Lutte Ouvrière : Les fondements programmatiques de notre politique

dimanche 3 juillet 2005.
 

Le texte publié ci-dessous a été adopté par le 33ème congrès de Lutte Ouvrière, les 6-7 décembre 2003. La totalité des textes discutés lors de ce congrès a été publié dans le numéro 77 de notre revue Lutte de Classe que vous pouvez consulter en ligne sur le site de l’Union Communiste Internationaliste.

En 1848, Marx et Engels écrivaient dans le Manifeste du parti communiste : "Le caractère distinctif de notre époque, de l’époque de la bourgeoisie, est d’avoir simplifié les antagonismes de classe. La société se divise de plus en plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat".

C’est sur cette assertion capitale, vérifiée par plus d’un siècle et demi de développement historique, que se fondent le programme et la pratique des révolutionnaires prolétariens.

Dès l’aube du XVIe siècle, le développement de la bourgeoisie, de la production manufacturière, avec le commerce vers les Amériques, l’Afrique et les Indes, ont entraîné l’extension du commerce mondial, souvent sous la forme du pillage et, en retour, la création d’un marché intérieur et mondial.

L’industrialisation provoqua un exode des campagnes vers les villes, une urbanisation croissante et l’apparition du prolétariat industriel s’entassant près des lieux de production dans des taudis insalubres avec des conditions de travail abominables.

C’est avec la révolution industrielle au tout début du XIXe siècle que le marché mondial s’est développé considérablement et que l’industrialisation de l’Europe occidentale, puis de la côte est des États-Unis, a créé une véritable division internationale du travail et donné naissance au prolétariat moderne.

Le développement des capacités de production tant industrielle qu’agricole, lié au développement de la bourgeoisie, a créé les fondements économiques susceptibles de satisfaire tous les besoins tant physiques que matériels et intellectuels de toute la population mondiale.

Il est d’ores et déjà possible de construire un monde débarrassé de la faim, de la misère, de l’exploitation et de l’aliénation. Ce sera cette société communiste à laquelle nous voulons oeuvrer.

La surnatalité dans la plupart des pays sous-développés ne sera pas un problème, contrairement à ce que disent certains économistes qui la rendent responsable du sous-développement. Car on a pu juger que, dans les pays occidentaux, sous l’effet du niveau de vie et de la culture, la natalité se stabilise, voire diminue et que la population n’y augmente que grâce à l’apport de l’immigration en provenance des pays pauvres.

La lutte du prolétariat ne saurait donc se concevoir limitée au cadre de frontières nationales. C’est, au contraire, une lutte internationale, se donnant pour but la destruction de la puissance économique et politique de la bourgeoisie et l’organisation de la classe ouvrière en classe économiquement et politiquement dominante à l’échelle mondiale. L’internationalisme exprime cette communauté fondamentale des intérêts et des objectifs, et non pas une simple solidarité. Il implique sur le plan politique que, pour reprendre l’expression du Manifeste communiste, "dans les différentes luttes nationales des prolétaires, (les communistes) mettent en avant et font valoir les intérêts indépendants de la nationalité et communs à tout le prolétariat". C’est parce que la révolution russe est restée isolée qu’elle a connu l’épouvantable dégénérescence bureaucratique incarnée par Staline.

Gagner aux idées communistes révolutionnaires une fraction de la classe ouvrière et des autres classes prolétariennes directement ou indirectement exploitées pour construire un parti communiste révolutionnaire ici même, en France, ne peut se concevoir que dans le cadre de la construction ou, au moins, dans la perspective d’un parti mondial de la révolution socialiste.

C’est pourquoi, malgré l’absence d’une telle internationale, nous devons en permanence nous efforcer de poser les problèmes politiques du prolétariat et de la société française en fonction des intérêts politiques et sociaux du prolétariat mondial.

Notre programme se fonde sur les acquis politiques du mouvement communiste révolutionnaire et, en conséquence, sur les bases programmatiques exprimées par le Manifeste communiste, les quatre premiers congrès de l’Internationale communiste et le Programme de transition, programme de fondation de la Quatrième internationale.

Le Manifeste communiste de 1848, en affirmant que "le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher petit à petit tout le capital de la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l’État, c’est-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante...", exprime le rôle irremplaçable du prolétariat dans la transformation sociale.

Ce passage donne aussi la véritable signification de l’expression "dictature du prolétariat" exprimée en 1852 sous la plume de Marx comme le pouvoir démocratique du "prolétariat organisé en classe dominante" (ce qui n’a rien à voir avec la déformation de cette notion imposée par les staliniens pour justifier la dictature de la bureaucratie en URSS). Elle n’est une dictature que dans la mesure où sa fonction essentielle sera de procéder à la "violation despotique du droit de propriété et du régime bourgeois de production... comme moyen de bouleverser le mode de production tout entier".

Le pouvoir ouvrier sera l’antithèse de l’État de la bourgeoisie qui, même sous l’apparence des régimes les plus formellement démocratiques, a un caractère dictatorial dans sa fonction fondamentale de défendre la propriété bourgeoise et le mode de production capitaliste.

La "dictature démocratique du prolétariat" devra être d’emblée plus démocratique que le plus démocratique des pouvoirs bourgeois où, derrière les institutions électives, le grand capital impose sa propre dictature. Un pouvoir politique destiné à s’éteindre pour laisser la place à "une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous".

Cette conception marxiste de l’État, de son rôle et de sa nature, bourgeoise aujourd’hui, prolétarienne après la révolution, et sa disparition inéluctable, progressive, au fur et à mesure que la société se transforme, a été exposée et surtout défendue par Lénine, en août 1917, entre les deux révolutions, celle de février 1917 qui avait renversé le tsarisme et celle d’octobre-novembre de la même année qui renversa la bourgeoisie.

Lénine, dans sa brochure L’État et la Révolution, écrite en août 1917, rétablit la pensée de Marx sur cette question, déformée par tous les opportunistes qui l’avaient soi-disant représentée, en éclairant les idées de Marx et Engels par l’expérience des révolutions russes de 1905 et de février 1917 et de la situation de crise révolutionnaire de la période où la brochure a été écrite.

Des quatre premiers congrès de l’Internationale communiste, nous tirons la conviction qu’un Parti est indispensable pour que le prolétariat puisse accomplir la révolution socialiste.

"Ce n’est que dans le cas où le prolétariat est guidé par un parti organisé et éprouvé, poursuivant des buts clairement définis et possédant un programme d’actions susceptible d’être appliqué, tant dans la politique intérieure que dans la politique extérieure, ce n’est que dans ce cas que la conquête du pouvoir politique peut être considérée non comme un épisode, mais comme le point de départ d’un travail durable d’édification communiste de la société par le prolétariat". (Texte adopté en juillet 1920 par le 2e congrès de l’Internationale communiste).

Cela nous distingue non seulement des anarchistes, mais aussi d’une multitude de courants d’aujourd’hui qui répudient toute idée d’organisation politique des classes exploitées et opprimées pour ne parler que de "mouvements sociaux" et qui cachent toujours des objectifs politiques réformistes voire réactionnaires, derrière l’apolitisme.

Mais cela nous distingue, aussi, des partisans d’un "parti ouvrier de masse". Un parti oeuvrant pour la transformation révolutionnaire de la société ne pourrait être un parti de masse que dans un contexte de montée révolutionnaire lorsque la grande majorité de la classe ouvrière elle-même est convaincue de la nécessité de s’emparer du pouvoir politique. La notion de "parti ouvrier de masse" sert en général de refuge à ceux qui défendent une politique réformiste. L’ensemble des travailleurs n’est pas révolutionnaire en temps normal. Les masses sont au contraire réformistes et ce n’est que dans des périodes critiques que la nécessité d’un changement radical de politique s’empare des masses. En dehors de ces périodes, on ne peut gagner aux idées révolutionnaires qu’une minorité du monde du travail.

Le Programme de transition (septembre 1938) prolongeant les textes programmatiques précédents, outre son analyse de la dégénérescence bureaucratique du premier État ouvrier et sa défense du programme communiste contre les déformations staliniennes, définit ce que sont les "revendications transitoires" qu’il met en avant : "partant des conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de la classe ouvrière et conduisant invariablement à une seule et même conclusion : la conquête du pouvoir par le prolétariat", par opposition à la séparation entre le programme minimum qui se limitait à des réformes dans le cadre de la société bourgeoise et le programme maximum qui promettait pour un avenir indéterminé le remplacement du capitalisme par le socialisme".

C’est guidés par ce programme qu’en fonction de la situation économique, sociale et politique actuelle, nous mettons en avant la revendication de l’interdiction des licenciements collectifs sous peine de réquisition surtout dans les entreprises qui affichent cyniquement des profits. C’est une revendication transitoire car sa mise en oeuvre nécessite un niveau de luttes sociales en mesure de mettre en cause la propriété privée capitaliste.

Comme est une revendication transitoire la revendication de l’abolition du secret commercial et bancaire dans la mesure où ce ne peut être que le prolétariat qui se charge de son application. Bien entendu, si la publicité des comptabilités, la transparence des affaires restaient des articles de loi ou si seuls des organismes de collaboration de classe, genre comités d’entreprise, avaient le droit de vérifier les comptes des entreprises, de révolutionnaires ces objectifs deviendraient platement réformistes. Si, cependant, le prolétariat mobilisé les prend en charge, cela l’amène à contrôler les comptes des entreprises et des banques, à intervenir dans leur gestion et, en fin de compte, à remette en cause la disposition totale du capital industriel, commercial et bancaire par la grande bourgeoisie.

Le Programme de transition est également la clé de la compréhension de la dégénérescence bureaucratique du premier État ouvrier et de toutes les déformations introduites par le stalinisme dans le programme et dans les valeurs fondamentales du mouvement ouvrier. Nous avons toujours défendu l’analyse trotskyste contre des courants, et ils ont été nombreux, qui, avant même la mort de Trotsky et plus encore après, en abandonnant pour l’URSS la notion d’État ouvrier dégénéré ont en fait abandonné la notion d’État ouvrier tout court.

En ne remettant pas fondamentalement en cause, même aujourd’hui, cette appréciation alors que l’Union soviétique est morcelée et que la quasi-totalité de ses dirigeants oeuvrent au retour du capitalisme, nous nous plaçons dans la continuité de ce combat politique car, même aujourd’hui, certains traits de la société ex-soviétique ne s’expliquent pas sans un raisonnement basé sur les analyses trotskystes et, surtout, parce que l’évolution vers la domination sociale et économique totale de la bourgeoisie est loin d’être encore accomplie.

La Quatrième internationale, fondée par Léon Trotsky en 1938, a en effet été, jusqu’à la mort de ce dernier en 1940, la seule continuatrice politique du mouvement successivement incarné par l’Association internationale des travailleurs de Marx et Engels, par la Deuxième internationale jusqu’à la Première Guerre mondiale et par l’Internationale communiste des années 1919-1923. Si, en tant que direction internationale, la Quatrième internationale n’a pas résisté à la Seconde Guerre mondiale, le Programme de transition, son programme constitutif, malgré la marque des circonstances où il fut écrit, est encore le meilleur guide existant pour les révolutionnaires prolétariens. C’est en quoi la tâche fondamentale de ceux-ci est la reconstruction d’une Internationale communiste révolutionnaire.

Notre programme politique

La reconstruction d’une Internationale implique la construction, dans tous les pays du monde, de partis prolétariens, défendant le rôle historique du prolétariat, ce qui n’empêche pas, au contraire, de défendre ses intérêts immédiats, mais sans perdre de vue et en restant dans le cadre de la défense de ses intérêts généraux, c’est-à-dire de ceux de toute la société.

Il en résulte, à notre échelle, que nos camarades d’entreprise participent aux luttes petites et grandes que les travailleurs et les exploités en général mènent pour défendre leurs conditions d’existence. Comme il en résulte qu’ils doivent se donner une activité syndicale. Mais, dans les luttes petites et grandes contre la bourgeoisie et son État, comme dans l’activité syndicale, les révolutionnaires communistes, pour reprendre l’expression du Manifeste communiste, "représentent toujours les intérêts du mouvement dans sa totalité".

La construction de partis authentiquement prolétariens et la lutte pour la révolution socialiste nécessitent une délimitation rigoureuse, tant politique qu’organisationnelle, du terrain de classe sur lequel les révolutionnaires doivent se placer. Face aux"fronts"de toutes sortes visant à mettre la classe ouvrière à la remorque d’organisations et d’intérêts bourgeois, les révolutionnaires doivent en particulier défendre la nécessité d’une organisation et d’une politique prolétariennes indépendantes, se donnant pour but l’instauration du pouvoir démocratique du prolétariat représenté par un pluralisme des partis révolutionnaires.

La société bourgeoise entretient et reproduit bien des formes d’oppression ou d’exclusion contre les femmes, des minorités nationales, voire ethniques et bien d’autres, car elle en suscite sans cesse de nouvelles - les sans-papiers, les sans-logis - provoquant des réactions de protestation, momentanées ou permanentes. Comme en provoquent fréquemment les multiples conséquences du fonctionnement de l’économie capitaliste.

Les révolutionnaires communistes soutiennent la contestation, même limitée et partielle, de l’organisation capitaliste de la société, sans pour autant attribuer automatiquement à ces mouvements un caractère révolutionnaire que, le plus souvent, ils n’ont pas.

Le stalinisme a déformé ou vidé de sens la plupart des objectifs du mouvement ouvrier. Il en est ainsi des notions d’"anti-impérialisme", d’"anti-capitalisme", voire d’"internationalisme". Cela fait qu’aujourd’hui bien des courants politiques n’ayant aucun lien, ni passé, ni présent, avec le mouvement ouvrier peuvent s’emparer de ces mots et faire d’autant plus de bruit avec qu’ils les ont vidés de sens.

Le courant altermondialiste n’est que le dernier avatar de ce type de courants qui utilisent certaines notions héritées du mouvement ouvrier, mais vidées de contenu, en canalisant l’indignation voire la révolte que soulève telle ou telle injustice criante ou telle ou telle conséquence catastrophique de l’économie capitaliste.

Nous devons nous démarquer clairement et fermement de ces courants, lever les ambiguïtés de leur langage et dénoncer leur politique qui, derrière des aspects contestataires, est fort respectueuse de l’ordre social.

De façon analogue, le stalinisme a déformé la tradition bolchévique du parti communiste révolutionnaire, reprise par la Troisième internationale. À la notion de parti, à la fois discipliné et démocratique et, surtout, entièrement dévoué aux intérêts politiques du prolétariat, il a substitué celle de parti stalinien où la discipline est remplacée par un autoritarisme destiné à interdire toute critique susceptible de dévoiler que le parti a abandonné les intérêts du prolétariat pour se mettre d’abord au service de la bureaucratie ex-soviétique puis, par son intermédiaire, de la bourgeoisie de chaque pays.

L’évolution des partis staliniens, leur social-démocratisation sur le plan politique et organisationnel, ont parachevé une évolution. Sous prétexte de remise en cause de leur passé stalinien, les PC - et le PCF en particulier - ont surtout abandonné leurs références aux traditions communistes. Cette évolution a contribué au rejet de l’idée même que le prolétariat a besoin d’un parti politique démocratique, mais centralisé et discipliné, pour parvenir à son émancipation. Entraînant derrière eux bien des organisations pseudo-révolutionnaires qui affirment aujourd’hui que le parti n’est plus le principal dans la révolution sociale.

La nécessité d’un parti communiste révolutionnaire refusant de se fondre dans des fronts plus larges n’est pas seulement vraie pour les pays capitalistes avancés, où les tâches de la révolution démocratique bourgeoise ont été accomplies et où le prolétariat constitue une classe très nombreuse.

Cela est également vrai pour les pays"sous-développés"où les tâches de la révolution démocratique bourgeoise n’ont pas été accomplies et qui sont soumis au pillage impérialiste et dont le prolétariat, souvent numériquement faible, est soumis à une exploitation forcenée. Bien que la quasi-totalité des pays pauvres de la planète ne soit plus soumise à l’oppression coloniale directe, ils subissent toujours, et de façon aggravée, la domination économique et politique de l’impérialisme. Le principal changement apporté par la décolonisation réside dans le fait qu’une couche dirigeante autochtone a pris en charge les tâches d’oppression de l’ancienne métropole coloniale. Les États des pays pauvres sont le plus souvent des dictatures corrompues qui, après les prélèvements de l’impérialisme, pressurent encore leur population pour en extraire ce qui pourrait rester à en soutirer. La misère des masses pauvres n’y a pas de limite.

Les contradictions de classe restent, en conséquence, explosives dans les pays pauvres. Les aspirations de larges masses à des droits démocratiques et surtout à une vie meilleure ont été canalisées pendant toute une période historique, pendant et après le mouvement de décolonisation, par l’influence d’organisations petites-bourgeoises nationalistes plus ou moins progressistes, se prétendant même, parfois, marxistes-léninistes.

Le pillage impérialiste ne fait cependant pas que saigner ces pays. Il les a aussi fait régresser sur le plan de la conscience politique. L’ère du nationalisme"progressiste", du panafricanisme, du tiers-mondisme de différentes variétés, cède la place à l’ère de la montée des forces réactionnaires, de l’intégrisme dans certains pays, de l’ethnisme dans d’autres. La domination impérialiste repousse nombre de pays pauvres vers une barbarie moyenâgeuse, vers les guerres permanentes et le règne des seigneurs de guerre.

Dans tous les pays pauvres, les révolutionnaires prolétariens devraient prendre en charge les aspirations anti-impérialistes des masses, ainsi que leurs aspirations aux droits et libertés démocratiques. Un parti prolétarien chercherait à se mettre à la pointe de cette lutte en démontrant par sa politique qu’il est le seul à pouvoir aller jusqu’au bout de ce combat.

Mais il doit le faire sur un terrain de classe, ce qui exige sa rigoureuse indépendance de classe. Il doit le faire en éclairant sans cesse les travailleurs urbains et ruraux sur leurs intérêts de classe et sur ce qui les sépare ou les oppose aux catégories sociales dont les représentants sont susceptibles d’utiliser un langage"anti-impérialiste". Cela l’opposera de façon radicale aux courants intégristes, ethnistes, etc., mais cela l’opposera également aux organisations nationalistes petites-bourgeoises même à prétention progressiste.

Nous n’avons jamais prétendu être une Internationale, même au sens qu’avait la IVe internationale au moment de sa fondation. Même en étant organisationnellement extrêmement faible, la IVe internationale de l’époque était dirigée par Trotsky qui représentait à lui seul le capital politique issu de l’expérience de la révolution russe et celui de la IIIe internationale, capital qui a disparu presque totalement avec lui. Les différents courants trotskystes qui ont joué à l’Internationale, outre le caractère dérisoire de ces jeux, masquaient en même temps l’abandon des efforts d’implantation dans la classe ouvrière de leurs pays, c’est-à-dire l’abandon en fait de la construction des partis communistes révolutionnaires.

Nous avons cependant toujours essayé de raisonner en fonction des intérêts du prolétariat international. C’est de ce point de vue-là que nous avons analysé les phénomènes politiques nouveaux depuis la mort de Trotsky, comme les Démocraties populaires ou la révolution chinoise. Cela nous a amenés souvent à nous différencier, voire à nous opposer aux différents courants trotskystes existants. Avec la disparition des Démocraties populaires, l’objet de nos divergences a disparu, mais pas leur histoire et pas la différence dans les méthodes d’analyse sociale. Ces différences, on les retrouve dans nos jugements respectifs des courants nationalistes plus ou moins radicaux qui existent dans les pays pauvres. Comme elles se retrouvent dans nos attitudes respectives vis-à-vis de la social-démocratie et ses avatars divers.

Nous avons également considéré de notre devoir, quand l’opportunité s’en présentait, d’aider des militants d’autres pays à militer sur la base des idées communistes révolutionnaires.

Malgré un certain nombre de succès électoraux relatifs - relatifs à notre implantation dans la classe ouvrière -, notre tâche fondamentale reste la même qu’il y a vingt ou trente ans.

Outre qu’elle est modeste, l’influence électorale ne fait pas le parti. Aussi, si nous sommes amenés à participer à bien des manifestations de solidarité envers tel ou tel peuple ou fraction de la population particulièrement opprimée, et si nous continuons, comme il est du devoir des communistes révolutionnaires, à nous présenter aux élections, toutes ces activités doivent se placer dans la perspective de la construction d’un parti communiste révolutionnaire prolétarien et lui être subordonnées.

L’émergence d’un tel parti ne dépend évidemment pas que de nous, mais aussi des circonstances, de la reprise de confiance du prolétariat en lui-même, ici, en France, comme ailleurs. Ce qui dépend de nous, c’est de ne pas abandonner les idées, le programme hérités de plus d’un siècle et demi d’histoire du mouvement ouvrier révolutionnaire, de ne pas les dissoudre dans des alliances ou fronts en vue de succès éphémères, de chercher à organiser des travailleurs autour de ces idées.

Quant aux circonstances favorables qui permettront à ce qui est semé aujourd’hui de pousser demain, nous en puisons l’espoir dans le fait que l’évolution historique donnera raison aux objectifs de transformation sociale du mouvement ouvrier révolutionnaire car notre conviction est que le capitalisme, l’exploitation, l’oppression, les guerres ne peuvent pas représenter le seul avenir de l’humanité. Imprimer Haut de page Imprimer Haut de page A propos de l’altermondialisme (20/10/2003)

Le texte publié ci-dessous a été adopté par le 33ème congrès de Lutte Ouvrière, les 6-7 décembre 2003. La totalité des textes discutés lors de ce congrès a été publié dans le numéro 77 de notre revue Lutte de Classe que vous pouvez consulter en ligne sur le site de l’Union Communiste Internationaliste.

Le courant "altermondialiste", aux frontières mal définies, au langage contestataire mais dans le cadre de l’ordre établi, aux objectifs utopiques bien que dérisoires car destinés à convaincre les autorités politiques, occupe aujourd’hui de plus en plus de place dans l’actualité politique, moins en raison de sa propre audience qu’en raison de la perte de crédit des partis de gauche, s’ajoutant à la perte, bien plus ancienne, de références au marxisme.

Ce courant hétérogène affirme incarner la contestation à l’égard d’un phénomène désigné dans le jargon de certains économistes par le terme "mondialisation " ou, parfois, "globalisation", expressions reprises par les hommes politiques, répandues par les médias. Présenté au début comme "antimondialiste", il préfère se dire aujourd’hui "altermondialiste". Il est vrai que le mot "antimondialisme" signifie combattre la mondialisation, ce qui serait aussi clairement utopique que réactionnaire.

En France, c’est l’organisation Attac qui se pose en principal représentant du courant altermondialiste. Mais bien d’autres organisations du mouvement dit social, comme la Confédération paysanne de José Bové, se revendiquent de ce courant.

Pour les altermondialistes, la "mondialisation", au sens où ils l’entendent et qu’ils mettent en cause, serait un phénomène relativement récent qui se serait imposé, disons, à partir du milieu des années soixante-dix et dont le "néo-libéralisme" de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher était l’expression politique.

Au-delà de la critique de la politique des "altermondialistes", il faut donc s’interroger sur la validité de l’analyse de l’évolution de l’économie sur laquelle elle prétend se fonder et sur la nature des changements intervenus dans le fonctionnement de l’économie mondiale au dernier quart du XXe siècle.

La mondialisation, au sens de l’émergence d’une économie mondiale, l’internationalisation de la production, sont inséparables du développement capitaliste. En 1848, il y a plus d’un siècle et demi déjà, le Manifeste du parti communiste la décrivait comme une des caractéristiques du capitalisme : "La nécessité de trouver des débouchés toujours nouveaux pour ses produits pousse la bourgeoisie à envahir le monde entier. Il lui faut s’implanter partout, coloniser partout, avoir des connections partout (...). À la place de l’ancien isolement des provinces et des nations se suffisant à elles-mêmes, nous avons le commerce qui se développe dans toutes les directions et une interdépendance universelle des nations".

Et Marx a été le premier à analyser cette conséquence à grande échelle de la mondialisation capitaliste en citant comme exemple la ruine de la production textile artisanale en Inde par le développement de l’industrie textile capitaliste en Angleterre.

Les "altermondialistes" chargent également le mot "mondialisation" d’un autre sens : celui de la domination des "multinationales" qui dictent leurs lois, y compris aux gouvernements ; la victoire du capital financier sur le capital industriel ; les pays "du Sud" - désignés ainsi dans le vocabulaire altermondialiste pour ne pas dire pays "sous-développés" ou "pauvres", expressions considérées comme péjoratives - étouffés par la finance des pays impérialistes ; la domination de l’économie d’un petit nombre de grandes puissances, pour l’essentiel celle des États-Unis, sur le reste du monde.

Sous cet angle-là, le phénomène n’est pas non plus vraiment nouveau. En 1916, Lénine définissait ainsi l’impérialisme :

"L’impérialisme est le capitalisme arrivé à un stade de développement où s’est affirmée la domination des monopoles et du capital financier ; où l’exportation des capitaux a acquis une importance de premier plan ; où le partage du monde a commencé entre les trusts internationaux et où s’est achevé le partage de tout le territoire du globe entre les plus grands pays capitalistes", en ajoutant : "Monopoles, oligarchie, tendances à la domination au lieu de tendances à la liberté, exploitation d’un nombre croissant de nations petites et faibles par une poignée de nations riches ou puissantes - tout cela a donné naissance aux traits distinctifs de l’impérialisme qui le font caractériser comme un capitalisme parasitaire ou pourrissant. Toujours plus en relief apparaît la tendance de l’impérialisme à créer l’"État-rentier", l’ État-usurier, dont la bourgeoisie vit de plus en plus des capitaux exportés et de la"tonte des coupons" ".

Le terme "mondialisation", tel que l’utilisent les altermondialistes, recouvre en fait un certain nombre de changements, réels, qui ont accentué certains traits du capitalisme au stade impérialiste sans toutefois le changer fondamentalement. Pour l’essentiel, il s’agit d’un accroissement des échanges internationaux bien plus fort que celui de la production ; la levée progressive des protectionnismes imposés par les États devant le déplacement et les placements de capitaux ; la prédominance plus importante que jamais du capital financier sur le capital productif, aggravant le parasitisme du grand capital ; la "déréglementation" et le "décloisonnement" levant les obstacles juridiques qui interdisaient, par exemple, à une banque de se livrer à des activités d’assurances, et réciproquement, et, enfin, l’ampleur des concentrations de capitaux et le renforcement de la puissance des trusts multinationaux sur l’économie mondiale. Ces variations de grandeur n’ont pas modifié les caractères fondamentaux de l’impérialisme que décrivait Lénine.

La discussion autour de l’utilisation du terme "mondialisation" n’est pas une simple question de vocabulaire. Le terme est suffisamment vague pour que l’on puisse y mettre tout et son contraire, et il dissimule surtout le fait que même les traits de l’économie capitaliste mondiale qui se sont modifiés depuis une trentaine d’années résultent du développement organique du capitalisme lui-même. Il est destiné à servir de point d’appui à l’idée politique suggérée, quand elle n’est pas affirmée ouvertement, par le courant altermondialiste que, pour faire face à la situation catastrophique actuelle, il suffirait de revenir au fonctionnement passé de l’économie impérialiste.

La tendance actuelle à l’abaissement des barrières protectionnistes n’est nouvelle que par rapport au protectionnisme exacerbé d’entre les deux guerres qui s’est prolongé pendant et après la Deuxième Guerre mondiale. Dans les premières décennies de l’ère impérialiste, disons de 1870 à 1914, l’économie a connu une première période de grande mobilité des capitaux par-delà les frontières et de très fort essor du commerce international. Les grands groupes industriels et financiers qui étouffaient - déjà ! - dans les frontières nationales s’appuyaient sur la puissance militaire et diplomatique de leur État national pour "mondialiser" - déjà ! - leur production et leur marché. La guerre de 1914 a sonné le glas de cette période de "mondialisation" et a marqué le début du repliement sur les protectionnismes, sur les monnaies nationales et le contrôle des changes.

Mais, à aucune de ces deux périodes, l’impérialisme n’a été le règne de la libre concurrence et des pures lois du marché. Le partage du monde par une demi-douzaine de grandes puissances impérialistes à la fin du XIXe siècle a été l’expression tout à la fois du caractère mondial de l’économie sous l’impérialisme et du caractère protectionniste de la domination impérialiste de cette époque. La mainmise directe, politique aussi bien qu’économique, des grandes puissances sur telle ou telle partie du monde, ne visait pas seulement à mieux préserver leur domination économique sur les peuples concernés, mais, plus encore, à défendre leur sphère d’influence contre la pénétration des puissances impérialistes concurrentes. La forme coloniale de la domination impérialiste était essentiellement protectionniste. Les États-Unis étaient occupés à cette époque par la conquête de l’Ouest américain qui se révéla un élément déterminant de l’extension de leur énorme marché intérieur. Pour le reste, les États Unis n’ont pas éprouvé le besoin de protéger leur sphère d’influence par une domination coloniale, à quelques exceptions près (Philippines, Porto-Rico, Amérique centrale à certaines époques). Ils avaient d’autres moyens bien plus efficaces : leur puissance économique et, au besoin, leur puissance militaire.

La grande crise capitaliste mondiale de l’année 1929 a poussé le protectionnisme envers l’extérieur et l’étatisme à l’intérieur - dernières armes de l’économie impérialiste face à la crise - à un degré sans précédent : l’économie allemande sous le nazisme en a été le modèle poussé à l’extrême. Pendant la guerre cependant, toutes les puissances impérialistes se sont engagées sur la même voie.

Le protectionnisme et l’étatisme mis au service du grand capital ont été surtout des moyens pour développer une économie tournée vers la guerre. Ils y ont conduit tout naturellement et ils ont continué pendant et dans l’immédiat après-guerre.

Lors de la période de reconstruction économique encore, où le rôle des États nationaux a été décisif, ces derniers opposèrent les droits de douane, les contingentements, les obstacles tarifaires et techniques, et le contrôle des changes aux libres déplacements des marchandises et des capitaux.

Dans les années qui suivirent la guerre, le mouvement de décolonisation mit fin, plus ou moins rapidement suivant le colonisateur, aux chasses gardées que représentaient les colonies pour les puissances impérialistes de second rang.

Fait politique imposé par la révolte des peuples coloniaux, la révolution coloniale est devenue elle-même, sur le plan économique, un des facteurs de l’évolution de l’économie impérialiste en ouvrant plus ou moins les anciennes chasses gardées à la concurrence internationale.

Si quelques États issus de luttes d’émancipation coloniale, la Chine en particulier, ont tenté de moderniser leur économie nationale par des moyens étatistes et à l’abri de barrières protectionnistes, la plupart des pays devenus indépendants se sont simplement retrouvés dans la même situation que ceux de l’Amérique latine à l’égard des États-Unis. Leur nouvelle indépendance juridique dissimulait non seulement leur dépendance économique totale à l’égard de l’impérialisme, mais aussi le caractère limité de leur indépendance politique.

De la même manière que les États-Unis ont pesé sur l’Amérique latine en intervenant directement et militairement (Guatemala, Saint-Domingue ou Grenade) ou en fomentant des putschs militaires (Chili, Argentine et bien d’autres), les puissances impérialistes secondaires ont dû modifier leur façon de peser sur leurs anciennes colonies.

Dans les relations inter-impérialistes, les États-Unis étaient, dès la fin de la guerre, en situation de peser dans le sens de l’abaissement du protectionnisme... surtout du protectionnisme des autres puissances impérialistes à leur égard. Les institutions internationales alors mises en place, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI), l’Accord général sur les tarifs et le commerce (GATT), ancêtre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), étaient destinées à servir de cadres aux multiples négociations visant à lever le plus d’obstacles possibles au commerce international. Mais ce qui avantageait les uns défavorisait les autres, et ces accords, toujours limités, ont avancé lentement. Les accords de Bretton-Woods créant un système monétaire basé sur le dollar, lui-même convertible en principe en or, étaient également prévus pour faciliter le troc et des accords bilatéraux ou trilatéraux, qui ont été longtemps la seule forme de commerce international, et tenter de mettre de l’huile dans ces circuits d’échanges. Mais si le dollar, devenu instrument de paiement universel, facilitait le commerce international, il servait en même temps les intérêts des États-Unis, seule puissance ayant la possibilité de financer ses importations et surtout ses prêts énormes aux autres pays par une monnaie de sa fabrication.

La mise en place du Marché commun entre un certain nombre de pays européens, les longues négociations entre États pour parvenir à un abaissement des barrières douanières, le cheminement vers la monnaie unique ont été la concrétisation sur ce continent de l’évolution globale de l’économie impérialiste.

La crise monétaire de 1971-1973, expression d’une véritable crise économique qui a ouvert une longue période de stagnation ou de faible croissance productive, a accéléré le mouvement pour arriver à une situation où les grands trusts ont cherché à consacrer par le droit ce qu’ils faisaient déjà dans les faits, c’est-à-dire investir librement là où ils veulent, quand ils veulent et comme ils veulent.

Contrairement aux stupidités véhiculées par le courant altermondialiste, les trusts ne sont pas parvenus à cette fin en brisant la souveraineté des États. La politique de réduction des obstacles protectionnistes entre États, complétée par la "déréglementation", n’était pas menée contre les États et leur "souveraineté", mais par les États eux-mêmes, chacun cherchant à faire prévaloir les intérêts de ses propres groupes industriels et financiers. En effet, aucun de ces grands groupes ne peut se contenter du marché national.

L’OMC n’est pas une entité tombée du ciel pour imposer ses quatre volontés en foulant aux pieds la "souveraineté" des États. Elle résulte de la volonté partagée des États impérialistes de mettre en place un cadre où peuvent se négocier des accords globaux conciliant, autant que faire se peut, les intérêts contradictoires de leurs trusts. Et, contrairement à la mythologie "altermondialiste", ce sont moins les États-Unis, assez puissants pour régner sur la jungle du marché mondial, qui ont besoin d’un organisme d’arbitrage que les puissances impérialistes de seconde zone.

De même, les institutions européennes ne constituent pas un État supra-national imposant aux États nationaux des politiques favorables au grand capital. Elles résultent d’accords longuement marchandés entre États nationaux, chacun ayant pour objectif d’assurer une meilleure position pour sa propre bourgeoisie sur le marché européen.

On voit d’ailleurs que les États européens les plus forts, dont le déficit budgétaire dépasse largement le plafond des 3 % théoriquement tolérés, s’assoient sans gêne sur cette règle, sans doute réservée aux plus faibles.

Non seulement la "mondialisation" n’a pas diminué le rôle des États nationaux, mais elle leur a fourni ces arènes supplémentaires d’interventions pour défendre les intérêts de leur bourgeoisie que sont les organisations internationales - OMC, FMI, Banque mondiale - sans oublier le rôle sans cesse accru des États pour aider leurs capitalistes sur leurs marchés intérieurs (subventions, aides, multiples formes de protectionnisme ouvert ou déguisé, politiques d’armement, etc.). Cela vaut, aussi, pour des regroupements politico-économiques comme l’Union européenne. Les États de l’Union européenne - et encore, pas tous - ont accepté d’abandonner cet aspect de leur pouvoir régalien qu’est le droit de faire marcher la planche à billets. Cesser de pénaliser le commerce intra-européen par des fluctuations entre monnaies différentes est devenu vital pour les trusts français, allemands, hollandais, italiens ou belges. D’où la décision de créer l’euro. Mais les États continuent à se surveiller les uns les autres pour que cet "abandon de souveraineté" intéressé ne soit pas nuisible à leur bourgeoisie, en s’asseyant au besoin sur les "règles communautaires" qu’ils ont eux-mêmes édictées. Dans ces bras de fer permanents entre États, ce sont moins ces règles que le rapport des forces qui décident, c’est-à-dire les puissances respectives des économies mais, aussi, des États.

Les échanges commerciaux mondiaux, dont l’accroissement est évoqué par les partisans de la globalisation comme l’expression de liens supplémentaires entre les hommes de la planète, concernent, pour un tiers d’entre eux, des échanges à l’intérieur d’un même trust multinational et, pour un autre tiers, entre grands trusts mondiaux.

Ainsi, ce qu’on présente comme "l’ouverture totale du marché mondial" n’est ni vraiment mondial ni même vraiment un marché. Les liens financiers et commerciaux tissés à l’échelle de la planète laissent de côté des pays entiers en Asie ou en Amérique latine, voire des continents entiers comme l’Afrique. Et, à l’intérieur même des grands pays intégrés dans les circuits de l’économie capitaliste mondiale, le développement est inégal : des régions de concentration industrielle et financière constituent des îlots dans des pays laissés par ailleurs sur le bord du chemin. Cette évolution creuse encore plus l’écart entre les pays et les régions développés et les pays et les régions où la misère s’accroît.

Dans les années soixante-dix, la nécessité de "recycler" les dollars accumulés en raison de l’explosion des prix du pétrole et que la production, stagnante, était incapable d’absorber en générant du profit, a conduit les grands groupes financiers à prêter largement à nombre d’États du tiers monde. Du coup, certains d’entre eux ont eu un pouvoir d’achat qui les intégrait dans le commerce international avec un taux de progression de leurs exportations et surtout de leurs importations souvent plus rapide qu’entre pays développés.

Les commentateurs vantaient alors les progrès de pays "en voie de développement". Mais les "crises de la dette", la banqueroute du Mexique, les crises asiatiques, la ruine de plusieurs pays et de leur petite bourgeoisie et la retombée effroyable de leurs masses populaires dans la misère ont montré ce que cette "intégration économique" avait d’inégalitaire. Le développement du commerce international est, depuis plusieurs années, dû à l’interpénétration économique des grandes régions impérialistes : États-Unis, Canada, Europe occidentale et Japon.

L’économie fonctionne avec des endettements surréalistes. Les États impérialistes eux-mêmes, les États-Unis en tête, sont endettés jusqu’au cou. L’ensemble de la dette américaine atteint la somme inimaginable de 33 000 milliards de dollars, plus du triple de la production intérieure brute de ce pays, c’est-à-dire trois fois plus que l’ensemble des biens et des services produits en une année dans l’économie la plus puissante du monde ! La dette publique elle-même, c’est-à-dire l’endettement de l’État américain, est supérieure au produit intérieur brut. Ce qui signifie que le grand capital prélève sa dîme même sur la population des pays impérialistes qui doit payer par ses impôts ou par la dégradation des services publics et du cadre de vie les intérêts de la dette publique.

Mais l’aspect le plus révoltant de cette économie d’endettement généralisé est sans nul doute la dette des pays du tiers monde car, bien qu’elle soit très inférieure à celle des pays riches, le seul paiement des intérêts a conduit à des prélèvements usuriers colossaux qui étranglent ces pays et saignent leur paysannerie pauvre et leurs travailleurs.

Les déplacements quasi instantanés de capitaux, facilités par l’abandon généralisé des contrôles des changes, la déréglementation et le décloisonnement entre les différents secteurs de la finance ont conduit à des vagues de spéculations, à des crises financières répétées et surtout, à un immense gaspillage des forces productives, à la polarisation des richesses, à l’accroissement des inégalités entre classes sociales à l’intérieur d’un même pays et entre pays développés et pays pauvres.

Le capital financier pousse au démantèlement des services publics et, ce faisant, il démolit ce qui est utile à toute la population et transforme les secteurs les plus rentables en objets de spéculation. Le démantèlement des barrières protectionnistes a surtout été celui de celles des États sous-développés. Le rêve tant caressé par les dirigeants nationalistes d’un certain nombre de pays sous-développés d’assurer le développement d’une industrie nationale grâce à l’étatisme a été détruit.

La base même du mouvement altermondialiste est extrêmement hétérogène, allant de ceux qui protestent contre telle atteinte à l’environnement ou qui s’opposent à l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés, à des mouvements pacifistes ; elle mélange syndicalistes réformistes, étudiants révoltés par les injustices, paysans défendant leur existence.

Quant à la direction, on y trouve de prétendus apolitiques, comme José Bové, des staliniens non reconvertis, comme Jacques Nikonoff, des dirigeants réactionnaires de syndicats américains, des politiciens souverainistes, comme Chevènement, des sociaux-démocrates qui, après des années passées au gouvernement, cherchent à se refaire une virginité et aussi, il est vrai, quelques groupes qui se revendiquent du communisme révolutionnaire.

Cet ensemble ne peut se retrouver par la force des choses que sur quelques slogans, quelques revendications qui, même lorsqu’ils sont justes, ce qui n’est pas toujours le cas, proposent des objectifs qui sont en quelque sorte le plus petit dénominateur entre courants hétérogènes mais dont la quasi-totalité ne se pose pas le problème de renverser le capitalisme mais seulement de l’améliorer.

C’est un courant qu’il n’est même pas exact de qualifier de "réformiste" au sens que ce mot avait à ses origines comme un ensemble d’idées et de revendications issues du mouvement ouvrier. D’abord parce que l’altermondialisme n’a aucun lien ni passé ni présent avec le mouvement ouvrier. Ensuite, précisément parce que les courants réformistes s’appuyaient, fût-ce pour la canaliser, sur la force du prolétariat organisé et pouvaient imposer un certain nombre de réformes réelles à la bourgeoisie - il est vrai, dans un autre contexte -, alors que le courant altermondialiste, qui n’a aucune influence dans le monde ouvrier, en est à geindre devant les représentants politiques du grand capital, à demander qu’ils veuillent bien tenir compte de ses aspirations, exploiter un peu moins, piller un peu moins les pays pauvres ou taxer, un peu, les mouvements internationaux du capital financier.

Le courant altermondialiste a beau être très récent, les fades idées qu’il véhicule sont parmi celles que le mouvement ouvrier révolutionnaire a toujours eu à combattre.

Critiquer, par exemple, la répartition et pas la production capitaliste est une vieille lune des économistes réformistes. Comme si on pouvait séparer l’une de l’autre alors que la production - le choix de ce qu’on produit, la quantité, etc. - est déterminée par le marché, c’est-à-dire en réalité par la répartition.

Appeler au secours les États pour s’opposer aux inégalités et aux injustices produites par l’économie impérialiste, c’est masquer le fait que les États sont au service du grand capital impérialiste.

Discourir sur "l’humanisation du marché" ou même manifester pour affirmer que "le monde n’est pas une marchandise" sans même mettre en cause la libre concurrence et la propriété privée, est, au mieux, avoir des illusions, au pire, les propager sciemment.

Critiquer, même avec un langage radical, "l’ultra-libéralisme" ne signifie pas critiquer le capitalisme et, encore moins, le combattre. C’est, au contraire, propager l’idée que quelques-uns des aspects les plus révoltants de l’économie actuelle ne sont pas les conséquences inéluctables du capitalisme, mais le fait d’une politique qu’il suffirait de changer.

Critiquer le "social-libéralisme" comme le fait Attac n’est pas critiquer les grands partis de gauche qui, lorsqu’ils sont au gouvernement, mènent la politique de la bourgeoisie, mais en jouant sur les termes et le vocabulaire leur permettre de tromper les classes laborieuses afin de tenter de revenir au pouvoir - et recommencer la même politique.

Malgré le caractère timoré de ses revendications, le courant altermondialiste ne cherche pas, volontairement, à se donner les moyens de les imposer. Il se contente de prétendre convaincre du bien-fondé de celles-ci les autorités nationales ou internationales. Il considère comme des hauts faits d’armes que des députés votent des résolutions non suivies d’effet allant dans le sens de ses slogans ou que des ministres participent occasionnellement à telle ou telle de ses manifestations.

Attac, la principale organisation qui incarne en France le courant altermondialiste, se prétend apolitique alors qu’elle est en réalité un parti politique, avec une direction inamovible et irresponsable devant sa propre base. Son apolitisme de façade cache la proximité de sa direction avec l’ex-gauche plurielle. Il véhicule, en outre, une autre idée néfaste du point de vue des intérêts politiques des travailleurs : celle que l’on peut se passer des partis politiques. C’est une tromperie majeure, alors que ce qui manque à la classe ouvrière, c’est un parti politique qui représente ses intérêts historiques, c’est-à-dire un parti dont l’objectif fondamental est la destruction de l’organisation capitaliste de l’économie et de la société.

Contrairement à ce qu’ils affirment, les militants révolutionnaires qui prétendent qu’en raison de l’attrait qu’Attac exerce dans certains milieux de jeunes, il faut y participer, sont, en son sein, réduits à l’impuissance. Non seulement les structures anti-démocratiques d’Attac permettent à sa direction d’écarter toute contestation n’ayant pas son agrément, mais en plus Attac ne constitue même pas un milieu militant. Pas de véritables contacts entre adhérents, si ce n’est par Internet, pas de rencontres en dehors de quelques réunions ponctuelles qui permettent tout au plus d’échanger quelques statistiques économiques, quelques informations utiles, mais au service d’une politique qui, au lieu d’élever les consciences à la compréhension de la nécessité de renverser l’ordre capitaliste mondial, les en éloigne.

Quant aux événements spectaculaires, les grandes manifestations dont se vante la direction d’Attac, ils sont ponctuels, c’est-à-dire ne permettent pas un travail régulier. Et ils sont généralement le fruit de l’apport d’organisations, notamment syndicales, qui soutiennent Attac mais qui ne se réduisent pas à cette organisation.

Que rejoindre Attac puisse être une étape dans une évolution individuelle, c’est possible - encore que cela ne soit vrai que pour une infime minorité. Mais militer au sein d’Attac est se donner l’illusion de faire quelque chose alors qu’au mieux, on n’y fait rien et, au pire, on en justifie la politique.

Si l’on distingue les dirigeants d’Attac, sa politique et ses activités, des milliers de jeunes ou de militants d’associations diverses ou de syndicalistes, le développement du courant altermondialiste n’a pas une signification entièrement négative. On peut même considérer, dans cette époque d’apolitisme profond et de rejet des ex-partis ouvriers complètement déconsidérés par leur rôle au sein de l’appareil d’État de la bourgeoisie, que le mouvement altermondialiste a au moins quelques aspects positifs. Que les infamies du capitalisme poussent à l’indignation ces jeunes, ces syndicalistes et ces associatifs de toute sorte et que cela s’exprime par de grandes manifestations, de Porto Alegre à Gênes ou à Saint-Denis, est en soi une publicité importante à la critique des méfaits de cette société. Le fait que ceux qui participent à ces manifestations rêvent d’un "autre monde" et le disent en est une autre.

Une autre encore est le sentiment de bon nombre de ses partisans d’être des citoyens du monde, sentiment cultivé par le caractère international comme par les thèmes des grandes manifestations altermondialistes. Cultivé aussi par la volonté affichée d’Attac d’appartenir et de développer une organisation internationale, même si ce caractère international ou le fait de s’en prendre aux organismes internationaux de la bourgeoisie ne font pas pour autant du mouvement une ébauche d’internationale, pas plus qu’une juxtaposition de "souverainistes" ne fait l’internationalisme.

Ces indignations devant les conséquences de l’évolution du monde capitaliste expliquent pourquoi bon nombre de jeunes ou de syndicalistes portent leurs espoirs dans le seul courant qui semble aujourd’hui les exprimer, d’autant plus pour les derniers qu’il ne s’agit ni de parti ni de révolution.

Les trotskystes ne peuvent donc ignorer que ces sentiments sont, pour une part au moins, à l’origine du succès d’estime rencontré par le courant altermondialiste. Pas plus qu’ils ne peuvent oublier qu’une autre des explications de ce succès est l’absence d’un courant communiste fort.

Ainsi nous sommes en compétition avec le courant altermondialiste comme nous le sommes avec tous les mouvements réformistes et en particulier le PCF. Cela nous amène avant tout à combattre politiquement les fondements de la plupart de ses idées, à montrer les limites qu’il impose tant à ses objectifs qu’à ses combats. Cela n’exclut pas d’être solidaires de certaines de ses initiatives et de nous retrouver ponctuellement dans certains de ses combats, voire de participer à certaines de ses manifestations, exactement comme nous pouvons participer ou être solidaires d’actions ou de manifestations du PCF, des syndicats ou d’associations humanitaires. Mais il n’est pas question de militer au sein de cet ensemble hétéroclite d’associations diverses et encore moins de vouloir y assumer des responsabilités.

L’altermondialisme n’est certainement pas l’expression d’un nouvel internationalisme, mais un de ses avatars réformistes caricaturaux, à une époque où la réalité d’une véritable Internationale ouvrière, comme d’ailleurs d’un véritable parti ouvrier révolutionnaire, apparaît éloignée dans le passé, alors qu’elle doit être l’objectif primordial.


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