Travailler plus pour gagner plus : Le gros mensonge à la mode...

lundi 2 juin 2008.
 

... Durant la campagne présidentielle, de très nombreux candidats s’étaient prononcés pour une « libération du travail ». Pour les plus libéraux, cette libération s’accompagnerait d’une incitation fiscale visant à encourager les heures sup. Pour les moins courageux (mais tout aussi libéraux), il s’agit simplement d’assouplir la loi sur les 35 heures (sous entendu en autorisant davantage le volant des heures supplémentaires autorisées). Tout ceci n’est rien d’autre qu’une gigantesque arnaque car elle laisse croire que les salariés seront libres d’accepter ou de refuser ces heures en plus. Or, ce sont bien les dirigeants qui décident en fonction de l’activité et de leur stratégie du moment.

Ce qui justifie aux yeux des thuriféraires de l’idéologie dominante, cet encouragement à travailler plus, repose sur plusieurs points :

* revaloriser la « valeur travail »

* l’activité créerait l’activité ; plus on travaille, plus ce travail est demandeur de machines, équipements, services (garder les enfants dont on n’a plus le temps de s’occuper par exemple), énergie...et crée donc de nouveaux emplois. Cet argument n’est pas tout à fait faux. Aux États-unis où la durée hebdomadaire de travail dépasse en moyenne les 45 heures, les salariés n’ont souvent plus le temps de cuisiner (d’où l’explosion de la restauration rapide, l’industrie des plats préparés...), de faire le ménage, de bricoler, de jardiner...Ils ont donc recours bien plus qu’en Europe à une multitude de petits prestataires privés.

* la revalorisation du pouvoir d’achat doit reposer sur la future croissance. Il n’y aurait rien à redistribuer en l’état actuel de la situation économique.

* il n’y a pas de production supplémentaire de richesse sans surcroît de travail.

Tous ces arguments sont hautement contestables. Tout d’abord, une hausse des heures supplémentaires reviendrait à supprimer de fait les 35 heures. Ces dernières le sont déjà en théorie. En effet, depuis les lois Fillon les heures supplémentaires autorisées sont de 220/an pour les PME, ce qui, rapporté à 40 semaines de travail annuel, permet d’employer un salarié 39 heures par semaine. Seulement pour l’instant, le coût horaire de ces heures étant sensiblement majoré, peu de salariés se trouvent dans cette situation. Seuls 15 % d’entre eux effectuent des heures sup. Il s’agirait de la première hausse de la durée du travail depuis le régime de Vichy (revenu sur la loi des 40 heures du Front populaire). Les 300 000 emplois crées par la réforme des 35 heures s’en trouveraient de fait menacés sans que quiconque ne soit en mesure de démontrer que le surcroît d’activité permettrait de les compenser.

Deuxièmement, l’idée selon laquelle les Français travaillent trop peu et de moins en moins est fausse. Voilà revenu « l’esprit de jouissance » dont s’est servi le Maréchal Pétain pour faire la morale aux Français en 1940 (il parlait bien sûr des deux premières semaines de congés payés). Certes, depuis 1980, la durée légale du travail est passée de 40 à 35 heures. Mais de nombreuses catégories de salariés ne sont pas passées aux 35 heures. De plus, ceux qui ont bénéficié de cette réduction l’ont fait au prix d’une augmentation du rythme de travail, du stress, en acceptant de s’adapter au rythme des carnets de commande (annualisation et flexibilité du temps de travail)... La France a, du coup, la productivité horaire du travail la plus élevée des pays de l’OCDE. Enfin, faut-il rappeler que le taux d’activité augmente grâce à l’entrée massive et presque achevée des femmes sur le marché de l’emploi. Il y a 40 ans, bien souvent, seuls les hommes effectuaient une activité salariée ce qui faisait 40 heures de travail par foyer. Désormais la charge atteint deux fois 35 heures, soit 70 heures par foyer.

Troisièmement, l’idée qu’en travaillant plus on gagnerait plus, repose sur l’idée que chaque effort de productivité revient presque automatiquement aux salariés sous forme d’augmentation de salaires. Les expériences passées ou étrangères ne confirment pas du tout cette hypothèse. Aux États-unis, depuis 40 ans la durée moyenne du travail a augmenté d’1/12°. Ce qui revient à dire que les Américains travaillent un mois de plus chaque année par rapport à leurs parents. Pourtant malgré l’augmentation énorme de la productivité depuis 40 ans, les revenus des 50% les moins bien payés n’ont augmenté que de 11% en dollars constants. Par contre, pour le 1% le mieux payé (les dirigeants) l’augmentation atteint 126%. On voit pour qui les salariés américains ont davantage travaillé...

Quatrièmement, la production de richesses peut parfaitement augmenter tout en travaillant moins : d’une part, grâce à la productivité du travail qui s’accroît sans cesse. En 1900 un salarié français travaillait 2900 heures par an contre 1700 aujourd’hui. Pourtant en un siècle, la richesse produite par salarié a été multipliée par 7. Cela s’appelle la productivité du travail. La réduction du temps de travail est donc un processus historique lié à la plus grande efficacité du travail ; d’autre part, en faisant participer de nouvelles catégories de salariés (chômeurs, pré-retraités, salariés contraints à des temps partiels...).

Alors pourquoi un tel acharnement du Medef et des libéraux à nous faire travailler davantage ? Tout d’abord, à l’instar des Allemands, les Français devraient accepter un gel total des salaires dont on ne pourra maintenir le pouvoir d’achat qu’en fournissant des heures supplémentaires. Il s’agit là de permettre à la France de retrouver de la compétitivité à l’exportation. Cette stratégie est destructrice car elle suppose l’acceptation d’une concurrence où les salariés devront travailler toujours plus, en gagnant toujours moins, et avec des normes sociales et environnementales sans cesse revues à la baisse...D’autre part, elle suppose que le problème majeur de notre pays est le coût trop élevé du travail, ce qui est totalement erroné. Les salaires ont progressé beaucoup moins vite ces 15 dernières années que dans la moyenne des pays de l’OCDE.

Il y a également les causes inavouables : comme faire oublier aux salariés que le partage des fruits de la croissance entre le capital et les salaires est un objet de revendication et de luttes. Depuis 1980, ce partage s’est dégradé de 6 points au profit du capital. Or pour les libéraux de tous poils, il s’agit là d’un « acquis » sur lequel il n’est pas question de revenir. Il faut donc faire oublier cette dégradation en promettant qu’un surcroît d’activité, cette fois ci, bénéficiera d’abord aux salariés. Autre objectif : faire cesser les interventions de l’État (et donc de la décision politique) dans le monde bien gardé des entreprises. Le rapport de force en faveur des détenteurs de capitaux et des dirigeants est tel, qu’ils savent qu’en dehors d’une intervention de l’État encadrant le travail, ils n’ont pas grand-chose à craindre de la mobilisation des salariés. Il faut donc faire reculer la loi, en réduisant le code du travail à peu de choses, en commençant par détruire sa mesure emblématique : l’encadrement de la durée hebdomadaire du travail.

Enfin, un salarié qui travaille énormément est un citoyen qui n’a plus le temps ni l’énergie de penser de façon autonome et de mener des luttes. Les exemples britanniques, japonais et américains sont là pour en témoigner...

Par Nicolas Cléquin, Attac 45


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