Humour : Les bons, les brutes et les truands (débat sur la crise financière)

vendredi 20 juin 2008.
 

Au début de l’année 2008, sont invités sur le plateau d’une chaîne de télévision française Mme Mathilde Devine, spécialiste des opérations de couverture de risques dans la banque Hongkong Shanghai Banking Corporation (HSBC), M. Jean-Marc Forestier, éditorialiste matinal sur une radio publique, M. Eric Alémeri, éditorialiste dans un journal du soir de référence, Mme Florence Eden, présidente de l’Adam [1] (Association des actionnaires minoritaires) et Mme France Attac, économiste méconnue.

L’émission « Ce soir, on se bat sur la 3 » est animée par Mme Christine Acran.

Mme Christine Acran ouvre avec emphase l’émission :

« Bonsoir et bienvenue dans « Ce soir, on se bat sur la 3 », consacrée à la crise financière. Avec nous, les meilleurs spécialistes de la finance pour nous aider à y voir clair. Car on ne comprend rien à ce qui se passe à la Bourse, sur les marchés : faut-il acheter, faut-il vendre ? Les traders sont-ils des fous ou bien des voleurs en col blanc ? Peut-on avoir confiance encore dans les banques que notre argent manifestement intéresse ? Mme Devine, vous êtes tous les jours dans les salles de marché, lisez-vous dans le marc de café ? A quoi servent donc ces marchés financiers qui sont en crise tous les cinq ans ? Les gens ont le droit de savoir. »

Mme Devine pose son regard sur chacun, puis fixe la caméra et déclame :

- « Les marchés financiers sont à l’économie

Ce que mes deux poumons sont à ma propre vie.

Circulation du sang ou du capital libre,

Telle est la condition de l’entreprise libre.

Ressources allouées, risques en couverture,

Pari sur l’avenir, mais non pas l’aventure,

Les œufs dans moults paniers, secret de l’efficience,

Qu’importe donc ensuite un peu de turbulence ! »

M. Forestier, subjugué, se rapproche de Mme Devine :

« Madame, redites-le-moi, j’en ferai ma chronique demain matin sur Inter. Vous m’avez fourni mes trois points quotidiens. 1) Les marchés financiers sont vitaux : ils font circuler le capital et respirer l’économie. 2) Ils affectent les ressources au mieux des intérêts de tous. 3) La crise financière permet d’évincer les improductifs, les attardés du progrès technique, tous ceux qui empêchent les réformes de structure. »

M. Alémeri se rengorge :

« Je dirais même plus : les réformes de structure n’ont que trop tardé ; il n’y a pas d’intérêt général, il n’y a que des intérêts particuliers ; circulez, capitaux, il n’y a rien à voir car l’élite des affaires a pris conscience que son intérêt de classe était de revenir sur ses excès. » [2]

Mme Florence Eden, présidente de l’Adam, réagit vivement :

« Il y a à voir que les petits actionnaires font les frais de la mauvaise gestion. Ils ont tous mal à la tête, pardon je veux dire à leur capital. Ils n’ont plus le cœur à investir. Ils ont perdu la foi en la libre entreprise. Il faut avoir les reins solides pour survivre à la crise. Bref, tout va mal. Je réclame plus de transparence et le retour de la morale dans le capitalisme. »

M. Forestier laisse échapper un cri du cœur :

« Il n’y a qu’à nationaliser les pertes des banques. » [3]

Mme Christine Acran, prenant conscience du malaise, envoie un reportage sur la Chine où l’on voit des jeunes gens, sur fond de chantier gigantesque, parler de leur soif de consommer grâce à la mondialisation. De retour sur le plateau, Mme Christine Acran se tourne vers Mme France Attac et lui demande si, malgré la crise, la mondialisation n’a pas du bon.

Mme France Attac, qui piaffait depuis un moment, saisit l’occasion :

« Permettez-moi, Madame, de bousculer quelque peu les règles de votre jeu de l’oie blanche. Beaucoup feignent ici de s’étonner de la gravité d’une situation qu’ils ont niée pendant longtemps, et de n’y voir qu’une succession d’accidents isolés, alors qu’une cohérence d’ensemble émerge de tous ces désastres. »

Se croyant dans une Université d’été, elle se jette à corps perdu dans un exposé clair, certes, mais combien hermétique à tous les participants à l’émission :

« La crise que nous vivons est la conséquence directe de la financiarisation de l’économie mondiale qui a démarré quand les capitaux ont obtenu le droit de circuler sans entraves, au mépris des droits sociaux, de l’emploi, de l’écologie, pour la seule raison qu’il fallait améliorer la rentabilité. Toutes les méthodes de gestion des grandes entreprises ont été tendues vers un seul objectif : rendre de la valeur aux actionnaires. Par la montée des dividendes en proportion de la baisse des salaires ; par le rachat de leurs propres actions pour faire monter le cours en bourse, sans voir que cela affaiblissait le taux de rendement ; par les restructurations à crédit ; par la spéculation sur des produits financiers de plus en plus sophistiqués ; et aussi par la pénétration, car le capitalisme est un système phallique, du privé dans la sphère publique, saccageant les services publics et la protection sociale. »

Profitant que Mme France Attac reprend son souffle, Mme Christine Acran lui glisse :

« Ne soyez pas trop explicative. » [4]

Mme France Attac réplique :

« Je réponds à votre attente, Madame, vous disiez ne rien comprendre, ce que je vois bien, souffrez donc d’être éclairée un tant soit peu. Par exemple, tous les médias ne cessent d’apeurer le bon peuple avec les milliards qui partiraient en fumée lors de chaque crise. Rien de réel ne disparaît, seule la fiction de la bulle précédente s’évanouit. Quand un actionnaire fait un mauvais pari, c’est qu’un autre a fait le bon : voilà un jeu à somme nulle. Et si, comme ce fut le cas pendant la décennie 1990 et de 2002 à 2007, tous les actionnaires s’enrichissent à la Bourse, c’est qu’ils pensent pouvoir perpétuer l’exploitation du travail dans les entreprises : voilà, cette fois-ci, un jeu à pile ou face, pile le capital gagne, face le travail perd. Car on ne peut durablement à la fois vouloir du profit et saccager le travail. Malheureusement, ces agissements ont été encouragés par les banques centrales qui, pour éteindre le feu, jettent des bidons d’essence. Rappelez-vous la tirade de Mme Devine, il y a un instant : la monnaie est le carburant de l’économie, oui, mais il est inflammable. Raison pour laquelle, nous réclamons que les banques centrales reviennent dans le giron démocratique.

Telle est la réalité du capitalisme qui veut tout marchandiser et peser à l’aune de la rentabilité. Son arrogance est devenue telle que peuvent proliférer les paradis fiscaux, à l’ombre desquels s’abritent l’argent sale et le presque propre, et que la spéculation est devenue le nec plus ultra émotionnel des peine-à-jouir. A trop marcher sur la tête, la planète risque le coup de sang. Direction, les urgences : taxons toutes les transactions financières, supprimons les paradis fiscaux, écrêtons tous les revenus financiers et la fièvre retombera.

Quant à moraliser le capitalisme, autant demander à M. Gautier-Sauvagnac et à Mme Parisot de présider une commission sur ce sujet. »

A cet instant, une manifestation du Medef fait irruption dans le studio qui est envahi en quelques secondes aux cris de :

« Nous sommes tous des amoraux ! Amoraux du PIB, amoraux du CAC 40 ! »

Avant qu’on lui ait arraché ses micros, France Attac réussit à pousser un dernier cri :

« Vous tenez les cordons de la bourse, mais nous tenons le fil de la vie ! »

Notes

[1] . On vous le dit : ça ne s’invente pas.

[2] . Soyez-en persuadé : authentique, Le Monde, 10 et 11 mars 2008.

[3] . On vous le dit et le répète : authentique, sur France Inter, 14 mars 2008.

[4] . Je ne le redirai plus : authentique, dans une autre émission : « Ce soir ou jamais », 27 septembre 2007.


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