à juste titre les oppositionnels du PCF peuvent être considérablement réduits, sinon éliminés, par un semble de clauses, de pratiques, d’attitudes visant à compenser les inégalités entre militants au sein du Parti, à bloquer toute dynamique fractionnelle. Le droit de tendance ,comme tout droit, doit être réglementé.

Un travail systématique de formation des militants peut réduire les inégalités entre manuels et intellectuels face au débat politique. La participation des militants ouvriers à l’élaboration de la ligne et à la direction du Parti peut être garantie par l’attribution - tacite ou formelle - à ces militants d’une proportion appréciable du temps de parole dans les assemblées et les tribunes de discussion publiées par la presse du Parti, d’un pourcentage de postes de responsabilités dans toutes les instances dirigeantes.

Molina et Vargas ont raison lorsqu’ils soulignent que la démocratisation du PCF ne doit pas se borner à la substitution du libéralisme bourgeois à ce qu’ils appellent « la routine stalinienne ». Mais ils ont tort de condamner, au nom de cette exigence, le « pluralisme organisé ».

Chaque fois que les conditions de lutte le permettent, la démocratie ouvrière doit être en avant, et non en retrait, de la démocratie bourgeoise."


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