Le président Kim Dae-jung fait face au coût social du redressement économique sud- coréen (article de 1999)

mercredi 1er juin 2005.
 

En accédant au pouvoir il y a un an, le président Kim Dae-jung passait pour le Nelson Mandela de la Corée du Sud. Aujourd’hui, la figure de référence serait plutôt Margaret Thatcher. L’ancien dissident, ex-prisonnier, l’homme que les conservateurs redoutaient pour ses " idées de gauche ", a entrepris une transformation économique plus radicale que celle de la " Dame de fer ".

Lorsque Kim Dae- jung est élu, en décembre 1998, la Corée du Sud s’enfonce dans la crise économique et financière la plus grave depuis son redressement au cours des années 60. L’élection de M. Kim, acquise de justesse, fait en outre planer un climat d’incertitude sur l’avenir. Le nouveau chef de l’Etat hérite d’un pays en quasi-banqueroute, contraint à demander une aide de 58 milliards de dollars (52,7 milliards d’euros) au Fonds monétaire international (FMI) et psychologiquement abattu.

En un an, le président a su redonner confiance à ses compatriotes et à l’étranger. Le pays est le premier en Asie à relever la tête. L’ampleur des restructurations engagées (assainissement d’un système financier sinistré, réformes du secteur industriel et entrée du capital étranger) et la rapidité de leur mise en oeuvre en font un modèle de volontarisme politique. Les réserves en devises ont été reconstituées (de 3 milliards de dollars - 2,7 milliards d’euros - en novembre 1997, elles sont passées à 50 milliards - 45,4 milliards d’euros - en janvier 1999). La croissance devrait redevenir positive (+ 2 %) après avoir chuté à - 6 % en 1998. La monnaie s’est ressaisie vis-à-vis du dollar. Les investissements étrangers reviennent (8 milliards de dollars - 7,2 milliards d’euros - en 1998 et sans doute le double cette année).

CONTRITION EXEMPLAIRE

La détermination du président Kim Dae-jung n’est pas le moindre des facteurs qui ont contribué au début de redressement de la Corée du Sud. Fidèle à la voie qu’il prône depuis des années, M. Kim mène en outre une politique d’ouverture en direction de la Corée du Nord, dont il ne démord pas en dépit des provocations armées (infiltrations menées par Pyongyang), mais qui suscite l’inquiétude d’une partie de l’opinion.

Les Sud-Coréens semblent ainsi avoir tourné la page de la sombre " année FMI ". Le pays commence à émerger. Est-il hors de danger ? Jusqu’à un certain point. Mais la partie est loin d’être gagnée.La Corée du Sud se transforme en profondeur mais douloureusement : la réforme du système bancaire a été menée rondement et, après un " bras de fer " avec les conglomérats ( chaebols), le président a contraint ceux-ci à accepter le Big Deal de la restructuration industrielle en réduisant le nombre de leurs filiales et en procédant à des regroupements d’activités (dans l’automobile, l’électronique, l’aérospatial, le matériel ferroviaire, la pétrochimie). La privatisation de grands secteurs (énergie, télécommunications) est engagée.

Le processus est irréversible et redessine le paysage industriel coréen. Mais les restructurations ne remédient pas au problème de fond : les surcapacités de production. En outre, les cinq grands chaebols ont accru leur endettement pour financer les restructurations : leur situation financière (déjà caractérisée par un surendettement) s’est donc encore fragilisée.

M. Kim a " requinqué" les investisseurs par le rétablissement spectaculaire des comptes extérieurs. Mais il va devoir faire face, dans les mois qui viennent, à une tension sociale tenue sous le boisseau par la crise. Dans la tempête, les Sud-Coréens ont fait preuve d’une contrition exemplaire : ils ont " encaissé " réductions de salaires et pertes d’emplois et ont réduit de manière drastique leur consommation pour épargner. Mais, en mars, le chômage frappera 2 millions de personnes (soit 10 % de la population active).

Jusqu’à présent, ce sont les petites et moyennes entreprises qui ont licencié. Avec le Big Deal, les conglomérats vont aussi procéder à des mises à pied. Les syndicats vont se cabrer. L’assouplissement des procédures de licenciement est resté, pour l’instant, largement théorique : en automne, à la suite d’une longue grève, Hyundai Motor a dû ramener de 1 600 à 300 le nombre des licenciements envisagés. Que se passera-t-il au printemps, lorsque le Big Deal entraînera 170 000 licenciements supplémentaires ? Les tensions au sein de la commission tripartite (gouvernement, patronat et syndicats) témoignent d’un durcissement des positions.

Le gouvernement a mis en place un " filet social " dont l’enveloppe s’élèvera cette année à 6 milliards de dollars (5,4 milliards d’euros). En dépit du progrès que représentent ces mesures dans un domaine où la Corée du Sud était très en retard, celles-ci ne sont pas à l’échelle du problème. Avec le redressement claironné de l’économie, il sera plus difficile au gouvernement de faire accepter des sacrifices supplémentaires à la population. Or ceux- ci sont inévitables.

Pour le président Kim, l’économie de marché doit aller de pair avec la démocratie. Mais cette dernière suppose une justice sociale que ne peuvent réaliser les lois du marché. M. Kim a remis en selle son pays de manière spectaculaire. Il lui reste à poursuivre des réformes économiques drastiques en restant fidèle à ses convictions passées en matière de justice sociale.

PHILIPPE PONS


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